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FRAGMENTS D’UN DICTIONNAIRE AMOUREUX : LÉA DRUCKER

 Léa Drucker

Nièce de Michel et Jean Drucker, elle prend goût aux arts du spectacle, grâce à son père qui l’initie à la cinéphilie dès l’âge de 4 ans. Loin de vouloir suivre une voix royale pour elle dans le journalisme, elle prend des cours de théâtre chez Véra Gregh, L’ENSAT , au cours Florent en classe libre avec Isabelle Nanty et Raymond Acquaviva. Les petits rôles arrivent au cinéma, sans avoir un grand retentissement, son nom de famille la desservant plutôt, mais elle tourne avec Mathieu Kassovitz ou Cédric Klapisch. Elle obtient deux rôles importants, dans « L’annonce faite à Marius » comédie à petit budget assez oubliable de Harmel Sbaire malgré les prestations de Jackie Berroyer et Pascal Légitimus dans une curieuse histoire de cobaye se faisant implanter un embryon dans « la couche cellulo-graisseuse du peritoine ! » rappelant un peu la comédie de Jacques Demy « L’événement le plus important… », et dans « Papillons de nuit » en 2001, histoire d’amour décalée, adaptation cinéma d’une pièce qu’elle avait joué sur scène, elle retrouve d’ailleurs son partenaire Eric Poulain. dont la distribution est hélas très confidentielle. Elle peine de son propre aveux à trouver ses marques sur l’écran, qualifiant même sa carrière comme étant « Bordélique et déstructurée », elle fait preuve cependant d’humilité dans des petits rôles très différents, ne dédaignant pas de participer à des courts-métrages. Elle apparaît souvent dans des rôles qui ne sont pas à son avantages, comme dans « Narco » où elle est une patineuse albinos, jumelle avec Gilles Lellouche, et trucidant François Levantal, père autoritaire et surtout « Fille perdue, cheveux gras », en paraplégique défaite, où elle fait à la fois preuve de mordant et d’une grande humanité. Elle continue dans des rôles secondaires, quelle rend percutent, même pour un rôle stéréotypé de femme futile de footballeur dans « 3-0 » (2001). Elle participe à des court-métrages de jeunes réalisateurs, on se souvient ainsi du remarquable « Pourquoi… paskeu » (Tristan Aurouët & Gilles Lellouche, 2001), observation très fine des petits tracas du quotidien, où elle irrésistible de maladresse, elle réussit à briser un amour naissant avec Gilles Lellouche… en imitant une guenon après des ébats torrides. Souvent cantonnée dans les rôles de bonnes copines, on la retrouve ainsi dans l’insoutenable « Dans ma peau », film radical de Marina de Van, où elle est loin de soupçonner les névroses de son amie Esther qui se livre à l’auto mutilation.

Avec Marina de Van dans « Dans ma peau »

Elle n’hésite donc pas à tenir des rôles qui ne la mettent pas forcément en valeur, hors quand on le voit, j’ai eu cette chance de converser un peu avec elle lors de l’avant-première des « Brigades du tigre », on est immédiatement séduit par son charme lumineux, sa modestie et la chaleur de sa conversation. Elle reste modeste pourtant, quand elle salue l’évolution du cinéma, qui permet pour elle d’être utilisée « quand on a pas le physique de Rita Hayworth et Ava Gardner ». C’est Mabrouk El Mechri, qui utilise le mieux sa photogénie, dans « Virgil », elle est à la fois très belle, elle joue Margot, une  combative fonçant dans l’ironie dans un petit jeu d’approche avec le personnage joué par Jalil Lespert, et se rebelle, quand blessée, elle s’aperçoit que son taiseux de père, campé avec maestria se confit à Jean-Pierre Cassel, alors qu’elle n’avait pas entendu le son de sa voix durant toutes ses visites en prison. Sans artifices, elle rayonne dans ce film d’hommes, bel hommage au film noir. Elle se révèle à l’aise dans la folie de l’univers d’Édouard Baer, tel la touriste se retrouvant enfermée dans « Akoibon », mais aussi à la radio – elle était chroniqueuse dans l’émission « La grosse boule » sur Radio Nova en 1996, et au théâtre – elle participe à l’aventure de  « La folle et véritable vie de Luigi Prizzoti ». C’est le théâtre qui lui donne ses premiers grands rôles, des grands classiques « Le misanthrope », dans une mise en scène de Roger Hanin, jusqu’au pièces contemporaines « Plaidoyer pour un boxeur », dans une mise en scène de Serge Brincat, jusqu’à celui exemplaire de « 84 charing cross road » dans une mise en scène de Michel Hazanavicius qui lui vaut une nomination aux molières pour la meilleure révélation en 2004. Elle va retrouver Zabou Breitman sur les planches, qui lui donne comme sœur Isabelle Carré – belle idée -. Désormais les médias s’emparent de son discours lucide et charmeur, elle est d’ailleurs épatante en prostituée indicatrice dans « Les brigades du tigre », amour secret d’un sombre Pujol, marquant les retrouvailles avec Édouard Baer, où elle est étonnante de gouaille – elle cite volontiers Suzy Delair et Arletty, les peintures de Toulouse Lautrec -, et surtout d’humanité. Les rôles de premier plan arrivent enfin. Elle excelle face à Jonathan Zaccaï, dans la tension avec son personnage de femme écorchée vive qui recherche sa soeur disparue dans le téléfilm « La blonde au bois dormant » diffusé sur France 3. Elle est bouleversante ans le second film de Zabou Breitman, « L’homme de sa vie », en épouse de Bernard Campan, dépassée par l’intrusion de Charles Berling dans son couple. Elle particulièrement remarquable dans la scène où elle craque en parlant de la fragilité d’un enfant. Dans « Tel père, telle fille » elle donne une grande sensibilité à son rôle de jeune mère démissionnaire. Elle qui garde sa dignité face à Vincent Elbaz qui s’improvise nouveau père ignorant l’existence de sa fille. Elle rayonne d’aplomb et de sensualité dans « Divine Émilie », diffusé sur France 3 en décembre 2007. Face à Thierry Frémont très convaincant dans le rôle de Voltaire, elle incarne Émilie du Châtelet, marquise au caractère bien trempé, douée pour les sciences et très en avance sur son temps. Cette nouvelle composition nous surprend encore. Au naturel, comme dans la composition, touchante, drôle et travailleuse, elle devrait légitimement s’imposer dans les années à venir.

Avec Jalil Lespert dans « Virgil » 

Filmographie : 1991  La thune (Philippe Galland) – 1992  Tableau d’honneur (Charles Némès) – 1994  Raï (Thomas Gilou) – Putain de porte (Jean-Claude Flamand & Delphine Quentin, CM) -1996  2 minutes 36 de bonheur (Tristan Aurouët & Gilles Lelouche, CM) – Assassin (s) (Mathieu Kassovitz) –  Bouge ! (Jérôme Cornuau) – L’annonce faite à Marius (Harmel Sbaire) -1997  Ah, les femmes ! (Nicolas Hourès, CM) – Le banquet (Samuel Tasinaje, CM) – Le château d’eau (Christian Carion, CM) – 1998  À tout de suite (Douglas Law, CM) – La vie ne fait pas peur (Noémie Lvovsly) – Mes amis (Michel Hazanavicius) – Un pur moment de rock’n roll (Manuel Boursinhac) – Fait d’hiver (Robert Enrico) – Peut-être (Cédric Klapisch) – 2000 Chaos (Coline Serreau) – Papillons de nuits (John Pepper) – 2001  Pourquoi… paskeu (Tristan Aurouët & Gilles Lellouche, CM, repris dans le long-métrage « 01 », en 2003) – L’auberge espagnole (Cédric Klapisch) – Filles perdues, cheveux gras (Claude Duty) – 3-0 (Fabien Onteniente) – 2002  Dans ma peau (Marina de Van) – Bienvenue au gîte (Claude Duty) – Concours de circonstance (Mabrouk El Mechri, CM) – 2003  Narco (Tristan Aurouët & Gilles Lellouche) – À quoi ça sert de voter écolo (Aure Attika, CM) – 2004  Du bois pour l’hiver (Olivier Jahan, CM) – Illustre inconnue (Marc Fitoussi, CM) – Virgil (Mabrouk El Mechri) – Dans tes rêves (Denis Thybaud) – Akoibon (Édouard Baer) – 2005  L’homme de sa vie (Zabou Breitman) – Les brigades du Tigre (Jérôme Cornuau) – Deux filles (Lola Doillon, CM) – 2006  Un été sans Nicolas (Benjamin Rataud) – J’ai plein de projets (Karim Adda, CM) – Tel père, telle fille (Olivier de Plas) – 2007  Le bruit des gens autour (Diastème) – Coluche (Antoine de Caunes) – 2008  Cyprien (David Charhon) – 2009  Une pièce montée (Denys Granier-Deferre) – Les meilleurs amis du monde (Julien Rambaldi) – Pauline et François (Renaud Fély). Télévision : (notamment)  : 1993  Colis d’oseille (Yves Lafaye) – 1994  Le misanthrope (Yves-André Hubert, captation) – 1995  Anne Le Guen : Madame la conseillère (Stéphane Kurc) – Anne Le Guen : Du fil à retordre (Stéphane Kurc) –  1996  Et si on faisait un bébé (Christiane Spiero) – Anne Le Guen : Fatalité (Stéphane Kurc) – 1998  Ann Le Guen : Le mystère de la crypte (Stéphane Kurc) – 1999  Avocats et associés : Tractations (Denis Amar) – 2000  Duelles : c’est lui (Laurence Katrian) – 2001  Fabien Cosma : Le poids d’une vie (Franck Apprédéris) – 2006  La blonde au bois dormant (Sébastien Grall) – 2007  Divine Émilie (Arnaud Sélignac) – 2009  Suite noire : Envoyez la fracture (Claire Devers) – 2010  Jeanne Devere (Marcel Bluwal) – À vos caisses (Pierre Isoard).  Théâtre (notamment) : 1996 Les vilains, m.e.s. M. Nakache – Plaidoyer pour un boxeur de M. Romano, m.e.s. S. Brincat – 1999  Le Projet de G. Dyrek, F. Hulne, P.Vieux, A. Lemort, m.e.s. G. Dyrek – Le Misanthrope de Molière, m.e.s. R. Hanin – Lysistratha d’Aristophane, m.e.s. S. Serreau-Labib – Le Mot de Victor Hugo, m.e.s. X. Marcheschi – El Burlador de Sevilla de T. de Molina, m.e.s. J-L. Jacopin – 2000  Danny et la grande bleue, de John Patrick Shanley , mise en scène de John R. Pepper (Proscenium) – Extrême nudité, de Christiane Liou, mise en scène de Hans Peter Cloos (Essaïon) – 2003  Mangeront-ils ?, de Victor Hugo, mise en scène de Beno Besson (Théâtre du Nord, à Lille, Théâtre de Sartouville) – 2004  Trois jours de pluie, m.e.s. Jean Marie Besset et Gilles Desveaux – 2005  84  Charring cross road, d’Helene Haff, mise en scène de Serge Hazanavicius – 2006/2007  Blanc, d’Emmanuelle Marie, mise en scène de Zabou Breitman (Théâtre de la Madeleine, + tournée) – 2007/2008  Le système ribadier, mise en scène de Georges Feydeau (Théâtre Montparnasse, + tournée) – 2010  L’amant, d’Harold Pinter, mise en scène de Didier Long (Marigny – Salle Popesco).

Mise à jour du 07/08/2010

Fragments d’un dictionnaire amoureux : Raymond Devos

 Annonce de la mort de Raymond Devos, on le savait très malade, et on pouvait déplorer une attitude absolument indigne d’une certaine personne face à cette issue fatale. Son œuvre est immense, on pouvait apprécier son art dans un coffret de CD paru il y a quelques années sous forme de bandonéon. Ce Belge, jouait avec le langage, de manière magistrale, son univers était unique à la fois cérébral et ludique, constituant un bel hommage aux saltimbanques. Côté cinéma, on ne l’a que très peu vu, il se contentait parfois que de brèves apparitions, comme dans « Les têtes interverties » (Alejandro Jodorowsky, 1957, CM), « Le Sicilien » (Pierre Chevalier, 1958), « Vous n’avez rien à déclarer » (Clément Duhour, 1959), « Le travail c’est la liberté » (Louis Grospierre, 1959), « Tartarin de Tarascon » (Francis Blanche, 1962), « Un comique né » (Michel Polac, 1977, TV), il est par contre souvent crédité à tort dans un des épisodes des « Cinq dernières minutes » version Raymond Souplex. Mais on se souvient de lui dans « Pierrot le fou » (1965) de Jean-Luc Godard, où il reprenait son sketch de « la mer démontée », habilement repris dans un port, face à Jean-Paul Belmondo, et il était irrésistible en abbé chef d’un petit groupe de scouts, saucissonné contre un arbre par des enfants turbulents dans « Ce joli monde » (Carlo Rim, 1957) où il avait pour partenaires Darry Cowl et Yves Deniaud. Une tentative d’adaptation de ses spectacles, avait donnait un film curieux et assez raté, réalisé par François Reichenbach « La raison du plus fou » (1972), son univers suscitait trop l’imagination, pour que l’on ne soit pas déçu par une retranscription assez vaine, malgré la pléthore de vedettes invitées. Un immense auteur-interprète qui a donné ses lettres de noblesse à l’humour français.

Affiche belge de « La raison du plus fou », source : Les gens du cinéma

ARTICLE – AP

Décès de Raymond Devos: les réactions

AP | 15.06.06 | 12:48

 

PARIS (AP) — Voici quelques réactions après le décès jeudi de l’humoriste Raymond Devos:

– le journaliste-animateur Bernard Pivot: « C’est triste d’apprendre que ce virtuose des mots, ce type extraordinaire » est mort, a-t-il confié sur LCI. « Il faisait dire aux mots ce que les mots ne voulaient pas dire, ne pouvaient pas dire, ne savaient pas dire ».
« Raymond Devos jouait avec les mots. Tous ces mots, ils étaient heureux de se retrouver changés, détournés, grimés et disant des folies et des drôleries ». Pour Bernard Pivot, « le sujet de Devos cela a été l’absurde, le non-sens. Il se servait des mots pour prouver l’absurdité du monde pour prouver la loufoquerie du monde dans lequel nous vivons ».

– l’humoriste Michel Leeb: « C’était un humoriste au-dessus de tous les autres, il était complètement à part dans notre univers (…) C’était un poète illuminé qui touchait presque à la métaphysique des choses », a-t-il dit sur LCI.
« C’est dans l’utilisation des mots, dans le travail des mots, dans la sculpture des mots, quelque chose d’original, magique, de clownesque, gigantesque, gargantuesque », a-t-il poursuivi en évoquant « cette façon légère d’aborder l’univers, le monde les mots ».

– l’animateur radio José Arthur: « Sa seule limite, c’était la langue française, il était pour les francophones incontournable », a-t-il dit sur France Info. « C’était un remarquable comédien, il avait des dons de musicien ». Devos « travaillait comme cela n’est pas permis; il a appris la musique comme les clowns le font (…) Sa prinicpale qualité, c’était cette sorte de chaleur humaine qui se dégageait de lui. C’était un des très rares comiques qui ne disait jamais de méchancetés ».

– le journaliste et ancien animateur du « Grand Echiquier » Jacques Chancel: « On a tellement partagé, fait tellement de choses ensemble, il y a toute une litanie de souvenirs: je ne veux retenir que le manieur d’absurde, l’homme des mots », a-t-il expliqué sur RTL.
« On n’aura plus jamais un personnage comme celui-là qui savait jouer avec la sémantique, avec la drôlerie, qui cultivait l’absurde dans la meilleure des manières », a souligné Jacques Chancel. « J’aimais bien son côté saltimbanque avec sa petite roulotte au fond du jardin, son goût pour les instruments de musique ».
« Je ne vois pas un homme, un artiste qui puisse lui être comparé ».

– l’humoriste Guy Bedos: « C’était un grand humoriste, ni un comique, ni un fantaisiste ». « C’est un pan de ma vie qui s’en va avec lui; c’était un peu mon parrain quand j’ai débuté », a-t-il rappelé sur RTL. « Il s’est inventé un univers, un personnage qui lui conviennent. C’est un jongleur de mots (qui) va rejoindre le cortège de tous les gens que j’aimais ».

GAMMA/WILLIAM STEVENS – Raymond Devos à l’Olympia, à Paris, le 9 juin 1994.

LE MONDE :

 L’humoriste Raymond Devos a tiré sa révérence par Olivier Schmitt

LE MONDE | 15.06.06 | 14h32   

C’est un homme d’esprit, un homme de cœur, un homme aimable qui disparaît aujourd’hui. Un homme rare. Raymond Devos est mort à son domicile de Saint-Rémy-les-Chevreuse (Yvelines), jeudi 15 juin, des suites d’une attaque cérébrale il y a plusieurs mois. Il était âgé de 83 ans.

Aujourd’hui, chacun est triste. Il y a quelques années – il me semble que c’était hier –, il m’avait reçu dans son bureau du 16e arrondissement de Paris. Il s’est avancé vers moi comme s’il entrait en scène, en représentation évidemment, mais une représentation placée sous le sceau du partage, de la générosité, la sienne, énorme, sans pareille. Il était alors tel qu’en lui-même toujours, pantalon bleu, pull bleu, chemise bleue, le regard bleu de France derrière des lunettes solidement arrimées sous sa chevelure en bataille. C’était en 1999 et Raymond Devos s’apprêtait, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, à se présenter devant le public parisien, sur la scène de l’Olympia, une nouvelle fois trop petite pour lui.

Hors de Paris, il recevait dans le grenier de sa grande maison de la vallée de Chevreuse, entre un buste de Molière et une montagne de dictionnaires, une mappemonde d’écolier et des instruments de musique qui, tous, étaient ses amis et dont il jouait volontiers, en scène et hors d’elle. Là, l' »artiste comique », comme il se définissait, racontait sa vie d’homme et sa vie d’amuseur. Au commencement est un garçonnet joyeux, né à Mouscron, en Belgique, le 9 novembre 1922, un parmi sept enfants scolarisés en France, qui déjà harangue ses camarades sur le perron de l’école primaire de Tourcoing ; plus tard, devenu brillant collégien, il est brutalement retiré de son établissement scolaire après la faillite de son père ; celui-ci installe la famille à Paris avant de s’enfuir on ne sait où… A 9 ans, Raymond Devos découvre la banlieue nord de Paris, Le Bourget et le bruit, insupportable, des avions. « Ça a été la misère pendant des années, expliquait-il, on partageait le peu qu’on avait. Je ne me souviens pas de m’être plaint. »

A 13 ans, on le retrouve aux Halles, affublé d’un tablier qui ne lui va pas du tout, portant des charges. Un beau jour, on lui demande de mirer des œufs. « J’arrivais à mirer six œufs en même temps, ce qui m’a beaucoup aidé pour la jonglerie », disait-il. La rumeur, les bruits, les conversations, les personnages du quartier aujourd’hui tristement disparu seront pour lui une école. La guerre survient. Raymond Devos part pour l’Allemagne, dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO). « J’y ai crevé de faim », dira plus tard le plus rond, le plus gourmand de tous nos comiques.

Revenu en France, il s’inscrit au cours de Tania Balachova et d’Henri Rollan, au Théâtre du Vieux-Colombier, et « continue de crever de faim « … Il vit au cœur de Saint-Germain-des-Prés, alors à son apogée, occupe une toute petite chambre sous les combles d’un hôtel sans attrait et dort sous le lavabo. « C’est bon de l’avoir fait, mais ce n’est pas bon de le faire, confiait-il. Ça abîme, ça rend lâche. Il y a des choses auxquelles il ne faudrait pas goûter. Bien sûr, je m’en suis toujours sorti, mais ça laisse des traces. Si on m’avait aidé…  » Son compagnonnage avec les comédiens de la Compagnie Jacques-Fabbri l’aidera.

Disert, depuis l’enfance, au point que le cinéaste Jacques Tati lui dira un jour qu’il était « bien trop bavard pour faire de la piste  » et donc devenir clown, il décide, au milieu des années 1950, d’écrire ses propres textes et de les porter à la scène. Le succès est presque immédiat. C’en est fini de l’homme solitaire sans le sou. Pourtant, après ces années de formation, Raymond Devos reste un homme seul, en marge du show-business et de l’agitation mondaine, lecteur impénitent de Gaston Bachelard, auquel il ne cessera jamais de revenir – « il met mon esprit en mouvement  » –, de Marcel Aymé – « le plus grand auteur comique  » – et de Michel Serres. Après avoir lu les textes classiques à ses débuts, il dévore les ouvrages consacrés à la mécanique du rire. « Si je ne l’avais pas fait, j’aurais peut-être fait mon métier de la même façon mais je l’aurais moins bien compris. »

Dès ses premiers textes, ses premiers sketches (Caen, La Mer démontée, Le Pied… ) on sait qu’il a « compris « . Raymond Devos installe un style, sans devancier ni descendant, nourri de son expérience comme de ses lectures, et surtout d’un imaginaire que certains décriront comme absurde, lui préférant le qualifier de « délirant ». « L’imaginaire, c’est mon pied-à-terre. Un exemple. Avant, j’étais dans un hôtel, borgne d’ailleurs, ça coûtait les yeux de la tête. Dans cet hôtel, le propriétaire me donnait chaque fois le 37. Et il n’y avait que 36 chambres. Je passais mes nuits à chercher mon 37. Jusqu’au jour où je me suis aperçu que le 37, c’étaient les couloirs. »

La seule certitude de toute sa vie aura été que le rire est une nécessité vitale, « au même titre que le rêve ». « Le rire, indiquait-il, ça peut être mille choses. On peut rire de joie mais ce n’est pas le rire que nous pratiquons. Nous, nous pratiquons le rire très particulier du comique. Il n’y a pas une grande différence entre le tragique et le comique, c’est seulement une différence de dose. Les racines du comique plongent à peine dans le drame, quand celles du drame plongent dans l’irréparable. Le comique dégrade les valeurs quand le tragique détruit les valeurs. Le comique, c’est toute notre histoire observée avec honnêteté : les moments exceptionnels, les grandes idées, les moments de gloire, et les moments de chute. Il y a des thèmes auxquels il ne faut pas toucher, tout ce qui est au dessous de la ceinture, tout ce qui est dégradant pour l’homme. Plus généralement, rions de nous, mais pas des autres. Protégeons le rire ! »

Raymond Devos l’a fait, avec obstination, la peur au ventre, peur d’entrer en scène, peur de déclencher des rires au mauvais moment ou pour de mauvaises raisons. Jamais il n’a eu peur de mourir, non plus que de vieillir. « Sur scène, j’ai dit que j’avais arrêté de vieillir pendant un certain temps. Ça a été dur. C’est comme quand on dit qu’on arrête de fumer. Quand personne ne m’observe, j’ai envie de prendre un petit coup de vieux, mais je me retiens. Peut-être que le temps que l’on passe sur scène n’est pas compté. On est dans l’imaginaire, pas dans le réel. Le temps n’a sans doute pas prise sur l’imaginaire. » Non plus que sur l’œuvre que nous lègue le plus drôle, le plus bouleversant de tous les philosophes.

Chronique

L’homme qui marchait sur les mains, par Francis Marmande

LE MONDE | 14.06.06 | 13h25

Ce que remarque Jean-Claude Gallotta, chorégraphe dont on peut voir Docteur Labus au Théâtre des Abbesses, ce sont les mains de Jean-Luc Godard, « ses belles mains ». Méfiez-vous des hommes à belles mains, ils ne sauront jamais étrangler. « Voyages en utopies », exposition de Jean-Luc « Cinéma » Godard à Beaubourg, est installée jusqu’au 14 août. Expo bâclée – Godard n’a mis qu’une cinquantaine d’années à la faire -, expo bizarre, irrésistible : puissant accélérateur d’intelligence, de contestation, de vie.

D’ailleurs, entre 1957 et 1968, tous les films de Godard étaient toujours projetés dans le même méchant chahut. Des mécontents aigris quittaient le noir de l’écran blanc en pestant, non sans balancer quelques petits-suisses sur les fans. A Beaubourg, Godard garde intacte son incertaine fraîcheur. Il respire comme il vit : musique, poésie, médias, lac, nature, cinéma, voix, masculin-féminin, toujours les mêmes questions. Un buisson de questions.

Depuis 1929, passage au « parlant », la vérité du cinéma, c’est le son. Avant 1929, les visages parlaient tout autant, mais la vérité du cinéma, c’était le cinéma. Godard restera dans l’Histoire par la splendeur du son : par ses films opéras, ses tragédies musicales, par ses oratorios pour portières claquées, sept mesures de Mozart, le générique du Mépris, Antoine Duhamel, Martial Solal, Raymond Devos en fou chantant vers la fin de Pierrot le fou.

Nul hasard à ce que le label le plus inventif en matière de musique contemporaine et de sons, le label ECM, fondé par Manfred Eicher, édite actuellement Anne-Marie Miéville et Godard : Four Short Films (ECM Cinéma). Autant que Dieu, le hasard n’existe pas. Vers la fin de Pierrot le fou (1965), Belmondo fonce devant un mur graffité où se lit, à moitié effacé, ce slogan : « Vive Dieu ! » Au bout du quai, un petit bateau file vers l’île avec la fille (Anna Karina), il reste un égaré : c’est Raymond Devos. Devos, première manière, qui fredonne un peu faux : « Est-ce que vous m’aimez… »

Devos première manière, c’est ce corps étrange qu’on n’applaudit pas encore au quart de calembour, qu’on ne célèbre pas en linguiste ; Devos, « l’homme du port », non-sens, fleur de peau, ahuri, voix flottante. Devos tel qu’on l’aime, à deux doigts du clown Grock, de Beckett ou de Raymond Barre.

Depuis cinquante ans, à chaque sortie d’un film de Godard, le réel sonne comme Godard. Godard-le-cinéma, Godard-la-peinture, on sait : dissertation d’écolier. Mais Godard, metteur en sons, Godard compositeur, Godard à deux doigts de Berio et Ligeti, tout commence. J’ai la chance – le hasard n’existe pas, la chance, oui – d’avoir vu le vernissage de l’expo Godard d’une drôle de façon : pluie grise, chantier, gribouillis, clous à planter, fils qui traînent comme des spaghettis géants en pleine sieste, rien à voir, personne ou presque. Les invités sont affairés à regarder un film dans une salle attenante. Je suis verni.

Au mur de l’expo, cette anecdote usagée : en 1900, Claude Monet exhibe fièrement son téléphone flambant neuf devant Degas. Degas, de haut : « En somme, on vous sonne, et vous y allez. » Juste devant le mur de l’anecdote, un ouvrier qui semble vrai téléphone : « Gérard, envoie la sauce, y a des gens qui déboulent. » Je suis des gens. Gérard envoie la sauce. Les écrans explosent d’un coup : manège enchanté, cacophonie sensationnelle.

Un mardi de 1963, Godard veut convaincre Brigitte Bardot de tourner Le Mépris. Bien conseillée, elle, jolie comme un sosie de B.B., tergiverse. Lui : « Si vous voulez, je peux faire un truc pour vous convaincre. » Elle : « Chiche. » Jean-Luc « Cinéma » Godard marche alors sur les mains. Il se dresse sur les mains en tendant le derrière. Il fait le tour du salon de B.B. en marchant sur les mains. Elle signe. Rue Beaubourg, une fille à vélo. Sur le porte-bagages, son classeur rouge en drapeau. Godard for ever.

 

LIBÉRATION :

 

Devos
On a démonté Raymond Devos par Jean-Baptiste Harang
Jongleur de mots, maître du calembour, clown à clarinette, mime… L’humoriste infatigable est mort hier matin, à l’âge de 83 ans.
vendredi 16 juin 2006
Il a dit : «Tout artiste normalement constitué rêve de pousser son dernier soupir dans le fauteuil de Molière, sur la chaussée du Pont-Neuf. Mais je soupçonne, hélas, le comédien cabot de revenir saluer après son trépas et, ainsi, de tout ficher par terre.» Il l’a dit, mais il ne le fera pas. Il y avait pourtant mis du sien, présent sur scène jusqu’à des 80 ans, jonglant avec des boules de cinq kilos jusqu’à 72 (jusqu’à ce qu’il en prenne une sur la tête, un soir, au Havre) et encore septuagénaire à faire le poirier sur le piano de son fidèle Hervé Guido. Non, la mort l’a pris ailleurs, hier, victime d’un accident cérébral après plusieurs mois d’hospitalisation. Raymond Devos ne reviendra pas saluer. Il ne gâchera rien.
Tout le monde n’a pas la chance de naître un 9 novembre. Lui si : c’était en 1922, à Mouscron, en Belgique, ce qui ne fit pas de lui un Belge ­ ses parents étaient français ­, ni tout à fait un Français puisqu’ils oublièrent de le déclarer au consulat. Son père était expert-comptable mais préférait le piano et les lettres aux savants. Sa mère la mandoline. L’expert fit faillite dans le commerce de la laine et dut revenir en France quand le petit Raymond n’avait pas 3 ans, et ses six frères et soeurs guère plus. Roubaix, Tourcoing, Paris. Il quitta l’école à 13 ans et le regretta toute sa vie. Des petits boulots en attendant la guerre : il est coursier en triporteur, crémier aux halles, où il apprend à jongler avec les oeufs, libraire sur les grands boulevards, et rêve de théâtre. La guerre le prend à 17 ans, le STO à 20. Ça ne l’a jamais fait rire, il nous a dit : «ça vous tombe dessus à 17 ans, c’est terrible, la déportation, 20 ans, le service du travail obligatoire, on n’a pas de fierté, on ne s’est pas battu, jeunes, humiliés, on n’est plus personne, ils vous mettent contre un mur et ils vous tuent, comme ça, par cruauté ou par erreur. Bien sûr, on a fait les clowns, avec André Gilles, on a fait les clowns, ce n’est qu’après, à la fin, qu’on sait que ça dure deux ans, mais pendant, c’est comme la mort.»
Sens interdits. En dehors de son texte appris, Raymond Devos était un homme sérieux, appliqué, et, de peur de décevoir à ne pas faire rire, il cherchait sans arrêt à aiguiller la conversation vers un bout de sketch, une réplique répétée, un gimmick d’interviewé. On pense qu’il rit pour oublier, non, il n’oublie pas : «J’ai écrit un sketch sur les camps, c’est le seul sketch écrit sur ma douleur, il s’appelle le Plaisir des Sens, les sens interdits.» Et, au cas où on n’aurait pas bien compris, devant vous, Devos prenait un crayon, lui qui n’écrivait qu’à l’encre violette, et vous dessinait un rond-point, quatre rues en étoile, chacune fermée d’un panneau de sens interdit afin qu’on n’en sorte pas : «Le camp, c’est comme ça, on arrive la gueule enfarinée, penaud, sans résistance et vlan ! La porte se ferme derrière notre dos, on tourne en rond, sans arrêt, avec en point de mire le corbillard. Quand je disais ce sketch, je pensais au camp, chaque fois. Les gens riaient.»
Mais ça, c’était après, quand Devos eut compris que son affaire était d’être Devos, ce clown qui jongle avec les mots, ce sumo contorsionniste, léger comme un éléphant de porcelaine dans un monde d’édredons. Avant, il avait fallu qu’il apprenne, le théâtre avec Tania Balachova, le mime avec Etienne Decroux, les tournées dans la troupe de Jacques Fabbri. Gagner sa vie jusqu’à 33 ans à jouer comme un fou le délire des autres jusqu’à ce qu’un mastroquet de hasard vous mette l’océan en pièce. Devos a raconté si souvent l’anecdote qu’elle finit par être vraie, d’ailleurs, elle est vraie. C’était à Biarritz en 1956, avec la bande à Fabbri, gros temps sur l’horizon, le garçon lui dit : « »Vous voulez quoi ? », alors j’lui dis : « Je voudrais voir la mer », i’m’dit : « La mer… elle est démontée. » J’lui dis : « Vous la remontez quand ? », i’m’dit : « C’est une question de temps. »»
C’était parti pour cinquante ans, un demi-siècle de mots pris au pied de la lettre, d’emballement de la logique du fou, la force de conviction de l’absurde, et cette immense présence à bretelles capable sur scène de vous emmener en bateau loin au large de la raison et vous ramener l’air de rien, les pieds sur terre parce que «Simone, Simone ! j’ai un bouton qui fout le camp». La femme de Raymond Devos s’appelait Simone. Ils vivaient à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Yvelines). Dans son grenier, qu’il avait équipé d’un ascenseur, il jouait du Steinway comme un débutant et du train électrique en virtuose, il archivait tout en commençant par ses pensées, grain à moudre de son petit commerce génial. Veuf, il eut Françoise pour compagne. Plus tard, lorsqu’il tomba malade, une autre se fit passer pour son épouse, un assez mauvais sketch (lire page suivante).
Chansons courtes. Devos aimait Bachelard et Marcel Aymé, il admirait Brassens et adorait apprendre. Le piano, la jongle, la flûte, la harpe et le concertina, dont il possédait quelques beaux spécimens et sur lesquels il transformait toute chanson en tango. Il acceptait volontiers les honneurs en compensation des diplômes qu’il n’avait pas eus. Il écrivit et interpréta un film réalisé par François Reichenbach, qui ne rayonne pas de l’émotion offerte en public (la Raison du plus fou, 1972), mais tourna pour Jean-Luc Godard une scène inoubliable dans Pierrot le fou, où, cheveux au vent, caressant un invisible gant, il se demande «est-ce que voooous m’aimeeeez ? Non». Il troussa d’indépassables chansons courtes : Se coucher tard nuit. D’autres à peine plus longues, le Jardinier espagnol ou les Vacances au bord de la mer, et un chef-d’oeuvre mal connu, Une chanson pour Pierrot, mis en musique par Félix Leclerc, et dont il était à juste titre très fier.
Quand, sans le décider, il ne remonta plus sur scène, il écrivit quelques romans, un livre pour enfants illustré par Yves Saint-Laurent, comme la continuation de son monde onirique et surréel, auxquels il manque sa «présence réelle», comme on dit en religion. Raymond Devos ne croyait pas vraiment en Dieu, s’intéressait de près à la question, il avait des doutes, en faisait un personnage récurrent de ses sketches, comme son chien ou son percepteur. Il s’efforçait de ne pas vieillir, disait : «A force de ne pas vieillir, on se rend compte un jour qu’on n’a pas eu de vieillesse. On m’a volé ma vieillesse.» A l’enterrement d’Achille Zavatta, Raymond Devos avait chanté la chanson de Giani Esposito : S’accompagnant d’un doigt sur son violon le clown se meurt, il la chantait parfois à la fin de ses spectacles, comme pour se prémunir. Raymond Devos était un malin. En flamand, un «devos» est un renard.

 

LIBÉRATION :

Les bons mots de Raymond Devos
Devos, on connaît tous ses sorties • Le florilège de «Libération.fr» •

jeudi 15 juin 2006 (Liberation.fr – 12:16)

«Quand on s’est connu, ma femme et moi, on était tellement timides tous les deux qu’on n’osait pas se regarder. Maintenant, on ne peut plus se voir!».

«Se coucher tard… nuit!».

«Le rire est une chose sérieuse avec laquelle il ne faut pas plaisanter».

«Je suis adroit de la main gauche et je suis gauche de la main droite».

«Je préfère glisser ma peau sous des draps pour le plaisir des sens que de la risquer sous les drapeaux pour le prix de l’essence».

«J’ai un copain, il est pilote d’essai… enfin, il ne l’est pas encore; pour l’instant, il essaie d’être pilote!».

«Je n’aime pas être chez moi. A tel point que lorsque je vais chez quelqu’un et qu’il me dit: «Vous êtes ici chez vous», je rentre chez moi!».

«Si Dieu n’est pas marié, pourquoi parle-t-on de sa grande Clémence?».

«J’ai le pied gauche qui est jaloux du pied droit. Quand j’avance le pied droit, le pied gauche, qui ne veut pas rester en arrière… passe devant… le pied droit en fait autant… et moi… comme un imbécile… je marche».

«Rien, ce n’est pas rien! La preuve, c’est que l’on peut le soustraire. Exemple: rien moins rien = moins que rien!»

«Il m’est arrivé de prêter l’oreille à un sourd. Il n’entendait pas mieux».

«Tous les écologistes sont daltoniens, ils voient vert partout!».

«Il buvait toutes mes paroles, et comme je parlais beaucoup, à un moment, je le vois qui titubait…».

«Avez-vous remarqué qu’à table les mets que l’on vous sert vous mettent les mots à la bouche?».

«En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées! Alors, j’ai troqué ma deux chevaux contre une deux boeufs!».

«Vous savez, les idées elles sont dans l’air. Il suffit que quelqu’un vous en parle de trop près, pour que vous les attrapiez!».

«Quand on demande aux gens d’observer le silence… au lieu de l’observer, comme on observe une éclipse de lune, ils l’écoutent!».

BLED NUMBER ONE

 Ce film fait suite à « Wesh Wesh, qu’est ce qui se passe » (2001), qui se passait dans une banlieue française . On retrouve Rabah Ameur-Zaïmeche, à la fois comme interprète et comme réalisateur. On découvre une ville algérienne par un long travelling, puis par le regard de Kamel. A la suite de la double peine, il est y renvoyé de France après avoir purgé une peine de prison, sans que l’on sache trop pour quelle raison. Kamel est joué par le réalisateur comme dans son film précédent. C’est à la fois un chant d’amour et d’incompréhension pour son pays – les montagnes du Nord-Est de l’Algérie -. Il y a une lucidité sans jugement moral sur son propre pays d’origine, que l’on ne comprendrait plus après avoir trop longtemps séjourné en France. Sans parler de désamour, il se retrouve un peu décalé, arrivant difficilement à se faire comprendre même si ces voisins parlent français. Il se voit contraint de rester sur place. Il observe l’évolution de son pays natal et la stagnation d’un pays qui finit par le dérouter. Les contradictions de l’Algérie, sont ici dépeintes avec subtilité. Il prend soin de styliser certains problèmes, appelant certains personnages, que l’on identifie aisément comme fanatiques religieux, des desperados. Le pays est tiraillé entre tradition – saisissant abattage ritualisé d’un taureau -, évolution technologique, avec la présence de la parabole, drogues douces ou des violences conjugales. L’Algérie est montrée de manière charnelle, loin des clichés, la joie de vivre éclate dans les fêtes locales, pour mieux oublier les problèmes existants. Tout n’est pas véritablement démontré, Rabah Ameur-Zaïmeche, ne se donne pas le meilleur rôle, il est plus en retrait, accompagne notre regard. Il privilégie deux personnages, Louisa et Bouzid. Louisa – Meriem Serba, touchante – est une jeune femme, qui ne rêve que de chanter – elle finira par l’exaucer de manière inattendue -. Elle est en froid avec son mari – Ramzy Bedia, sans Éric Judor, excellent rajoutant une note d’humour à un personnage assez déplaisant, conclusion séparons les comiques ! -.

Rabah Ameur-Zaïmeche & Meriem Serbah

Ce dernier souhaite la revoir pour retrouver son enfant à n’importe quel prix. Kamel va se rapprocher avec  elle, trop sensible pour survire sans heurts dans cette société. Son frère, Bouzid, homme jovial et attachant – Abel Jafri, 36 orthographes sur IMDB, comédien dont le visage nous est familier -, est à la fois victime et bourreau, humilié par les desperados, le torturant avec une mise en scène macabre. Il va faire une crise d’autorité contre sa sœur en réponse avec cette confrontation avec la haine. Kamel cherche à s’intégrer, s’adapter à un rythme beaucoup plus calme, s’évertuer à ne pas subir en se laissant aller à la tranquillité apparente des lieux, quitte à se réfugier dans son imagination à l’instar des apparitions oniriques de Rudolphe Burger, jouant de la musique en haut d’une colline. Entre sérénité et tourmente, le cinéaste trouve la distance juste, en utilisant des éléments avec lesquels il a un affect particulier, à l’image de l’impressionnante liste de personnes portant le nom d’Ameur-Zaïmeche, figurant au générique… Le film pose la question en fait universelle, de la manière de se retrouver face à ses racines, quand la vie ou un choix personnel fait perdre de vue vos premières sensations d’enfant. La violence sou jacente d’une société ancrée dans un certain traditionalisme, mais aussi en quête de liberté, est habile. Les dangers du communautarisme, ou de l’autodéfense – des milices se créant pour empêcher l’entrée des islamistes – sont montrés comme une sorte de replis sur soi, en réponse à un monde compliqué et incontrôlable. L’oppression n’est jamais très loin en contradiction avec des paysages apaisés. La haine semble sourde mais permanente. L’humanité de se retrouve finalement chez les laissés pour compte, voire la description d’un hôpital psychiatrique où une des internées déclare – c’est une scène improvisée – « Les fous sont dehors ! ». La lumière de l’Algérie, montre la beauté des décors sublime, il y a ici un sens aigu de l’observation, loin des sentiers battus, le résultat est remarquable, d’autant plus admirable si l’on songe aux difficultés de ces 6 semaines de tournage. Il y a un mélange amour-peur-haine, sur ce pays dépourvu de pathos, qui donne à ce film un regard singulier et cohérent privilégiant la dimension humaine. Il nous force d’aller au-delà de nos petits clichés.

LA PLUS BELLE SOIRÉE DE MA VIE

 « Charles Vanel a quatre-vingts ans, Michel Simon soixante-dix-huit, Pierre Brasseur soixante-huit et moi soixante-dix. Je calcule que nous totalisons près de trois cents ans à nous quatre, et qu’en nous mettant les uns au bout des autres, on pourrait assister à la mort de Molière dans « Le malade imaginaire », en 1673. » Claude Dauphin, « Les derniers trombones » (Éditions Jean-Claude Simoën, 1979). Ce livre est le récit d’un tournage à Brunico, de 1972, celui de « La plus belle soirée de ma vie / La più bella serata della mia vit », diffusé tardivement en France en mars 1979. La plume de Claude Dauphin est alerte, mordante, riches en anecdotes, imaginez les quatre trombones – les Italiens nomment ainsi nos « Monstres sacrés » -, face à Alberto Sordi, endeuillé par la mort de sa sœur qu’il adorait, entre le calme habituel de Charles Vanel, et les délires du couple Simon-Brasseur. Il raconte également la triste de mort de Pierre Brasseur, sur le tournage même, il ne lui manquait juste à tourner que la scène du cauchemar. C’est un livre formidable, sans doute épuisé, mais l’un des meilleurs témoignages de tournage de film. Le film réalisé par Ettore Scola qui est actuellement diffusé sur TPS sous le titre « La panne », est à voir absolument. C’est la livre adaptation de la nouvelle de Friedrich Dürrenmatt « La panne » . L’adaptation est habile, le co-scénariste en étant Sergio Amedéi. Moins tragique que le roman, et baignant dans un climat fantastique, le film élude le suicide du personnage principal, qui se pend pris de remord. C’est ici Alfredo Rossi campé par un magistral Alberto Sordi, j’ai privilégié la version italienne pour goûter la richesse de son jeu. Curieusement retrouver les quatre comédiens français doublés en Italien, gêne assez peu, on se prend au jeu de découvrir ses chimères. Rossi se fait appeler abusivement Dottore, une tradition italienne donnant ce titre ronflant aux gens important. Dès les premières scènes, on découvre sa veulerie, râlant dans un embouteillage. Il est en Suisse pour aller chercher quelques fonds secrets  – la somme est évaluée au poids ! -, qu’il va chercher dans une épicerie de façade. Mais la banque est fermée, il va suivre une blonde sculpturale habillée en motarde, comme un ange noir échappé de chez Jean Cocteau. Il la course dans sa rutilante et ronflante voiture rouge, avant de se retrouver mystérieusement en panne. Il se retrouve dans un château, celui du comte de La Brunetière – très émouvant, on voit en lui « La mort au travail » comme disait – encore lui – Cocteau.

 C’est un hôte très sympathique, il présente à Alberto, ses quatre compagnons deux juges à la retraite comme lui, Zorn et Lutz – Michel Simon, jubilatoire et en très grande forme et Charles Vanel impassible comme à l’accoutumé -. Un ancien greffier les accompagne, appétit d’autruche et mémoire d’éléphant – Claude Dauphin qui ne démérite pas de ses illustres partenaires. Alberto cherche à partir, mais il découvre une grande et belle blonde – Janet Agren, vedette des seventies -. Il accepte d’entre dans le délire des quatre hommes, qui adorent pour tromper l’ennui refaire les grands procès de Jeanne D’Arc à Philippe Pétain. Mais ils préfèrent avoir un personnage vivant, et décident de jouer à le très exubérant italien. Un repas somptueux et très arrosé, est le cadre de ce procès, Alberto est moyennement rassuré car il y a en plus Pilet, un serviteur muet, patibulaire… et ancien bourreau. Le jeu est féroce, d’autant plus que Rossi vient d’un milieu modeste, et compense la grande érudition de ses hôtes, avec une vivacité de chaque instant. De La Brunetière, joue l’avocat de la défense, et est absolument désolé car l’Italien, un arriviste forcené, trouve normal sa réussite, qui provient de quelques combines avec les Américains, dans l’immédiate après-guerre. Assez odieux, combinard, il est la cible de choix pour ces magistrats, d’autant plus que la personne dont il occupe la place est mort d’une crise cardiaque. La folie du film, son déroulement est habilement mis en scène par Ettore Scola qui digère ainsi le cabotinage de ses comédiens. L’idée de confronter l’un des plus grands acteurs italiens, Sordi est absolument incroyable ici, ne ménage pas son image, et finit par devenir attachant de part la modestie de ses origines, face au cynisme de notables qui se livrent à un petit jeu cruel. Tout ici est drôlatique, de Sordi dormant dans le petit lit de Napoléon – les nobles dormaient assis pour avoir meilleure peau – aux altercations passionnées de Brasseur et Simon. C’est un jeu de massacre irrésistible, le fruste face aux raffinés, montre aussi la situation économique de l’Italie d’alors. Ce grand moment de cinéma, nous démontre à nouveau l’âge d’or du cinéma italien de ces années là, difficile de retrouver une équivalence désormais.

HOOLIGANS

 Vendredi c’est Panini ! le compte à rebours de la coupe du monde a commencé. Certains vont souffrir, si vous avez comme moi une case non irriguée du cerveau ne vous permettant pas de goûter aux charmes du football. Comment surmonter une incompréhension totale pour suivre quelques pérégrinations de milliardaires en short ou des commentaires passionnés qui vous laissent absolument de marbre ? Les dérives du football sont nombreuses, la haine étant souvent un moteur pour les passionnés, un exutoire montrant les pires dérives racistes – cris de singes sur certains joueurs jusqu’à l’imitation du Zyklon B -. Le parti pris est ici de découvrir ce petit monde hooliganiste, au travers du regard de Matt Buckner, un jeune américain – Elijah Wood, qui est excellent dans l’évolution de son personnage – . Il nous convie à suivre son regard extérieur face à des supporters anglais, avant d’y adhérer sans réserves. Il se retrouve en Angleterre pour retrouver sa sœur, car il vient d’être renvoyé de l’université d’Harvard où il devait achever des études de journalisme. Il s’est montrait complaisant en acceptant d’être désigné comme dealer de drogues, en échange de quelques argents, en endossant la responsabilité d’un jeune fils à papa, dont le père a une grande influence. Dépité, il se retrouve en Europe, il n’a pas informé son père grand reporter, constamment absent, qu’il ne peut joindre que par répondeur. Il trouve refuge chez sa sœur – Claire Forlani, incarnation de la sagesse -, bourgeoisement installée, elle vit désormais avec son mari et son enfant. Matt y rencontre Pete Dunham, le frère de son beau-frère – Charlie Hunnam, apportant un charisme certain -. Cette rencontre est assez tumultueuse, mais Pete finit par le prendre en sympathie. Batailleur et violent, il lui fait rencontrer sa bande de hooligans dont il est le leader. Ces membres finissent par l’accepter hormis Bovver qui voit d’un sale œil cette nouvelle recrue. Ce dernier est interprété par Leo Gregory, étonnant acteur ayant une forte présence, avec un physique tourmenté à la Klaus Kinski, nous livrant un curieux mélange de sensibilité et de sauvagerie. Matt remplit de rage suite à l’injustice dont il est victime, finit par trouver avec eux un expiatoire à sa lâcheté, en se faisant une place dans chez eux. Le groupe est haineux, raciste – optique abandonnée très vite dans le film cependant -. Même s’ils réfutent l’appellation de gang, ils se livrent à des bagarres sanglantes contre d’autres groupes en se désinhibant allégrement à la bière. Lexi Alexander, une cinéaste allemande, montre donc l’utra-violence de ces fanatiques.

Elle tord le cou à certains clichés, ils ne sont pas forcément des laissés pour compte d’une société économique impitoyable, ils sont nombreux à avoir une situation, et certains viennent de milieux aisés. Mais ils se trouvent dans cette bande, une famille, une communauté, une raison de vivre, une solidarité ancrée dans un solide camaraderie.  Ce ne sont pas forcément des skinheads ou des jeunes, on retrouve le portrait terrifiant d’un homme plus mature – c’est le grand méchant du film – dans un groupe adverse, qui vit mal sa responsabilité de la mort de son fils, tué dans une rixe. Le film a le mérite de vouloir nous faire comprendre le mode de fonctionnement de ces groupes attachés à un chauvinisme exacerbé, c’est assez méritoire car il y a finalement assez peu d’exemples cinématographiques – « À mort l’arbitre » (Jean-Pierre Mocky, 1983), notamment -. Reste une ambiguïté, notamment sur le personnage joué par Charlie Hunnam, qui trouve une sorte de rédemption, par sa droiture, dans une sorte de code de l’honneur – ne pas frapper un homme à terre, ne pas s’en prendre aux à des personnes vulnérables -. Il y a une empathie avec le petit groupe de Pete, de par la sympathie avec ses interprètes ce qui finit par nuire à la portée du film. Reste une évidente aisance à filmer la violence, le chaos, à camper une atmosphère ou à décortiquer les petits rites de ces extrémistes, des chants quasi guerriers. On peut comprendre que la distance à trouver peut être difficile quand on souhaite analyser les phénomènes autour de la folie autour du ballon rond. La violence dépeinte ici me semble être un peu trop picturale, à l’instar des ralentis, montrant une sublimation de la volonté de vouloir en découdre, avec l’adversaire, mais il y a un intérêt documentaire au film. On retrouve aussi le choc des mentalités, des revirements des personnages – le beau-frère de Matt, qui essaie de résonner son frère cadet, qu’il ne comprend que trop bien -. Il y a une ritualisation ici de la violence, pour accéder, ou tout au moins avoir des repères, au monde assagi des adultes. Si le film n’évite pas quelques écueils et une certaine complaisance, il a le mérite de vouloir démontrer la barbarie humaine prête à ressortir quand il y a une émulation de groupe. Le choix de vouloir comprendre les personnages, même s’il est parfois maladroit, plutôt que de les juger, est finalement assez honorable. Au moins un film qui vous donne du grain à moudre dans votre abomination footbalistique.

Marie-France par Armel de Lorme

Second portrait après Nicole Régnaut, d’Armel de Lorme, Marie-France, une artiste hors norme, qu’il serait vain de réduire au rang de phénomène à l’instar d’un Marc-Olivier Fogiel la recevant dans son talk-show. Une version précédente figure dans l’indispensable « @ide-mémoire ».

Photo copyright Pierre & Gilles

MARIE FRANCE (de Paris)

Par Armel de Lorme

Le mot « égérie » semble avoir été inventé pour elle, qui a su inspirer pêle-mêle, en quelques 35 ans de carrière, Marguerite Duras – « impossible de ne pas être troublé(e) par elle, les hommes comme les femmes » – et André Téchiné, Fernando Arrabal et A(do)lfo Arrieta, Jacques Robiolles et Jean-Marie Rivière, Alain Pacadis et Marc’O, Charles Matton et Frédéric Botton, Jacques Duvall et Jay Alanski, Pierre & Gilles et les membres du groupe rock Bijou… (liste non exhaustive !). Mi-pétroleuse, mi-femme-enfant, tour à tour meneuse de revue, chanteuse, performeuse, et même modèle à ses moments perdus, Marie France (Garcia) n’en est pas moins une comédienne assez unique en son genre, capable de glisser sans transition – juchée sur ses escarpins Christian Louboutin – de l’univers intello-chic d’une Sophie Perez (Détail sur la marche arrière, Théâtre National de Chaillot, janvier 2001) aux comédies hip-hop d’une Blanca Li passée de l’autre côté de la caméra (Le Défi, 2000). Rappel : Marie France a vu le jour à Oran, sous le signe du Verseau, en l’an de grâce 1946 (plus exactement le 9 février). Quelques années après avoir quitté, comme beaucoup d’autres, son Algérie natale, elle découvre le Paris interlope des Sixties naissantes, et là où ses contemporaines transitent par les bancs du Cours Simon ou du Conservatoire, fait ses classes à l’École des Femmes, véritable vivier transgenre dont sortiront notamment Cobra (futur modèle et amour impossible du romancier Severo Sarduy), la sculpturale Gaëtane Gaël et la future reine de la nuit (et chroniqueuse télé ) Galia Salimo. Présente sur scène, entre deux passages à l’Alcazar de Jean-Marie Rivière, dans des créations underground (Maggy Moon, Jean-Louis Jorge, l’Olympic, 1972 ; La Barre, Geneviève Hervé, le Nashville, 1975) ou résolument durassiennes (Le Navire Night, Théâtre Édouard-VII, 1979) tout au long des années 70, c’est grâce au subversif Arrieta qu’elle effectue, après une ou deux semi-figurations (Les Chemins de Katmandou, André Cayatte, 1969), ses véritables débuts à l’écran. Protagoniste des cultissimes Intrigues de Sylvia Couski (1972-1974) aux côtés d’Howard Vernon, de Michèle Moretti et de quelques non-professionnels (parmi lesquels ses amis, Gaëtane Gaël, Hélène Hazera et Michel Cressole), celle qu’on surnomme à l’époque « l’Impératrice des Gazolines » se voit très vite confier d’autres rôles plus ou moins importants par des cinéastes « à la marge », tels qu’Arrabal (J’irai comme un cheval fou, 1973), Jacques Robiolles (Le Jardin des Hespérides, 1974), Joaquin Noessi-Lledo (Le Sujet ou le Secrétaire aux mille et un tiroirs, id.) et surtout le peintre Charles Matton, qui lui fait reprendre à l’écran, dans Spermula (1975), le rôle de clone de Marilyn Monroe qu’elle promène, de théâtres en cabarets, depuis le début des Seventies. Vers la même époque, dans un registre moins révolutionnaire (donc moins confidentiel), André Téchiné fait appel à elle pour interpréter, à l’écran, la chanson par lui écrite du film Barocco (1976), qu’elle reprend quasi systématiquement, depuis, à la fin de ses récitals. Scène culte et queer, s’il en est, dans la filmographie du cinéaste, que celle montrant Marie France, dietrichienne en diable, susurrer On se voit se voir… devant une Hélène Surgère séduite et attendrie, un Gérard Depardieu conquis sans effort apparent et une Isabelle Adjani déversant à gros bouillon larmes et rimmel dans sa flûte à champagne (parce que, oui, l’eau, bon, ça va cinq minutes). D’autres prennent la relève dès le milieu de la décennie suivante : Gérard Mordillat, d’abord, sous la direction duquel elle roule de formidables patins à un Francis Perrin tout émoustillé, ce qui se comprend (Billy-Ze-Kick, 1985), Josiane Balasko, ensuite, rencontrée par l’intermédiaire de Coluche, qui fait d’elle la plus savoureuse des pensionnaires du bistrot à putes tenu par Dora Doll dans Les Keufs (1987). Toi, ma chérie, tu t’es pris une porte assenne-t’elle, mutine et enjôleuse, après avoir examiné sous toutes les coutures le cocard de circonstance arboré par sa partenaire (et réalisatrice) au bar de Madame Lou : grand moment de glamour à la sauce bitchy ! La même année, Téchiné lui redemande de chanter, cette fois entourée d’une demi-douzaine de boys, dans une séquence mi-glamour, mi-torride, des Innocents (1987) visiblement conçue spécialement pour elle. Plus discrète – cinématographiquement parlant – à partir des années 90, qu’elle consacre essentiellement aux planches, aux récitals chantés et à l’enregistrement d’albums (l’un avec le chanteur britannique Marc Almond, l’autre avec le guitariste Yan Péchin), elle n’en reprend pas moins le chemin des studios à l’aube du nouveau millénaire, tour à tour tapineuse adorablement vulgaire chez Gabriel Aghion (Belle Maman, 1998) et grande bourgeoise – une première (!) – courant les boutiques de prêt-à-porter de luxe chez Blanca Li (Le Défi, 2000). Le temps a beau passer, Marie France, qui a, entre temps repris son véritable patronyme en hommage à une autre Oranaise célèbre, Nicole Garcia, et publié une autobiographie aussi pertinente que réjouissante (Elle était une fois, X-Trême/Denoël, 2003), n’a rien perdu de sa blondeur, de sa verve, de son sex-appeal et, surtout, de la sensibilité extrême qui la caractérise depuis ses débuts. Tous les espoirs restent donc permis à celle qui, confiant à la fin des années 90 rêver de travailler sous la direction de Chéreau, Almódovar et Bob Wilson, vient d’être mise en scène par Philippe Decouflé (Paris secret, Printemps de Bourges, 2005) et de publier un premier best of agrémenté de chansons inédites portant la griffe de Frédéric Botton – autant dire du cousu main. En attendant le prochain film, la prochaine  pièce ou le prochain happening (voire les trois… ), Marie France s’apprête à investir, du 15 au 17 juin, la scène du Théâtre de l’Archipel (larchipel.net) pour une série de concerts mêlant chic, classe et rock and roll – prolongement logique d’un Trianon à guichets fermés en février dernier. Bel été en perspective ! Armel de Lorme

1969 : Les Chemins de Katmandou (André Cayatte). 1972 : Les Intrigues de Sylvia Couski (Adolfo Arrieta). 1973 : J’irai comme un cheval fou (Fernando Arrabal). 1974 : Le Jardin des Hespérides (Jacques Robiolles). Le Sujet ou le Secrétaire aux mille et un tiroirs (Joaquin Noessi/Joaquin Lledo). 1975 : Spermula (Charles Matton). 1976 : Barocco (André Téchiné ). 1985 : Billy-Ze-Kick (Gérard Mordillat). 1987 : Cinématon #949 (Gérard Courant, CM). Les Innocents (André Téchiné ). Les Keufs (Josiane Balasko). 1991 : La Gamine (Hervé Palud). 1993 : Une expérience d’hypnose télévisuelle (Gaspar Noé, CM). 1998 : Belle Maman (Gabriel Aghion). 2000 : Le Défi (Blanca Li).

Marie France (ou toute autre comédienne homonyme) serait en outre apparue dans le long métrage d’Éric Barbier, Toreros (1998), cette information n’ayant pu être vérifiée sur copie à l’heure où cet article est mis en ligne.

Addenda du 01/09/2006 :

Notre ami et collaborateur zélé Armel de Lorme est heureux de nous annoncer le lancement du site www.aide-memoire.org et de son « frère jumeau musical », au titre encore classé confidentiel, pour début octobre. Au sommaire des premiers numéros sont d’ores et prévues, comme autant de mises en bouche, la mise en ligne de galeries photos, les échos de tournages en cours et quelques exclus relatives à l’@ide-Mémoire : Encyclopédie des Comédiens Volume 2, toujours en phase rédactionnelle et dont la sortie est reportée au début 2007. Armel en profite pour rappeler que la sublime Marie France donne rendez-vous à son public du Trianon et de l’Archipel sur la scène du théâtre Le Méry, le 15 septembre à 20 heures. Tous les compléments d’infos requis sont accessibles via les liens suivants :

www.lalalala.org (la formidable et classieuse revue virtuelle pop, music-hall et chanson française de Didier Dahon et Jérôme Reybaud), lire l’article suivant : Marie-France au théâtre Le Méry.

AVRIL

   Avant-première, ce jeudi 1 Juin, à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux d’ « Avril » premier long-métrage du réalisateur Gérald Hustache-Mathieu, en sa présence, et celles de Sophie Quinton, Clément Sibony et de la productrice Isabelle Madelaine. Le film est une bouffée d’air frais dans le tout venant du cinéma français. Avril est une jeune novice, qui s’apprête à prononcer ses vœux dans un austère couvent. Enfant trouvée, elle avait été confiée à une petite communauté rigoriste de religieuses. Sœur Dominique – Miou-Miou remarquable, quittant une résignation subir pour se rebeller sans heurts – qui a remarqué son talent de peintre. Avril dessine dans des missels, elle blanchit les pages avant d’y faire de petits tableaux. Elle n’a connu que ce mode monacal, quasi carcéral, dominée par la personnalité de Mère Marie-Joseph. C’est l’étonnante Geneviève Casile, qui dès son premier plan où elle rattache ses cheveux, campe habilement son personnage. C’est un, mélange d’autorité, aigreur, et autoritarisme. Le petit monde du couvent semble hors du temps, malgré l’égide de son austère mère supérieure. Elles sont toutes solidaires et humaines comme Sœur Céleste, attachante vieille religieuse – Monique Mélinand faisant preuve d’émotion et d’intelligence, son réalisateur l’avait remarquée dans « Le coup de la girafe » -.  Avril doit subir un isolement de quinze jours dans une petite chapelle frigorifiante, avant de devenir « ad vitam eternam » religieuse. Sœur Dominique qui instille quelques idées de liberté – à l’image de la fleur « qui ne connaît que son verre d’eau ». Elle a une grande révélation à faire à Avril, avant qu’elle ne fasse son choix… Filmé avec un aplomb et une sensibilité rares dans notre joyeux cinéma hexagonal, plus prompt au formatage ces derniers temps que de faire preuve d’une véritable invention. Son réalisateur Gérald Hustache-Mathieu s’impose dès les premiers plans. J’avais le souvenir d’un ton original dans son court-métrage « Peau de vache », sans avoir vu son autre court « La chatte andalouse », tous deux avec Sophie Quinton récompensée à Clermont-Ferrand, avec un prix d’interprétation pour ce dernier. Elle est pour son auteur une muse, elle ici toujours aussi remarquables après ses prestations ténues dans « La nourrice » ou « Qui a tué Bambi », ou « Poids léger » où elle était la sœur de Nicolas Duvauchelle. On devrait d’ailleurs la retrouver en prostituée dans le prochain film de son réalisateur qui déclare vouloir jouer avec d’autres clichés. Avril va vouloir sortir de son couvent suite à la révélation de son aînée, sans vouloir trop déflorer l’histoire – l’avantage de voir le film en avant-première, car la bande-annonce dévoile beaucoup de l’intrigue -.

Sophie Quiton

Elle va rencontrer un jeune marchand de couleurs itinérant, affable et débrouillard – Nicolas Duvauchelle, avec un personnage plus serein qu’à l’accoutumé mais toujours aussi convaincant -, elle part en Carmargue, à la recherche de son frère jumeau, abandonné en même temps qu’elle. C’est Clément Sibony qui joue ce rôle – curiosité il est né le même jour que Sophie Quinton en juin 1976 -, toujours prompt à jouer avec son image – il était étonnant dans le téléfilm de Serge Moati, vu il y a peu sur Arte « Capitaine des ténèbres », en révolte contre Manuel Blanc. Il vit une aventure homosexuelle décomplexée avec le dynamique Jim, ludion dont la bonne humeur est communicative – Richaud Valls, vu dans quelques rôles ombrageux qui se révèle ici très étonnant, il est selon son réalisateur aussi vif que son personnage. Avril apprend à découvrir le monde, à la manière de petits pas de bébé, même si elle confit que tout va un peu trop vite pour elle… Le réalisateur capte la sensualité de ses personnages, et avec beaucoup de subtilité, montre la découverte d’Avril avec son corps avec beaucoup de finesses, à la découverte du sable, de la vivacité de l’océan – il y a des scènes vraiment magnifiques -. Le film mêle poésie – l’idée inversée de « Fellini Roma » de tableaux qui réapparaissent, beauté picturale – il y a un hommage au peintre Yves Klein avec son tableau « Anthropométrie » -, cocasserie – incroyable Claude Duty en jésuite décalé, que Gérald Hustache-Mathieu avait rencontré lors d’un festival -, ou l’histoire du chien qui conduit – je vous en laisse la surprise -.  Le film a une très grande force et cohérence, tout en jouant avec les conventions. Les spectateurs restés après débat ont constaté la grande émotion de son réalisateur, ayant une attention pour chacun et une grande ferveur à défendre son film. On ne peut que saluer l’acuité de ses choix, et du travail sur les sensations, les sons, les voix ou les lieux, où le petit jeu pour mélanger les époques – on met un peu de temps avant de savoir quand se passe l’action -. Pris par la flamme de son personnage, je n’ai donc pas eu le loisir de discuter avec Sophie Quinton, un peu fatiguée car enceinte, ou Clément Sibony pourtant tous très disponibles. La rencontre avec son metteur en scène qui ressemble à son film, complétait  un excellent visionnage. Proposé en contre-programmation contre l’overdose footesque de ce mois, la productrice énergique veut privilégier les spectatrices,. Laissez vous tenter par ce film original, il vaut que l’on prenne la peine d’entrer dans un univers attachant. Sortie prochaine le 14 juin.

MARIE-ANTOINETTE

 Évidemment, si vous avez vu comme moi le « Marie-Antoinette », made in – qualité – France, de Jean Delannoy (1955), avec Michèle Morgan dans le rôle titre qui semblait sortir d’une lobotomie, vous ne craignez pas le pire quand vous entrez voir cette nouvelle version. Sofia Coppola se révèle en trois films, être la cinéaste de l’insatisfaction, regard blasé de ceux dont la découverte d’une ville comme Tokyo laissent de marbre – « Lost in translation » (2004) -. C’est une vision pas très aimable des choses, à contre-courant, et on finit pourtant par s’attacher à ses personnages – Kirsten Dunst, Bill Murray, pour ses deux premiers films -. On droit donc ici à la quasi-intégralité de la famille Coppola, le cousin Jason Schwartzman, pourtant très inspiré chez Wes Anderson, qui nous livre un Louis XVI apathique, le père Francis comme producteur exécutif, et même le frère Roman – qui prouve comme réalisateur du sinistre CQ en 2001, que le talent n’est pas forcément héréditaire -, comme réalisateur de seconde équipes. Sofia Coppola, c’est un petit peu le syndrome de la pôôôvre petite fille riche, blasée le gendre, mais il serait stupide de ne pas reconnaître son grand talent comme cinéaste en raison de son pedigree écrasant. On pouvait craindre la vision d’une Marie-Antoinette – Kristen Dunst à nouveau naïve et désinvolte –parishiltonisée, car le film est non conventionel, on retrouve des anachronismes assumés à l’instar de fameuse paire de « Converse » mauve ! Mais comme disait Dumas « Il est permis de violer l’histoire à condition de lui faire un bel enfant. », bon, ici il a une drôle de bouille, mais au moins il tient sur ses jambes. La reconstitution peine un peu, nous ne sommes ni dans la subtilité d’un Milos Forman, ni dans les délires baroques d’un Ken Russel – une des références de la cinéaste, de même que… David Hamilton ! -. La reconstitution est assez stylisée, elle utilise au mieux le talent de la costumière Milena Canonero – son travail dans le « Barry Lindon » de Kubrick était prodigieux, qui a superbement mélangé les époques et les influences. Reste qu’elle est habile à traduire pour traduire, le déracinement, les rites très lourd de la court, menés par une Judy Davis – d’origine… australienne -,surprenante comtesse de Noailles. Le ridicule de ces cérémonies d’initiations est bien traduit. La théâtralité d’un protocole étouffant est habilement mise en scène, de la manière pour Marie-Antoinette de devoir se défaire de son vécu autrichien dans un passage symbolique entre deux frontières, à la manière d’une transfuge dans un film d’espionnage. Mais la réalisatrice semble ensuite trop confiante de son art, elle laisse les redites s’installer, c’est un peu le portrait d’une Madame Bovary qui pourrait assumer ses fantasmes, mais qui continuerait à végéter cependant. S’il y a quelque chose que l’on puisse partager avec elle, c’est bien un certain ennui, devant quelques scènes conventionnelles bousculées cependant par quelques anachronismes et quelques fulgurances.

X, Kirsten Dunst & Judy Davis

La petite histoire dans la grande, finit par nous lasser par ses déconvenues dans le lit conjugal-royal, ses perpétuels instants de solitudes à la fenêtre, et l’émotion tenue d’un mouton dans un cadre champêtre dans ces bêêêh pâturages. Le scénario a quelques béances, et le film s’arrête de manière assez abrupte, bien avant la fuite à Varennes. Le décalage est au rendez-vous, évidemment on pouffe de retrouver le texan Rip Torn dans le rôle de Louis XV – populaire pour avoir joué le chef des « Men in black », choisi après le refus d’un certain Alain Delon, dont l’exigence/arrogance bien connue ne l’amènent qu’à tourner des films promis à devenir des chefs d’œuvres genre « Astérix contre les J.O. » -. La distribution hétérogène est assez curieuse, Asia Argento est une improbable Mme du Barry, et si Marianne Faithfull, Steve Coogan et Guillaume Gallienne arrive à dépasser les stéréotypes, plusieurs de nos frenchies ne doivent se contenter de faire de la figuration intelligente – Mathieu Amalric, très drôle dans la scène du bal costumé, Jean-Christophe Bouvet en Duc de Choiseul, Carlo Brandt, André Oumansky,et même une habituée du clan Coppola, Aurore Clément, etc…- L’Autrichienne « autruchienne » est un personnage prétexte, évidemment qui n’en finit pas de s’appesantir sur ses petits malheurs, quand même plus important que cette ville populace qui ne pense qu’à manger – même si sa fameuse phrase  – jamais prononcée par elle en vérité – donnée ici à décharge « Qu’ils mangent alors de la brioche » ne repose que sur de la pure invention. Reste que le peuple est montré comme un cohorte de gueux furieux, on ne sait finalement si Sofia Coppola veut montrer son éloignement et son isolement face à la vraie vie. Il est donc difficile de compatir sur cette Marie-Antoinette là, perdue dans un Versailles carburant à la frivolité, et que les pâtisseries omniprésentes transforment en bonbonnière géante. Bref au travers de ce personnage, Sofia Coppola nous livre simplement une œuvre autobiographique, la B.O. glam-rock certes efficaces, très eighties n’est qu’une explication de texte surlignée. Versailles-Hollywood : même combat, mais en assumant son côté nombriliste, elle nous livre finalement un parti pris intéressant, c’est donc une excellente idée de vouloir traduire un intimisme des affres de l’adolescence, par un gigantisme démesuré. Loin d’être inintéressant, ce film troisième d’une trilogie des désarrois d’une jeune femme sur les apprentissages de la vie, traduit peut-être les limites d’une cinéaste. On observera donc son évolution avec intérêt. Ce n’est ni le chef d’œuvre annoncé, ni le désastre décrié, un curieux film plus profond que l’on pourrait bien le croire.