Changement de ton dans l’œuvre de Robert Guédiguian, avec ce « Voyage en Arménie », sur le thème du retour aux sources, après la rupture du film « Le promeneur du champ de Mars », magnifié par la superbe interprétation de Michel Bouquet. Robert Guédiguian quitte le quartier de l’Estaque, pour un voyage initiatique autour du thème des origines. Il s’adjoint au scénario Ariane Ascaride et la romancière Marie Desplechin. Ariane Ascaride dans le rôle d’Anna, rayonne dans ce rôle très fort. Déplorons sa sous-utilisation ces derniers temps, son statut d’égérie de Robert Guédiguian, semblant freiner les autres metteurs en scène. Anna cardilogue réputée de Marseille, examine son père Barsam, malade du cœur – joué avec malice par Marcel Bluwal, compagnon de longue route des Guédiguian -. Barsam, buté et déterminé, qui a jadis fait souffrir la mère d’Anna par son tempérament, décide de disparaître pour éviter une opération qui est pourtant de toute urgence. Anna peste contre lui, et se rend avec son mari – le fidèle Jean-Pierre Darroussin, dans un petit rôle -, dans la maison paternelle. Il y a des indices flagrants, trop visibles pour ne pas être une invitation à le rechercher, de son départ en Arménie. Il est parti dans les hautes montagnes du Caucase, lieu de ses origines. Anna ignore totalement ses racines, alors que sa fille – jouée par sa propre fille Madeleine – renoue avec la tradition en faisant de la danse folklorique. Elle décide donc de partir le retrouver, sur la base d’une vieille photo. La petite communauté des Arméniens de Marseille, recommande à Anna, de se faire accompagner par un homme d’affaires assez retord, Sarkis Arabian, – Simon Abkarian, apportant une ambiguïté à son personnage, et comédien toujours aussi probant -. Arrivée en Arménie, Anna est finalement livrée à elle-même, elle finit par accepter de suivre le vieux Manouk – formidable présence de Romen Avinian, qui se propose comme chevalier servant avec sa petite voiture. Elle va faire plusieurs rencontres dans son périple, de la jeune Schaké – épatante Chorik Grigorian -, jeune coiffeuse débrouillarde, Yervanth – Gérard Meylan très crédible dans la veine picaresque – ancien petit truand en exil français qui est devenu une figure locale -, Simon – Jalil Lespert, convaincant – jeune médecin sans frontières assez désabusé, ou Vanig – étonnant Serge Avedikian -, ancien militaire. Tous vont apporter une aide pour qu’elle puisse retrouver son père, même si Anna se trouve mêlée dans quelques déboires, en raison de petits trafics de Sarkis. Le regard d’Anna suite à ce séjour d’Erevan, va ébranler ses certitudes. La générosité de Robert Guédiguian, est toujours présente, il concilie l’humour – la voiture de Manouk tombant en morceaux -, la réflexion sur la perte des illusions politiques – Sarkis parlant du confort d’être communiste quand on vient d’un pays privilégié, face à Anna qui défend ses idées -, le marasme économique de l’Arménie – trafics, débrouillardise, maffia locale, plutôt biens vus etc…-.

Gérard Meylan, Simon Abkarian & Ariane Ascaride

On évite ici le côté office du tourisme, car les paysages sont superbes, pour faire ici preuve de tolérance, de compréhension dans un monde en construction, qui semble échapper à notre petit confort. L’évocation de la notion d’identité est subtile, à l’instar de la vision du « Mont Ararat », regardé avec tendresse par le vieux Manouk qui souhaite qu’il retrouve un jour son identité arménienne. La découverte de ses racines n’est pas ici repli communautaire, mais une manière au contraire de s’ouvrir au monde, de confronter la richesse de cultures différentes. Une petite solidarité finit par naître de personnages aux mentalités différentes. Anna est acceptée très vite par les Arméniens comme l’un des leurs, elle finit par comprendre cette culture – belle métaphore du « berceau du monde chrétien ». Elle s’adapte très vite par la langue, la vie locale, son énergie généreuse et sa capacité à vouloir comprendre un monde inconnu pour elle et pourtant si proche. Robert Guédiguian, prend  son temps, laisse naître les émotions et décrit ses personnages avec une formidable empathie. Ses réflexions sont toujours salutaires de la manière de disposer de sa vie et de sa santé pour le père d’Anna, ou sa vision d’une ancienne république soviétique et ses contradictions. La découverte de son œuvre par « À la vie, à la mort », fut pour moi une formidable rencontre, et la découverte de ses films suivants, et précédents via les DVD, furent pour moi la rencontre avec un univers fort, parfois naïf, mais généreux, enthousiaste, ne sombrant jamais dans la carte postale. D’années en années, le réalisateur confirme la richesse de son œuvre, dans la continuité comme dans la rupture. Il a un regard sincère sur le monde, tout en évitant un sentimentalisme outré. Il a une belle croyance en l’homme avec sa petite troupe qui ne cesse de s’agrandir. Il est important de dire combien ce cinéaste compte dans le cinéma, aussi bien comme artiste que comme homme. Son regard singulier nous manquerait vraiment, s’il n’existait pas…