Initiative intéressante de l’UGC Cité-Viné, en partenariat avec le distributeur « Bodegas Films », de proposer du 2 au 8 août, 5 films estampillés « Bollywood » – où Bombay versus Hollywood -, soit 998 minutes de programme ! Évidemment, rien de plus tentant en période de disette cinématographique entre deux gueules de poulpes et quelques séries B européennes sorties de quelques placards. Par ordre chronologique, sur dix ans on retrouve dans cette série, la star locale au sourire enjoué-enjôleur Shah Rukh Khan. On le retrouve en jeune frimeur « Dilwale Dulhania Le Jayenge » (Aditya Chopra, 1994, inédit), un professeur de musique utopiste dans « Mohabbatein » (Aditya Chopra, 2001, inédit), – en fils chassé par son père pour n’avoir pas accepté un mariage arrangé dans « Kabhi Khushi Kabhie Gham… – La famille indienne » (Karan Johar, 2001), indien charmeur exilé à New-York dans « New-York Masala » (Nikhil Advani, 2003), sauveteur émérite d’Indian Airlines dans « Veer-Zaara » (Yash Chopra, 2004). Très doué dans les scènes dansées, il a aussi un fort potentiel comique. Reste que dans les scènes d’émotions, il est aussi probant, même s’il a tendance à jouer dans la catégorie chargeurs réunis, sanglotant en reprenant les mouvements de têtes d’un petit pigeon dans le désopilant « La famille indienne ». Mais on risque d’ergoter sur une différence de mentalité. On comprend le prestige dont il jouit en Inde, même si sa suprématie indéniable depuis 1990 semble devoir être entamée par l’arrivée de Hrithik Roshan dont on peut apprécier les talents dans « La famille indienne ». On retrouve aussi sur trois films, l’impressionnant Amitabh Bachchan, qui campe des hommes rigoristes tel le directeur de l’université « Mohabbatein » – variante du « Cercle des poètes disparus » -, et le père austère d’une tribue indienne. Il est même assez touchant dans « Veer-Zaare » en fondateur d’un village recueillant des défavorisés qui finit par prendre conscience de l’émancipation de la femme. Il faut le voir aussi avec sa grande stature esquisser des pas de danses ou faire des déclarations à sa fidèle épouse dans les deux derniers titres cités. On se familiarise avec ces comédiens idoles, comme la charmante Kajol, qui a la faculté d’émettre des sons qui vous vrillent les tympans si la bande-son est trop forte, ou Jaha Baduri – « La famille indienne », « New-York Masala » -, personnification de la mère indienne. Et il y a surtout l’ineffable Amrish Puri – père intraitable dans « Dilwale Dulhania Le Jayenge » – et général ganache dans « Mahabbatein » -, mort en 2005, qui quand il fait les gros yeux par temps de grosse contrariété, déclenche les fous rires. Il est encore plus fort que Marty Feldman et son célèbre strabisme, qui lui au moins tablait dans l’humour volontaire… Il n’y a que très peu de réalisme, les personnages viennent souvent de milieux privilégiés, sont des fashions victimes, arborent ostensiblement des vêtements de marques. 0n peut constater une certaine occidentalisation, ou est-ce un appel du pied envers le public international.
Shah Rukh Khan, Kajol, Amitabh Bachchan, Jaha Baduri, Kareena Kapoor & Hrithik Roshan, dans « La famille indienne ».
Les personnages voyagent – la Suisse -, où s’exile – L’Angleterre, les États-Unis -. C’est une vision dorée d’un petit monde échappé de l’œuvre de Delly. Nous sommes dans la grande tradition mélodramatique, feuilletonesque, entre la niaiserie d’un Claude Lelouch et le sentimentalisme du soap opéra télévisuel. Pathos s’en faut, effet gondolable garantie. Il y a des figures imposées dans ces amours assez chastes en Cinémascope. On retrouve donc des couples mal assortis qui ne se supportent pas de prime abord,des numéros musicaux dans des tenues chatoyantes, un certain érotisme mouillé – la pluie a un rôle prépondérant -, et les yeux rouges sont de rigueurs. Évidemment, il est difficile de se départir de son petit regard condescendant de petit franchouillard moyen. Mais les yeux des comédiens sont souvent embués voir rouge vif façon lapin russe. C’est donc la vallée des pleurs, nous finissons aussi par les suivre… mais en pleurant de rire, comme dans le plus mal goupillé et le plus rocambolesque, « La famille indienne ». Ce « classique » filmé de manière pataude par un certain Karan Johar qui ne renâcle pas à bâcler son film, a des effets outrés – l’orage grondant lors de fortes tensions, idée reprise dans « Mohabbatein », post-synchronisation approximative -. C’est aussi celui auquel on rit le plus dans ce royaume des courants d’air. Les histoires répondent toujours aux même stéréotypes, les grandes amours contrariées de jeunes gens face à leurs aînés respectant les traditions familiales avec une grande rigueur, et finissant par s’humaniser invariablement à la fin du film. Les personnages sont attachants, comme les femmes âgées résignées mais qui sont les premières à comprendre la détresse des jeunes gens. Il y a aussi des trouvailles, comme celle des bijoux qui s’accrochent aux vêtements quand les protagonistes veulent s’éloigner le temps d’une danse, où le père qui félicite son fils d’avoir raté ces études à Harvard, perpétuant ainsi la grande tradition de ratage d’examen des aînés dans « Dilwale Dulhania Le Jayenge ». Le happy-end est aussi de rigueur – sauf « New-York Masala » -… Mais il faut bien convenir que cette overdose de rose a son petit effet galvanisant. Trêve de sarcasmes, malgré un gros budget glycérine et ventilateur, il y a un indéniable savoir-faire. Il y a un message régulier de tolérance, surtout dans « Veer-Zaara », à mon avis le plus convaincant, sous toile de fond des conflits entre l’Inde et le Pakistan. Les héros s’ingénient parfois à faire le bonheur autour d’eux en sacrifiant volontiers les petits intérêts personnels. Quant à la fameuse durée, il est curieux de constater que passer un certain cap, l’attention ne se relâche que très peu. Un souffle assez unique est à souligner dans ces 5 films. On ne sait finalement si les 200 films annuels produits en Inde ont cette même qualité. J’ai même eu l’agréable surprise de constater que j’avais moins de scènes ennuyeuses à déplorer dans presque 17 heures de films que dans les 150 minutes des « Pirates des Caraïbes – Le secret du coffre maudit ». Ces films ont un charme fou, et sont particulièrement bienvenus en pleine apathie aoûtienne… On en redemande…