Avant-première le jeudi 3 août, du quatrième film de Denis Dercourt, déjà bien accueilli à Cannes 2006, dans la sélection « Un certain Regard ». Hormis le très abouti « Lise et André » sur la rencontre d’une mère – trop sous exploité Isabelle Candelier – dont le fils est malade, qui se confit à un prêtre – formidable Michel Duchaussoy – en 2000, ses trois autres films parlent du milieu de la musique et des concertistes. Le réalisateur concilie à la fois ses cours de musique de chambre au conservatoire de Strasbourg, et sa carrière très originale au cinéma. Après « Les cachetonneurs » (1998) retraçant la difficulté de musiciens itinérants, et le très maîtrisé « Mes enfants ne sont pas comme les autres » (2003) sur un père – Richard Berry – trop exigeant sur les performances musicales de ses enfants. Comme dans ses autres films, il faut saluer la grande crédibilité de ses interprètes lors des morceaux musicaux. Dercourt connaît les écueils à éviter, il est aidé ici par les connaissances de Catherine Frot, qui a fait du piano jusqu’à l’âge de 12 ans, et connais très bien « La marche turque » de Mozart, Xavier de Guillebon qui pratique la clarinette et Clotilde Mollet, musicienne émérite, qui a déjà plusieurs films à son actif. Rarement, on aura vu une représentation de la musique aussi probante. Il est parfois difficile de ne pas ricaner devant des mouvements inconsidérés sur quelques touches de piano, dans certains films confondant agitation et mélomanie. Difficile de parler du film sans parler du thème principal, n’allez pas plus loin si vous voulez préserver le plaisir du film… Disons que le thème pouvait être celui d’un thriller, c’est plus ici un cinéma psychologique proche d’un Claude Chabrol, nom souvent cité lors du débat d’après film. Il y a une tension palpable mise en valeur par une réalisation intelligente qui revisite le thème un peu éculé de la vengeance. François Truffaut se disait gêné par cette utilisation, quand il avait fait « La mariée était en noir », loin d’être d’ailleurs l’une de ses œuvres les plus réussies. Une jeune enfant douée, Mélanie dont les parents sont bouchers – Christine Citti et Jacques Bonnaffé qui arrivent à faire exister leurs personnages en peu de mots -, décide d’abandonner sa pratique du piano, si elle échoue son concours d’entrée au conservatoire. Ariane Fouchécourt, brillante artiste mais bourgeoise assez hautaine, va avoir une attitude assez inconsidérée dans ce moment de grand stress. Ariane c’est Catherine Frot, de plus en plus rayonnante depuis son rôle dans « Le passager de l’été », elle révèle à nouveau ici une certaine séduction et une grande sensualité. Son personnage va d’ailleurs évoluer durant le film. Le destin de Mélanie est ainsi scellé de la manière que je vous laisse découvrir, on peut voir ensuite son effroi assez inconsidéré. Loin de planifier toute idée de représailles, Mélanie adulte – Déborah François, qui confirme ici de son grand talent découvert chez les frères Dardenne dans « L’enfant », se sert en fait des hasards de la vie pour retrouver cette grande pianiste qui a brisé son destin.
Catherine Frot & Déborah François
Le grand talent du réalisateur est qu’il laisse volontairement des zones d’ombres, offre des pistes – l’accident de voiture -, sans que l’on sache le rôle de la jeune Mélanie dans ces évènements. Elle va donc se retrouver dans un grand cabinet d’avocats tenu par une secrétaire zélée – Martine Chevallier excellente -, qui est dirigé par M. Fouchécourt – Pascal Greggory arrivant à concilier ferveur et réserve -. Mélanie va tout faire pour se montrer indispensable en devenant la baby sitter de leur fils Tristan pianiste en herbe très talentueux. Elle va gagner la confiance de toute la famille, et va retrouver la célèbre pianiste en pleine crise artistique. Elle va devenir sa tourneuse de pages – rôle prépondérant pour une grande pianiste -, va installer une certaine intimité, voire amitié amoureuse avec elle, et attendre que le sort lui soit favorable pour accomplir son méfait. Seule l’amie musicienne d’Ariane – Clotilde Mollet donc, une personnalité attachante -, va se méfier. Elle et son mari – Xavier de Guillebon – essaie de monter un trio de concertistes avec Ariane. La pression est grande, le trio est un peu en perte de vitesse, et il faut convaincre un agent artistique important – André Marcon, toujours à la présence aussi forte – et éviter… les fausses notes. La villa luxueuse des Fouchécourt a aussi une grande importance en étant faussement rassurante. C’est en fait un lieu existant nous avait évoqué Denis Dercourt, et si l’on pense inévitablement au superbe « Cat People / La féline » de Jacques Tourneur dans la scène de la piscine, son réalisateur n’a en fait jamais vu le film et a juste utilisé cet élément présent dans cette narration. Si la fin pêche un peu, son réalisateur est le premier à le reconnaître en déclarant avoir été trahi par son scénariste… c’est à dire lui-même -. Il arrive cependant à montrer une fois le petit microcosme musical, ses exigences, ses petites lâchetés ou cruautés, et installe un climat très original. Pour avoir déjà conversé avec lui lors de son précédent film, j’ai retrouvé ce soir là sa grande exigence – il sait ce qu’il veut et peut demander beaucoup -, son grand humour et sa volonté de faire partager ses deux passions la musique et le cinéma, toujours au service de ses interprètes. Il nous confirme une fois de plus sa singularité dans le cinéma français. Déplorons seulement qu’un petit côté mécanique du scénario, nous empêche de faire éclater une ambiguïté étouffante.