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CANTIQUE DE LA RACAILLE

Diffusion câblée en ce moment de ce film sorti en 1998 de l’écrivain Vincent Ravalec. Il avait déjà montré son aisance au cinéma, par une série de 7 courts-métrages, repris en un long en 2002 « La merveilleuse odyssée de l’idiot Toboggan ». Souvent provoc’ ll y décrit une humanité trouble quelque peu « célinienne » des travers sexuels : « portrait des hommes qui se branlent », « les mots de l’amour »  ou une vision assez noire d’un petit groupe d’hommes « Never twice », « Le dur métier de policier », rivalisant de trivialité et parfois de bêtise. On suit ici le parcours de Gaston – formidable interprétation très inspirée d’Yvan Attal -, petit combinard vivant de rapines, et de déstockage de matériels TV. Il rencontre Marie-Pierre – charmante Virginie Lanoué, hélas peu vue depuis -, une belle et jeune mineure qu’il prend en auto-stop. Cet amour lui donne des ailes, il est las de ses petites magouilles avec son associé, Saïd – en fait le bistrotier du coin – et décide de monter une  petite entreprise « Extramil » avec l’aide de son bagout, et aidé d’un employé foireux Gilles, alcoolique et drogué – Yann Collette, formidable acteur, à la fois nonchalant, burlesque et inquiétant -. Survolté, paranoïaque, à l’affût du moindre signe qu’il peut interpréter, notre Gaston devient trop confiant pour de son succès inattendu dure… Le film est vu ici à travers l’esprit tortueux de Gaston, on suit sa pensée via une diarrhée verbale. C’est la limite d’une voix off omniprésente et hélas on frise parfois l’inconséquence. Cette utilisation du récitant tient alors peu du procédé malgré la qualité indéniable d’écriture de Vincent Ravalec – qui se donne un petit rôle, non crédité d’inspecteur -.

Claire Nebout & Marc Lavoine

Le réalisateur aime à sonder le côté noir de l’humanité, des poivrots, petits escrocs,  des gens respectables mais capables de tous les vices. Il les voit à travers l’esprit méandreux de Gaston, joué avec beaucoup de finesse par Yvan Attal, sûr de lui, pouvant parfaitement faire illusion en homme d’affaire, mais prêt à faire une confiance aveugle à des gens sans scrupules. L’acteur est formidable dans le rôle, son personnage cyclothymique reste fleur bleue. Si Vincent Ravalec réussit plus dans l’épure d’un court-métrage a réussit à retransmettre son univers, il reste à l’aise avec l’utilisation d’endroits miteux, et quelques équivalences visuelles, il réussit à traduire une inquiétude torde, par un montage assez chaotique. La force du film est une distribution hallucinée(nante), révélant nombre de grands talents, désormais confirmés sur nos écrans, Claire Nebout d’une beauté et une sensualité à tomber par terre, Jean-Louis Richard, libidineux à souhait, Marilyne Canto et Antoine Chappey, en gentil couple de prof, la frêle Dominique Marcas qui a pour petit fils le géant Dominique Hulin, Marc Lavoine en séducteur trouble, Samy Nacery en dealer séducteur, Gérard Laroche en gendarme suspicieux, Denis Lavant, échappé des années 30, en auto-stoppeur fou, Olivier Gourmet en routier obsédé sexuel, Philippe Nahon en inspecteur ripoux, Jo Prestia en gros bras, comme d’hab’, Philippe du Janerand, Francis Renaud ou Roger Knobelspiess en policiers torves, sans oublier Christine Fersen en folle du quartier. Au final l’intérêt l’emporte.

LADY VENGEANCE

Troisième opus sur le thème de la vengeance dans la traditionnelle mode des trilogies, après « Sympathy for Mister Vengeance » et « Old boy », du coréen Park Chan-wook. Pas de poulpes à se mettre sous la dent, cette fois dans cette variation féminine, « Mr. Vengeance » se transformant en Lady. Une jeune fille, est libérée après années de prisons, après un meurtre particulièrement barbare d’un enfant qu’elle aurait kidnappé. Elle ronge patiemment son frein, arrivant à trouver des armes pour survivre, par en prison en instrumentalisme son charme et ses co-détenues. Le metteur en scène se sert de nous comme putching ball, on en ressort assez secoué. Il se révèle aussi à l’aise dans les clichés d’une prison de femme, que dans la sérénité d’une pâtisserie, il s’en amuse en dynamitant l’histoire. Rien de très novateur ici après son maîtrisé « Old boy », sinon de l’utilisation du joli minois de Yeong-ae Lee –  qui est une actrice populaire en Corée, et dont le metteur en scène s’évertue à casser à casser son image assez lisse -. Elle resemble à l’actrice Olivia Hussey comme le dit si justement un des journalistes du drame. Les yeux cerclés de rouge, elle prépare son retour dans la société, avec minutie. Elle semblera d’ailleurs surprise de ne pas trouver au bout du compte l’apaisement et la rédemption escomptée.

 

Yeong-ae Lee

Comme souvent pour cet auteur on reste sans empathie avec le personnage principal et les personnages un peu à l’emporte-pièces du film. On peut aussi déplorer son côté malsain, de par l’utilisation de la vengeance avec l’utilisation perverse d’une humanité souffrante – qui rappelle un film de Quentin Tarantino, dont il partage une certaine conception de la violence,  et une adaptation célèbre par Sidney Lumet -, vire à  la bouffonnerie. Ce thème pose toujours problème comme le disait si bien François Truffaut dans un de ses articles. Il y a pourtant quelques maniérismes d’une intrigue chaotique, une voix off persistante et quelques digressions « tarantinienne » Le brio de la mise en scène et la narration quelque peu malmenée mais prenante, ne serait pourtant pas effacer un certain malaise, qui reste longtemps après le film même si ce film se termine par une idée poétique et la persistance de l’humour noir. Ce film semble marquer une limite dans la logique de son auteur tout en marquant un brio formel pour un univers singulier. Attendons donc la suite pour ce prolifique réalisateur.

FACTOTUM

Déjà présenté en 2005 à Cannes, dans le cadre de la « Quinzaine des réalisateurs », ce film est une nouvelle adaptation de l’œuvre de Charles Bukowski. Il fait suite aux mémorables « contes de la folie ordinaire » de Marco Ferreri, « Barfly » avec Mickey Rourke, « Lune froide » de Patrick Bouchitey, trois films cultes, et un film de Dominique Deruddere qu’il me reste à découvrir « L’amour est un chien de l’enfer ». Henry Chinaski, le double de l’écrivain, renaît sous les traits de Matt Dillon. C’est une nouvelle belle performance après »Collision » où il jouait un policier réactionnaire, il est vrai qu’il a toujours voulu casser son image depuis « Drugstore cow-boy » en 1989. Si le souvenir de la lecture de Charles Bukowski – au siècle dernier – me reste assez marquant, on toujours un peu de mal à voir son univers retransmis, mais les trois premiers films cités me semblait assez fidèle à l’esprit. Ici la narration est plus traditionnelle, pour ce réalisateur norvégien Ben Hamer, dont les trois films précédents « Un jour sans soleil » (1989) « Eggs » (1995), « Kitchen stories » (2003) dont les films semblent avoir une bonne réputation. Le film est ici porté par l’interprétation de Matt Dillon, qui reprend le flegme titubant du Bukowski bête de médias – personne ne peut avoir oublié son célèbre passage dans l’émission « Apostrophes », images reprises souvent par des compilateurs médiatiques fatigants -. Capable de rage, certain de son talent – il déclare lui suffire lire quelques pages d’autres auteurs pour savoir ce qu’il vaut -, nonchalant il joue avec humour et sans numéro à épate son personnage éthylique et se révélant finalement touchant en évitant les écueils de la caricature. Il y a la formidable Lily Taylor, qui épate à chacune de ses apparitions, on est loin ici de son personnage de mère dans « Six feet under ». Son personnage déjanté, possessive et sensuelle, est très attachant, on aimerait pouvoir voir cette comédienne plus souvent.

Matt Dillon et Lily Taylor

Si la mise en scène est assez classique, elle s’attache à retrouver des lieux peu filmés d’une Amérique contemporaine pour retrouver l’équivalence de l’ambiance de l’œuvre de l’écrivain. C’est finalement une Amérique intemporelle, des laissés pour comptes, qui vivotent sans trop souffrir de la crise, vivant de petits boulots, parfois pour un seul jour. Les tâches sont diverses du travail à la chaîne au nettoyage d’une colossale statue de chef indien. Chinaski a une fraternité avec les pauvres. Il ne supporte pas l’arrogance d’un petit cadre s’installant sans politesse sur un siége, ou il ne tente sa chance devant un écrivain qu’on lui présente, si le courant ne passe pas. Son besoin d’écriture est viscéral, décrire cette petite humanité troublée, dont même l’alcool ne matte pas ses démons. Le personnage a une décontraction devant l’existence, se recouchant même dans un immeuble en feu, après avoir vu des pompiers s’occuper des étages d’à côté. Le parti pris ici est celui de l’humour, s’amuser des vomissements d’après cuite. L’interprétation des seconds rôles est remarquable, il faut voir l’excellent Didier Flamand, en français excentrique, jouer de l’harmonium, boire avec sa petite cour de filles perdues, et mettre sa drôle de casquette pour faire un tour en yacht, Fisher Stevens, au regard perdu, s’abrutir dans la passion des courses, ou Marina Tomei en fille perdue prête à tout instant de perdre l’équilibre et on retrouve même Adrienne Shelly, actrice fétiche de Hal Hartley dont on ne voit plus les œuvres d’ailleurs. Au final c’est un film, certes un peu sage, mais qui rend justice à sa source d’inspiration, avec causticité et empathie et qui donne une nouvelle facette du talent de Matt Dillon, qui devrait gagner en sincérité avec la maturité.

IN HER SHOES

C’est typiquement le genre de film, que l’on va voir en traînant la patte, histoire à priori conventionnelle, 130 minutes et je dois en prime confesser ne pas être fou de Cameron Diaz, et dont on ressort plutôt séduit. On retrouve un peu le ton de la comédie dramatique « Wonder Boys » sorti en 2000, avec Michael Douglas, il est vrai que l’on retient plus aisément dans la filmographie de Curtis Hanson son « L.A. Confidential ». Le ressort est assez classique, titré d’un romain éponyme de Jennifer Weiner. Deux sœurs, Maggie, une dyslexique un peu nunuche et assez volage, vivant le jour le jour, et Rose, avocate yuppie peu sûre d’elle, ne vivant que pour son travail et ne s’autorisant comme folie, qu’un achat impulsif de chaussures qui termineront au placard. Chacune envie la place de l’autre, Maggie, l’aisance intellectuelle de Rose, qui elle-même voudrait avoir le pouvoir de séduction de sa sœur. Elles vivent avec des petits arrangements, Maggie créant régulièrement de catastrophe dans l’appartement rangé de sa sœur, la volant parfois, et Rose se confiant à sa meilleure amie d’un cynisme redoutable. Mais une fâcherie plus violente qu’à la coutumée vont les séparer, cet équilibre rompu, elles vont changer de mode de vie, comme orpheline d’une autre partie d’elle-même, c’est là qu’une grand-mère cachée – Shirley MacLaine -, intervient par un concours de circonstances. Ces nouvelles « sœurs fâchées » vont se reconstruire lors de cette séparation.

Toni Colette, Shirley MacLaine & Cameron Diaz

Cette comédie est drôle, l’écriture est assez ciselée. L’émotion montre souvent son nez de par l’empathie que donne le réalisateur à ses personnages, il réussit même à nous rendre attachant des riches vieillards oisifs en Floride, c’est dire la performance. L’interprétation est très juste, de Toni Collette, toujours à l’aise dans la composition, en femme peu sûre d’elle, Cameron Diaz en godiche débrouillarde, Shirley MacLaine, superbe de retenue en grand-mère surprise. Le dosage psychologie, humour, émotion donne à ce film un ton assez mélancolique, de cette histoire d’amour entre deux sœurs, qui doivent surmonter leurs névroses laissées en héritage par les non-dits des adultes  – le père assez terne éteint par le tempérament d’une nouvelle femme castratrice -. Une série d’excellents seconds rôles complète la distribution, on retrouve notamment Norman Lloyd, – acteur apprécié par Alfred Hitchcock  et  grand méchant de la « Cinquième colonne » – qui a traversé une grande partie de l’histoire du cinéma et est ici, remarquablement touchant et arrive à rendre crédible son personnage aidant Maggie avec des textes de la poétesse, Elisabeth Bishop. On passe un joli moment à ce film optimiste mais jamais mièvre, nous changeant du cynisme ambiant.

LE PETIT LIEUTENANT

« Nord », sorti en 1992 était à marquer d’une pierre blanche. Ce drame sur l’alcoolisme étonnait par son naturalisme, son âpreté et nous redonnant en passant l’excellent Bernard Verley. Le suivant « N’oublie pas que tu vas mourir » survolté, désordonné et mésestimé, sur le même sujet traité par François Ozon, sur « Le temps qui reste ». Assagi, « Selon Mathieu », montrait avec justesse les grandes amours contrariées entre deux personnes venant d’un milieu différent. Il est vrai Xavier Beauvois a « la carte » il nous livre ici son quatrième film depuis son premier tournage en 1989, ce qui est peu après la promesse que l’on pouvait avoir pour ses premiers travaux. Le réalisateur reprend la mouvance Pialat, avec une reprise de son « Police », et l’on pense -comme tout le monde – également au très beau « L627 » de Bertrand Tavernier et « Scènes de crimes » qui ont changé la donne ces dernières années. Le formatage « clicheteux » des dernières fictions TV, nous font voir ce film avec intérêt. Ce qui est passionnant dans ce film, c’est de découvrir en même temps que le jeune Antoine Derouère – Jalil Lespert, fiévreux et avide d’adrénaline, définitivement l’un des meilleurs comédiens de sa génération -.

Antoine Chappey, Nathalie Baye & Jalil Lespert

Il quitte son cocon du Havre où il laisse sa jeune femme et ses parents, pour aller au « groupe crim' » à Paris traitant de la majorité des affaires criminelles. Il découvre les lieux en même temps que le Commandant Caroline Vaudieu qui revient après avoir solutionné son problème d’alcool. On retrouve les rites, l’importance des costumes, les premiers émois, frémissement, passages obligés pour ces gens ordinaires confronté à des situations violentes. Xavier Beauvois s’est immergé dans l’univers de la police, de manière extrême comme parfois avec lui. Il confiait à l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde » s’être fait arrêter volontairement, inventant un petit scénario pour être réellement mis en garde à vue, ce qui peut être sujet à caution. C’est finalement un peu la limite du film, il n’y a pas de critique comme dans « L627 » qui parlait des problèmes de budget, on voit pourtant l’opposition entre un nouveau venu et d’autres plus âgés et plein d’une certaine lassitude – le personnage d’Antoine Chappey, toujours très juste pas vraiment enthousiasmé de faire une planque de nuit -. Si les personnages sont assez conventionnels, l’interprétation donne un poids au film, l’alchimie entre les pro et non-professionnels fonctionne, il est vrai que la distribution est de choix.

Antoine Chappey, Roschdy Zem & Jalil Lespert

Nathalie Baye très crédible en femme à la fois borderline qui cherche à se reconstruire et d’expérience avec de l’autorité, un de ses meilleurs rôles. Roschdy Zem est très juste, dans un personnage de policier solide dont on devine les difficultés dues à ses origines marocaines pour s’intégrer même s’il les raconte avec détachement. Mais qu’un de ses lourdingues collègues refasse sa sempiternelle plaisanterie raciste, c’est toute sa rancœur qui resurgit. Ces nouvelles retrouvailles avec Xavier Beauvois, après « N’oublie pas que tu vas mourir » sont l’occasion de retrouver la subtilité de jeu habituelle du comédien. De même que le brillant Antoine Chappey donc, Patrick Chauvel – ancien grand reporter -, Rémy Roubakha et Pierre Aussedat et même Xavier Beauvois, qui s’est donné le rôle le plus ingrat en flic proche de l’extrême droite, sont probants en policier, Bruce Myers en professeur flegmatique, Jean Lespert propre père de Jalil, Riton Liebman en ancien alcoolique et Jacques Perrin en « ex » à l’écoute… Le réalisme finit par nous détacher un peu de l’histoire, la photographie de Caroline Champetier exemplaire d’habitude, me paraît ici surévaluée – elle joue d’ailleurs un petit rôle dans un train -, au final un film honnête mais un peu imparfait. Mais le constat reste très juste et sans jugements, et le jeu de Nathalie Baye est puissant et personne ne peut oublier son dernier regard bergmanien caméra ou sa manière d’appréhender des bouteilles alignées dans un comptoir de bar, une très belle performance.

LE TEMPS QUI RESTE

Avant-première hier à l’UGC Cité Bordeaux, dernier film de François Ozon « Le temps qui reste » en présence de Melvil Poupaud, le réalisateur ayant déclaré forfait pour se consacrer à une émission TV. Ce film présenté en mai dernier à Cannes, dans la section « Un certain regard » confirme la maîtrise et la grande maturité de son auteur. Après « Sous le sable », il traite le thème de la mort. Le film démarre comme « 5×2 » sur un constat, l’échange très juste entre un médecin et son patient, Romain, 31 ans qui plaisante après avoir attendu ses résultats d’examen. Comme souvent les mauvaises nouvelles dans une vie, le docteur annonce assez froidement un cancer qui se généralise au jeune homme. Suit un échange très juste, entre les interrogations qui se posent légitimement cette inéluctabilité tragique de cette maladie. La force du film est le cheminement de Romain, sans pathos, qui vit comme photographe de mode, dans un monde que l’on devine assez cinglant et superficiel. Malgré sa jeunesse, sa fin proche lui paraît implacable, il doit décider de son attitude devant la maladie, d’une manière d’économiser ou brûler les dernières cartouches de sa vie, et son attitude avec ses poches, son petit ami Sasha, ses parents et sa sœur, mère seule avec des enfants, avec lequel il est souvent en conflit, son employeuse.

Melvil Poupaud & Jeanne Moreau

Il ne cherchera de réconfort qu’auprès de sa grand-mère, Laura – rayonnante Jeanne Moreau -, riant de ses vitamines pour lutter contre la vieillesse. Elle est comme son double, modèle d’égoïsme, manière de vie qu’elle définit comme moyen de survie. Car Romain a des difficultés à s’investir émotionnellement, ou a se départir de son agressivité constante vis à vis des siens, il a une manière cinglante d’annoncer les vérités premières qui feront mal, avec gratuité, il va donc s’arranger seul avec sa fin probable. Le sujet ne doit pas vous décourager de voir ce film, car c’est un modèle de concision, d’épure, évitant tous clichés du personnage peu aimable qui finit par s’humaniser et connaître un rachat. Melvil Poupaud est exceptionnel de subtilité dans ce rôle, dans les non-dits, son curieux sourire désabusé après une acceptation de son devenir, la petite déception de ne pas retrouver le plaisir d’une glace qu’il mangeait quand il était enfant. Il se revoit enfant, avec une nostalgie de son innocence perdue et où tous les espoirs sont permis. François Ozon, reprend ses thèmes favoris, la communication avec le père, l’homosexualité, avec quelques provocations – une visite dans « les backrooms », mais avec des ellipses, après un premier montage plus hard.

Melvil Poupaud

Les tentatives de Romain pour retrouver une forme de communication, sont touchantes, à l’image de la scène de la voiture avec son père – Daniel Duval, loin de son image habituelle, touchant en père secret et fatigué -, ou l’appel avec sa sœur qui ne comprend pas ses provocations. Les comédiens sont excellents comme souvent chez le réalisateur de Marie Rivière Marie Rivière – interprète rohmérienne comme Melvil Poupaud – en mère un peu paumée, les nouveaux venus Christian Sengewald, en amant de Romain, Louise-Anne Hippeau dans le rôle de la sœur mal-aimée. Valeria Bruni-Tedeschi en serveuse, qui croise la route de Romain qui se révèle une assez improbable rencontre – très juste réplique de Romain lui répondant que l’on ne va pas forcément voir sa grand-mère que parce qu’elle devrait être malade. Cette dernière est jouée par l’admirable Jeanne Moreau, compréhensive et indépendante, les moments d’intimité entre les deux personnages sont très beau, la grande comédienne trouve enfin un rôle à sa mesure. Concernant la rencontre après film avec Melvil Poupaud, les spectateurs n’ont pas eu à déplorer la présence du metteur en scène, car le comédien a parlé de son personnage avec beaucoup de franchise et d’honnêteté. Il a parlé du travail avec le réalisateur, après une rencontre manquée pour les essais de « Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » où l’acteur avait déploré être déconcerté par certaines exigences. Il a appréhendait son rôle avec intelligence, grâce à sa déjà longue expérience – François Ozon l’a choisi après avoir vu les court-métrages, sortes d’auto fictions, tournés depuis son enfance avec le matériel des films de Raoul Ruiz -, et les exigences du rôle – transformation physique avec le coach de Ludivine Sagnier dans « Swimming Pool », scènes sexuelles assez explicite avec le jeune acteur allemand inexpérimenté, ce qui est délicat pour un hétérosexuel landa, mais le comédien a insisté sur la pudeur du réalisateur -. C’est une confirmation du talent de ce comédien, après des personnages assez ingrats comme dans « Éros thérapie » et « Les sentiments », Sa lucidité du comédien et son investissement personnel, devrait lui donner une belle place désormais comme comédien. Ce film retenu et apaisé est une nouvelle réussite dans l’œuvre de François Ozon.

MICKEY ONE

Ce film sorti, en 1965, est atypique dans la carrière d’Arthur Penn, mais l’échec financier occasionné a obligé son metteur en scène de s’orienter sur d’autres voix plus traditionnelles, avec une consécration internationale à la clé. Un jeune homme d’origine polonaise semble être persécuté pour de sombres histoires de dettes de jeux ou de jalousie amoureuse, mais les faits restent incertains… On finit par se demander s’il ne souffre pas finalement de paranoïa. La première image est incongrue, sanglé dans un manteau d’hiver, notre homme amuse tel un bouffon des hommes mûrs suants dans un sauna, déclenchant l’hilarité générale. Un Warren Beatty mutique mais évidemment séducteur, fuit dans une Amérique profonde, dans une ambiance plus proche de la grande répression des années 30 que de la légèreté des sixties, il rencontre une humanité blessée, de trognes, de clochards ou de salutistes. Après avoir accepté un boulot de plongeur, il retrouve immédiatement son travail de showman à la Lenny Bruce, en sabotant avec son répondant, le numéro d’un comique de cabaret fatigué. Il se trouve un manager de fortune, et relance son talent tout en cherchant à se cacher de ses éventuels agresseurs.

Warren Beatty

Il rencontre une jeune femme Jenny, – Alexandra Stewart, à la fraîcheur ravissante – qui sous-loue l’appartement de l’homme désormais surnommé « Mickey One » par un homme travaillant dans un restaurant. Avec elle il semble retrouver un second souffle, alors que Castle, un mystérieux homme d’affaires le cherche pour le faire monter sur scène, joué par Hurt Hatfield, il est toujours amusant de retrouver l’inoubliable interprète de Dorian Gray chez Albert Lewin, avec.. 20 ans de plus. La beauté formelle de ce film est éclatante, grâce à la très belle photo de Ghislain Cloquet, on suit le personnage du film dans une sorte de cauchemar permanent  – il est difficile de ne pas songer à « 8 1/2, tant on retrouve ici certaines ambiances oniriques -. Le style est alerte, même si on a du mal à retrouver ses repères. Ce film est un choc visuel, porté par une superbe musique d’Eddie Sauter, mérite qu’on le redécouvre. C’est une étude presque clinique et une grande leçon de mise en scène, pouvant transformer « les feux de la rampe » en une redoutable menace. Warren Beatty et Arthur Penn, se retrouveront avec succès dans « Bonnie & Clyde » en 1967.

MANDERLAY

Ce film est le second opus de la trilogie de Lars Von Trier sur les États Unis : « Land of opportunities », dont il a eu l’idée en lisant l’épilogue du célèbre livre de « Pauline Réage » de 1954, ‘Histoire d’O’. : Le titre de cet épilogue est ‘Le bonheur dans l’esclavage’ et commence par décrire une rébellion qui couve dans l’île de La Barbade en 1838. Un matin de très bonne heure, un groupe de ‘nègres’, hommes et femmes, qui ont été récemment libérés de par la loi, approchent de leur ancien maître, un certain Mr. Glenelg, et demandent à redevenir ses esclaves. Mr. Glenelg refuse leur requête – on ignore si c’est par peur, parce qu’il a des scrupules ou simplement parce qu’il est un homme respectueux des lois. Ses anciens esclaves commencent à le bousculer légèrement, puis à le malmener un peu plus brutalement. Glenelg et sa famille seront finalement massacrés par le groupe. La même nuit, les ex-esclaves reviennent dans leurs anciens quartiers, où ils recommencent à parler, à manger et à travailler comme ils le faisaient avant l’abolition de l’esclavage. (extrait du dossier de presse).

Cette suite n’est pas « sympathique », on décroche parfois, mais Lars Von Trier, continue à dresser un portrait au vitriol d’une Amérique fantasmée. On retrouve donc les personnages dans l’exact prolongement de la fin de Dogville, Bryce Dallas Howard remplace donc ici Nicole Kidman, Lars Von Trier a découvert cette fille de Ron Howard dans « Le village » de Night M Shyamalan ce qui ne semble pas anodin… Force est de constater que l’on est très peu gêné par ce remplacement, de même pour James Caan, Willem Dafoe reprennant le flambeau, en caïd patriarche. Ils font route vers le Sud profond, et aboutissent chez Mam – Lauren Bacall dans un rôle différent que dans « Dogville » – qui dirige une riche propriété cotonnière, « Manderlay ». Mais la petite communauté noire présente continue à vivre en 1933, comme du temps de l’esclavagisme, 70 ans après ! La voix de John Hurt qui est à nouveau le récitant, est le fil conducteur de cette œuvre. Grace choisit de s’installer dans ce lieu presque fossilisé, où l’on fouette les mauvais sujets, comme Timothy – Isaach de Bankolé admirable -, impétueux esclave. Grace décide avec beaucoup d’émotivité et de naïveté avec l’aide des hommes de main de son père d’y installer la démocratie, mais comme le déclare le sage Wilhem – étonnant Danny Glover – « ´A Manderlay, nous, les esclaves, nous dînons à sept heures. A quelle heure les gens mangent-ils quand ils sont libres ? ».

La jeunesse de la jeune actrice donne un nouvel éclairage au personnage de Grace, son immaturité aidant à comprendre les contradictions du personnage. C’est donc une nouvelle fable comme le dit si bien, avec son talent habituel,  Pierrot, dont il convient de lire son excellente analyse. Le film est habile, conceptuel, mais parfois assez ambiguë, à l’image du « livre de Mam » qui détermine les sujets de la propriété comme des stéréotypes prévisibles au possible, ce qui est assez gênant. On comprend donc la réserve initiale de Danny Glover : « ‘Je n’ai pas été réceptif. Quand je lis un script, j’essaie de m’imaginer dans le rôle du personnage et j’essaie aussi d’évaluer la réaction des spectateurs, particulièrement dans une histoire qui aborde avec une telle force la question de l’esclavage et de ses conséquences, avec des personnages très stéréotypés. Donc, j’ai tout d’abord refusé. Après avoir annoncé ça à Vibeke Windeløv, j’ai relu le scénario, parce que je voulais être sûr que je n’avais rien raté, mais j’ai ressenti à peu près la même chose. Pourtant, mes réserves ne concernaient pas tellement le côté provocateur du scénario, qui est réel. Mon problème, c’était qu’il était raconté exclusivement du point de vue d’un blanc et que les images étaient très fortes vues sous cet angle. Mais je n’arrêtais pas de penser à l’histoire, elle ne me lâchait pas; alors, au bout d’un moment, j’ai accepté le rôle. » (extrait du dossier de presse). Il est vrai que si souvent l’on se demande où veut-il en venir, il sollicite du moins notre réflexion car il malmène le politiquement correct…

Mais le film démonte assez habilement le mécanisme de personnes vivant confinés dans un lieu clos, où la moindre différence peut apparaître comme une menace – le rire trop fort d’un Noir rieur gênant la communauté est passé au vote comme une agression ! -. C’est en ça que l’on retrouve l’habileté de Lars Von Trier. On peut aisément observer ce type de comportement, nivellement vers le bas, sur son lieu de travail par exemple, dans des lieux confinés, quand la menace d’une précarité arrive. Le film donne à avoir une réflexion, peut-on faire le bonheur des gens malgré eux – d’où une cinglante et évidente critique envers George W. Bush et son attitude en Irak -. Grace se sert des truands à la solde de son père pour leur donner goût à la liberté, déterminée, elle peut s’ériger en juge impitoyable. On peut y voir la critique d’aides humanitaires ethnocentriques, qui ne prennent en compte que leurs propres repères, le personnage de la frêle jeune femme tourmentée par son désir envers Timothy, pouvant être capable des pires extrémités on le sait depuis « Dogville ».

Udo Kier & Bryce Dallas Howard

Lars Von Trier reprend le concept de « Dogville » qui était inspiré de « L’Opéra de Quat’sous » écrit en 1928 par Bertol Brecht. Le parti pris n’a plus l’apanage de la nouveauté, d’où une possibilité d’être dérouté même si l’on adhère à la conceptualisation de l’ensemble, mais pour ma part cet aller-retour entre concret et imaginaire est très probant – éléments de décors, cartes géantes, marquage au sol à la craie d’un grand studio vide -. Reste que nombre de comédiens sont réduits à faire de la figuration intelligente – Udo Kier, Jean-Marc Barr, Chloe Savigny, Jeremy Davies présents dans le précédent opus et Michaël Abitbol, vu dernièrement dans « Combien tu m’aimes »… -. Mais par contre tout les comédiens « Blacks » de la communauté sont à la fois déroutants et attachants. Dans la continuité d’un de ces nouveaux dispositifs, Lars Von Trier continue à se renouveler, nous manipuler, nous surprendre, nous questionner, son œuvre est dans l’ensemble, parfois inégale mais toujours passionnante. Pour avoir vu presque tout ces films, gageons qu’il n’a pas finit de nous surprendre.

Ce film est l’occasion de retrouver Isaack de Bankolé, dont le talent ne cessait de nous surprendre, de l’univers de Claire Denis à celui de Josiane Balasko. Il est remarquable ici dans un rôle fier, silencieux et finalement l’un des rares personnages a avoir sa dignité. Son absence dernièrement sur les écrans français est proprement inexplicable, on se souvient pourtant de chacune de ses dernières apparitions, dont dans « Ghost dog » de Jim Jarmusch, où il communiquait de manière étonnante avec Forest Whitaker, bien que ne parlant pas la même langue. Il a bien tourné récemment un téléfilm en français « L’évangile selon Aimé » d’André Chandelle, seul rôle dans cette longue depuis « S’en fout la mort » sorti en 90 !, mais bien que présenté en début d’année en Belgique, il est toujours inédit chez nous. Souhaitons que sa performance dans le rôle de Timothy donne enfin des idées aux metteurs en scène français.

Isaach de Bankolé, dans une nouvelle « solitude dans les champs de coton »


ARTICLE : LE MONDE

Entretien avec Isaach de Bankolé, acteur
« Je suis plus détaché que les acteurs afro-américains », propos recueillis par Thomas Sotinel
Article paru dans l’édition du 18.05.05

Il a joué pour Patrice Chéreau, Claire Denis et Jim Jarmusch. A 46 ans, il s’apprête à tourner Miami Vice, sous la direction de Michael Mann. On ne voit Isaach de Bankolé que de temps en temps, mais ses apparitions laissent des traces. Dans Manderlay, il est Timothy, l’esclave impérieux et séducteur.

Que saviez-vous du projet quand vous avez accepté le rôle ?

La productrice, Vibeke Vindelov, m’a appelé. J’avais été bluffé par la méthode et le traitement de Dogville. Quand on m’a proposé de travailler avec Lars, ça m’a fait quelque chose au coeur. J’ai trouvé l’écriture assez subtile, ce n’était pas une prise de position, plutôt un état des lieux.

Vous ne vous êtes pas posé de questions en lisant le scénario ?

Si. La première partie était très crue dans l’énumération et l’utilisation des stéréotypes. Ça m’a mis dans une position inconfortable. Je voulais savoir où il voulait en venir. Dans la deuxième partie, j’ai commencé à voir le basculement, les esclaves qui jouaient le jeu du maître et le maître qui faisait croire qu’il comprenait leur jeu. Chacun est dans un double langage.

Avez-vous beaucoup discuté avec Lars von Trier ?

Le deuxième jour, nous avons tourné une scène pendant laquelle Grace vient dans la chambre de Flora et y trouve Timothy. Je n’étais pas satisfait, je lui ai écrit un mot. Le lendemain, il m’a dit : « Ne t’inquiète pas, je suis monteur. » Je lui ai répondu que je connaissais ses qualités de monteur, mais que c’était l’essence même du personnage qui était fausse dans cette scène. On l’a refaite l’après-midi suivant.

Est-ce que vous voyez les choses du même point de vue que les acteurs afro-américains de Manderlay ?

Non, c’est différent. J’ai l’impression d’être plus détaché que les acteurs afro-américains. Ce n’est pas parce que mes ancêtres n’ont pas subi l’esclavage. Mais si j’ai un problème avec un Blanc, c’est avec l’homme. Là-bas, ce n’est pas la même chose. Il y a une sorte de duperie entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis. C’est peut-être pour ça que je n’ai pas beaucoup d’amis noirs américains. Danny Glover m’a dit : « Toi, au moins, ton personnage s’en sort. » Alors que le sien est enfermé. C’est même lui qui tient les clés de la plantation.

Ne trouvez-vous pas curieux que ce soit un cinéaste qui vient d’un pays sans liens avec l’Afrique qui fasse ce film ?

Sans doute le fallait-il pour avoir ce regard dépourvu de subjectivité. Je me souviens qu’il m’a fallu partir d’Afrique – Isaach de Bankolé est né en Côte d’Ivoire – pour mieux voir l’Afrique.

Ce film ne va-t-il pas susciter des incompréhensions ?

J’ai plutôt peur qu’on ne réagisse pas. C’est ce qui m’apporterait de l’amertume. Comme disait Lars lors de la conférence de presse, « toute réaction est la bienvenue ». Si on réagit à une question qui a déjà été posée des milliers de fois, c’est qu’elle est posée de manière différente.

L’ÉMOI ROIDI

C’est bon de rire… parfois

Bon le jeu de mots est stupide, mais même les Cahiers du Cinéma titrent la sortie DVD du premier « King Kong » : « Le roi des Kongs », on peut donc se lâcher. Imaginez Ed Wood tournant avec Marlon Brando, James Stewart, Marlene Dietrich…, ou Emile Couzinet avec des décors signés Alexandre Trauner, vous me direz que c’est de la science fiction. Si vous avez vu le carnage de cette nouvelle version des « Rois Maudits », vous savez que Josée Dayan travaille avec des stars et des grands techniciens, donc c’est possible ! Je confiais ICI même une certaine crainte, mais c’est au-delà de tout ce que l’on pouvait prévoir. Au passif de Gérard Depardieu, on gardera le fait d’avoir monté au pinacle, l’une des pires tâcheronnes de la télévision. Elle tourne vite, très vite, notre Gégé national est las, c’est donc idéal, il exploite une belle idée de François Truffaut de faire revivre les grandes oeuvres à la télé pour mieux la dévoyer.

La bougresse est reconnaissante, ne manquant jamais de le saluer… Le résultat peut être parfois très plaisant, comme dans « Le comte de Monte Christo » sur TF1. Le frêle Guillaume Depardieu entre en prison dans le château d’If, ligne haricot vert, il en ressort sous la forme de son père bedonnant, rasé de frais, et le teint exposé sous UV ! Tordant, en prime dans l’adaptation de Didier Decoin, notre bon comte finit pas ne plus vouloir se venger à la fin, fatigué d’autant de bouffonnerie ? Merci à Gérard qui a gardé un esprit chef de bande, toujours une connerie à faire, il entraîne même la digne Catherine Deneuve à user – excusez du peu – de banqueroute, abus de bien sociaux et de blanchiment en la faisant accepter jusqu’à 40 000€ pour participer au lancement de Khalifa TV, du décrié homme d’affaire algérien. « Depardiou International Star » est la mauvaise conscience du cinéma français et l’un de ses pire avatar est donc notre bonne Josée qui a usurpé une place dans les médias français. Elle persiste même sur le « Service Public ».  Outre Catherine Deneuve, les stars suivent John Malkhovich, Jeanne Moreau, Asia Argento suivent et donnent allégrement leur caution à l’humoriste. La supercherie à pris, la réalisatrice pose comme si elle était Orson Welles et personne n’ose bouger les oreilles. Par exemple Stéphane Bern l’accueille avec déférence à la radio « Les fous du roi » sur France Inter, un chroniqueur ose à peine prononcer une critique avant de déclancher le courroux de la dame, on croit rêver…

Gérard Depardieu, ou la panique d’un comédien devant son texte qui brûle…

Le signe que notre Gégé national ne prend pas très au sérieux notre réalisatrice « précoce » est qu’il nous livre ici une de ses pires interprétation depuis très longtemps en Jacques de Molay, chef templier. On le voit bien chercher ici ou là son texte que l’on imagine affiché un peu partout, regarder d’un air complètement hagard son congénère brûler, avant de vociférer la célèbre malédiction – invention non historique de Maurice Druon – d’ailleurs -. Il faut le voir brûler et en prime voir son fils Guillaume qui joue Louis X le Hutin, se réjouir comme un benêt, souhaitons que ça ne soit pas une perversité de plus, quand on connaît les relations entre les deux hommes…

Malheur à vous si comme moi vous avez vu la version de 1972 de Claude Barma (avec les inoubliables Jean Piat, Hélène Duc, André Falcon, Louis Seigner…), car c’est ici un naufrage redoutable, ça ne décolle jamais. Jetons un voile pudique sur les comédiens, qui l’on comprend bien doivent veiller à ne pas se fracasser la tête dans les décors que l’on devine pas très stable -. Il est peut être plus difficile de tenir debout que d’avoir un semblant de performance sous l’égide de notre « Speedy Gonzales ». D’excellents comédiens font ce qu’ils peuvent pour avoir l’air éveillé. On peut les diviser en plusieurs catégories d’ailleurs.

– Les désespérés combatifs :il font se qu’ils peuvent pour animer l’ensemble – en désespoir de cause ? -, Hélène Fillières en digne reine de Bourgogne, Jean-Claude Drouot en Enguerrrand de Marigny, Philippe Torreton – pas très aidé – ayant la dure tâche de succéder à Jean Piat, Éric Ruf en Philippe de Poitiers, changeant avec le pouvoir, Jérôme Anger en inquisiteur, Daniel Emilfork – connu pour sa rareté et son exigence pourtant – en astrologue.

– les apathiques : Tcheky Karyo ectoplasmique Philippe Le Bel, – alors qu’il était un superbe « Vautrin » dans « Le père Goriot » signé Jean-Daniel Verhaeghe -, Jean-Claude Brialy en Hugues de Bouville – impossible d’oublier la subtile performance d’André Luguet, dans la version Barma -, déguisé en Orangina Rouge, le méchant joué par Maurice Lamy -, Julie Gayet qui n’a retenu de son personnage d’Isabelle de France que sa raideur, Patrick Bouchitey, Bruno Todeschini etc…

– Les goguenards : devant le désastre ils semblent avoir pris le parti-pris de s’en amuser, Jeanne Balibar pas très à l’aise avec le texte d‘époque, Jacques Spiesser ludique Charles de Valois, Claude Rich – mais impossible d’oublier Henri Virlojeux malicieux et calculateur dans le même rôle – en futur pape, Hélène Vincent et même Hélène Duc, première – inoubliable – Mahaut d’Artois en Mme Brialy.

– Les hautement improbables : les trois Depardieu, Line Renaud, Lucas Barbareschi en usurier Tolomeï – co-prod oblige – pathétiquement doublé par Jean-Marie Winling, après Louis Seigner la chute est rude -, quelques Roumains, c’est plus « cheap »…

Jeanne Moreau

Et la seule personne à tirer son épingle du jeu est Jeanne Moreau, exemplaire Mahaut d’Artois, fine mouche a dû préparer seule et en amont son rôle, calculatrice, froide, elle écrase tout les autres comédiens de sa superbe, et saluons-là bien bas car il lui fallait beaucoup d’intelligence pour être magnifique dans cette comique aventure.

Quand à l’adaptation très digeste – 5 épisodes ici, pour 7 romans -, elle ne se résigne qu’à n’utiliser que les temps forts de la précédente adaptation de Marcel Jullian, amusez vous à comparer les deux c’est probant. Maurice Druon signe les dialogues en devant penser écrire le remake de « Prends l’oseille et tire-toi » ! Les fabuleux décors de Philippe Druillet sont tellement bien utilisés, – chapeau bas pour l’éclairagiste en chef ! – que l’on s’attend – au mieux – à voir apparaître Christophe Lambert dans une de ses séries Z chéries, au pire à s’entendre annoncer le César du meilleur second rôle.

Le carton pâte est ici roi, la bande-son inappropriée voulant rajouter de la profondeur et le musicien Bruno Coulais fait ce qu’il peut pour palier aux manques de la mise en scène. Sans oublier le cache misère constitué par les costumes de Mimi Lempicka. Elle peut se vanter de tourner jusqu’à 24 mn utiles par jour pour un résultat pareil. La version 72 est disponible en DVD, que l’on peut la qualifier de chef d’oeuvre, avait eu une année de préparation, pour 70 jours de tournage ici. On veut nous faire croire ici au grandiose de l’ensemble, l’idée étant de se démarquer de l’économie imposée par l’O.R.T.F. au début des années 70 – tournage vidéo, toiles de tulles, décors amovibles -. Mais ces contraintes a donné au décorateur Maurice Valley de formidables idées et une stylisation forte mettant en valeur des comédiens formidables même si non starifiés comme ici (Michel Beaune, Jean Deschamps, Géneviève Casile, etc…). Et c’est l’évènement tant attendu… Emmanuelle Bouchez – grande, très grande est la tentation de faire un jeu de mots -. en fait même l’éloge à plusieurs reprises dans « Télérama », je ne sais pas à quoi elle carbure, mais donnez-moi la même chose car ça a l’air euphorisant…

Mme Dayan continuez à tourner cheap en cassant les marchés vous garderez une bonne place dans cette société marchande de dupes. On ne peut finalement que la saluer pour hisser la fumisterie au niveau des beaux arts, c’est une performance digne de ce nom. Cerise sur le gâteau, rendons hommage à l’humanisme de Josée Dayan, toujours prête à aider une petite jeune dans l’adversité, en confiant le rôle de la reine Philippa à la jeune Marie de Villepin – fille du désormais Premier Ministre – avec nos deniers bien sûr histoire de nous régaler d’une dernière petite perfidie. On attend donc avec impatience la nouvelle version dayanisée de « Milady » avec Arielle Dombasle et Florent Pagny, belle promesse en perspective, et sur France 2 toujours, merci à feu Marc Tessier !

RETOUR A ELIZABETHTOWN

Pour son beau livre d’entretiens « Conversations avec Billy Wilder »,  un régal édité aux éditions « Actes Sud », on est tenté de laisser son côté scrogneugneu, mais Cameron Crowe continue sur son sillon pachydermique après le calamiteux « Vanilla Sky », poussif remake de « Ouvre les yeux » d’Alejandro Amenabar, film inventif. Il lui manque sans doute un producteur pour canaliser son côté dispersé, mais force est de constater qu’il n’a pas retenu grand chose de sa rencontre avec le grand metteur en scène. Ca débute sur une apologie du chaos, ou une allégorie de la « tatane » c’est selon, le designer Drew Baylor – Orlando Bloom, probant, adoptant certaines attitudes d’un Anthony Perkins – ayant dessiné un modèle de chaussure inadéquat entraînant une perte sèche d’un milliard de dollars. La nouvelle de cet échec, fera la une des journaux économiques, créant une sorte d’apocalypse, rabattant ainsi le caquet d’un petit « yuppie » arrogant.  Son entreprise risque d’ailleurs de ne pas s’en remettre. Ne sachant pas comment réagir à cette annonce, trop énorme pour son investissement. Il songe à un suicide pour le moins original, avant de recevoir la nouvelle de la mort de son père. Il est seul chargé seul, par sa sœur et sa mère désemparées, des obsèques avec la famille de la maison natale paternelle dans le Kentucky… Le film se veut très profond, du travail du deuil – la petite famille le surveillant pour savoir s’il a bien réalisé la mort de son père -, l’exaltation d’un nouvel amour – avec la charmante. Et il nous ressort l’éternel cliché de la rencontre tardive avec son père après la mort de ce dernier. Il nous surcharge, hélas la moindre de ses trouvailles – les derniers regards, les interminables conversations lors d’un flirt amoureux, la cassette pour enfants turbulents, le carnet de route, répétés à l’envie.

Susan Sarandon, Judy Greer & Orlando Bloom

On a du mal à croire avec ses personnages, dont les liens familiaux sont assez mal dessinés. On pense à « Garden State », Cameron Crowe a un sens indéniable du casting – acteurs dans l’air du temps -, de la musique – excellente B.O., et une petite observation des petites communautés – une famille de l’Amérique profonde, le monde du travail -. Mais il se disperse, il reprend l’idée de Wim Wenders de mettre une ceinture de sécurité à une urne funéraire – idée piquée à Wim Wenders, pour son « Don’t come knocking », pour un long trajet en voiture, malgré de bons moments, l’œuvre paraît assez vaine. Restent les comédiens la fraîcheur de Kirsten Dunst – publicité vivante pour stomatologue -, très à l’aise dans la comédie en hôtesse de l’air volubile, Susan Sarandon qui est superbe dans un rôle caricatural, en mère qui tente de combler le vide de son veuvage, en multipliant les activités, Bruce Mac Gill, essentiel second couteau en ami de la famille, sympathique mais magouilleur, ou Alec Baldwin, PDG décalé et pleurant, autant de morceaux de bravoures largement délayés. Le réalisateur semble trop conscient de son talent pour se remettre en question. Après une dernière virée initiatique, on est heureux de retrouver le chemin de la sortie, de ce film accusant la pente descente de ce pourtant méritoire metteur en scène.