On était curieux de retrouver Michele Soavi, perdu dans les limbes de la télévision italienne, depuis son dernier film, l’iconoclaste « Dellamorte Dellamore », avec Rupert Everett et François Hadji-Lazaro et son célèbre « gnâ ! »», datant de 12 ans déjà. Il s’était un peu perdu dans les limbes de la télévision italienne, mais on retrouve ici sa patte de petit maître maniériste qu’il avait dans de petits films d’horreurs originaux comme « La setta », avec Herbert Lom et surtout « Bloody Bird », où un tueur portait un curieux masque de hibou. De bons souvenirs dans quelques soirées câblées désœuvrées, ce type de film revenant souvent dans la programmation. On retrouve Alessio Boni, inoubliable interprète de « Nos meilleures années » film fleuve de Marco Tullio Giordana -, où il avait un personnage beaucoup plus sensible ici que ce personnage de Giorgio Pellegrini ancien révolutionnaire devenu nihiliste dans cette adaptation d’un roman de Massimo Carlotto. On le découvre au milieu de guérilleros armés jusqu’aux dents, avec une barbe « cheguevarresque ». Dans ce recoin oublié de l’Amérique Latine, il trompe son ennui en jouant avec les perspectives en ouvrant et fermant un œil, à la vue d’un crocodile fonçant sur un cadavre. Dégoûté d’avoir dû répondre à un ordre imbécile, il décide de fuir cette vie d’activiste. De retour en Europe, il va tenter, en se transformant en maître chanteur, de soutirer de l’argent à l’un des ses anciens compagnons, ancien communiste reconverti dans le polar. Son but final est finalement d’aboutir à une réhabilitation, pour enfin refaire sa vie, après une peine de prison symbolique. Giorgio va comprendre que seul la violence peut l’amener à ses fins. Il est conforté dans cette idée avec sa rencontre avec un flic ripoux d’anthologie nommé Anedda – Michele Placido impressionnant -. Opportuniste, Giorgio va se servir de son expérience passée, pour organiser des casses avec la complicité du policier. Même si on pense au « Romanzo criminale » de Placido, vu cette année, ce film n’est en rien une réflexion politique. C’est plutôt dans la tradition du film noir, du « Poliziotteschi » italien, genre qui avait eu son heure de gloire dans le cinéma italien des années 70, et reconsidéré ces derniers temps par la sortie DVD de trois d’entre eux « Rue de la violence » , « La rançon de la peur » et « Brigade spéciale » sortis chez Neo Publishing.
Michele Placido & Alessio Boni
C’est un genre violent, où les policiers franchissent allégrement la légalité pour arriver à leurs fins. Ici il n’y a finalement aucune psychologie dans le personnage de Giorgio, juste une sorte de traumatisme originel dans un attentat qui avait fait une imprévisible victime innocente, ce qui nous vaut une très belle scène poético-macabre à la vision d’un arbre sanglant. Giorgio n’a plus d’illusions, ni d’états d’âmes, arriviste dans l’âme, il se sert de petites crapules apatrides pour voler de l’argent, participe aux compromissions politiques avec un art consommé. Rentrant comme homme de main dans une boîte de nuit, et se servant de sa belle gueule avec une rouerie assumée, pour séduire une femme riche – Isabelle Ferrari, qui montre ici une gravité inattendue -, où organiser de petits trafics… Si la mise en scène de Michele Soavi, semble plus sage qu’au paravent, il ne résiste pas à certaines virtuosités. Il y a des citations d’autres œuvres – une célèbre scène du « Soupçons » d’Hitchcock, sans vouloir déflorer le film par exemple -. On sent qu’il prend un plaisir évident avec ce monstre froid, même s’il se complait dans une noirceur évidente mais avec une certaine stylisation et un humour noir assez salvateur. Seule la jeune Roberta – révélation d’une belle sensibilité : Alina Nadela – apporte un souffle d’air frais dans un monde cynique et impitoyable en attendant un climax final particulièrement suffocant. Mais elle ne va servir qu’à une caution de moralité lorsqu’elle rencontre Giorgio. L’immoralité de l’ensemble tranche singulièrement avec la moyenne du cinéma actuelle. Alessio Boni campe ce personnage avec conviction et ambiguïté, et sa confrontation avec Michele Placido passé bien au-delà de la corruption est très réussie. Un film qui ne laisse personne indifférents, qui distille une ambiance torve particulièrement singulière, dans ce jeu de massacre des archétypes du policier.