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ARRIVEDERCI AMORE, CIAO

On était curieux de retrouver Michele Soavi, perdu dans les limbes de la télévision italienne, depuis son dernier film, l’iconoclaste “Dellamorte Dellamore”, avec Rupert Everett et François Hadji-Lazaro et son célèbre “gnâ !”», datant de 12 ans déjà. Il s’était un peu perdu dans les limbes de la télévision italienne, mais on retrouve ici sa patte de petit maître maniériste qu’il avait dans de petits films d’horreurs originaux comme “La setta”, avec Herbert Lom et surtout “Bloody Bird”, où un tueur portait un curieux masque de hibou. De bons souvenirs dans quelques soirées câblées désœuvrées, ce type de film revenant souvent dans la programmation. On retrouve Alessio Boni, inoubliable interprète de “Nos meilleures années” film fleuve de Marco Tullio Giordana -, où il avait un personnage beaucoup plus sensible ici que ce personnage de Giorgio Pellegrini ancien révolutionnaire devenu nihiliste dans cette adaptation d’un roman de Massimo Carlotto. On le découvre au milieu de guérilleros armés jusqu’aux dents, avec une barbe “cheguevarresque”. Dans ce recoin oublié de l’Amérique Latine, il trompe son ennui en jouant avec les perspectives en ouvrant et fermant un œil, à la vue d’un crocodile fonçant sur un cadavre. Dégoûté d’avoir dû répondre à un ordre imbécile, il décide de fuir cette vie d’activiste.  De retour en Europe, il va tenter, en se transformant en maître chanteur, de soutirer de l’argent à l’un des ses anciens compagnons, ancien communiste reconverti dans le polar. Son but final est finalement d’aboutir à une réhabilitation, pour enfin refaire sa vie, après une peine de prison symbolique. Giorgio va comprendre que seul la violence peut l’amener à ses fins. Il est conforté dans cette idée avec sa rencontre avec un flic ripoux d’anthologie nommé Anedda – Michele Placido impressionnant -. Opportuniste, Giorgio va se servir de son expérience passée, pour organiser des casses avec la complicité du policier. Même si on pense au “Romanzo criminale” de Placido, vu cette année, ce film n’est en rien une réflexion politique. C’est plutôt dans la tradition du film noir, du “Poliziotteschi” italien, genre qui avait eu son heure de gloire dans le cinéma italien des années 70, et reconsidéré ces derniers temps par la sortie DVD de trois d’entre eux “Rue de la violence” , “La rançon de la peur” et “Brigade spéciale” sortis chez Neo Publishing.

Michele Placido & Alessio Boni

C’est un genre violent, où les policiers franchissent allégrement la légalité pour arriver à leurs fins. Ici il n’y a finalement aucune psychologie dans le personnage de Giorgio, juste une sorte de traumatisme originel dans un attentat qui avait fait une imprévisible victime innocente, ce qui nous vaut une très belle scène poético-macabre à la vision d’un arbre sanglant. Giorgio n’a plus d’illusions, ni d’états d’âmes, arriviste dans l’âme, il se sert de petites crapules apatrides pour voler de l’argent, participe aux compromissions politiques avec un art consommé. Rentrant comme homme de main dans une boîte de nuit, et se servant de sa belle gueule avec une rouerie assumée, pour séduire une femme riche – Isabelle Ferrari, qui montre ici une gravité inattendue -, où organiser de petits trafics… Si la mise en scène de Michele Soavi, semble plus sage qu’au paravent, il ne résiste pas à certaines virtuosités. Il y a des citations d’autres œuvres – une célèbre scène du “Soupçons” d’Hitchcock, sans vouloir déflorer le film par exemple -. On sent qu’il prend un plaisir évident avec ce monstre froid, même s’il se complait dans une noirceur évidente mais avec une certaine stylisation et un humour noir assez salvateur. Seule la jeune Roberta – révélation d’une belle sensibilité : Alina Nadela – apporte un souffle d’air frais dans un monde cynique et impitoyable en attendant un climax final particulièrement suffocant. Mais elle ne va servir qu’à une caution de moralité lorsqu’elle rencontre Giorgio. L’immoralité de l’ensemble tranche singulièrement avec la moyenne du cinéma actuelle. Alessio Boni campe ce personnage avec conviction et ambiguïté, et sa confrontation avec Michele Placido passé bien au-delà de la corruption est très réussie. Un film qui ne laisse personne indifférents, qui distille une ambiance torve particulièrement singulière, dans ce jeu de massacre des archétypes du policier.

ADIEU CUBA

Andy Garcia originaire de la Havane, évoque ici le Cuba de la fin des années 50, au travers d’un portrait d’un directeur d’une boîte de nuit – Garcia himself se réservant le premier rôle –. Le passage du régime totalitaire de Batista à celui de Fidel Castro vont causer la perte de ses privilèges et vont le contraindre à l’exil à New-York… On se dit pourquoi pas évoquer Cuba, comme ici dans ce film “The lost city” – “Adieu Cuba” – qui bénéficie de la signature prestigieuse de l’écrivain cubain G. Cabrera Infante au scenario juste avant sa mort l’an dernier, sous la forme d’une saga familiale… Il y a pourtant de bons moments dans ce film mais il faut aller au-delà des limites d’une évocation renvoyant dos à dos le président Batista, montré comme un tyran d’opérette et le mythique Che qui tue sans vergogne pour ces idées. C’est un peu le musée Grévin, avec une prédilection toute particulière pour la fausse barbe castriste du frère cadet-castriste souffrant sans doutes de l’utilisation d’une mauvaise colle. C’est une vision nostalgique des choses, mais aussi partiale, car il s’agit d’une famille de nantis. L’utilisation de documents réels d’archives en noir et blanc est presque ici un aveu d’impuissance de recréer une histoire perdue, avec suprême roublardise d’y intégrer Garcia fuyant les vrais révolutionnaires. Cette mise en abyme est assez vaine. Il s’agit ici de dresser une fresque où domine un petit côté fleur bleue, plutôt que de tabler sur un discours démonstratif. Le peuple est tragiquement absent ici, le protagoniste principal – joué par Andy Garcia formidable acteur mais un peu en roue libre ici -, ne privilégiant que la vie de son cabaret “El Tropico”, l’occasion de nous livrer d’excellents numéros musicaux – soit une quarantaine de classiques -, surfant un peu sur la mode “latino” de ces dernières années. Il montre parfois l’absurdité, de nouveau régime, comme l’hallucinante réflexion d’une femme soldate du régime castriste qui interdit le saxophone dans son établissement, comme instrument de l’impérialisme américain…

Andy Garcia, lui précise que c’est l’invention d’un certain Sax qui est Belge, elle répond avec aplomb en dénigrant la Belgique dans ses exactions au Congo. Mais il manque sérieusement un souffle dans cette série de clichés. Dans ce mode romanesque il y a un autre écueil important, la présence d’Inès Sastre qui dans le rôle féminin principal nous régale d’un festival de bouderies puériles. A grands coups de moues renfrognées, elle n’arrive qu’à camper un pantin déshumanisé, la photogénie sur papier glacé n’allant pas obligatoirement de pair avec le talent sur l’écran. Une suggestion qu’elle adopte un nouveau prénom : Haydée ! Le reste de l’interprétation est assez inégale, mais on a plaisir à retrouver le vieux routier Tomas Milian, cubain d’origine, apportant un peu d’humanité dans son rôle de patriarche transpirant et intraitable sur la ponctualité, ou Steven Bauer en militaire conformiste. Dustin Hoffman imprègne de sa présence son court rôle, le temps de 2 scènes -… et 2 fois le même numéro – en maffieux local.  Reste la présence de Bill Murray, dans un superbe numéro. Dans un rôle un peu trop écrit d’écrivain sans nom, il amène un souffle de liberté, de contestation dans cet univers de carton-pâte. Il faut le voir en short disserter sur la vie, le pouvoir, préparer ses effets à grand coup d’éventail. Là on vient bien croire à l’histoire, à l’instar de la scène où le personnage d’Andy Garcia, conscient d’un univers qu’il va perdre et gardera un moment de complicité avec Murray qu’il chérira à jamais. Chapeau bas pour Bill Murray, car il faut bien le dire, il me semble sauver le film. Dommage car on sentait bien qu’Andy Garcia était très attaché à ce projet.

Bill Murray à la rescousse

LA TOURNEUSE DE PAGES

Avant-première le jeudi 3 août, du quatrième film de Denis Dercourt, déjà bien accueilli à Cannes 2006, dans la sélection “Un certain Regard”. Hormis le très abouti “Lise et André” sur la rencontre d’une mère – trop sous exploité Isabelle Candelier – dont le fils est malade, qui se confit à un prêtre – formidable Michel Duchaussoy – en 2000, ses trois autres films parlent du milieu de la musique et des concertistes. Le réalisateur concilie à la fois ses cours de musique de chambre au conservatoire de Strasbourg, et sa carrière très originale au cinéma. Après “Les cachetonneurs” (1998) retraçant la difficulté de musiciens itinérants, et le très maîtrisé “Mes enfants ne sont pas comme les autres” (2003) sur un père – Richard Berry – trop exigeant sur les performances musicales de ses enfants. Comme dans ses autres films, il faut saluer la grande crédibilité de ses interprètes lors des morceaux musicaux. Dercourt connaît les écueils à éviter, il est aidé ici par les connaissances de Catherine Frot, qui a fait du piano jusqu’à l’âge de 12 ans, et connais très bien “La marche turque” de Mozart, Xavier de Guillebon qui pratique la clarinette et Clotilde Mollet, musicienne émérite, qui a déjà plusieurs films à son actif. Rarement, on aura vu une représentation de la musique aussi probante. Il est parfois difficile de ne pas ricaner devant des mouvements inconsidérés sur quelques touches de piano, dans certains films confondant agitation et mélomanie. Difficile de parler du film sans parler du thème principal, n’allez pas plus loin si vous voulez préserver le plaisir du film… Disons que le thème pouvait être celui d’un thriller, c’est plus ici un cinéma psychologique proche d’un Claude Chabrol, nom souvent cité lors du débat d’après film. Il y a une tension palpable mise en valeur par une réalisation intelligente qui revisite le thème un peu éculé de la vengeance. François Truffaut se disait gêné par cette utilisation, quand il avait fait “La mariée était en noir”, loin d’être d’ailleurs l’une de ses œuvres les plus réussies. Une jeune enfant douée, Mélanie dont les parents sont bouchers – Christine Citti et Jacques Bonnaffé qui arrivent à faire exister leurs personnages en peu de mots -, décide d’abandonner sa pratique du piano, si elle échoue son concours d’entrée au conservatoire. Ariane Fouchécourt, brillante artiste mais bourgeoise assez hautaine, va avoir une attitude assez inconsidérée dans ce moment de grand stress. Ariane c’est Catherine Frot, de plus en plus rayonnante depuis son rôle dans “Le passager de l’été”, elle révèle à nouveau ici une certaine séduction et une grande sensualité. Son personnage va d’ailleurs évoluer durant le film. Le destin de Mélanie est ainsi scellé de la manière que je vous laisse découvrir, on peut voir ensuite son effroi assez inconsidéré. Loin de planifier toute idée de représailles, Mélanie adulte – Déborah François, qui confirme ici de son grand talent découvert chez les frères Dardenne dans “L’enfant”, se sert en fait des hasards de la vie pour retrouver cette grande pianiste qui a brisé son destin.

Catherine Frot & Déborah François

Le grand talent du réalisateur est qu’il laisse volontairement des zones d’ombres, offre des pistes – l’accident de voiture -, sans que l’on sache le rôle de la jeune Mélanie dans ces évènements. Elle va donc se retrouver dans un grand cabinet d’avocats tenu par une secrétaire zélée – Martine Chevallier excellente -, qui est dirigé par M. Fouchécourt – Pascal Greggory arrivant à concilier ferveur et réserve -. Mélanie va tout faire pour se montrer indispensable en devenant la baby sitter de leur fils Tristan pianiste en herbe très talentueux. Elle va gagner la confiance de toute la famille, et va retrouver la célèbre pianiste en pleine crise artistique. Elle va devenir sa tourneuse de pages – rôle prépondérant pour une grande pianiste -, va installer une certaine intimité, voire amitié amoureuse avec elle, et attendre que le sort lui soit favorable pour accomplir son méfait. Seule l’amie musicienne d’Ariane – Clotilde Mollet donc, une personnalité attachante -, va se méfier. Elle et son mari – Xavier de Guillebon – essaie de monter un trio de concertistes avec Ariane. La pression est grande, le trio est un peu en perte de vitesse, et il faut convaincre un agent artistique important – André Marcon, toujours à la présence aussi forte – et éviter… les fausses notes. La villa luxueuse des Fouchécourt a aussi une grande importance en étant faussement rassurante. C’est en fait un lieu existant nous avait évoqué Denis Dercourt, et si l’on pense inévitablement au superbe “Cat People / La féline” de Jacques Tourneur dans la scène de la piscine, son réalisateur n’a en fait jamais vu le film et a juste utilisé cet élément présent dans cette narration. Si la fin pêche un peu, son réalisateur est le premier à le reconnaître en déclarant avoir été trahi par son scénariste… c’est à dire lui-même -. Il arrive cependant à montrer une fois le petit microcosme musical, ses exigences, ses petites lâchetés ou cruautés, et installe un climat très original. Pour avoir déjà conversé avec lui lors de son précédent film, j’ai retrouvé ce soir là sa grande exigence – il sait ce qu’il veut et peut demander beaucoup -, son grand humour et sa volonté de faire partager ses deux passions la musique et le cinéma, toujours au service de ses interprètes. Il nous confirme une fois de plus sa singularité dans le cinéma français. Déplorons seulement qu’un petit côté mécanique du scénario, nous empêche de faire éclater une ambiguïté étouffante.

A LITTLE TRIBUTE TO BOLLYWOOD

Initiative intéressante de l’UGC Cité-Viné, en partenariat avec le distributeur “Bodegas Films”, de proposer du 2 au 8 août, 5 films estampillés “Bollywood” – où Bombay versus Hollywood -, soit 998 minutes de programme ! Évidemment, rien de plus tentant en période de disette cinématographique entre deux gueules de poulpes et quelques séries B européennes sorties de quelques placards. Par ordre chronologique, sur dix ans on retrouve dans cette série, la star locale au sourire enjoué-enjôleur Shah Rukh Khan. On le retrouve en jeune frimeur “Dilwale Dulhania Le Jayenge” (Aditya Chopra, 1994, inédit), un professeur de musique utopiste dans “Mohabbatein” (Aditya Chopra, 2001, inédit), – en fils chassé par son père pour n’avoir pas accepté un mariage arrangé dans “Kabhi Khushi Kabhie Gham… – La famille indienne” (Karan Johar, 2001), indien charmeur exilé à New-York dans “New-York Masala” (Nikhil Advani, 2003), sauveteur émérite d’Indian Airlines dans “Veer-Zaara” (Yash Chopra, 2004). Très doué dans les scènes dansées, il a aussi un fort potentiel comique. Reste que dans les scènes d’émotions, il est aussi probant, même s’il a tendance à jouer dans la catégorie chargeurs réunis, sanglotant en reprenant les mouvements de têtes d’un petit pigeon dans le désopilant “La famille indienne”. Mais on risque d’ergoter sur une différence de mentalité. On comprend le prestige dont il jouit en Inde, même si sa suprématie indéniable depuis 1990 semble devoir être entamée par l’arrivée de Hrithik Roshan dont on peut apprécier les talents dans “La famille indienne”. On retrouve aussi sur trois films, l’impressionnant Amitabh Bachchan, qui campe des hommes rigoristes tel le directeur de l’université “Mohabbatein” – variante du “Cercle des poètes disparus” -, et le père austère d’une tribue indienne. Il est même assez touchant dans “Veer-Zaare” en fondateur d’un village recueillant des défavorisés qui finit par prendre conscience de l’émancipation de la femme. Il faut le voir aussi avec sa grande stature esquisser des pas de danses ou faire des déclarations à sa fidèle épouse dans les deux derniers titres cités. On se familiarise avec ces comédiens idoles, comme la charmante Kajol, qui a la faculté d’émettre des sons qui vous vrillent les tympans si la bande-son est trop forte, ou Jaha Baduri – “La famille indienne”, “New-York Masala” -, personnification de la mère indienne. Et il y a surtout l’ineffable Amrish Puri – père intraitable dans  “Dilwale Dulhania Le Jayenge” – et général ganache dans “Mahabbatein” -, mort en 2005, qui quand il fait les gros yeux par temps de grosse contrariété, déclenche les fous rires. Il est encore plus fort que Marty Feldman et son célèbre strabisme, qui lui au moins tablait dans l’humour volontaire…  Il n’y a que très peu de réalisme, les personnages viennent souvent de milieux privilégiés, sont des fashions victimes, arborent ostensiblement des vêtements de marques. 0n peut constater une certaine occidentalisation, ou est-ce un appel du pied envers le public international.

Shah Rukh Khan, Kajol, Amitabh Bachchan, Jaha Baduri, Kareena Kapoor & Hrithik Roshan, dans “La famille indienne”.

Les personnages voyagent – la Suisse -, où s’exile – L’Angleterre, les États-Unis -. C’est une vision dorée d’un petit monde échappé de l’œuvre de Delly. Nous sommes dans la grande tradition mélodramatique, feuilletonesque, entre la niaiserie d’un Claude Lelouch et le sentimentalisme du soap opéra télévisuel. Pathos s’en faut, effet gondolable garantie. Il y a des figures imposées dans ces amours assez chastes en Cinémascope. On retrouve donc des couples mal assortis qui ne se supportent pas de prime abord, des numéros musicaux dans des tenues chatoyantes, un certain érotisme mouillé – la pluie a un rôle prépondérant -, et les yeux rouges sont de rigueurs. Évidemment, il est difficile de se départir de son petit regard condescendant de petit franchouillard moyen. Mais les yeux des comédiens sont souvent embués voir rouge vif façon lapin russe. C’est donc la vallée des pleurs, nous finissons aussi par les suivre… mais en pleurant de rire, comme dans le plus mal goupillé et le plus rocambolesque, “La famille indienne”. Ce “classique” filmé de manière pataude par un certain Karan Johar qui ne renâcle pas à bâcler son film, a des effets outrés – l’orage grondant lors de fortes tensions, idée reprise dans “Mohabbatein”, post-synchronisation approximative -. C’est aussi celui auquel on rit le plus dans ce royaume des courants d’air. Les histoires répondent toujours aux même stéréotypes, les grandes amours contrariées de jeunes gens face à leurs aînés respectant les traditions familiales avec une grande rigueur, et finissant par s’humaniser invariablement à la fin du film. Les personnages sont attachants, comme les femmes âgées résignées mais qui sont les premières à comprendre la détresse des jeunes gens. Il y a aussi des trouvailles, comme celle des bijoux qui s’accrochent aux vêtements quand les protagonistes veulent s’éloigner le temps d’une danse, où le père qui félicite son fils d’avoir raté ces études à Harvard, perpétuant ainsi la grande tradition de ratage d’examen des aînés dans “Dilwale Dulhania Le Jayenge”. Le happy-end est aussi de rigueur – sauf “New-York Masala” -… Mais il faut bien convenir que cette overdose de rose a son petit effet galvanisant. Trêve de sarcasmes, malgré un gros budget glycérine et ventilateur, il y a un indéniable savoir-faire. Il y a un message régulier de tolérance, surtout dans “Veer-Zaara”, à mon avis le plus convaincant, sous toile de fond des conflits entre l’Inde et le Pakistan. Les héros s’ingénient parfois à faire le bonheur autour d’eux en sacrifiant volontiers les petits intérêts personnels. Quant à la fameuse durée, il est curieux de constater que passer un certain cap, l’attention ne se relâche que très peu. Un souffle assez unique est à souligner dans ces 5 films. On ne sait finalement si les 200 films annuels produits en Inde ont cette même qualité. J’ai même eu l’agréable surprise de constater que j’avais moins de scènes ennuyeuses à déplorer dans presque 17 heures de films que dans les 150 minutes des “Pirates des Caraïbes – Le secret du coffre maudit”. Ces films ont un charme fou, et sont particulièrement bienvenus en pleine apathie aoûtienne… On en redemande…

LE COIN DU NANAR : STAY

Attention navet de compétition ! L’été est souvent l’occasion pour les Majors, qui arrivent pour permettre la sortie de leurs blockbusters, d’imposer celle de leurs fonds de tiroirs. On devait à Marc Foster de culture européenne, deux films très honorables, “À l’ombre de la haine” (2001) et “Neverland” (2004). On attendait légitimement mieux avec ce cauchemar expérimental que ce pensum, qui rate à la fois le spectacle et la réflexion. Dès les premiers plans, on comprend rapidement l’inanité d’une telle œuvre. Un jeune dépressif annonce à son psychiatre – improbable Erwan McGregor -, son suicide prochain sur le pont de Brooklin. Il prend pour cette issue fatale, modèle sur un obscur peindre new-yorkais. Le plus fou des deux, n’étant pas forcément celui auquel on pense, notre vaillant thérapeute, de plus en plus « borderline » va tout faire pour éviter le pire. Pour tenter d’évoquer la tragique frontière entre la réalité/phantasme, la vie et la mort. On sent bien que le réalisateur veuille reproduire un film schizophrénique, à l’exemple du magistral “Lost higway” de David Lynch, mais il ne fait que d’aligner la gratuité des effets dans un exercice de style poussif. On part également sur la piste du « Sixième sens » et on finit par déplorer qu’il n’y ait pas un M. Night Shyamalan, qui arrive à installer un climat avec des scénarios moyens ou un David Fincher initialement annoncé. On reste sidéré devant tant de suffisance, la multiplication de plans alambiqués – genre caméra au fond d’un casier et d’effets d’inversion – finit allégrement par avoir son petit effet comique. C’est peut-être l’humour involontaire du film qui finit par tromper l’ennui…  À l’image d’une femme qui laisse son chien attaquer le bras du psychiatre, ce qui lui donne l’idée… d’aller faire à manger ! – le chien affamé voulant en fait se nourrir ? -. On en vient non pas à anticiper l’histoire qui nous passionne moyennement, mais à trouver quel effet bizarre suivra. Le symbolisme est lourdinguissime, surligné et le montage à la serpe n’arrange rien.

Erwan McGregor

En prime, les citations hitckockienne, comme celle gratuite de “Vertigo-Sueurs froides” sont révélatrice d’une panne visible d’inspiration, et le petit jeu avec la notion de”Déjà vu” – en V.O. dans le texte -, ne sont que des pirouettes assez vaines. Mais il y a un côté prétentiard assez énervant en prime, exacerbation du propre savoir-faire du metteur en scène. Ca devrait faire illusion la durée d’un clip musical, mais sur la longueur du long-métrage c’est proprement insipide. Les interprètes sauf Ryan Gosling -… à la rigueur -, sont ectoplasmiques. Erwan McGregor s’agite vainement sans trop y croire, c’est tout juste s’il imprime la pellicule, l’habituelle photogénie de Naomi Watts est ici bien en berne,  Bob Hoskins se livre à une piètre composition dans une fausse sobriété et la pauvre Jeanine Garafolo joue les simples utilités. L’image d’un New York aseptisé – et vitré -, idée déjà prise dans “Basic instinct 2”, n’est qu’une stylisation gratuite malgré le savoir-faire indéniable –mais très dans l’esbroufe – de son chef opérateur Roberto Schaeffer. La révélation finale attendue est simplement désolante, avec une astuce de scénario que tout le monde a abandonné depuis au moins trente ans. Le climax final finit par achever cette baudruche infâme avec un amer sentiment d’inachèvement. Le scénario faussement compliqué n’est qu’une compilation de roublardise assez vaine. Louons le réalisateur Marc Foster, pour avoir réussi la performance d’avoir livré l’un des pires films de cette année pourtant déjà fortement cornichone. Et le titre “Stay” devient une évidence c’est une injonction au spectateur à rester jusqu’au bout du film, performance difficile devant tant de monument de vacuité et d’ennui.

THE DEVIL’S REJECTS

Les temps sont à l’irrespect, un pâle imitateur singe d’une façon grossière le chanteur Renaud, dans une parodie grotesque “Les bobos” sous fond de musique du dessin animé “Kirikou”, notre vénérable ministre de la culture se reçoit des tomates à Avignon, un doigt d’honneur géant fait de la pub pour une banque, cynisme éhonté involontaire ? – Il paraît que c’est un pouce, mais la symbolique est là -. 20six d’ailleurs ne déroge pas à cette mode, faisant l’attaque régulière de Spams malins – les bloggueurs chantant en cœur “Tirez pas sur l’ambulance  !” de Françoise Hardy, entre les deux problèmes techniques habituels. Bref le sarcasme est hissé le pathétique au niveau des beaux-arts, je songe d’ailleurs à changer le nom de ce blog par “20six’s reject”, occasion de faire un hommage au film évoqué à la suite. Le gendre du film d’horreur succombe régulièrement d’ailleurs à cette mode. Il est vrai qu’en ce moment le genre ne se renouvelle guerre, les Majors se contentant de refaire des remakes (“Terreur sur la ligne”,” Fog”, “La colline a des yeux,” mais il faut louer le talent d’Alexandre Aja pour ce dernier). Curieux objet que ce “The Devil’s Rejects”, d’un certain Rod Zombie – de son vrai nom Robert Cummings -, qui par son patronyme nous annonce déjà la couleur. Le film est l’œuvre la plus secouée que l’on puisse voir en ce moment, difficile de trouver une comparaison, citons peut-être la trilogie “Dead or alive” de Takashi Miike. Alexis Bernier, dans “Libération”  décrit comme “Punk gothique, tatoué et poilu comme un Hells Angel sorti des enfers”. Son précédent film – pas vu, pas pris…-, “La maison des 1000 morts”  vient de sortir en DVD bénéficie déjà d’un statut de film culte. C’est un véritable jeu de massacre entre le shérif revanchard – étonnant William Forsythe –, encore plus frappé que la famille infernale et la famille Firelly dirigée par un clown sinistre et adipeux – singulière performance du tarantinien Sig Haig – et déjà présente dans “La maison des 1000 morts”. 

Bill Moseley, Sig Haig & Sheri Moon Zombie

Nous sommes bien dans la tradition du Grand Guignol, mais qui se révèle un bel hommage à la liberté du cinéma américain des années 70 mais si au final il se révèle aussi assez malsain. Il s’amuse avec des références avouées de l’œuvre de Sam Peckinpah, Tobe Hooper, Bela Lugosi ou Quentin Tarantino. On n’est donc pas surpris de retrouver Michael Berryman – le célèbre Pluto de “La colline a des yeux”, pour une fois dans un rôle sympathique, le seul du film d’ailleurs !  Il faut le voir absolument hilarant fantasmer sur Carrie Fischer dans “La guerre des étoiles” et s’indigner qu’un fermier puisse le soupçonner de zoophilie avec des poulets. Le distribution est étonnante de Geoffrey Lewis en chanteur de country pathétique et Danny Tréjo en tueur tatoué sans oublier la propre femme du réalisateur Sheri Moon Zombie en bimbo dégénérée et l’inquiétant Bill Moseley en sanguinaire christique. Tout ce petit monde rivalise en bêtise et en ignominie. L’humour est présent mais on ne sait pas finalement à quel degré il est présent…. Reste qu’il y a des scènes d’anthologie comme le cinéphile fan de Groucho Marx – le Charles Manson local prenant les noms de ses personnages comme celui Cap’tain Spaulding venu du film “American crackers” -, se livrant à une violente dispute avec le shérif fan d’Elvis Presley. Il arrive à les digérer, pour un résultat curieux, la violence flirtant avec la complaisance. Hommage aux road-movies seventies, le film a une tension – à l’instar du personnage de la femme de ménage d’un hôtel découvrant les exactions de la famille Firelly -, une folie gore Un cinéaste à suivre, de par la manière dont il peut évoluer, canaliser son énergie. Il a une originalité secouée bienvenue en ces périodes de recyclage. Entre trash, grotesque, contestation et folie furieuse, ce film risque de devenir culte.

LE VOYAGE EN ARMÉNIE

Changement de ton dans l’œuvre de Robert Guédiguian, avec ce “Voyage en Arménie”, sur le thème du retour aux sources, après la rupture du film “Le promeneur du champ de Mars”, magnifié par la superbe interprétation de Michel Bouquet. Robert Guédiguian quitte le quartier de l’Estaque, pour un voyage initiatique autour du thème des origines. Il s’adjoint au scénario Ariane Ascaride et la romancière Marie Desplechin. Ariane Ascaride dans le rôle d’Anna, rayonne dans ce rôle très fort. Déplorons sa sous-utilisation ces derniers temps, son statut d’égérie de Robert Guédiguian, semblant freiner les autres metteurs en scène. Anna cardilogue réputée de Marseille, examine son père Barsam, malade du cœur – joué avec malice par Marcel Bluwal, compagnon de longue route des Guédiguian -. Barsam, buté et déterminé, qui a jadis fait souffrir la mère d’Anna par son tempérament, décide de disparaître pour éviter une opération qui est pourtant de toute urgence. Anna peste contre lui, et se rend avec son mari – le fidèle Jean-Pierre Darroussin, dans un petit rôle -, dans la maison paternelle. Il y a des indices flagrants, trop visibles pour ne pas être une invitation à le rechercher, de son départ en Arménie. Il est parti dans les hautes montagnes du Caucase, lieu de ses origines. Anna ignore totalement ses racines, alors que sa fille – jouée par sa propre fille Madeleine – renoue avec la tradition en faisant de la danse folklorique. Elle décide donc de partir le retrouver, sur la base d’une vieille photo. La petite communauté des Arméniens de Marseille, recommande à Anna, de se faire accompagner par un homme d’affaires assez retord, Sarkis Arabian, – Simon Abkarian, apportant une ambiguïté à son personnage, et comédien toujours aussi probant -. Arrivée en Arménie, Anna est finalement livrée à elle-même, elle finit par accepter de suivre le vieux Manouk – formidable présence de Romen Avinian, qui se propose comme chevalier servant avec sa petite voiture. Elle va faire plusieurs rencontres dans son périple, de la jeune Schaké – épatante Chorik Grigorian -, jeune coiffeuse débrouillarde, Yervanth – Gérard Meylan très crédible dans la veine picaresque – ancien petit truand en exil français qui est devenu une figure locale -, Simon – Jalil Lespert, convaincant – jeune médecin sans frontières assez désabusé, ou Vanig – étonnant Serge Avedikian -, ancien militaire. Tous vont apporter une aide pour qu’elle puisse retrouver son père, même si Anna se trouve mêlée dans quelques déboires, en raison de petits trafics de Sarkis. Le regard d’Anna suite à ce séjour d’Erevan, va ébranler ses certitudes. La générosité de Robert Guédiguian, est toujours présente, il concilie l’humour – la voiture de Manouk tombant en morceaux -, la réflexion sur la perte des illusions politiques – Sarkis parlant du confort d’être communiste quand on vient d’un pays privilégié, face à Anna qui défend ses idées -, le marasme économique de l’Arménie – trafics, débrouillardise, maffia locale, plutôt biens vus etc…-.

Gérard Meylan, Simon Abkarian & Ariane Ascaride

On évite ici le côté office du tourisme, car les paysages sont superbes, pour faire ici preuve de tolérance, de compréhension dans un monde en construction, qui semble échapper à notre petit confort. L’évocation de la notion d’identité est subtile, à l’instar de la vision du “Mont Ararat”, regardé avec tendresse par le vieux Manouk qui souhaite qu’il retrouve un jour son identité arménienne. La découverte de ses racines n’est pas ici repli communautaire, mais une manière au contraire de s’ouvrir au monde, de confronter la richesse de cultures différentes. Une petite solidarité finit par naître de personnages aux mentalités différentes. Anna est acceptée très vite par les Arméniens comme l’un des leurs, elle finit par comprendre cette culture – belle métaphore du “berceau du monde chrétien”. Elle s’adapte très vite par la langue, la vie locale, son énergie généreuse et sa capacité à vouloir comprendre un monde inconnu pour elle et pourtant si proche. Robert Guédiguian, prend  son temps, laisse naître les émotions et décrit ses personnages avec une formidable empathie. Ses réflexions sont toujours salutaires de la manière de disposer de sa vie et de sa santé pour le père d’Anna, ou sa vision d’une ancienne république soviétique et ses contradictions. La découverte de son œuvre par “À la vie, à la mort”, fut pour moi une formidable rencontre, et la découverte de ses films suivants, et précédents via les DVD, furent pour moi la rencontre avec un univers fort, parfois naïf, mais généreux, enthousiaste, ne sombrant jamais dans la carte postale. D’années en années, le réalisateur confirme la richesse de son œuvre, dans la continuité comme dans la rupture. Il a un regard sincère sur le monde, tout en évitant un sentimentalisme outré. Il a une belle croyance en l’homme avec sa petite troupe qui ne cesse de s’agrandir. Il est important de dire combien ce cinéaste compte dans le cinéma, aussi bien comme artiste que comme homme. Son regard singulier nous manquerait vraiment, s’il n’existait pas…

LE COIN DU NANAR : LA MORT DU CHINOIS

La mort du Chinois” est un film réalisé en 1997, troisième film de Jean-Louis Benoît, après “Les poings fermés” (1984), et “Dédé” (1989), un CV théâtral à tomber. Le problème à l’issue de ce film, c’est que l’on se pose des questions sur sa santé mentale. Je vais essayer de vous raconter l’histoire du film, “Hellzapoppin” c’est du Bernanos en comparaison… 0 minute, zéro seconde, le générique débute sous fond de hard rock tonitruant, apparaît le titre “La mort du Chinois” en jaune sous fond noir, ça dépote, je me jette sur la télécommande, il convient de baisser un peu…1 minute 25 secondes, on entend un râle dans un appartement en bordel – deux figurines de cochons en plein coït, un plateau repas renversé, une vieille paire de basket -, ça pannote jusqu’à deux pieds remuants, on aperçoit une paire de ciseau, Denis Podalydès (de la Comédie Française) téléphone, “Allô Michel, Françoise m’a coupé les couilles !”. 2 minutes, zéro seconde, José Garcia en complet blanc et chemise rouge, fonce furieusement la civière de son ami Podalydès au grand dame d’un infirmier – Eriq Ebouaney, énervé également -. Il est collant le Garcia, Podalydès hurle à la mort en crachant des cachets multicolores, Ebouaney furibard vitupère “Qu’est-ce que c’est que ses dingues”. Podalydès se met à gueuler, il vient de se faire esmaculer ce qui n’est pas idéal, il doit interpréter Don Juan au théâtre, et le faire sans couilles ce n’est pas très sérieux, on peut en convenir. Il veut donc qu’on les lui recouse. Trois membres du personnel médical arrivent à neutraliser le Garcia, période surcharge pondérale. 2 minutes 46, Garcia prend l’ascenseur, rencontre un malade sous perf qui lui demande des nouvelles. Il est au bout du rouleau, et son couple bat de l’aile. Pas facile de vivre à deux, mais pas “facile de vivre tout seul”, lui rétorque le malade. – Ca c’est ben vrai, ça -.3 minutes 45, Garcia remonte chez lui, et pousse un cri… Il y a un Asiatique, une culotte de sa femme à ma main, qui lui parle des malheurs de son pote. Garcia demande qu’il est, ce à quoi notre intrus répond obligeamment qu’il se nomme Tong et vient récupérer les affaires de la femme adultère. Désabusé de voir que sa femme le quitte et qu’il est cocu en prime, il répond “elle me quitte pour un homme qui à un nom de pantoufle” – c’est très subtil comme jeu de mots, d’autant plus qu’en 98, les “tongs” ne bénéficiaient pas de l’effet “Camping” -. Il demande depuis quand le Tong connaît sa femme – qui attend dans une camionnette -, depuis que “tu un con”. Tong part une guitare sous le bras, ergotant sur les rapports du couple “trop de dissonances…. 6 minutes 10, Garcia demande un délai à son employeur, François Morel, qui tente de le rassurer en mimant des oreilles de lapins, c’est normal il édite des livres pour enfants et Michel écrit pour eux.

Vous suivez toujours ? 6 minutes 55, Michel essaie d’écrire sous fond de musique, dans sa bibliothèque figure un livre de Pierre Desporges, “Marcel le poulet, roi des châtaignes” qu’il a écrit – il s’appelle Passepont en prime, prédestiné aux malheurs, pov’ gars -, et “Un homme sans qualité” de Robert Musil – C’est le livre préféré de Jean-Pierre Bacri, bon d’accord je digresse en plus, ça n’aide pas beaucoup à la compréhension. Son texte – “ne sois pas triste, grosse bête ! Je vais aller trouver le rhinocéros il d’aidera à retrouver tes…”. Il écrit couilles au lieu des oreilles – c’est une histoire de lapin -. Sonnerie de téléphone, Gérard Podalydès – de la Comédie Française – au téléphone, José Passepont lui demande “t’es où ?”, “où tu veux que je sois connard, à l’hosto !” – il est encore sous l’émotion du limogeage de Marcel Bozonnet, le Denis, euh non je mélange, Bozonnet c’est en 2006, le film c’est 98. On reprend. 7 minutes 57, Poda lui demande – à Garcia pas à Bozonnet – de le faire porter pale vis à vis de ces camarades de jeux. 8 minutes 04, la troupe théâtrale est baba, Passepont les informes d’une opération de l’appendicite pour le futur Don Juan – le temps que ça cicatrise -, Garcia raconte ses malheurs, mais Podalydès devrait pouvoir venir le lendemain. Le metteur en scène pète les plombs, et François Toumarkine plus hagard que jamais et fumant la pipe se propose de jouer le Don. Un jaloux déclare qu’il est trop jeune. Garcia saute comme un cabri devant ses énergumènes. 9 minutes 22, le Podalydès sort de l’hôpital, pas très assuré, disons que sa démarche peut se décrire entre le pas d’une oie et Yvette Horner jouant de l’accordéon, il est plus mal en point qu’un footballeur tatoué italien qui reçoit un coup de boule d’une icône nationale qui aime beaucoup sa mère. Podalydès en marre, et prend un taxi. Garcia tout en petit déjeunant – pub clandestine pour “Candia” et les “Confitures bonne maman”, en passant -, reprend ses malheurs, et là grande discussion si l’amant est Chinois ou Vietnamien. A bout d’arguments Garcia rétorque, et là c’est à noter dans vos tablettes les soirs de grand spleen : “Qu’est que ça change, elle se serait barré avec un Auvergnat que je me serais retrouvé seul comme une huître”. Avec gravité, Passepont décide de tuer l’amant, et comme chantait Brel “Comment tuer l’amant de sa femme…”. 11 minutes 24, première de “Don Juan”, Podalydès emperruqué marche comme Saturnin, le canard, surprise, il y a Isabelle Carré qui surgit brusquement dans le rôle de Lise, frisottée blonde, coiffure rasta – si, si Isabelle Carré -, avec une sorte de poulpe sur la tête comme disait Benoît Poelvoorde dans “Podium”. Elle gueule à le voir ainsi marcher, en plein spectacle, abandonnant sa distinction habituelle, “Mais qu’est-ce que tu as dans la culotte, connard !”. Bisbille avec l’habilleuse, Gérard a trouvé le pantalon trop serré dans l’entrejambe, elle fulmine et lui promet un pantalon de zouave, la prochaine fois. Poda est en “convalo”, il veut que son théâtre communiste (?) le sache…12 heures 42, Poda se met à rouspéter, la Carré lui a fait, de rage, péter les “sutures aux olives”. Bon, nous en sommes qu’à 13 minutes du film…. On est pas rendu… Vous saurez presque tout au prochain épisode. A suivre ! Euh, non, je renonce ! Regardez le film…

François Berléand m’avait expliqué – il est formidable en policier décalé -, qu’en fait les personnages étaient dans le scénario original sous l’emprise de drogues, ayant fumés des pétards. Il ne reste plus de trace de ces faits dans le film, ce qui pouvait expliquer le ton général du film.

VOL 93

  Le cinéma a comme art certaines limites, comme dans la représentation de faits atroces. Aucun film ne pourrait avoir, par exemple, la force du livre de Robert Antelme, “L’espèce humaine”, sur le récit de la vie dans un camp de concentration. On finit par songer au fameux article de Jacques Rivette dans “Les cahiers du cinéma”, “Le travelling de Kapo”, qui avait si fortement impressionnée Serge Daney. Il qualifiait d’abject le cinéma de Gillo Pontecorvo dans “Kapo” film de 1959. Rivette vilipendait le travelling suivant Emmanuelle Riva qui court se jeter sur les barrières électrifiées d’un camp nazi pour ce suicider. En reprenant l’idée godardienne que le travelling est affaire de morale, il avait trouvé particulièrement abject cette mise en scène. Les événements du 11 septembre 2001, marque le traumatisme majeur de nos sociétés contemporaines. Évidemment on attendait de voir qui pouvait dépasser le tabou de sa représentation, en livrant une version cinématographique, le choix des Américains étant de ne pas montrer ses images d’horreurs à chaud. C’est un Paul Greengrass, pontifiant allégrement et posant dans les médias, à l’occasion de la présentation de son film “United 93”, en compétition à Cannes, avec ces faux airs d’Albert Algoud, qui précède Oliver Stone avec son blockbuster “Word Trade Center”, que l’on appréhende fortement d’ailleurs. Greengrass se veut légitime et honnête pour relater ce drame. Il évoque le “Vol 93”, l’un des 4 vols détournés ce jour là et le seul a ne pas avoir pas atteint sa cible. La critique est dithyrambique, devant ce procédé de représentation docu-fiction, mélange des genres ici pourtant assez peu convaincant à mon avis. Le souvenir de la réflexion de Jacques Rivette, peut donc ici se révéler salutaire. Il y a certes une honnêteté foncière, dans l’évocation du grand désarroi chez les aiguilleurs d’une tour de contrôle, une volonté de ne pas glorifier le côté patriotique dans le courage des passagers. La confusion générale face à ce nouveau mode de terrorisme, profitant des failles, l’indécision de certains responsables face à cette situation de crise, paraissent assez justes. Mais il a aussi aussi une grande roublardise.

Le côté image tremblotante, caméra à l’épaule n’est qu’un procédé très maniériste. Loin de renforcer le côté pris sur le vif – c’était déjà à déplorer dans “Bloody Sunday”, sur le début de la guerre civile en Irlande en 1972 -, ne finit que par montrer l’artifice de l’ensemble et de surligner un semblant de roublardise. Résultat on finit par être pris d’un certain mal des transports – préparez la “Nautamine” ! -, et on a le sentiment pénible de voir les rouages de ce curieux film hybride. La caméra adopte la simple position du voyeur, nous apportant une sorte de distance assez malvenue. Les images de la destruction du “Word Trade Center”, composant un affect assez facile, nous ramènant à notre propre découverte de ces images traumatisantes. On revit doncl’incompréhension qui pouvait nous accompagner alors. S’il évite l’abjection, et manichéisme grâce à une véracité des faits – les hésitations et les maladresses des terroristes -, le réalisateur finit presque par nous donner une sorte de pré générique d’un épisode de “24 heures”. Il ne réussit qu’à surligner ici les limites de son cinéma. Le style film catastrophe finit même par poindre son nez, avec l’inévitable personnalisation des futures victimes, dont on évoque l’intimité. Il y a une certaine indécence à vouloir dramatiser, des propos tenus réellement par les passagers, par téléphone à des proches. L’interprétation, sil elle est visiblement convaincue, nous fait pourtant penser à une sorte de filage théâtral – à vouloir être sobre -, d’une répétition générale. On ne peut s’empêcher de penser, que malgré le regroupement des sources d’informations fiables, la réalité pouvait être très différente. Le réalisateur nous impose sa vision des faits, qu’il voudrait presque définitive. Sans vergogne et sans états d’âmes, il exploite les acteurs véritables du drame – il nous avait fait déjà le coup avec “Bloody Sunday” -, en utilisant par exemple dans son propre rôle, le directeur du centre de surveillance de l’espace aérien des USA. C’est un procédé douteux, sorte de caution morale écran, pour en arriver à un résultat bâtard. Souhaitons au moins qu’il n’y ait pas un certain opportunisme planquée derrière une probité de façade. Reste que même si le film semble convaincre la majorité de ses spectateurs, on peut se poser la question sur la viabilité d’un tel film.

LA RAISON DU FAIBLE

Avant-première mercredi 12 juillet à l’UGC-Cité-Ciné Bordeaux du film “La raison du plus faible” en présence de Lucas Belvaux. Grand bonheur, car j’avais un excellent souvenir suite à sa rencontre, avec la présentation d’un de ses films de sa trilogie, “Cavale” en 2002. L’homme est disert, il évoque son travail avec modestie et ferveur. On attendait beaucoup de son dernier film, présenté en compétition à Cannes, d’autant plus qu’il avait mis la barre très haute, après la superbe réussite de ces trois derniers films “Un couple épatant”, “Cavale”, “Après la vie”, ces trois films formant un ensemble cohérent, singulier, maîtrisé et montrant l’exigence aboutie de son réalisateur. La vision de son téléfilm sur France 3 “Nature contre Nature”, nous confirmait à nouveau son grand talent de son metteur en scène depuis l’épatant “Parfois trop d’amour” réalisé en 1991. Pour la petite histoire cette oeuvre, diffusé le 3 juin dernie, l’a été deux après la Belgique, en fait France 3 attend, précisait Belvaux, les dernières limites de contrat de diffusion pour diffuser certains films. C’est une brillante comédie utopiste, où Lucas Belvaux jouait un psychanalyste s’installant dans un coin désert de la Creuse, finissant par se faire payer… en dindons et en denrées agricoles. Il s’attaque ici au fondamentaux du film noir, en se présentant comme porte-voix de ceux qui n’ont jamais la parole.  Bien dans la tradition d’un Jules Dassin ou d’un Abraham Polonsky, le réalisateur montre, en utilisant ce genre avec réalisme, un constat social, un peu amer, d’un petit groupe de personnes qui vivent à Liège. Ils sont résignés comme Jean-Pierre, paralysé sans être aigri – le Belge Patrick Descamps déjà vu dans la trilogie à l’étonnante présence, son compatriote Robert – Claude Semal, acteur belge également franc-tireur qui a une importante carrière au théâtre, également très probant -, et Patrick – Éric Cavaca discret et toujours aussi excellent -, qui n’arrive pas à trouver un emploi alors qu’il est bardé de diplômes. Tous les trois, sans emplois subsistent tant bien que mal trouvant des petits moments de joie dans un café, en jouant aux cartes avec un barfly local – truculent Théo Hebrans, qui ne joue au théâtre qu’en langue wallone, et qui campe un personnage très original, clope au bec, alors que l’acteur se savait ni jouer aux cartes et de plus n’avait jamais fumé. Patrick a une femme charmante, Carole qui s’échine dans une blanchisserie. Ils ont un enfant, et le simple fait de la grande difficulté d’acheter une mobylette, pour qu’elle ne perde pas des heures à se rendre à se travail, finit par être le catalyseur de la suite du film. Arrive Marc qui sort de prison pour braquage, il tente une approche avec ce petit groupe, et de se faire accepter pour trouver une chaleur dans cette petite communauté. Un policier jovial mais pas très fin – quoi qu’excellent professionnel… – le suit régulièrement car il est assigné à résidence, et ne cesse de lui rappeler avec une bonhomie un peu roublarde, qu’il n’y a pas de réhabilitation possible. Marc travaille dure dans une usine d’embouteillage. Lui qui a avoué ses méfaits au petit groupe, finit par donner de mauvaises idées à ces gens perdus, mais qui veulent garder une dignité, et lutter contre une résignation très prévisible. Son personnage se veut responsable, à l’image de la scène remarquable et d’une très grande force, où il dissuade le personnage de Claude Semal, en lui demandant de fermer les yeux.

Éric Caravaca, Claude Semal, Elie Belvaux, Patrick Descamps & Lucas Belvaux 

On retrouve la maîtrise habituelle de Lucas Belvaux, metteur en scène, il mélange tension dramatique et humour – les amis ont un côté “Pieds Nickelés”. L’interprétation est véritablement exceptionnelle, au service d’un texte particulièrement ciselé. Tous les personnages ont une grande noblesse dans leurs malheurs. Ils sont solidaires, à l’exemple de Robert amenant sur son dos, Jean-Pierre coincé régulièrement dans son appartement par l’habituelle panne d’ascenseur dans un lieu pourtant réservé aux handicapés, mais qui est évidemment oublié de tous. Belvaux lutte contre l’idée que certains mal aimés de la sociétés profiteraient du système et seraient assistés, raisonnement que l’on entend de plus en plus. Ils veulent s’en sortir, à l’image de Patrick, qui passe son temps dans son jardin d’ouvrier, parcelle allouée par la ville. Il ne comprend pas dans son comportement un peu machiste, hérité de son entourage, alors que le père de Carole offre à sa fille une mobylette, que sa femme ne comprenne pas qu’il se sente humilié par cette offre pourtant providentielle pour la jeune femme. Avec réalisme et chaleurs, les personnages sont décris avec chaleur. On ressent une grande empathie avec eux, et on finit par s’inquiéter quand ils ont certains desseins pour tirer un avantage d’un ferrailleur margoulin – Gilbert Melki, qui quasiment sans dialogues, tire son épingle du jeu dans cette participation amicale, dans un rôle particulièrement inquiétant -. Le film est profondément honnête avec des agissements qui ne peuvent qu’amener qu’à souffrir d’une réalité inéducable. Lucas Belvaux filme admirablement – c’est suffisamment rare pour le signaler -, le monde du travail à l’instar de son personnage qui travaille à la chaîne dans le conditionnement de bouteilles, ou avec le personnage de Natacha Régnier. Il montre la dureté absolue de ces automatismes – il a en fait filmé ces scènes en intégrant réellement le cadre du travail -. Il montre le drame que constituer un désœuvrement sans l’aide du “Tripalium”, et comment le travail donne même dans sa difficulté, une assise dans l’existence. Liège est admirablement filmé, notamment dans les dernières scènes, il montre l’évolution de la société de manière engagée, il oppose l’harmonie née d’une entraide face à un mode de plus en plus brutal. Le débat d’après film était passionnant, Lucas Belvaux parlant magnifiquement de son travail. C’était curieux de reprendre une conversation avec lui, par sa grande disponibilité, et d’évoquer ces choix citoyens – rappelons que le film est produit par Agat Films, société de production de Robert Guédiguian – et artistiques, la compétition du film à Cannes, en mai dernier, mais aussi son tournage dans “Joyeux Noël” où il disait avoir compris ce que pouvait ressentir les poilus de la guerre de 14. Il continue une œuvre très cohérente et très forte avec ce film, une des grandes surprises de cette année. Le film est très riche, en situations, analyses et émotions, à conseiller vivement…