Skip to main content

Fragments d’un dictionnaire amoureux : Éric Naggar

 Éric Naggar dans "Sur le fil", épisode "V.M.A."Éric Naggar dans « Sur le fil », épisode « V.M.A. »

Après des véritables débuts tardifs à l’aube des années 2000, il est devenu l’un des comédiens français les plus utilisés du moment. Il avait débuté comme scénariste, et fut auteur de théâtre avec « L’étrangleur s’excite » – dont une captation fut diffusée en 1982 sur France 2 -, pièce d’humour noir saluée à l’époque par François Truffaut, où un étrangleur est manipulé par un psychiatre avec Jean-Pierre Marielle, Richard Anconina et Bernard Le Coq et en 1988 avec « La femme à contre jour » avec Jean Rochefort.

On le remarque de prime abord dans « Les bronzés 3», face à Gérard Jugnot, effaré de découvrir le coming out de son fils – joué par Arthur Jugnot -, voulant vivre avec son comptable assez terne, l’occasion de découvrir un comédien sidérant. Quelle que soit la durée de son rôle, il est capable de faire exister son personnage, d’un des « bœufs-carottes » cinglant dans « Gardiens de nuit », en chauffeur obséquieux de Nicolas Marié, se souciant des dangers de la poésie dans « Micmacs à tire-larigot » , en éditeur pressé et dévoué dans « Adèle Blanc-Sec », ou en curieux personnage faisant des analyses de nuit dans « La sainte victoire ». Il vole même la vedette à un Eric Judor survolté dans « Hallal police d’état », en professeur chimérique faisant le bilan des effets post-traumatiques d’une gifle musclée.

Il est aussi convaincant en bigleux timide dans « Mon meilleur ami », qu’en avocat minable dans « Ne le dis à personne », en politique d’extrême droite capable d’haranguer les foules avec des idées racistes dans « Faubourg 36 » ou en procureur conformiste n’aimant pas la contradiction dans la série « Sur le fil ». Il faut dire qu’il est extrêmement à l’aise dans les rôles de composition, tel le rabbin jovial et hospitalier dans « Tellement proches », l’alcoolique allemand qui a des problèmes familiaux dans « Le dernier pour la route », ou le noble déclassé fourbu et féru de serrurerie dans « Les diamants de la victoire ».

On le voit souvent dans des personnages odieux cachés sous un aspect guindé voire compassé. Il est souvent retord,  en producteur véreux dans « Alive », en chef survolté de vigiles de supermarché dans « Les mythos », ou en avocat intransigeant dans « Toutes nos envies », peu compréhensif envers une personne endettée. Il est aussi un maire prêt à tous les compromis et toutes les bassesses dans « Camping 2 », oubliant ses concitoyens, en fausse victime et vrai escroc dans un épisode de « Central Nuit », ou un parfumeur recevant de manière parfaitement condescendante la timide Isabelle Carré dans « Les émotifs anonymes ».

Il arrive à donner une folie et une démesure au moindre de ses rôles, à l’instar de « Pédale dure », où il se livre à une véritable quête existentielle… manger du carpaccio lors d’une party huppée ! Un running gag qui aurait pu être assez vain et qui prend une dimension étonnante grâce à lui. Il réussit à être un banquier encore plus cynique que le personnage joué par Philippe Magnan dans « Erreur de la banque en votre faveur », avant de reconnaître, grand seigneur, qu’il s’est fait doubler avec brio par Gérard Lanvin. Il campe un réceptionniste carrément fielleux dans « Holiday », où son langage de charretier fait merveille, restant pourtant digne selon l’usage de son emploi, on retrouve dans un son œil un plaisir évident à faire valdinguer les conventions.

Il est très à l’aise dans le mélange des genres, en scientifique enquêteur soignant Julie Depardieu d’une pathologie « fantastique » dans « La femme invisible ». Il excelle en premier ministre mi-empathique envers son prochain, mi-cynique devant les rouages du pouvoir dans « L’exercice du pouvoir ». On le retrouve face à Catherine Frot à deux reprises : il joue son mari indifférent plus prompt à s’occuper d’art que de sa femme, et qui ne communique essentiellement qu’à distance dans « Bowling » et un médecin suisse allemand survolté admiratif de sa poitrine dans « Associés contre le crime », dire de son personnage qu’il serait agité serait d’ailleurs un doux euphémisme.

Ses personnages œuvrent parfois dans la finance comme le banquier goguenard de Richard Anconina et Patrick Timsit dans « Stars 80 ». S’il reste intraitable quand il s’agit d’argent, il s’avère plus déluré en se révélant fan de la pulpeuse Sabrina Salerno. Il est aussi un financier, spécialiste de la « brunisation » (sic) de l’argent dans « Le capital », qui affirme ne servir que les intérêts de ses clients….

On l’aurait vu volontiers côtoyer les grands excentriques du cinéma français comme Jean Tissier, Noël Roquevert ou Pierre Larquey, s’il était né quelques années plus tôt. Il rejoint désormais cette grande catégorie des voleurs de scènes, ce qui est plutôt rare ces dernières années.

Photo source Citea

Filmographie

1981  Neige (Juliet Berto & Jean-Henri Roger) – Il faut tuer Birgitt Haas (Laurent Heynemann) – 1982  L’indiscrétion (Pierre Lary) – 2000  Le vélo de Ghislain Lambert (Philippe Harel) – 2001  Taxi 3 (Taxi 3 (Gérard Krawczyk) – 2002  Mon idole (Guillaume Canet, + co-scénariste) – 2003  Le grand rôle (Steve Suissa) – Alive (Frédéric Berthe) – 2004  Pédale dure (Gabriel Aghion) – Le plus beau jour de ma vie (Julie Lipinski) – Tu vas rire mais je te quitte (Philippe Harel) – Le démon de midi (Marie-Pascale Osterrieth) – L’enfer (Danis Tanovic) – 2005  Les bronzés 3 – Amis pour la vie (Patrice Leconte) – Un ticket pour l’espace (Éric Lartigau) – L’entente cordiale (Vincent de Brus) – Les aristos (Charlotte de Turckheim) – Ne le dis à personne (Guillaume Canet) – 2006  Bobby : RFK 37 (Rob Alvarado et Adam Lukeman, CM) – Mon colonel (Laurent Herbiet) – Mon meilleur ami (Patrice Leconte) – Madame Irma (Didier Bourdon & Yves Fajnberg) – Le serpent (Éric Barbier) – Mr. Bean’s holiday (Les vacances de Mr. Bean) (Steve Bendelack) – Rush Hour 3 (Id) (Brett Ratner) – 2007  13 ans (Rudi Rosenberg, CM) – Nos 18 ans (Frédéric Berthe) – Faubourg 36 (Christophe Barratier) – Modern love (Stéphane Kazandjian) – Les enfants de Timpelbach (Nicolas Bary) – 2008  Envoyés très spéciaux (Frédéric Auburgin) – La femme invisible (d’après une histoire vraie) (Agathe Teyssier) – Erreur de la banque en votre faveur (Michel Munz et Gérard Bitton) – Tellement proches (Éric Toledano & Olivier Nakache) – Le dernier pour la route (Philippe Godeau) – Micmacs à tire-larigot (Jean-Pierre Jeunet) – La sainte victoire (François Favrat) – R.T.T. (Frédéric Berthe) – 2009  Trésor (Claude Berri & François Dupeyron) – Coursier (Hervé Renoh) – Gardiens de l’ordre (Nicolas Boukhrief) – Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec (Luc Besson) – Camping 2 (Fabien Onteniente) – Les petits mouchoirs (Guillaume Canet, rôle coupé au montage) – Les émotifs anonymes (Jean-Pierre Améris) – 2010  Holiday (Guillaume Nicloux) – Omar m’a tuer (Roschdy Zem) – Hallal police d’état (Rachid Dhibou) – La permission de minuit (Delphine Gleize) – Mon père est femme de ménage (Saphia Azzedine) – Les mythos (Denis Tybaud) – L’exercice d’état (Pierre Schoeller) – Toutes nos envies (Philippe Lioret) – 2011  Associés contre le crime (Pascal Thomas) – La nouvelle guerre des boutons (Christophe Barratier) – Bowling (Marie-Castille Mention-Schaar) – Ma bonne étoile (Anne Fassio) – 2012  Capital (Costa-Gavras) – Stars 80 (Frédéric Forestier) – Les profs (Pierre-François Martin-Laval) – Je fais le mort (Philippe Hagège) – 2013  Three days to kill (McG) – 96 heures (Frédéric Schoendoerffer) – L’enquête (Vincent Garenq) – 2014  419  (Éric Bartonio) – Valentin, Valentin (Pascal Thomas) – Papa ou maman (Martin Bourboulon) – Ange et Gabrielle (Anne Giaferri) – 2015  Arrête ton cinéma (Diane Kurys) – 2016  Star 80 – La suite (Frédéric Auburtin et Thomas Langmann) – Comme des garçons (Julien Allard) – 2017  Love adict (Franck Bellocq) – Neuilly sa mère, sa mère (Gabriel Julien-Lafferière et Djamel Bensallah) – J’ai perdu Albert (Didier Van Cauwelaert) – 2018  Selfie [épisode « Smileaks »] (Vianney Lebasque) – Belle-fille (Méliane Marcaggi) – 2022 Baby blueseuses (Johanna Menuteau, CM) – Daaaaaali ! (Quentin Dupieux) – 2024 Paradis films (Marjane Satrapi).

Télévision (notamment)

1982  Le Diable s’en va-t-en fête (Christine Lipinska, CM) – 1985  D’amour et d’eau chaude (Jean-Luc Trotignon) – 2000  Divorce (Pascal Heylbroeck et Olivier Guignard, série, CM) – 2001  Jalousie (Marco Pauly) – 2002  Les cours du soir (Michaël Perrota) – PJ : Gang de filles (Brigitte Coscas) – Avocats & associés (La grande muette) (Christian Bonnet) – Si j’étais lui (Philippe Triboit) – 2003  Blague à part : Bloc op – Hep’ taxi (Frédéric Berthe, un épisode) – Le Camarguais : Paddy (Patrick Volson) – Les Cordier, juge et flic : Cours du soir (Michaël Perrotta) – Sex and the city : An American Girl in Paris: Part 1 (Timothy Van Patten) – Péril imminent : Mortel chahut (Arnaud Sélignac)  – 2005  Le grand patron : Édition spéciale (Christian Bonnet) – Avocats et associés : Les ciseaux (Pascal Martineau) – 2006  Alice Nevers – Le juge est une femme : La loi du marché (Joyce Buñuel) – Président Ferrare – Je hais les parents (Didier Bivel) – L’état de Grace (Pascal Chaumeil, série TV) – Monsieur Max (Gabriel Aghion) – Sur le fil (Frédéric Berthe, saison 1) – 2008  Boulevard du Palais – Central nuit : Cauchemars (Olivier Barma) – Julie Lescaut : Julie à Paris (Éric Summer) – La vie à une (Frédéric Auburtin) – Le septième juré (Édouard Niermans) – Le malade imaginaire (Christian de Chalonge) – 2009  Duel en ville (Pascal Chaumeil, série TV) – Les petits meurtres d’Agatha Christie : La maison du péril (Éric Woreth) – Beauté fatale (Claude-Michel Rome) – Le bourgeois gentilhomme (Christian de Chalonge) – Entre deux eaux (Michaëla Watteaux) – Reporters (Gilles Bannier, saison 2) – La marquise des ombres (Édouard Niermans) – La loi selon Bartoli (François Velle) – Sur le fil (Frédéric Berthe, saison 3) – Engrenages (Jean-Marc Brondolo, saison 3) – Ce jour-là, tout a changé : L’appel du 18 juin (Félix Olivier) – La peau de chagrin (Alain Berliner) – Les diamants de la victoire (Vincent Monnet) – La pire semaine de ma vie (Frédéric Auburtin) – La loi selon Bartoli (épisode 2) (François Velle) – Amoureuse (Nicolas Herdt) – Mission sacrée (Daniel Vigne) – La loi selon Bartoldi (épisode 3) (Charlotte Brandström) – Tout est bon dans le cochon (David Delrieux) – 2011  Clash : Hugo, le mérite d’être clair (Pascal Lahmani) – Le bonheur des Dupré (Bruno Chiche) – Les voies impénétrables (Noémie Saglio & Maxime Govare) – L’innocent (Pierre Boutron) – 2012  Zak (Arthur Bezaquen & Denis Thybaud, série) – Opération hirondelle (Bruno Le Jean) – La méthode Claire (Vincent Monnet) – Nom de code : Rose (Arnaud Mercadier) – Un petit bout de France (Bruno Le Jean) – 2013  La déesse aux cent bras (Sylvain Monod) – La rupture (Laurent Heynemann) – Profilage : Un pour tous (Julien Despeaux) – L’esprit de famille (Frédéric Berthe) – Meurtres à Rouen / Meurtres à l’abbaye de Rouen (Christian Bonnet) – Falco : Sacrifices (Jean-Christophe) – Où es-tu maintenant ? (Arnaud Sélignac) – La loi (Christian Faure) – Boulevard du Palais : Une vie au placard (Bruno Garcia) – Boulevard du Palais : Un bien pour un mal (Bruno Garcia) – 2015  La loi de Barbara : Illégitime défense (Didier Le Pêcheur) – Mongeville : Mortelle mélodie (Bruno Garcia) – La vie devant elles (Gabriel Aghion, mini-série) – Pierre Brossolette ou les passagers de la lune (Coline Serreau) – La loi d’Alexandre : Comme des frères (Claude-Michel Rome) – Dix pour cent : Audrey (Antoine Garceau) – Stavisky, l’escroc du siècle (Claude-Michel Rome) – Monsieur Paul (Olivier Schatzky) – Lebowitz contre Lebowitz (Frédéric Berthe, mini-série) – Boulevard du Palais : Mauvaise graine (Jean-Marc Thérin) – Sam (Valérie Guignabodet, mini-série) – 2016  Alice Nevers, le juge est une femme : Ma vie pour la tienne (Éric Le Roux) – 2017  Une famille formidable : Révélations (Miguel Courtois) – 2018  Sam (Gabriel Aghion, mini-série, saison 2) – Tu vivras ma fille (Gabriel Aghion) – HP (Angela Soupe et Sarah Santamaria-Mertens, mini-série, saison 1) – 2019  Pour Sarah (Frédéric Berthe, mini-série) – HP (Angela Soupe et Sarah Santamaria-Mertens, mini-série, saison 2) – 2020  De Gaulle, l’éclat et le secret (François Velle, mini-série) – 2021  Les aventures du jeune Voltaire (Alain Tasma, mini-série) – 2022  Candice Renoir : Un seul être vous manque et tout est dépeuplé (Pascal Lahmani) – L’homme de nos vies (Frédéric Berthe, mini-série) – 2023  Daron (Franck Bellocq, mini-série) – Tout pour Agnès (Vincent Garencq, mini-série) – À côté de ses pompes (Nathalie Lecoultre) – Benoît Génant officiel (Éric Lavaine, mini-série) – La peste (Antoine Garceau, mini-série).

L’encinéclopédie de Paul Vecchiali

« L’encinéclopédie », l’ouvrage tant attendu depuis plusieurs années de Paul Vecchiali, est sorti fin 2010 en deux volumes aux éditons de l’œil. A noter que si vous êtes dans les premiers acheteurs de ces livres, il y a eu une regrettable erreur dans la chaîne de l’édition, 22 cinéastes ont disparu ainsi au final, de André Berthomieu à  Paul Féjos. Aussi un « tiré-à-part » a été édité en réparation, pour l’obtenir – il est gratuit pour l’achat des autres volumes – vous pouvez vous rapprocher de votre libraire ou de l’éditeur. C’est unne somme impressionnante de 1740 pages qui nous propose un voyage inédit sur le cinéma français, partial et foisonnant. On connaît l’attachement de ce cinéaste pour le cinéma français des années 30, il l’évoquait en 2007 dans son livre « Les frontières de l’aube ». Entendu sur France Culture, dans l’excellente émission de Laurent Goumarre, le Rendez-vous, c’est un ouvrage dont l’auteur souhaiterait qu’il soit titré lors d’une réédition « Exhaustif et partisan » et qui doit être « picoré », manière de l’appréhender idéale, tant il est vrai qu’il est impressionnant de richesses. De tels livres, ouvrages d’un seul homme restent rares, à l’instar d’un Jacques Lourcelles et son dictionnaire ou d’un Hervé Dumont et son « Antiquité au cinéma ». Il y a cependant la participation d’Italo Manzi dans des recherches biographiques, décidemment indispensable car il collabore aussi bien aux ouvrages d’Armel de Lorme et de Christophe Bier, ouvrages qui concilient passion et érudition. L’idée est donc de reprendre l’intégralité de la filmographie des cinéastes ayant œuvré dans les années 30 et de les accompagner jusqu’à la fin de leur carrière. Il y a fait ici une œuvre salutaire, car il y avait une véritable carence critique sur cet aspect du cinéma, qui nous est pourtant, avec le cinéma américain, le plus familier mais au final très méconnu. Un parti-pris qui égratigne la politique des auteurs chère aux « Cahiers du cinéma », dédiée surtout au cinéma américain. Le ton est volontiers polémique et souvent inattendu, manière par exemple de mieux apprécier au final le parcours d’un André Berthomieu que les films d’Henri-Georges Clouzot. On est bien sûr en droit d’être en désaccord, mais il est passionnant de lire un avis contraire comme pour l’édifiant « Le défroqué » de Léo Joannon, salué comme ici chez d’œuvre, alors que certains classiques sont malmenés, on pense bien entendu au quatuor Jean Renoir, Sacha Guitry, Clouzot donc et Marcel Pagnol. Force est de constater que l’on peut être souvent d’accord, tel sur le parcours après-guerre d’une Michèle Morgan, on jubile de lire des jugements qui vont inévitablement faire grincer des dents. C’est aussi une manière de faire un bilan de notre cinéma, contre la politique des auteurs, obligatoirement imposée depuis des années. Il y a un système de notation correspondant à l’accueil de l’époque, confronté à un plus personnel de son auteur allant du pique ou du cœur. Un hommage privilégié est fait aux acteurs, on se régale de voir ainsi fêtés les fameux excentriques du cinéma français tel Jean Tissier souvent loué – à raison car c’est un acteur génial – ou la frêle Gabrielle Fontan. Il a un soin à relater les prestations de ce type de comédien, le générique des films est complet et l’on retrouve nombre d’informations inédites et de petits rôles complétant les fameux dictionnaires de Raymond Chirat. Il salue des comédiens venant du music-hall ou sans formation – on connaît son amour de Danielle Darrieux – apportant un sang frais dans un style de jeu souvent guindé, stéréotypé, voire formaté. Vecchiali donne des coups de griffes assez inattendus – Philippe Noiret, Bernard Blier (1) ou Michel Piccoli -.  On y retrouve des cinéastes oubliés ou méconnus comme René Guissart, voire totalement inconnus comme Georges Pallu, Jacques Constant, Jean Hémard (sic) ou Louis Valerey, des parcours salués pour des auteurs parfois mésestimés comme pour Raymond Bernard, Carlo Rim, Henri Decoin, Julien Duvivier et Jean Grémillon en passant par d’honnêtes artisans, comme Jean-Paul Le Chanois, Roger Richebé, Maurice Cloche, ou populaires Christian-Jaque, Emile Couzinet. On peut le trouver parfois un peu sévère, comme pour un  Willy Rozier, Jean Dréville ou Luis Buñuel surtout, mais force est de constater qu’il donne envie de voir les films. La réhabilitation et la réflexion sur certains films donne matière à de riches débats… On aimerait voir par exemple les invisibles « La vie parisienne » (Christian-Jaque, 1977) ou « Gloria » (1976) dernier film d’Autant-Lara, jugé souvent mauvais alors qu’il est devenu invisible. « Les patates » souvent diffusé par contre, est ainsi réévalué. Les nanars (2) sont aussi à la fête. Outre les Français, les cinéastes étrangers de passage en France sont aussi salués de Max Ophuls, Luis Buñuel, parfois pour un film seulement, comme on le sait pour Billy Wilder et Fritz Lang, on y retrouve même Raoul Walsh ou Robert Wiene. Une manière de saluer la richesse qu’ils apportaient à notre cinématographie et de répondre à l’ineffable tandem Bardèche et Brasillach qui déclaraient « On ne s’étonnera pas, après cela, que le cinéma français perdît peu à peu tout caractère national et que ses œuvres les plus connues, entre 1936 et 1940 ressortent à une esthétique morbide, analogue à celle qui avait sévi sur l’Allemagne d’après-guerre ». (Cité dans l’ouvrage « Tendres ennemis, cent ans de cinéma entre la France et l’Allemagne » (L’Harmattan, 1991). Donc un ouvrage obligatoire qui va accompagner salutairement la vision d’un film comme le livre de Jacques Lourcelles toujours ou les « 50 ans du cinéma américain » de Coursodon et Tavernier, réflexe vite acquis. Grinchons un peu… La diffusion de ces films sont limités, rares sont les diffusions en DVD – il y a l’éditeur René Château, mais si beaucoup de films des années 30 étaient diffusés en VHS, ils sont très rares en DVD. Reste la diffusion à la télévision, on peut déplorer qu’ils ne se bousculent pas au portillon sur les chaînes câblées. Si Patrick Brion privilégie les raretés, voir son cycle « Monstres sacrés » actuellement sur France 3, on constate l’inévitable diffusion à l’avance sur France 2 du mélodrame « Le voile bleu », annoncé pourtant à 1h15 ! Refrain connu quand on tente de programmer un enregistrement… Nous devons être beaucoup de cinéphiles à l’avoir donc sans le début… Souhaitons donc que les responsables de cinémathèque, ayants-droits et éditeurs, s’emparent de ce travail pour mieux diffuser et valoriser les films.

(1) Armel de Lorme le malmène également dans son « ceux de chez eux ou le cinéma de Sacha Guitry » (2) Nanar, terme dont la paternité on l’apprend ici, vient de Vecchiali, venant d’un « terme de couture qui désigne un article qui a mal vieilli »

Paul Vecchiali source Télérama

Paul Vecchiali a bien voulu répondre à quelques petites questions, je le remercie de sa disponibilité et de son amabilité.

Vous avez travaillé dix ans sur votre dictionnaire, et de manière intensive sur deux ans et demi comment avez-vous procédé ?

J’ai d’abord voulu faire le travail du deuil parce que je pensais arrêter de tourner après de douloureuses mésaventures. Pour cela, j’ai désiré me replonger dans les films de mon enfance par l’intermédiaire, dans un premier temps, des cassettes René Château. Puis, revoyant ces films, j’ai pensé qu’il était temps de ressusciter cette mémoire en train de se perdre. Et j’ai cherché partout les films que je n’avais pas vus ou revus depuis trop longtemps. Ensuite, je faisais passer les cassettes jusqu’à 6/7 fois pour être suffisamment argumenté et aussi pour repérer les petits rôles qui avaient échappé à Raymond Chirat dont le travail de recensement a été primordial pour moi.

On est impressionné par le nombre de films que vous avez vus, comment avez-vous eu accès à ces films, outre les échanges avec la cinémathèque de Toulouse par exemple.

Porto-Vecchio, Grenoble et, surtout, Montréal dont la Cinémathèque possède des trésors. Aussi les Archives du Film mais, les ayants-droit m’ont posé problème alors que je travaillais aussi pour eux…

Votre style est volontiers polémique et il est toujours argumenté.  Pierre Murat dans « Le masque et la plume » sur France Inter, disait qu’après la parution de votre entretien dans « Télérama » il a reçu beaucoup de courriers. Quelles en sont les retombées pour vous personnellement ?

Je reçois pas mal de mails ou de coups de fil : quelquefois pour me signaler des erreurs, ce qui me ravit. J’espère être plus précis encore pour la réédition.

Votre livre est aussi un travail et un appel pour les ayants-droits, on sait que certains films sont souvent bloqués, comme « La fête à Henriette » que Patrick Brion n’a pu diffuser dans son ciné-club sur France 3. Quels rapports avez-vous avec eux, et quels sont les retours ?

Aucun rapport, je viens d’en parler. Je ne les comprends pas !

Comment peut on expliquer que le cinéma français fut une terre d’accueil pour nombre de cinéastes étrangers et quelle fut leur influence sur notre cinéma hexagonal ?

Je ne crois qu’il y ait eu influence mais plutôt échanges. C’est bien comme ça.

Il y a-t-il des films que vous avez adoré, et sur lesquels votre avis à changé, avec le temps ?

Certes, LE CARROSSE D’OR de Renoir est un exemple mais aussi GIBRALTAR de Ozep ou L’ARGENT  de Billon. Plein d’autres, en revanche en sens inverse.

Depuis votre enfance et la vision de « Gaspard de Besse », certains films ont-ils disparu, quelle est la restauration sur ces films, et il y a-t-il des films définitivement perdus ?

Je ne saurais comment vous répondre sinon en vous signalant que la Paramount a brûlé les négatifs de quelques films de René Guissart que j’estime. Donc oui, il y a des films définitivement perdus mais des copies peuvent encore circuler : on dit que la Cinémathèque de Moscou aurait en masse de ces copies-là.

Certaines personnes vous reprochent votre exhaustivité, alors qu’elle donne un grand intérêt à votre dictionnaire » ?

Je trouve incongrue l’idée de faire des choix !!!! Certains films que vous auriez souhaité voir étudiés aux dépens d’autres ? Mais les autres alors ? Faire un choix, c’eut été être élitiste, ce que je m’interdis de faire.  

La subjectivité doit se doubler d’exhaustivité. Et si, par endroits, je parle de films ou de cinéastes qui n’ont rien à voir avec ceux recensés, c’est pour qu’on puisse avoir une idée de cette subjectivité, d’en connaître certains repères. Cela me paraissait simplement de l’honnêteté.

On connaît l’influence de ce cinéma français sur votre œuvre pouvez-vous l’évoquer ?

La première chose qui me vient à l’esprit c’est l’électrochoc de COEUR DE LILAS (Litvak)  où Gabin, qui devrait aller cogner André Luguet, se met à chanter LA MÔME CAOUTCHOUC. Sur le moment, je n’avais pas réalisé ce que j’ai compris bien plus tard. La chanson dialectise une situation et, si elle n’a rien à voir avec elle, la façon dont on la chante peut être le reflet du sentiment du personnage. C’est de là que vient FEMMES FEMMES par exemple. Mais l’essentiel est ailleurs : le goût des personnages bien construits, donc des acteurs loyaux et pleins d’humour à la fois… (la danse d’ Harry Baur dans LES CINQ GENTLEMEN MAUDITS). Enfin savoir que les sentiments ne viennent pas du néant, qu’ils correspondent à une époque bien définie, donc à la politique de l’instant. Résultat : il est inutile de débattre de la politique, de faire des films militants, il suffit, comme Grémillon ou Demy, de traiter des sentiments de la façon la plus participative, sans filtre, d’y croire si vous voulez. Cela suffit amplement. Comme j’ai rarement fait des films où le social n’était pas en jeu, je me suis contenté, à ma manière, de travailler sur les personnages sans « corset ».

Vous avez tourné plusieurs films, depuis la comédie noire « A vot’bon cœur », nous avons pu lire quelques informations sur les « Cahiers du cinéma » de l’été dernier, pouvez-vous nous en parler, et nous dire si nous pourront les voir prochainement ?

J’ai fait dans l’ordre + SI @FF., BAREBACK (présentés dans pas mal de festivals) puis quatre films de ma pentalogie HUMEURS ET RUMEURS, …ET TREMBLE D’ÊTRE HEUREUX, ÊTRE OU NE PAS ÊTRE, LES GENS D’EN BAS et je prépare le dernier volet, peut-être pour cette année. RETOUR À MAYERLING. Je pense qu’on les verra en DVDS ou dans des rétros ou dans des festivals. Je ne me préoccupe plus des sorties en salles : trop cher et inutile.

Ceux de chez lui ou Le cinéma de Sacha Guitry et ses interprètes

Le théâtre, c’est du présent.
Le cinéma, c’est du passé.
Au théâtre, les acteurs jouent.
Au cinéma, ils ont joué.
Au théâtre, vient le public.
Au cinéma, entre la foule.
Au théâtre, c’est le dessin.
Le cinéma n’en est encore qu’à la lithographie.
Le théâtre, c’est positif.
La pellicule est négative !

(Sacha Guitry en 1942)

Comme le rappelait Guillaume Gallienne dans le beau documentaire de Serge Le Perron, « Sacha Guitry et le cinéma », Guitry n’aura eu de cesse que de médire ce média, le traitant de « théâtre en conserve » ou de « refuge des incapables ». Ce fut donc une histoire singulière, il ne fut consacré grand cinéaste que par la nouvelle vague notamment par François Truffaut et Jacques Rivette. Armel de Lorme a eu la bonne idée de sortir le quatrième volume de « L’@ide-mémoire » – et deuxième volume consacré  aux acteurs – aux interprètes au cinéma de Guitry, voir le bon de commande. Il avait déjà en 1993 rédigé une filmographie exhaustive de « Monsieur Môa », dans un très sérieux ouvrage « Sacha Guitry cinéaste » paru aux éditions Yellow Now, un régal de détails notamment pour les seconds rôles présents dans les distributions pléthoriques de ses films historiques. Cet ouvrage paru à l’occasion d’une rétrospective de ses films au festival de Locarno mériterait une réédition. Ce livre en collaboration avec Raymond Chirat  – notre « maître » – à tous,  et Italo  Manzi, prend pour départ d’évoquer156 interprètes du maître, et de dérouler leurs parcours du plus âgé Anthony Gildès à la plus jeune Odile Rodin. Une occasion de revenir sur une œuvre foisonnante, mise en valeur comme le dit justement de Lorme, par des remakes récents assez décevants.

 Avec ce premier volume – un second devrait suivre au premier semestre -, c’est une mine d’informations, à l’instar du « Tout Guitry » de Jacques Lorcey paru chez Séguier en 2007. Sont évoqués notamment la garde rapprochée de Guity, avec Pauline Carton et Jeanne Fusier-Gir (chapitre titré « les deux font la paire ! ) et ses épouses, Charlotte Lysès, Yvonne Printemps, Jacqueline Delubac, Geneviève Guitry et Lana Marconi. On retrouve aussi les débutants promis à un bel avenir (Jean Poiret et Michel Serrault, Magali Noël, Sophie Desmarets, Howard Vernon, Brigitte Bardot). Les vedettes Jean Marais, Arletty, Danielle Darrieux, Michel Simon côtoient les excentriques du cinéma français chers à Chirat et Barrot (Les « 9 célibataires » d’Aimos à Sinoël , Jean Tissier, Albert Duvaleix, Jacques Baumer, Pierre Bertin ,etc…). Certains comédiens de la Comédie Française figuraient aussi dans cette catégorie (Pierre Bertin, André Brunot, Georges Chamarat, Aimé Clariond, Jean Debucourt, Maurice Escande, Roger Gaillard, Jean Hervé, Denis d’Inès, Robert Manuel, Louis Seigner, Jean Weber). On retrouve des artistes méconnus  (Jacques Berlioz, Siren Adjemova, Marie Sabouret, Roland Bourdin, Anne Carrère, Catherine Érard),  ou parfois par trop mésestimés (Louis Arbessier, Claude Nollier, Janine Darcey, Maurice Teynac, Mona Goya, Sanson Fainsilber – très apprécié d’Alain Resnais -, Maurice Lagrenée, etc…). Une minutie et une exhaustivité vraiment impressionnante, à l’exemple de la comédienne Martine Alexis, repérée dans « Si Versailles m’était conté » grâce à l’arrêt sur image !  Au final cet ouvrage rappelle que ce génie avait une véritable admiration et amour envers les artistes, au contraire d’un Charlie Chaplin qui eut du mal à travailler avec de grands artistes et qui utilisa Buster Keaton d’une manière assez détestable dans « Les feux de la rampe ». Beaucoup de portraits, de découvertes, d’anecdotes pour cette somme de travail considérable, éclairage sur le cinéma français au travers de l’œuvre de Guitry. Même s’ils ne font que passer dans son univers, la présence de ces comédiens est toujours justifiée, on s’amusera des détails, même s’ils devaient comme Françoise Arnoul dans « Napoléon », finir sur la table de montage. Pour revenir à Raymond Chirat le livre « Noir et blanc » écrit en collaboration avec Olivier Barrot ressort sous le titre « Ciné-club : portraits, carrières et destins de 250 acteurs du cinéma français, 1930-1960 », aux éditions Flammarion, sans nouveautés hélas, mais il est indispensable car il reprend les portraits des « excentriques du cinéma français » et « inoubliables » pour ceux qui n’ont pas ces deux précieux ouvrages dans leur bibliothèque. Une impression de recyclage assez curieuse mais l’ouvrage est précieux quelle que soit sa forme.

On lira en parallèle et avec intérêt au sujet de Guitry « L’encinéclopédie » de Paul Vecchiali, analyse acerbe de cet artiste, je reviendrai sur ce formidable dictionnaire en deux volumes. Un début d’année très riche pour les amateurs de dictionnaires pour rappel le Dictionnaire des films français érotiques et pornographiques 16 et 35 mm  sous la direction de Christophe Bier est en toujours en souscription ici.

Armel de Lorme continue aussi avec son site en ligne, loin des habituels recycleurs pompeurs qui sévissent en ce moment sur le web, avec des hommages aux disparus récents (Paulette Bouvet, Charles Charras, Niko Papatakis, Bernard-Pierre Donnadieu, Robert Destain, Georges Staquet, Maria Schneider, Janine Souchon, la kulte Tura Satana). On y retrouvera aussi d’autres portraits comme Yann Gonzales et Sylvie Joly ou Jean Grémillon, et des extraits de son livre sur Guitry (André Lefaur, Betty Stockfeld, Jacqueline Delubac, Claude Dauphin). Louons donc ce chercheur infatigable qui continue une histoire du cinéma parfois iconoclaste – voir sa manière d’égratigner certains artistes -, exhaustif – les filmos complètes feront la joie des monomaniaques qui se dépêcheront de tout rajouter dans wikipédia sans en citer l’auteur bien entendu comme pour le volume 1 –.

Changement d’herbage réjouit les veaux, le retour

« Un homme parti de rien pour ne pas arriver à grand-chose n’a de merci à dire à personne.  » (Pierre Dac)

 « On les nique les tristes figures, on les nique ! », dernière réplique d’Anouk Grinberg du mésestimé film de Bertrand Blier « Un, deux, trois, soleil »

« Que ton espoir soit sans limites, hé ! hé !! hé !!! hé !!!! hé !!!! Donne un sens à ton histoire, non, non, non, non, Offre tout ce que tu mérites, Pour prendre un nouveau dépaaaart » (Chanson du générique de fin de « Plus belle la vie » (1) »

A l’instar de Ze craignos monsters, voici donc « Le coin du cinéphage – le –re-retour », sur support point com. Comme il n’y a pas de volume 4 des formidables livres de Jean-Pierre Putters, je devais être donc relativement tranquille (quoi que ! comme disait Raymond Devos ). Après quelques mois de déboires, c’est grâce à l’obstination de Jean-Louis Sauger  Retour à Yuma – pour lequel je témoigne ici d’une infinie gratitude, que le coin n’est plus au coin ! (ce n’est même pas de moi, mais de Jean-Jacques Jouve, créateur de « La lettre des comédiens » que je salue au passage, car son fanzine m’aura montré une voie) -. Donc petites nouveautés avec une création d’un « coin des livres », avec pour idée aussi d’évoquer des ouvrages, dans l’actualité ou non, manière de rêver autour d’une bibliothèque idéale, reprise d’un trombinoscope, histoire d’aider aussi à identifier certaines personnalités du cinéma. R.I.P. disparaît (désolé, mais je suis une tête de cochon), mais « Fragments d’un dictionnaire amoureux » perdure, rubrique dans laquelle j’évoquerai également des comédiens disparus, mais je prendrai de sérieuses distances avec l’actualité… je ne serai plus du tout réactif (Private joke). Une rubrique intervenants extérieurs est aussi à votre disposition si vous souhaitez me rejoindre, comme l’avaient fait Armel de Lorme et Yvan Foucart. J’aimerais avant tout rendre hommages aux méconnus du cinéma, je solliciterais de l’aide notamment pour les seconds couteaux anglo-saxons ou européens. C’est grâce aussi à l’application wordpress, je suis ainsi débarrassé de toute pub, elle permet de faire des commentaires express, le tout pour continuer dans un joyeux bordel cher à Pierre Bourdieu. Si vous avez des attentes ou des suggestions, n’hésitez pas à m’en faire part, je tenais à remercier tous ceux qui m’ont soutenu, qu’ils veuillent m’excuser si je n’ai pas répondu à leurs demandes, ayant pris une distance avec le joyeux monde du web. Reste à trouver mes marques et à rapatrier des anciens commentaires perdus par l’ineffable équipe de Banalblog, ils risquent de perdre en lisibilité, ce qui est dommage car ils sont souvent plus intéressant que les textes eux même.

(1) Ça doit bien signifier quelque chose… mais quoi !