Alex et Béatrice – Gilbert Melki et Sandrine Kiberlain – sont un couple sans histoires et sans enfants. Ils plient un peu l’échine face aux agressions du quotidien. Elle conduit un taxi, rongeant son frein quand ses clients lui font des caprices selon le bon principe du client qui est roi – dont Camille Japy, irrésistible ici, mais c’est normal on n’est pas ici chez Eric-Emmanuel Schmitt…-. Lui est un expert comptable sous pression permanente de son patron – Christophe Odent, excellent en chéfaillon méprisant -. Il défend mollement son collègue Landier – trop rare Olivier Cruveiller qui incarne un sympathique combinard – qui en tant que représentant gruge sur la note de frais, et est de ce fait le candidat idéal pour un licenciement. Quelques signes avants coureurs de son avant coureur, finissent par surgir chez Alex, notamment quand il se laisse à fumer en cachette dans les toilettes et finit par être verbalisé dans le métro pour sortir son indispensable cibiche. Un soir Alex s’arrête devant un banal contrôle d’identité fait par la police sur un jeune couple. Il regarde cette action et finit par sa seule présence par énerver les représentants de la loi, ce fait anodin finit par atteindre des proportions inattendues. Après une nuit au poste assez rude, il réclame le commissaire des lieux, qui reste tragiquement absent. Il va atterrir sans rien comprendre dans un hôpital psychiatrique, les policiers ne comprenant pas que l’on puisse remettre en question la suprématie de leur autorité. Gilbert Melki, assurément l’un des plus grands comédiens du cinéma français, avec humour et une grande justesse, excelle dans ce rôle d’homme ordinaire, fatigué, résigné et sans histoire Il finit par ne plus vouloir joué le jeu des apparences, quitte à se laisser choir. Sandrine Kiberlain joue avec retenue son épouse, qui en voulant l’aider finit par l’enfoncer sans le vouloir, dans une scène d’une absurdité assez réjouissante avec Frédéric Pierrot en interne surmené qui le fait hospitaliser sans le voir. Au contraire d’un Nicolas S., candidat à la Présidence à la sortie du film, qui avait eu un lapsus intéressant « J’ai connu l’échec et j’ai dû le surmontrer » –. Alex perplexe , « sousmontre » les épreuves. Comme badaud de lui même finit par devenir le propre spectateur de sa propre détresse subie.
Gilbert Melki
Il finit même par trouver un avantage, son hospitalisation finissant par lui donner l’occasion de souffler un peu. Difficile de ne pas évoquer Franz Kafka, d’autant plus qu’il y a dans ce film également un humour omniprésent devant l’incongruité des situations. Cette drôlerie en filigrane, finit par nous aider à supporter, une tension constante, Emmanuelle Cuau joue avec nos peurs, celle du chômage , de l’échec et d’un stress que l’on arrive plus à contenir. Elle avait montré déjà beaucoup de talents avec son « Circuit Carole » sorti en 1995 avec Laurence Côte et Bulle Ogier. Sur un ton intimiste, elle analyse avec finesse les mécanismes de notre société. En prenant le parti-pris du réalisme, on est amené à réfléchir sur son propre sort, la manière dont une vie peut changer si on finit par ne plus respecter les « cases » qui nous sont réservées dans notre société. On finit par réfléchir sur son égoïsme, ses capacités à être rassurés avec ses petits enfermements balisés. Il y a un ici un constat amer, sur la manière d’être démuni que l’on peut avoir devant les autorités ou les notables, à l’image du grand moment d’humour noir, où une psychiatre incarnée avec autorité par Catherine Ferran, où son personnage explique comment Alex a tenté de se suicider en se jetant au travers d’une fenêtre fermée, alors qu’il est victime d’un accident. Le film laisse des avis assez tranchés, entre ceux touchés par ce film et ceux franchement agacés par son traitement. Les films qui respirent l’air du temps ne sont pas si nombreux dans le cinéma français. Souhaitons que ce film ne soit pas un avant goût de nos 5 prochaines années, si on voit ce film à l’aune de la victoire d’une droite qui se veut autoritaire. A l’instar d’Annie Cordy, notre icône politique de la droite décomplexée pourrait bien chanter à notre petit valeureux peuple franchouille – mais l’idée politique chagrine qui s’offre en concurrence l’ordre juste et le drapeau français est gratinée également – : « Tu m’as voulu(uuu)e – Tu m’as eu(uuu)e – Tu m’as choisi(iii)e – C’est tant pi(iii)s… ». En attendant on peut toujours se consoler avec ce film salutaire, nous offrant une réflexion à contre courant du climat ambiant.