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ROMAN DE GARE

Bon j’ai plutôt un rapport « Je t’aime, moi non plus » avec les films de Lelouch. Je suis plutôt en période de réconciliation avec lui grâce à la vision de certains de ses films sur feu TPS « Smic, Smac, Smoc » ou « Mariage », et la lecture de l’excellent ouvrage à son sujet « Claude Lelouch, mode d’emploi » par Jean Ollé-Laprune – à quand un retour sur notre petit écran, qu’est-ce qu’il peut nous manquer… – et Yves Alion – que les lecteurs de feu « La revue du cinéma » connaissent bien -. Il est vrai que je préfère ce cinéaste sur ses films modestes plutôt que ses fresques alambiquées versions poupées russes – « Toute une vie » par exemple malgré le culte que je voue à Charles Denner, est quand même hautement improbable -. L’avant-première du film à l’UGC-Cité Bordeaux, en présence d’Audrey Dana et de son fils Simon Lelouch, le 21 juin dernier, se déroulait dans une salle pleine, malgré la fête de la musique qui battait son plein. C’était donc l’occasion de vérifier si Lelouch innovait après l’insuccès de sa trilogie inachevée « Le genre humain » – vaste programme -, en dépit d’une bande-annonce stroboscopique – une véritable épreuve pour nos pauvres yeux -. Le tout est habillé par une sorte de gimmick, tourner le film dans un secret absolu en prenant le pseudonyme de son ami professeur de tennis Hervé Picard. Selon son fils il a décidé de le sortir sous nom à l’annonce de sa présentation à Cannes, par honnêteté pour son public. Le secret a été longtemps gardé, histoire de préserver le film. Audrey Dana a passé des doubles essais, l’un pour un film de Lelouch, l’autre pour « Roman de gare » en présence de Picard jouant consciencieusement son rôle de cinéaste et se faisant même séduire par de jeunes comédiennes. Audrey Dana semble avoir un grand avenir devant elle, elle faisait preuve d’un grand humour quand elle recevait des compliments… de sa sœur ! A noter qu’elle a confirmé avoir une homonyme, ex-femme du réalisateur Paul Boujenah, qui jouait dans « Le faucon » (1983) notamment, j’ai signalé ce fait au site IMDB. Pour revenir au film, on imagine bien que ce secret ne devait tout de même pas perdurer dans un travail collectif, il ne semble pas que Lelouch réitère pour autant la célèbre imposture Romain Gary-Émile Ajard pour le beau livre « Gros câlin ». De toute manière, le style Lelouch est reconnaissable entre mille, on retrouve même deux de ses filles et Arlette Gordon son attachée de presse, dans son propre rôle lors d’une émission TV imaginaire présentée par Serge Moati – on y retrouve l’ineffable Bernard Werber -. Il nous ressert en fait l’histoire d’un de ses premiers films « L’amour avec des si… » (1962), mâtinée d’un peu de « Drôle d’endroit pour une rencontre », film de François Dupeyron.

Dominique Pinon & Audrey Dana

C’est le même départ, quelle est l’identité de l’automobiliste, prenant une jeune femme en auto-stop. Il y a même l’importance de la radio, avec la voix de William Leymergie, crédité dans les remerciements en fin de générique. L’inconnu est donc joué par un formidable Dominique Pinon, à l’aise dans un premier rôle teinté d’ambiguïté et Huguette, la passagère est jouée par Audrey Dana, une révélation et une nature, défendant avec conviction son réalisateur. Il la ramène chez ses parents, alors qu’elle vient d’être larguée sur une autoroute par son compagnon – Cyrille Eldin, amusant -. Les infos radios annoncent qu’un dangereux tueur pédophile vient de s’évader… C’est un retour au source, il y a peut être moins d’autos citations qu’habituellement même si certains aphorismes lelouchiens valent leurs pesants de cacahuètes… Il faut dire que l’intrigue policière n’est pas une réussite, et les « zazards » et les coïncidences chères a son réalisateurs desservent plutôt l’histoire. Malgré quelques bémols, et quelques personnages caricaturaux – Fanny Ardant dans le rôle de Judith Ralitzer – un hommage à Paul-Loup ? – ne semble pas très à l’aise dans le stéréotype d’une femme auteur de roman noir -, le film arrive à trouver son rythme entre humour décalé et une tension naissante. Comme souvent chez Lelouch – pour mézigue du moins -, c’est dans des scènes entre deux personnages que la magie du réalisateur passe, des échanges d’Audrey Dana qui joue Huguette, parlant de son âme de midinette, ou de la rencontre du toujours formidable Zinedine Soualem en commissaire avec Michèle Bernier dont le mari vient de quitter le domicile conjugal. La première partie est réussie, avec de bons moments passés dans la ferme familiale des parents d’Huguette, on retrouve le talent de Myriam Boyer, formidable dans un rôle assez improbable de paysanne misérable. L’utilisation inventive des chansons de Gilbert Bécaud est à saluer. Ce film est l’occasion de constater la capacité toujours remarquable qu’a Claude Lelouch de rebondir après un échec, il avait déjà signé un singulier – mais un peu raté « Viva la vie » après sa relative déception de l’accueil d’ « Édith et Marcel ». Gageons que malgré quelques petits côtés irritants, Lelouch n’a pas fini de nous surprendre. Il faut signaler que beaucoup de spectateurs étaient enthousiastes ce soir là.

NUMÉRO ZÉRO

Poursuite du cycle Jean Eustache à l’Utopia de Bordeaux. « Numéro zéro » ne fut connu longtemps que sous une version courte, avant sa redécouverte lors de sa sortie en 2003, grâce au soutien du réalisateur Pedro Costa. Mireille Amiel évoquait déjà ce film, à l’occasion du suicide de Jean Eustache en 1981 dans « Cinéma 81 » N° 276 : « …Mes préférences vont vers « Mes petites amoureuses » et « Numéro zéro », un document parfaitement inédit réalisé en 1971 et donc une partie est parue à la TV (3ème chaîne) sous le titre « Odette Robert », dans la série « Les grands-mères », en juillet 180. Le document initial durait 2 heures et demi, la TV sut le ramener à cinquante minutes et seule l’extrême pauvreté d’Eustache à ce moment-là lui fit accepter cette mutilation. Peut-être est-ce parce que ces deux films sont, plus que les autres, des clefs pour comprendre Eustache. Peut-être à cause du mélange ahurissant de douceur et de cruauté qui était l’une des constituantes de l’auteur, ou encore parce que son côté « féminin » s’y révèle dans des portraits de femmes qui ne doivent rien aux modes, mais disent tout sur la condition féminine. Peut-être encore parce qu’avec une assurance tranquille, qui confine à l’héroïsme quand on sait à quel point le public risque de ne pas suivre, le ton, l’écriture de ces films étaient personnels, plus que non conformistes, « non conformes » (…) « Numéro zéro » a été tourné avec une équipe de trois personnes, une seule caméra, les seuls arrêts (la longueur du film est exactement celle du tournage) étant les temps nécessaires pour recharger la pellicule. J’ai eu le privilège de le voir en son entier. Je faisais alors partie de la commission d’aide aux courts métrages et un fonctionnaire plus qu’intelligent du CNC avait trouvé cette façon illégale mais très morale d’aider Jean Eustache : tronçonner (théoriquement) ce film en plusieurs métrages. Odette Robert, la grand-mère d’Eustache était au moment du tournage, vieille, aveugle, impotente. Elle possédait cette bonté qui confine au génie qui fait qu’une vieille paysanne de Pessac presque illettrée pouvait comprendre parfaitement ce petit-fils plus que parisien (encore que nous nous souvenions tous de la vois d’Eustache et de ce reste d’accent), plus que cinéaste, beaucoup plus que « marginal ». Eustache avait posé sa caméra devant elle, après une introduction où on la voyait dans la rue avec son arrière-petit-fils, et lui avait tout simplement demandé de raconter sa vie, comme tous les petits enfants l’on fait. Dans l’extrême attention donnée à cette femme, dans d’imperceptibles mouvement s de caméra, dans cet aveu complet d’amour, dans cette volonté de nous forcer à voir et à et à entendre (volonté aux trois quarts déjouée par les jeux économiques), Eustache était là. Il ne filmait, m’a-t-il dit un jour dans un entretien, « que par nécessité ». C’est vrai pour lui, à l’évidence. Vrai et, si l’on peut bien réfléchir, très simple ». Cette critique avait parlait avec brio, d’un film qui n’émergea que quelques années plus tard, on devine qu’une diffusion tardive au mois de juillet, n’avait peut-être pas eu un écho très favorable. C’est donc des années plus tard que l’on peut redécouvrir ce film et la lecture de l’analyse de Mireille Amiel nous éclaire parfaitement sur l’importance de ce film dans l’œuvre de Jean Eustache.

Odette Robert

Difficile de prendre la parole après elle, mais ce témoignage a une grâce unique, et est indispensable à l’approche de l’œuvre de ce grand cinéaste. Le film en noir et blanc, commence donc par un plan muet d’Odette Robert faisant ses courses avec son arrière petit-fils Boris, futur cinéaste des « Arpenteurs de Montmartre », sorti en 1992. Le film commence ensuite presque en temps réel, avec les contraintes des fins de bobines, entrecoupées par les claps, contraignant le réalisateur et son chef opérateur Philippe Théaudière, qui intervient parfois, à interrompre le flux verbal du témoignage de la touchante grand-mère d’Eustache. L’idée est simple, faire parler l’aïeule de sa vie, de ses souvenirs, de ses grands drames. Elle a alors 71 ans, elle est usée par la vie et n’attend plus rien de la vie. Mais elle garde une chaleur dans une voix monocorde, et nous montre une véritable générosité. Elle fut recueillie par son petit fils, qu’il avait invité à la rejoindre à Paris, dans son appartement de la rue Mollet, après une vie de labeur, pensant qu’elle avait bien mérité d’avoir un peu de quiétude et qu’elle pourrait s’occuper du jeune Boris. Eustache profite de la complicité qu’il a avec elle, en reprenant le fil des habituelles conversations, pour ainsi fixer cette mémoire dans la pellicule. Il souhaite ainsi revenir à une innocence, un numéro zéro donc, après « Les mauvaises fréquentations », « Le père Noël a les yeux bleus » et la première version de « La rosière de Pessac », un retour salutaire à ses origines. Eustache laisse sa grand-mère libre de toute expression, même si la vie parfois reprend le dessus comme avec un coup de fil d’un producteur hollandais, qui souhaite acheter pour le diffuser « Le père Noël… ». Le réalisateur, un peu sur la défensive au départ, sentait qu’il y a aurait cette bonne nouvelle. On le découvre en creux, écoutant religieusement Odette, tout en sirotant un whisky ou mouillant nerveusement son cigare. On découvre son accent girondin qu’il semble retrouver tout naturellement, dont parlait Mireille Amiel. Jamais on ne verra son visage, mais on s’approchera tout de même de cet artiste unique, tout en voyant les prémices de son œuvre future… La vieille dame, presque aveugle, son visage mangé par des lunettes noires, cachant ses problèmes de vue, ne dédaigne pas les petits plaisirs de la vie, coupant le whisky de son petit fils avec des glaçons ou fumant force cigarettes. Volontiers « mordante », elle a une ironie douce amère sur toutes les épreuves vécues, la perte de trois fils – sa fille étant la mère de Jean -, la dureté d’une vie paysanne au début du siècle, des problèmes de santé, les avanies causés par sa belle-mère, une marâtre cruelle l’obligeait à garder toujours les mêmes couverts par peur de la tuberculose sans oublier un mari volage – ahurissante évocation du récit de la syphilis qu’il avait contracté. Elle avance pourtant dans sa vie, subit souvent, se bat parfois, elle mord enfant son institutrice, l’une des rares personnes qui fut généreuse avec elle, et se bat comme une charretière avec l’une des maîtresse de son époux.  On traverse ce siècle avec elle, elle ne se plaint pas malgré une vie rude, elle souligne toujours les côtés positifs de sa grand-mère paternelle basque qui lui racontait des histoires – elle aimait lire, ce qui était rare alors dans ce milieu -. Si l’attention peut baisser parfois, on oubli le noir et blanc granuleux et une pénombre protectrice, pour découvrir l’intimité entre ces deux êtres, qui s’aiment et s’épaulent malgré la différence de génération. C’est aussi un portrait de la condition féminine du siècle dernier, baigné dans une belle tendresse. La grand-mère demande au chef opérateur si elle a été bien, ce dernier lui répond « Juste géniale ». Ce film indispensable, nous montre encore une fois la richesse de l’œuvre ce grand cinéaste, hélas pour nous trop tôt disparu.

FRAGILE(S)

img138/568/fragilesam5.jpg Avant-première le 7 juin dernier à l’UGC-Cité Ciné, du second film de Martin Valente en présence de son réalisateur, Sara Martins, Jean-Pierre Darroussin et François Berléand. Beaucoup de raisons de se réjouir, retrouver François Berléand venu finalement malgré un planning chargé, Jean-Pierre Darroussin qui garde toujours une attention particulière à son public avec une sympathie inégalée, Sara Martins rencontrée à l’avant-première du premier film de Martin Valente, le très réjouissant « Les amateurs » et son réalisateur qui avait eu une excellente initiative, proposer un carnet de route sur son film. Avec son blog, élaboré avec la complicité du musicien du film, Denis Mériaux. On ne peut que les féliciter car c’est un projet unique dans notre cinéma hexagonal, Suivre toutes les étapes de son film du tournage à la post-production. Le réalisateur ayant un goût pour l’écriture, il a tenu à bout ce projet, nous faisant suivre son parcours créatif avec beaucoup de sensibilité et d’enthousiasme. Un projet singulier mené à bien, nous donnant envie bien évidemment de découvrir son film. Le plaisir de découvrir ce film plaisant est donc augmenté par ce travail préalable, on ne peut qu’encourager d’autres artistes à agir de la sorte. On découvre 6 personnages non pas en quête d’auteur, car Le film évite les pièges du film choral, par sa qualité d’écriture, d’émotions et d’humour. Ils sont à un tournant de leur existence, menaçant de laisser envahir par une grande mélancolie. Paul – François Berléand toujours aussi excellent dans un personnage blessé – est un cinéaste réputé dont le film connaît un insuccès complet, et qui s’interroge sur sa capacité à rebondir en acceptant avec peu d’enthousiasme de le défendre dans un festival à Lisbonne. Sa femme Hélène – la trop rare et sous-utilisée Caroline Cellier – à la garde de son petit fils répondant au doux prénom de Ross, dépassée par cette charge, elle reconnaît ne pas avoir un instinct maternel très prononcé et se retrouve malaise avec cet enfant. Vince – Jacques Gamblin, probant en inspecteur de police vivant d’espoir – enquête sur un trafic de drogues, tout en visitant régulièrement sa femme à l’hôpital. Elle est dans le coma, mais il persiste à rester avec elle, malgré l’absence d’amélioration, suscitant l’admiration du personnel soignant. Nina, une jeune femme un peu paumée – éblouissante Sara Martins – , part avec son amie Isa, une marginale délurée – excellente Élodie Yung -, en week-end à Lisbonne. Enfin Yves – Jean-Pierre Darroussin toujours aussi juste – est un pharmacien de province, esseulé qui a des problèmes avec un chien encombrant venu prendre la place de son chat, il accepte de donner des médicaments de substitution à Nina – Marie Gillain probante – une jeune musicienne et droguée.

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Sara Martins & Jean-Pierre Darroussin

Ces vies en parallèle qui vont se croiser parfois, sont décrites avec beaucoup de subtilité. Martin Valente réussit comme dans son premier film, à alterner les scènes d’émotions parfois poignantes avec un humour ravageur et une cocasserie bienvenue. Les personnages sont parfois englués dans leurs problèmes. Ils sont dans une période où il ne voient aucunement le moyen de trouver une issue, comme parfois dans la vie. Contrairement à d’autres films ayant la même construction, où quelques interprètes parviennent à tirer leur épingle du jeu, tous les protagonistes du film sont ici formidable. François Berléand se régale avec les situations avec son humour habituel – il vaut le voir avec un sac poubelle ou déambuler dans un hôtel vêtu par une serviette de bain -, tout en faisant preuve d’une belle humanité. Jean-Pierre Darroussin est touchant avec son personnage d’homme bon, qui semble être passé à côté de sa vie. Caroline Cellier donne une grande présence à son personnage dans son rôle de femme mûre désabusée. Marie Gillain déjoue les clichés d’une « junkie », en défendant un personnage blessé mais qui reste clairvoyant. Jacques Gamblin, avec retenue nous fait partager la grande détresse de son rôle, qu’il cache derrière une grande dignité. Le talent de Sara Martins éclate ici, en jeune femme cherchant un sens à sa vie. Ses rencontres avec son partenaire François Berléand sont irrésistible. Le film bénéficie d’une construction soignée, tous les personnages ont une part égale, et on les retrouve finalement au moment où l’on a envie de les revoir, tout en essayant de découvrir leurs dénominateurs communs. Derrière le calme apparent de villes touristique ou de provinces, Martin Valente réussit avec beaucoup de minute, à décrire les moments où dans sa vie l’on peut se sentir démuni face à l’absurdité des choses. Mais il y a aucune complaisance ici avec le malheur, les personnages cherchent à s’en sortir, parfois avec une drôlerie salvatrice. Il faut aussi saluer la musique de Denis Mériaux, et la bande-son en général, donnant une unité au film.

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François Berléand et Sara Martins

Grâce à la fidélité de François Berléand, j’ai donc eu le grand plaisir de retrouver l’équipe du film, à l’issue de la projection, jusqu’à une heure joyeusement indue de la nuit. J’avais raconté ici même avoir rencontré François sur l’avant-première du film de Thomas Bardinet « Les âmes câlines », et l’homme est resté depuis ce temps accessible, disponible et d’une grande gentillesse qu’il cache parfois sous des dehors faussement cynique et d’une drôlerie inouïe. Il parle toujours avec liberté, du trop grand nombre de ces dernières prestations télévisuelles ou de son métier. J’avais eu la chance il y a peu de l’applaudir dans « L’arbre de joie » au théâtre, grand souvenir également sur cette pièce gardienne de beaucoup d’émotions et l’occasion de voir la grande force chez la comédienne Maruschka Detmers et de découvrir l’étendue du grand talent de Marie Parouty, comédienne cultivée et d’une grande intelligence. Le plaisir ici était comme à chacune de nos rencontres toujours aussi probant, avec le bonheur de le voir avec Jean-Pierre Darroussin, énorme capital de sympathie. Ce comédien est d’une grande finesse, a un grand sens de l’observation et a une acuité sur le monde remarquable. Étrangement François Berléand et Jean-Pierre Darroussin, bien que d’une même génération, n’a jamais vraiment joué ensemble. Ils se sont croisés qu’à deux reprises, car il n’ont aucune scène ensemble sur « Fragile(s) », dans un téléfilm de Robert Mazoyer « Un homme » diffusé en 1997, et dans un film resté inédit – mais acheté par Arte disaient-ils – « Le souffleur » de Franck Le Witta, en 1985 produit par Robert Guédiguian. François récitait à la Guitry les intervenants et l’équipe du film, tout en campant un chauffeur de taxi. Découvrirons-nous ce film un jour ? A les voir parler spectacle, football ou politique, je me suis régalé à les écouter, en imaginant pouvoir retrouver ce duo inédit et aimable sur un grand écran. Une idée peut-être à soumettre à Martin Valente pour un prochain film. Ce dernier a une personnalité attachante, un vrai plaisir de l’écriture et un grand amour des comédiens. Nous avons donc beaucoup à attendre de cet homme passionné. Et puis il y avait la grande joie de retrouver Sara Martins, dont il est impossible de ne pas tomber sous le charme, « comme sous la mitraille » comment disait la chanson. Le charme de cette jeune comédienne n’a de rival que son intelligence. Elle est d’une lucidité remarquable sur le métier d’acteur. De son parcours brillant au théâtre, avec Michel Bouquet, Sotigui Kouyaté et Peter Brook, elle garde une grande admiration. De celui de la télévision, plus contraignant, elle y voit un moyen de progresser, face au jeu des contraintes, à l’instar de la curieuse aventure dans la série « Les secrets du volcan », en pleine épidémie du chikungunya à la Réunion. Elle doute parfois, analyse avec justesse les travers du manque d’imagination de certains créateurs, dans le pays des étiquettes. Avec ce film, elle trouve un rôle à la mesure de son talent, souhaitons que le cinéma la gâte, sinon c’est à désespérer. Une si agréable compagnie m’a fait gardé intacte l’irrésistible séduction de ce film à découvrir mercredi prochain.

LA MAMAN ET LA PUTAIN

Un des plus beaux films du monde. Ce film – de chevet – reste un choc indélébile… avec l’incongruité de ne l’avoir jamais vu en salles avant une rétrospective « Jean Eustache » à l’Utopia de Bordeaux. C’est en 1988,  que j’avais découvert ce film, dans le ciné-club de Claude-Jean Philippe sur Antenne 2, dans un temps révolu où l’on pouvait se forger une cinéphilie dans les chaînes du service public. La VHS aidant, j’ai eu très vite une intimité avec ce film depuis presque 20 berges déjà. C’est le genre d’œuvre que vous glissez dans votre magnétoscope, pensant en regarder les premiers plans les soirs de grand spleen, avant de vous faire happer, malgré une durée inusitée de 3h40. De voir le film en salle avec une amie qui le découvrait, malgré une copie fatiguée, me prouvait le charme inégalé de ce chef d’œuvre. Mais quand un film vous touche véritablement, c’est là qu’il est difficile de faire partager ses émotions, handicapé de plus par la banalité habituelle des ses appréciations. Mais le film a une aura unique, a marqué beaucoup de cinéastes de Marion Vernoux à Christophe Honoré, Catherine Breillat faisant répéter le monologue de Françoise Lebrun à ses actrices, ou Lucas Belvaux rendant hommage au film avec le clin d’œil amusant des retrouvailles Léaud-Lebrun dans « Pour rire ». C’est le portrait de trois personnages à la dérive. Jean-Pierre Léaud démontre ici combien c’est un immense comédien, sans évoquer le mimétisme qu’il pouvait avoir avec ses metteurs en scène, on finit par voir l’incarnation supposée de Jean Eustache, cinéaste hors norme et de l’intime. Léaud campe un dandy beau parleur, grandiloquent et nostalgique, narcissique mais touchant. Il règne en maître dans l’univers très délimité de « Saint-Germain », essayant de parfaire son discours désinvolte sur le monde, tout en agaçant, histoire d’oublier et de ne pas se complaire avec sa souffrance profonde. Il finit dans ce rôle d’Alexandre par se révéler en définitive vulnérable derrières ses aphorismes du quotidien, comme né à la mauvaise époque. Il vient de se faire larguer une jeune femme sage – Isabelle Weingarten, échappée de « Quatre nuits d’un rêveur », à la fausseté toute bressonienne -. Il rejoint sa « vieille maîtresse » – La « Maman » -, Marie, une femme de trente ans qui a une boutique de vêtements –  Bernadette Lafont rayonnante de sensualité et de gravité dans son plus grand rôle. A la terrasse d’un café il rencontre Véronika – « La putain », une infirmière volage – Françoise Lebrun joue une éblouissante femme libre et perdue, dans l’un des personnages les plus beaux du cinéma -. « Elle émeut dans ses contradictions,  son fameux monologue reste dans toutes les mémoires.

Françoise Lebrun, Jean-Pierre Léaud & Bernadette Lafont

L’histoire est difficilement racontable, mais il est passionnant de suivre l’évolution de ces personnages, Eustache décrivant leurs douleurs masquées par une fuite en avant, grâce aux vertus de la conversation et de l’alcool, avec la précision d’un entomologiste. Jean Eustache est un metteur en scène singulier et au-delà de l’ambiance « du café de flore » et des « deux magots », des brasseries où l’on peut occuper son temps sans grand frais. C’est le portrait d’une certaine époque, de la liberté des années 70, c’est un des documents les plus précieux sur cette époque. Il y a ici un hommage aux déclassés, marginaux, aux paumés du petits matins comme le chantait Jacques Brel, à l’instar des deux amis d’Alexandre, joué par Jacques Renard – futur cinéaste -, qui nous donne une prestation étonnante en copain dandy et sarcastique et Jean-Noël Pick, irrésistible en homme maladroit tendance pré-Houellebecquien,  Mais il touche à l’universalité des rapports amoureux. Le texte est magnifique – il est disponible aux éditions du Cahier du cinéma -, très écrit, se servant du langage du quotidien – « Un maximum de conneries en un minimum de temps » déclare Véronika en utilisant pléthore de « Merdique », tout le scénario à lui seul est une oeuvre d’art. Il fut mis en scène au théâtre par Jean-Louis Martinelli avec Charles Berling et Anouk Grinberg. Le cinéaste digère tout, de la chanson populaire – Damia, Edith Piaf -, d’un certain snobisme, de ses références – Léaud faisant son lit comme Jean-Claude Brialy dans « Une femme est une femme » ou l’œuvre de Robert Bresson -, à l’air du temps, de Jean-Paul Sartre et sa demi-bouteille, Pierre Bellemarre et Guy Lux portant « Leurs conneries sur leurs visages » au prédicateur du petit matin à la radio. Eustache met ici sa « peau sur la table », en nous livrant son intimité – les personnages du film ont existés dans la vie, la femme ayant inspiré celui de Marie c’est d’ailleurs suicidé durant le tournage, sans fausses pudeurs, puisant dans sa vie avec grandeur. La photographie sèche de Pierre Lomme est absolument splendide, captant l’ambiance libre des années 70. Une génération y est peinte avec lucidité. Un éloge de la fausseté – « le faux c’est l’au-delà » pour mieux rejoindre la vérité. Trop peut-être, voir la manière dont Eustache parle des cinéastes comme des oisifs se gargarisant de leurs oeuvres. Eustache ne s’épargne aucunement avec son portrait d’Antoine – évocation du graffiti par Véronika dans les toilettes : « Saute narcisse ! « . Un film somme au-delà de tout éloges. Verra t-on un jour ce film en DVD, histoire de faire perdurer sa magie tel un phare dans la nuit ? Il est l’un de ces films, illustrant une des répliques d’Alexandre : « Les films apprennent à vivre ». Eustache disait à Marcel Martin dans « Écran 73 » N°17 : « …Le film juge les spectateurs autant qu’il peut être jugé par eux ».

APRÈS LUI

img248/2526/aprsluiqp2.jpg L’annonce – discrète, très discrète – de la venue de Catherine Deneuve le 31 mai dernier, à l’UGC-Cité Ciné Bordeaux, pouvait vous laisser perplexe. L’idée de se retrouver dans le même périmètre que cette grande star du cinéma français pouvait apparaître comme un phantasme proprement inenvisageable. Mais l’icône était bien là, grâce au dévouement de « Titi », comme l’a présenté le directeur Pierre Bénard, d’ailleurs cachant difficilement son émotion. C’était ancien employé du lieu, mais honte sur moi, je n’ai pas retenu son nom, mais petit indice c’est lui qui caressait de manière suggestive le César du meilleur film étranger « Little Miss Sunshine », lui donnant ainsi son quart d’heure de gloire wharolien…. Elle arrive sur scène, saluée par une « stading ovation »,  avec son metteur en scène Gaël Morel, un peu perdu dans le sillage de sa comédienne. Le film écrit par Morel et Christophe Honoré, marque une maturité pour celui qui fut l’interprète du film d’André Téchiné.  En quelques œuvres, il a prouvé qu’il était un véritable metteur en scène, citons l’étonnant « Le clan », révélant Nicolas Cazalé. Le film, assez âpre parle du travail du deuil de Camille, une libraire lyonnaise, perdant son fils avec lequel elle a une grande complicité. Il partait dans une soirée avec son meilleur ami Franck – Thomas Dumerchez déjà à l’affiche du « Clan », on connaît la fascination du cinéaste pour les jeunes hommes, il revendique d’ailleurs un côté Pygmalion  -. Mais ils se sont écrasés contre un arbre, sans que la responsabilité de Franck soit avérée. Bien que bouleversée par l’accident, Camille invite Franck à la collation après l’enterrement de son fils, ce qui désempare son entourage, dont son mari François, dont elle est séparée – Guy Marchand dans la mouvance de « Dans Paris » et surtout sa fille Laure – Élodie Bouchez juste dans la retenue -. Camille va chercher à retrouver Franck, pensant que sa jeunesse peut l’aider à surmonter l’insurmontable… Le film a une grande force, le comportement de Camille désorientant, on ne sais si elle devient « bordeline », où si elle essaie simplement de se rassurer en allant dans la vie. Gaël Morel arrive ici a donner un rôle à sa mesure à Catherine Deneuve – elle est présente du début à la fin du film, ce qui n’était pas le cas de ses derniers rôles -. Elle est entourée de partenaires très juste, de Guy Marchand étonnant en père partagé entre la douleur et l’incompréhension, Élodie Bouchez qui attend un enfant et aimerait avoir un peu d’attention de sa mère, l’excellent Luis Rego père inquiet de Franck, ou l’amie fidèle jouée par Elli Meideiros désorientée par sa manière de canaliser la douleur. Cette évocation de cette véritable vampirisation, évite tout psychologisme, laissant des zones d’ombres, livrant le portrait à la fois inquiétant mais aussi touchant  d’une femme meurtrie, quand elle essaie de réconstituer la vie de son fils sans elle. Morel arrive à nouer une tension avec ses personnages, en détournant son image – étonnante scène où elle assiste à un concert de « The Tatianas » pour se rapprocher de son fils. Le personnage de Franck devenant otage de sa culpabilité est lui aussi très justement écrit, il y a un scénario très tenu, loin des scories référentielles dans le cinéma actuel de Christophe Honoré.

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Catherine Deneuve et Gaël Morel

Un petit pincement au cœur précédé donc à la venue de Catherine Deneuve, très disposée à rencontrer son public, à des années lumière de l’image qu’elle peut avoir parfois. Cette grande comédienne célébrée il y a peu à la Cinémathèque, a toujours joué avec elle – notamment dans « Le héros de la famille » de Thierry Klifa et la référence du manifeste des 343 -, et a toujours eu une belle disponibilité pour aider des cinéastes aux univers très contrastés. Elle parle avec lucidité de son métier, de son enthousiasme sur son rôle malgré la perspective de passer quelques semaines avec ce rôle désorientant. Elle répond avec simplicité et intelligence, préférant toujours comme le rappelait Gaël Morel, rater un rendez-vous plutôt qu’une rencontre. On sentait une réelle volonté pour elle de défendre ce film. Elle a répondu avec justesse, à une question que j’avais posé avec maladresse, sur les différences d’approche de jeu, avec le film « Ca n’arrive qu’aux autres » film autobiographique de Nadine Trintignant, où le couple qu’elle formait essayer aussi de vivre avec la perte d’un jeune enfant. Pour elle Camille va dans la vie, seule, avec conviction. On sent aussi une grande générosité, de par sa manière d’aider Gaël Morel, visiblement pas très à l’aise devant le public, sur l’évocation de son prochain projet, un téléfilm sur Arte avec Béatrice Dalle. Le public bordelais était hélas un peu timide, nous privant de la disponibilité de l’actrice. A la sortie du film, on la sentait retourner dans son monde, des lunettes de vues cerclées de noir et une cigarette au bec, papillonnant devant quelques fans, signant deux autographes, puis embrassant un spectateur. Elle attendit ensuite patiemment le véhicule qui devait l’accompagner à la sortie, nous quittant, préservée dans une aura très forte. Le public retourna donc vers les communs des mortels, se félicitant que Catherine Deneuve ait eu un rôle à la mesure de son immense talent.

CHACUN SON CINÉMA

Mais pourquoi la chaîne Arte flirte avec le n’importe quoi. A Bordeaux c’est assez comique, il n’y a pas de choix pour obtenir une version originale, et les films sont tous diffusés en 16/9ème, si vous avez une télévision normale, vous perdez, format 4/3 oblige, au moins un quart de l’image. Toutes suggestions concernant cette regrettable chaîne est donc bienvenue… Cette chaîne, comme Canal+ a diffusé cependant le film commémoratif du 60ème anniversaire du festival de Cannes – quoi de + normal puisqu’il n’y en eu que 58, si on ne compte pas le clash de 1968 ! -. Ce film « Chacun son cinéma ou ce petit coup de cœur quand la lumière s’éteint et que le film commence » (ouf) en est le titre complet, je me suis empressé de rajouter le titre exact sur IMDB. L’idée n’est pas neuve, demander comme avec « Lumière et compagnie » en 1995, pour le centième anniversaire du 7ème art, a des réalisateurs prestigieux de faire des petits courts. Le thème est la salle de cinéma, et la durée va de 3 à 5 minutes. C’est forcément inégal, mais c’est un exercice de style assez stimulant. Un DVD est sorti également avec en bonus les versions longues des films de Alejandro Gonzales Iñarittu, Michael Cimino et de Hou Hsiao Hsien. Le film est dédié à Federico Fellini. Petit panorama des sketches…

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La conférence de presse à Cannes 200, Roman Polanski s’apprête à réagir aux propos des journalistes…

# Cinéma d’été, réalisé par Raymond Depardon, son et production : Claudine Nogaret, montage de François Gedidier, assisté d’Esther Frey, mixage de Christophe Vingtrinier, étalonnage d’Aude Humblet : Sensations d’un soir d’été dans un cinéma d’Alexandrie. Attachant.

# Une belle journée, écrit, monté et réalisé par Takeshi Kitano, avec Kitano lui même – sous le nom de Beat Takeshi et Moro Morooka. Un homme dans une campagne désertique demande le tarif fermier (!) pour assister à la diffusion de « Kids Returns », mais le projectionniste kitanesques doit se débattre avec la vétusté de son matériel. Amusant.

# Trois minutes, réalisé par Théo Angelopoulos, images d’Andréas Sinanos, son de Laurent Poirier, décors de Valérie Valero, montage de Yannis Tsitsopoulos, musique d’Eleni Tsitsopoulos, musique d’Eleni Karaïndrou, directeur de production d’Éric Vassard, avec Jeanne Moreau. Ce sketche dure 3 minutes. Une femme – Jeanne Moreau touchante – se rend dans un cinéma désert. Il y a des mannequins habillés avec des cirés jaunes et des parapluies à l’entrée – Angélopoulos s’amuse en s’auto-citant (?) dans ses évocations d’une Grèce sous la pluie -. En contrechamp, on retrouve Marcello (Mastroianni), dans des images tirées de « L’apiculteur » d’Angélopoulos également. Jeanne Moreau donne ensuite un beau moment d’émotion en reprenant un texte de « La nuit » de Michelangelo Antonioni.

# Dans le noir, écrit et réalisé par Andréi Konchalovsky’’, avec Yola Sanko, Juris Laucinsh, Amexéï Grishine, Daria Gratcheva, images de Maria Solovieva, décors de Lioubov Skorina et Edouard Skorina, son de Vassili Filatov, montage d’Olga Grinshpoun, direction de production d’Evgeny Stepanov, assistant mise en scène : Dimitri Kroutchkov. : Une salle quasi-déserte une ouvreuse s’apprête à assister à la projection du « 8 et demi » de Fellini, mais les plombs sautes, il y a bien un couple de spectateurs mais qui ne pensent qu’à faire l’amour. L’ouvreuse malgré toutes ces déboires, est elle bien disponible pour voir ce grand film. Un petit côté désabusé compensé par l’espoir que les chefs d’œuvres perdureront.

# Diaro di uno spettatore (Journal d’un spectateur), réalisé par Nanni Moretti : Nanni Moretti évoque ses souvenirs de spectateurs en visitant plusieurs salles de cinéma. On retrouve son style avec ce monologue mordant et l’humour dans ses évocations de souvenir de cinéphiles, avec son fils et sa mère, passant allégrement de « Matrix 2 » à « Rocky Balboa », irrésistible.

# The Electric Princess Picture House, réalisé par Hou Hsiao Hsien : Un militaire accompagne une mère enceinte et ses deux petites filles devant un cinéma. On retrouve la vie de la cité devant de la salle, avec ses vendeurs à la sauvette. Nostalgie sensible d’un souvenir d’enfance d’une salle de cinéma disparue avec une image finale fantômatique du « Mouchette » de Bresson.

# Dans l’obscurité, réalisé par Jean-Pierre et Luc Dardenne, avec Émilie Dequenne et Jérémie Segard, photo d’Alain Marcoen, cadre de Benoît Dervaux, son de Benoît de Clerk, mixage de Thomas Gauder, costumes de Monic Parelle, décors d’Igor Gabriel, montage de Marie-Hélène Dozo, production d’Olivier Bronckart : Un petit voleur profite de l’émotion d’une spectatrice pour voler dans son sac. Second hommage à Robert Bresson avec un extrait sonore d’Au hasard Balthazar, et jolie petite pirouette finale.

# World cinéma, réalisé par Joel et Ethan Coen, avec Josh Brolin, Grant Heslov, Brooke Smith, caméra : Steve Lubensky. Un cow-boy rentre dans un cinéma d’arts et essais qui propose « La règle du jeu » et « Climats ». Il finit par aller voir ce dernier, convaincu par un employé passionné. L’incongruité d’un américain moyen du moins d’aspect – il cache en fait une ambigüité – qui finit par être touché par un film. Un hommage à l’universalité du cinéma.

# Anna, écrit et réalisé par Alejandro Gonzales Iñarittu, avec Luisa Williams dans le rôle d’Anna, images d’Emmanuel Lubezki : Un homme accompagne Anna, une jeune aveugle, à assister à la projection du « Mépris » de Godard, en lui détaillant certains plans. Elle est submergée par l’émotion par la force de la bande son du film. Joli moment tendre et émouvant.

# En regardant le film, réalisé par ZHANG Yimou, avec Wang Liang (Le jeune garçon), LI Man (La jeune fille), LU Yulai (Le projectionniste), scénario de Zou Jingzhi, ZHANG Yimou, prises de vues de Zhao Xiaoding, Son de TAO Jing, assistant réalisateur de LIU Guonan, Montage : CHENG Long : Les préparatifs en plein d’un petit cinéma itinérant dans un petit village vu à travers les yeux d’un enfant. Touchant et charmant.

# Le Dibbouk de Haïfa, réalisé par Amos Gitaï. Parallèle entre un cinéma de Varsovie 1936, et un autre de Haïfa, 70 ans plus tard. Un exercice de style brillant, montrant un lieu privilégié et vivant rattrapé par l’histoire.

# Lady the bug (Lady insecte)  de Jane Campion, avec Erica Englert (The bug), Clayton Jacobson (The man), et le voix de Geneviève Lemon, Marney McQueen, Clayton Jacobson. Produit par Christopher Gill, prises de vues de Greig Fraser, montage d’Alexandre de Franceschi, musique de Mark Brodshaw, direction artistique d’Andrew Short et Rebecca Cohen, cistyle de Gabrueka Cylesova et Jo Woodcroft. Une femme insecte énerve passablement un employé d’un cinéma. Ce sketche est dédié aux deux gentleman de Cannes Gilles Jacob et Pierre Rissient, mais me semble un peu anecdotique devant l’improbable prestation d’Erica Englert, créatrice de la bestiole.

# Artaud double life, réalisé par Atom Egoyan, images de Nick de Pencler, assisté d’Ono Weeda, musique de Mychael Danna, montage de Susan Shipton, assisté de Marc Roussel, son de Steven Munro. échanges de SMS de spectateurs dans des cinéma proposant « Vivre sa vie », « The adjuster » et « La passion de Jeanne D’Arc ». Le père Egoyan s’auto-cite se mettant sur le même plan que Godard ou Dreyer, et en plus encourage la désagréable habitude du portable allumé surlumineux dans une salle de cinéma. Reste qu’il trouve le moyen d’être brillant en opposant les images, malgré un certain manque d’originalité – le visage d’Anna Karina avec celui de Falconetti -, tout en rendant hommage à Antonin Artaud, on est loin des « Histoires du cinéma » de Godard.

# Sputnik – Esittää (Valimo – La fonderie), d’Aki Kaurismäki, avec Matti Hyvönen, Arto Malmberg, Tarmo Nyholm, Jukka Rautiainen, Jukka Salmi : Le style Kaurismakien, reconnaissable entre mille, des ouvriers d’une fonderie vont voir une sorte de cinéclub des petits films Lumière avec « La sortie de l’usine Lumière à Lyon 1895 », sous fond de musique rock. Galerie de trognes et ébauche d’une idée de révolte par le cinéma contre un monde difficile ?

# Recrudescence, d’Olivier Assayas, avec Deniz Gamze Ergüven, George Babluani et Lionel Dray, reste du générique difficilement lisible : Un petit couple amoureux bouffeur de pop-corn rentre dans le multiplex de l’UGC des halles, est suivi par un voleur… Même principe que le film des Dardenne, impressions parisienne et petit twist final difficilement cernable.

# 47 ans après, de Youssef Chahine, image de Ramzis Marzouk, montage de Ghada Ezzeldin, son et mixage de Mustafa Aly, avec Yossra El Lozy, Karim Kassel : Évocation du silence à Cannes autour de la sélection du second film de Chahine avant de recevoir des mains d’Isabelle Adjani, le prix du 50ème anniversaire pour son l’ensemble de son œuvre, pour son humanité, son courage et sa clémence. Les deux jeunes acteurs du débuts du film, sont mal dirigés. Le reste provient d’images d’archives cannoise de 1997. Auto-célébration de Youssef Chahine par lui même, mais message d’espoir aux débutants. Gentiment vain.

# It’s a dream (C’est un rêve), de Tasi Ming Liang, avec Lee Kang Sheng, Chay Yiok Khuan, Pearlly Chua, Norman Atun, Lee Yi Cheng. Une voix off raconte un rêve où il voit son père jeune et sa mère âgée, avant de se souvenir de l’amour du cinéma de sa grand-mère. Rêverie autour des écrans nostalgiques.

# Occupations, de Lars Von Trier, avec Jacques Frantz et Lars Von Trier : Un homme – Frantz – à la fois critique et homme d’affaires, s’ennuie ferme à la vision de… « Manderlay ». Il se met à parler avec son voisin – Lars Von Trier -. Exercice iconoclaste d’autodérision et excellente prestation de Jacques Frantz jouant en anglais.

# Le don, dialogue d’un cinéphile aveugle avec sa nièce anthropologue, de Raoul Ruiz, avec Michael Lonsdale et Miriam Heard : Retrouvaille avec Michael Lonsdale, plus de 20 ans après « L’évadé du pont de l’Alma ». On retrouve le côté conteur du cinéaste, avec les souvenirs d’un aveugle, qui avait apportait une caméra dans un petit village du Chili. Onirique dans un climat fantastique.

# Cinéma de Boulevard, de Claude Lelouch, avec Audrey Dana et Zinedine Soualem. Lelouch raconte la rencontre de ses parents dans un cinéma d’avant-guerre pour voir « Top hat » avec Fred Astaire et Ginger Rogers. Le cinéma sera un refuge ensuite pour le cinéaste durant la seconde guerre mondiale et lui montrera sa vocation avec « Quand passent les cigognes ». Sa mère reverra plus tard Fred Astaire et Ginger Rogers sur un écran, mais aux côtés de son fils pour la remise de l’oscar d’  « Un homme et une femme ». Sans surprise mais plaisant.

# First Kiss (Premier baiser), réalisé par Gus Van Sant, avec Paul Parson (The projectionnist) et Viva Las Vegas (sic) (The sunbather) : un jeune projectionniste est fasciné par l’image d’une jeune femme au bord de la mer. Quand « La rose pourpre du Caïre » rencontre « Le lagon bleu ». Mouais… Il y a des jours où l’on se demande pourquoi Gus Van Sant a « La carte »…

# Cinéma érotique, réalisé par Roman Polanski, avec Jean-Claude Dreyfus, Edith Le Merdy, Michel Vuillermoz, Sara Forestier, Denis Podalydès. Un couple (Édith Le Merdy et Jean-Claude Dreyfus) dans un cinéma, entendent des cris de jouissance lors d’une séquence de film érotique. Fortement gênés par de ce vil onaniste – Michel Vuillermoz -, ils appellent l’ouvreuse – Sara Forestier enlaidie -, qui devant la situation va vers son directeur – Denys Podalydès -. Enfin un peu d’humour, l’œuvre est drôlatique, même si la « chute » est prévisible.

# No translation needed – Sans traduction, réalisé par Michael Cimino, avec Juliana Muñoz (+ vocaliste) et Yves Courbert, montage de Gabriel Reed, cinématographie de Francis Grumman, producteur associé de Calantha Mansfield, produit par Joann Carelli, musique de Son Mayor.  Un cinéaste fortement agité – Yves Courbet -, réalise un clip en DVD d’une chanteuse  sud-américaine sensuelle – Juliana Muñoz – Autodérision – « Tu te prends pour « Miguel » Cimino ! » -, rythme et humour, efficace.

# At the Suicide of the Last Jew in the World in the Last Cinema in the World  (Le suicide du dernier juif du monde dans le dernier cinema du monde), réalisé par David Cronenberg, avec David Cronenberg et les voix de Jesse Collins et Gina Clayton, avec la collaboration de Brandon Cronenberg, Carlyn Zeifman, John Bannister, Deirdre Bowen, Howard Shore, et … Deluxe, Toronto : Deux journalistes de « MBT Auto Bio Cam », commente le suicide en direct d’un juif hongrois dans la dernière salle du cinéma du monde. L’un des meilleurs sketches du film, avec un seul plan séquence joué par Cronenberg lui-même. Une réflexion salutaire sur l’avenir du

cinéma.

# I travelled 9000 km to give it to you (J’ai fait 9000 km), réalisé par Wong Kar Wai, écrit par Wong Kar Wai et William Chang, avec Fan Chih Wei, Frani Chang et Yui Ling : Caresse érotiques d’un couple lors de la projection d’Alphaville de Godard. On retrouve la virtuosité furtive et habituelle, limite chichiteuse, du metteur en scène.

# Where is Romeo (Où est mon Roméo ?), par Abbas Kiarostami, avec Nikoo Kheradmand, Laleh Eskandari, Fatemeh Motamedaria, etc… : Visages de femmes voilées pleurant lors de la diffusion de « Roméo et Juliette ». La simplicité de la mise en scène transcende l’émotion. Le film remercie Mme Nikoo

Kheradmand.

# The last dating show (La séance du dernier rendez-vous), de Billie August, avec Frank Hyam, Kristian Ibler, Casper Christensen, Peter Hesse Overgaard, Anne-Marie Louise Curry, etc… – générique peu lisible -. Un jeune danois a une invitation pour une femme voilée. Il lui traduit le en anglais car elle ne parle pas danois, ce qui énerve trois spectateurs : Très joli film pour l’académique Billie August, il semble que le format court lui sied beaucoup avec cette ode à la tolérance.

# Maladresse, écrit et réalisé par Elia Suleimann, avec Elia Suleiman, Leonid Alexeienko, Rami Abdu Hanna, Ehad Assal, Raja Dbayeh, Maria Villa Rebolo, Anton Shalhat, Rashad Deek, Ala Harbaji, Abeb Zoubi. Un metteur en scène – Elia Suleiman keatonien – vient présenter dans un pays de l’Est, son film. Mais la projection de son film s’avère catastrophique. Épisode très drôle proche des petits maîtres du burlesque américain. Nous recevons ici de bonnes nouvelles de ce cinéaste trop rare.

# Rencontre unique, écrit et réalisé par Manoel de Oliveria, avec Michel Piccoli (Nicolas Khrouchtchev), Duarte d’Almedia (Le pape Jean XXIII), Antoine Chappey (Le secrétaire de Krouchtchev), photographie ; Francisco de Oliveira, assisté de Mathieu Giombini, costumes de Fabio Perrone, Semira Suspene, Truquages de Stéphane Mitonneau, montage de Valérie Loiseleleux : Retour au muet et aux sources pour de Oliveira, où la rencontre improbable, sur une musique d’Erik Satie, de  Krouchtchev avec le camarade pape Jean XXIII.

# Miguel Pereira, Brésil… à 8944 km de Cannes, réalisé par Walter Salles, avec Castanha et Caju, assistant réalisateur : Georges Moura, images de Mauro Pinheiro Jr, montage de Livia Serpa, son de Leandro Lima… : Joutes musicales devant un cinéma diffusant « Les 400 coups », galvanisant.

# War in peace (Guerre en temps de paix), réalisé par Wim Wenders : Kabalo au cœur du fleuve Congo, octobre 2006, première année de paix après un siècle de colonisation, après 30ans de dictatures, 10 ans de guerre, 5 millions de morts, des enfants regardent « La chute du faucon noir » devant une salle télé aménagée en cinéma de fortune. Wenders signe ici l’un des meilleurs épisodes du film, montrant des enfants traumatisés par la guerre fascinés et déroutés par le film de Ridley Scott.

# Au village, de Chen Kaige, images de Zhao Xiaoshi, direction artistique de Lui Quing :  1977 : Des enfants organisent une petite projection d’un film de Charlot, à l’extérieur dans un hiver glacial, en pédalant sur des vélos, pour faire fonctionner leur petit matériel. 2007 : Un aveugle entre dans une salle de cinéma. Troisième court sur le thème de la cécité. Poétique, charmant et ludique.

# Happy ending, un père et fils hésite sur le film à voir dans une salle d’attente, ce qui énerve passablement un spectateur. Mordant, dialogue brillant – le père présente Adolf Hitler comme vendeur de patates sur Barking Road ! – Loach égratigne en passant le cinéma de divertissement de masses.

# Épilogue : Extraits du film de René Clair « Le silence est d’or », avec la fameuse réplique de Maurice Chevalier : « Vous aimez quand ça finit bien Mademoiselle ».

CLERKS II

img514/7284/clerks2fn0.jpg En aparté, dernier salut à un vieux cabot institutionnel qui nous parle une dernière fois, 5 minutes – douche comprise ? -, je ne sais pas si c’est l’effet de la lecture du prompteur ou les affres de la maladie, mais j’ai crû voir un zombie d’un film de Romero mâtiné de Louis XV. On peut lui préférer le génial Robert Hirsch nous livrant un formidable numéro lundi soir à la cérémonie des Molières avec un grand sens de l’autodérision et du panache. Pour rester dans une certaine inanité , j’ai vu « Clerks 2 » avec un vague bon souvenir du premier opus, « Clerks, les employés modèles », film fauché en noir et blanc. Nous étions 2 dans la salle, et j’avais l’appréhension morose de m’attendre à voir exploité à l’envi de filon de ses employés minables – après  « Clerks, The cartoons », la série TV)- .  La vulgarité est à la mode, citons Jean-Marie Bigard et son célèbre poil de cul dans la savonnette, il fallait le voir un jour chez Michel Denisot, louer que son anus soit érogène pour finir par demander à la belle Valeria Golino s’il peut se caresser quand elle parle… Il finit légitimement par grossir la longue liste des souteneurs de Nicolas S. N’est pas Rabelais qui veut, faire frémir nos zygomatiques avec quelques énôôôrmités n’est pas donné à tout le monde. Il faut un sacré talent pour nous amuser avec ces matières, mais bonne surprise c’est le cas ici avec ce film de Kevin Smith. On le retrouve donc douze ans qui joue avec nos « nerds » Dante Hicks – Brian O’Halloran, la trentaine fatiguée – et Randall Graves – Jeff Anderson, et son sempiternel petit côté potache -, travaillant désormais dans la restauration rapide, Randal ayant oublié d’éteindre la cafetière et ayant mis le feu à son magasin. Dante doit se marier avec une femme aisée, et veut quitter le fast-food.

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Rosario Dawson & Brian O’Halloran

Randal appréhende de se retrouver seul, et se console en faisant du jeune cuistot du lieu son souffre-douleur, ce qui est d’autant plus aisé que ce dernier est fan des « Transformers ».  Dante a lui des affinités, avec la gérante du restaurant, la belle Becky – Charmantissime Rosario Dawson, venant du vivier Rodriguez-Tarantino, dans un rôle plus sage qu’à l’accoutumé-. Jay et Silent Bob – Jason Mewes et Smith himself -, zonards dealers qui viennent de purger une peine de prison, retrouvent leurs marquent en végétant devant le restaurant. Kevin Smith joue avec bonheur avec la vacuité de son scénario, pour preuve il y a même une apparition de Ben Affleck – du latin « affligere » -. La modestie du traitement finit par donner un résultat assez plaisant. Dans un jeu « tarantinien » d’éloge de la sous-culture, il continue à nous amuser, les fans de « La guerre des étoiles », devant composer désormais avec ceux du « Seigneur des anneaux ». Randal, éternel « adulescent »,  finit par accuser une sorte de « coup de vieux », comme dans la scène où il est humilié par le décalé Jason Lee. Il se paie même le luxe de flirter avec la mièvrerie. Mais les personnages évoluent, trouvant une gravité inattendue avec la maturité, la manifestation d’une jovialité permanente finit par lasser place à une inquiétude sourde à l’avenir. Mais le mauvais goût assumé de situations vraiment scabreuses est ici assez réjouissant, on retrouve avec plaisir la scène culte de Jay, rejouant la célèbre danse de Ted Levine dans « Le silence des agneaux ».  Au final, même si curieusement il y a un conformisme inattendu, c’est une bonne surprise, surtout en comparaison avec le tout venant des comédies françaises actuelles. A défaut d’originalité, ce recyclage se révèle assez réjouissant. Le film est un peu à l’image de la scène ahurissante avec l’âne, « c’est dégoûtant, mais on ne peut pas s’empêcher de regarder ».

TRÈS BIEN MERCI

img148/8024/trsbiennl5.jpg Alex et Béatrice – Gilbert Melki et Sandrine Kiberlain – sont un couple sans histoires et sans enfants. Ils plient un peu l’échine face aux agressions du quotidien. Elle conduit un taxi, rongeant son frein quand ses clients lui font des caprices selon le bon principe du client qui est roi – dont Camille Japy, irrésistible ici, mais c’est normal on n’est pas ici chez Eric-Emmanuel Schmitt…-. Lui est un expert comptable sous pression permanente de son patron – Christophe Odent, excellent en chéfaillon méprisant -. Il défend mollement son collègue Landier – trop rare Olivier Cruveiller qui incarne un sympathique combinard – qui en tant que représentant gruge sur la note de frais, et est de ce fait le candidat idéal pour un licenciement. Quelques signes avants coureurs de son avant coureur, finissent par surgir chez Alex, notamment quand il se laisse à fumer en cachette dans les toilettes et finit par être verbalisé dans le métro pour sortir son indispensable cibiche. Un soir Alex s’arrête devant un banal contrôle d’identité fait par la police sur un jeune couple. Il regarde cette action et finit par sa seule présence par énerver les représentants de la loi, ce fait anodin finit par atteindre des proportions inattendues. Après une nuit au poste assez rude, il réclame le commissaire des lieux, qui reste tragiquement absent. Il va atterrir sans rien comprendre dans un hôpital psychiatrique, les policiers ne comprenant pas que l’on puisse remettre en question la suprématie de leur autorité. Gilbert Melki, assurément l’un des plus grands comédiens du cinéma français, avec humour et une grande justesse, excelle dans ce rôle d’homme ordinaire, fatigué, résigné et sans histoire Il finit par ne plus vouloir joué le jeu des apparences, quitte à se laisser choir. Sandrine Kiberlain joue avec retenue son épouse, qui en voulant l’aider finit par l’enfoncer sans le vouloir, dans une scène d’une absurdité assez réjouissante avec Frédéric Pierrot en interne surmené qui le fait hospitaliser sans le voir. Au contraire d’un Nicolas S., candidat à la Présidence à la sortie du film, qui avait eu un lapsus intéressant « J’ai connu l’échec et j’ai dû le surmontrer » –. Alex perplexe , « sousmontre » les épreuves. Comme badaud de lui même finit par devenir le propre spectateur de sa propre détresse subie.

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Gilbert Melki

Il finit même par trouver un avantage, son hospitalisation finissant par lui donner l’occasion de souffler un peu. Difficile de ne pas évoquer Franz Kafka, d’autant plus qu’il y a dans ce film également un humour omniprésent devant l’incongruité des situations. Cette drôlerie en filigrane, finit par nous aider à supporter, une tension constante, Emmanuelle Cuau joue avec nos peurs, celle du chômage , de l’échec et d’un stress que l’on arrive plus à contenir. Elle avait montré déjà beaucoup de talents avec son « Circuit Carole » sorti en 1995 avec Laurence Côte et Bulle Ogier. Sur un ton intimiste, elle analyse avec finesse les mécanismes de notre société. En prenant le parti-pris du réalisme, on est amené à réfléchir sur son propre sort, la manière dont une vie peut changer si on finit par ne plus respecter les « cases » qui nous sont réservées dans notre société. On finit par réfléchir sur son égoïsme, ses capacités à être rassurés avec ses petits enfermements balisés. Il y a un ici un constat amer, sur la manière d’être démuni que l’on peut avoir devant les autorités ou les notables, à l’image du grand moment d’humour noir, où une psychiatre incarnée avec autorité par Catherine Ferran, où son personnage explique comment Alex a tenté de se suicider en se jetant au travers d’une fenêtre fermée, alors qu’il est victime d’un accident. Le film laisse des avis assez tranchés, entre ceux touchés par ce film et ceux franchement agacés par son traitement. Les films qui respirent l’air du temps ne sont pas si nombreux dans le cinéma français. Souhaitons que ce film ne soit pas un avant goût de nos 5 prochaines années, si on voit ce film à l’aune de la victoire d’une droite qui se veut autoritaire. A l’instar d’Annie Cordy, notre icône politique de la droite décomplexée pourrait bien chanter à notre petit valeureux peuple franchouille – mais l’idée politique chagrine qui s’offre en concurrence l’ordre juste et le drapeau français est gratinée également – : « Tu m’as voulu(uuu)e – Tu m’as eu(uuu)e – Tu m’as choisi(iii)e – C’est tant pi(iii)s… ». En attendant on peut toujours se consoler avec ce film salutaire, nous offrant une réflexion à contre courant du climat ambiant.

LE COIN DU NANAR : LA GRANDE MAFFIA…

Une pensée pour ce pôôôvre Vincent Bolloré qui est dans la tourmente…. Il est difficile de ne pas s’émouvoir devant le sort de cet homme, 451ème fortune mondiale, ce qui est assez chiche, convenons-en, même pour la France qui se lève tôt. Pourtant, pour recevoir un nouvel élu de la république – confit dans son arrogance – dans son joyeux yacht Paloma, il a dû en faire des efforts et des sacrifices. Prenons en exemple sa chaîne, Direct 8, petit prodige du PAF… En effet, on peut faire une chaîne de la TNT dans l’improvisation, avec le budget d’une télé locale ou d’un pays de l’Europe de l’Est au P.I.B. anémique. Enfin les amateurs, les hésitants peuvent faire leurs premières armes sans être dérangés par le CSA, qui touchée par cette maladresse, a enfin l’occasion de baisser les armes, en louant cette capacité de faire de la télévision sans la moindre idée saugrenue d’innovation. On exhume en passant quelques animateurs de la trash TV, trouvant le moyen d’expier leurs fautes dans l’honneur, la France du mérite, quoi… Mine de rien, cette chaîne, au moins, montre la grande richesse de l’identité nationale notre grand cinéma. Prenons en exemple, « La grande maffia…. », film de 1971 de notre génial Philippe Clair, une rareté, s’il en est… Merci Vincent, grâce à vous, enfin, nous avons l’occasion de voir cet incunable de notre cinéma. L’histoire est assez édifiante, Modeste Miette – Francis Blanche qui semble moyennement être concerné par l’agitation ambiante -, est employé timoré de la banque Rotfeller – mort de rire ! -. Ce bureaucrate est en prime allergique à la paperasse… qui lui déclenche une allergie ! Trois truands se sont infiltrés dans les lieux – les « Tontos » (sic), trio de comique italiens dont Aldo Maccione, 1 an après sa découverte en France dans « Le voyou » de Claude Lelouch -. Ces criminels maffieux sont assez potaches, allant jusqu’à humilier constamment le pauvre Modeste, qui trompe sa frustration en lorgnant sur la superbe plastique de Chantal Nobel, figurant une secrétaire sexy. Il y a bien Mlle Pussiau – Micha Bayard irrésistible et pour une fois dans un rôle sympathique -, qui est amoureuse transie de Modeste, mais son air rébarbatif et son improbable perruque filasse, n’aident pas beaucoup à sa séduction. Les facéties continuent, entre deux entraînements forcés d’un petit chef de service énervé et bondissant, qui pousse ses troupes à l’excellence – joué par Sim, toutes ressemblances… -. Epuisé, Modeste finit par avoir une crise cardiaque, après avoir trouvé une souris blanche tontosienne placée dans son tiroir. Le bouche-à-bouche de Mlle Pussiau, n’étant pas très efficace – elle aspire… -, un interne survolté qui se prend pour un toréro – André Gilles, comédien souvent sous-utilisé -, finit par se prendre pour le professeur Barnard, et lui greffe le cœur du chef des Tontos, celui d’Al Cartone – re-mort de rire…-. Modeste avec son nouveau cœur finit par se prendre pour le célèbre gangster. Les pères des tontos – Michel Galabru, Achille Zavatta et Serge Davri, qui heureusement pour eux n’ont que deux scènes, finissant en prison, Norbert devient le nouveau chef maffieux, gageons que Francis Coppola, a du s’inspirer de ce film pour son célèbre « Parrain ». 

Francis Blanche

Philippe Clair, avec son bagou, habituel, aime à envoyer valdinguer le bon goût, il raille tout ce qui est à sa portée, en franchissant allégrement la ligne jaune, en se moquant des nains, des obèses, des déviants de toutes sortes. Mais concédons lui d’avoir voulu sortir le cinéma comique français de l’ornière du vaudeville. Mais c’est pour se planter assez lamentablement, il fait de grands efforts assez vains d’accélérations, de distorsions d’images, et d’accélération généralisée des plans à défaut de lui donner du rythme. On sourit à quelques gags, comme un liquide vert coulant d’un feu rouge détruit, mais l’ensemble est assez vain. Il était pourtant visible que Philippe Clair avait pensé aux Marx Brothers, de par la manière de laisser toujours une dizaine de personnes dans chaque plans. L’absurdité générale finit par avoir son charme, comme Francis Blanche attaquant une banque déguisé en « Papa Schultz » du film de Christian-Jacque « Babette s’en va-t-en guerre », en déclarant : « C’est un costume qui me restait d’un vieux film » ! Les dialogues sont débiles à souhait, ce qui ne gâte rien, exemple : – les Tontos (avec accent italien) : « On était sûr Jour H, que c’était l’heu(o)re J », Michel Galabru : « L’orgie ? Ah non, l’heure J »… Mais il y a une distribution hallucinante, Jean Rupert, Gilbert Servien et le cher Henri Attal en employés de bureaux, Annick Berger en mamma envahissante, Dominique Zardi et Gérard Croce en gangsters idiots, les nains Roberto – dans trois rôles – et Jimmy Karoubi en petit président de la banque, dont la petite taille est jugée comme nuisant à la crédibilité de sa fonction – toutes ressemblances…- , Rudy Lenoir en fumeur de cigare chauve, Bernard Lavalette en notaire bafoué, Ibrahim Seck en gangster noir qui bien évidemment veut manger Francis Blanche, Georges Douking en faux aveugle, Yves Barsacq en policier, Pierre Repp sempiternel bafouilleur dans son sketche habituel – il se définit comme premier sinistre !, Amarande en veuve délurée, Carlos – soutien de…-  en gendarme de campagne, et même Sidney Chaplin – fils de Charles Spencer – en banquier idiot. On retrouve même Philippe Clair agité au-delà du burlesque en curé pied noir énergique. Tous ce petit monde est bien évidemment en roue libre, et semble beaucoup s’amuser… Nous un peu moins. Mais ne disons pas trop de mal des ringards, car s’ils vous soutiennent, ils peuvent vous apporter la victoire… Le film vaut bien un label nanar culte, car Philippe Clair a une énergie débordante et le film se voit sans trop de déplaisir. L’excellent site Nanarland en parle d’ailleurs avec brio, comme « une coke filmique ». A lire leur analyse jubilatoire de ce film ici. Message personnel à Monsieur Vincent et son Direct 8 : Encore ! le potentiel de nanars du cinéma français étant inépuisable…

LES BALLETS ÉCARLATES

6ème salve des films de Jean-Pierre Mocky en DVD, disponible depuis le 25 avril dernier. Loin d’êtres des fonds de tiroirs, ces films montrent l’originalité du cinéaste, qui n’est finalement jamais où on l’attend. Mon préféré de cette série reste « Chut ! » (1971), avec le génial Jacques Dufilho, charge féroce sur le petit monde des épargnants, mais le film est hélas disponible dans la version courte, faite pour la sortie VHS sous le titre « Mocky s’moque N°1 » – « Mocky s’moque N°2 » étant « Les rois des bricoleurs » (1976), c’est également cette version courte, sans générique (!) qui figure dans le DVD du film- . On retrouve aussi « Les vierges » (1962), évocation de la première expérience sexuelle de 5 jeunes femmes , « Divine enfant » (1989), amusant film pour enfant, « Noir comme le souvenir » (1994), film d’atmosphère, et « Le mari de Léon » (192) excellente adaptation de l’œuvre de Frédéric Dard. Cerise sur le gâteau, il y a deux films inédits en salle, tournés en 2004, la même année que « Grabuge » : « Touristes ? oh yes ! » – j’y reviendrai – et « Les Ballets écarlates ». Petit rappel avant de m’arrêter sur ce dernier, l’article de ce blog sur Les couilles en or, est en fait un poisson d’avril. Le film est bien entendu invisible, difficile de vérifier si c’est une affabulation mockienne… « Les ballets écarlates », co-écrit par le fidèle Alain Moury, est l’un des films les plus noirs de l’œuvre du cinéaste. Difficile de comprendre le système Mocky, sur la distribution de ses films. Malgré son omniprésence sur les écrans TV – il fallait le voir insulter injustement Philippe Torreton dans la soirée électorale proposée par M6 -, il rechigne à financer la publicité autour de la sortie de ses films. La raison évoquée pour que « Les ballets écarlates » soit resté inédit trois ans est … la censure ! Il évoque dans son dernier ouvrage « Mocky s’affiche » (Éditions Christian Pirot, 2007), « Film censuré, médias muets ». Pour DVDrama il évoquait plus longuement ce film – le lire dans son intégralité ici : « Il a été interdit par la censure, ce qui est rare de nos jours. Il devait sortir à l’époque où on brûlait des bagnoles. J’en ai profité pour aller voir Renaud Donnedieu de Vabres en lui disant: «moi, si vous me faîtes chier, avec mon copain du Monde, on va faire un scandale dans le journal». (…) Au départ donc, ils l’ont interdit; ensuite, ils l’ont autorisé après ma visite et les chantages. (…) Ce film, je l’ai fait en souvenir de cette petite fille. J’ai pensé que tout le monde serait ému. En plus, j’ai donné l’argent aux enfants. (…) Et là-dessus, on me l’interdit. Pathé qui sont mes amis l’avaient inscrit dans leur convention de septembre dernier et il a été resucré. Il y a une sorte de cabale. (…) Alors, finalement, Pathé l’a acheté en dvd mais n’a pas pu le présenter en officieux. (…). Pour vous donner une idée, il y avait un festival du film noir à Besançon il y a trois mois. L’organisateur qui est un jeune comme vous avait vu le film, le trouvait excellent et ne comprenait pas pourquoi il était refusé. Donc il l’a pris dans son festival. J’arrive à Besançon il y a quelques mois. Je présente le film à 20h30. La salle était bourrée, les gens ont applaudi à la fin et ne sont pas sortis pour assister au débat. (…) Le lendemain, un journaliste de L’Est républicain fait un article sur moi et? pas un mot du film! (…) J’ai déjà eu des problèmes avec mes anciens films comme Snobs qui était interdit en Afrique noire et La cité de l’indicible peur qui a été mutilé. Tout ça, ça ne me choque pas. Mais là, vraiment, c’est clair qu’il y a une obstruction totale, comme si personne ne voulait en parler. (…) ». Je vous laisse juge…

Patricia Barzyk & Jean-Pierre Mocky

Quoi qu’il en soit le film est désormais visible, Mocky le présente dans un bonus comme un mélo. L’histoire dans une petite ville province, un rabatteur – Alain Fourès – achète à un père alcoolique et désœuvré – François Toumarkine dans la monstruosité -, la présence de sa fille – Hortense Belhôte – et de son très jeune fils Éric – Florian Junique -, pour assister à une « partie fine » pour des pédophiles. Ces pervers immondes sont en fait des notables « respectables ». Mais Éric arrive à s’enfuir. Il est recueilli par Violaine, qui vit près d’un bois – Patricia Barzyk dans la conviction -, femme d’un garde-forestier. Elle vit seule depuis l’hospitalisation de son mari, devenu fou de douleur depuis la disparition de leur petit Guillaume… Le film, il faut bien le dire laisse dans un état nauséeux. Sans le raconter, disons qu’il a une morale discutable, proche d’un film récent, le contestable  « Contre-enquête » de Franck Mancuso -, idées que l’on retrouvait souvent dans le cinéma des années 70. Mocky montre sa défiance aussi bien pour les politiques que les instutions. renâcle avec beaucoup d’amertume sur ses personnages. Les exécutants sont pitoyables, comme les personnages joués par Alain Fourès  sinistre homme de main ou Michel Bertay, qui incarne un tueur déchu obligé pour vivre d’exécuter les basses œuvres. Les élites d’une province étriquée incarnés par  Dominique Zardi odieux voyeur ou Christian Chauvaud en redoutable manipulateur, n’œuvre que pour leur bon plaisir. Si Violaine trouve des aides vengeresses, Jean Abeillé conseiller désabusé sitant Freud, Nadia Vasil sœur d’un politique indigné et Mocky lui même qui incarne Mathieu, un armurier opportuniste. Le film malgré ses faibles moyens est assez prenant, Mocky film la ville de Vienne de manière insolite et le chef opérateur Edmond Richard connaît son métier. Signalons la musique de Vladimir Cosma, qui comme à l’accoutumée, recycle allégrement ses anciennes musiques. On attend par exemple dans un restaurant chinois, la musique du « Banzaï » de Claude Zidi ! Ce qui constitue un curieux décalage dans ce film très âpre. Le film met vraiment mal à l’aise, l’organisation d’un dispositif mettant en scène des enfants dont l’innocence va être pervertie pour les fantasmes monstrueux d’hommes mûrs est particulièrement éprouvant. Je préfère le Mocky satiriste à celui vindicatif du film, mais le sujet ne le prédisposait pas à l’exercer. Après « Le témoin » (1978) et « Noir comme le souvenir », il évoque une nouvelle fois la pédophilie mais en radicalisant son propos. J’avais crée une fiche pour ce film sur IMDB, qui sera actualisée sous peu.