« Nord », sorti en 1992 était à marquer d’une pierre blanche. Ce drame sur l’alcoolisme étonnait par son naturalisme, son âpreté et nous redonnant en passant l’excellent Bernard Verley. Le suivant « N’oublie pas que tu vas mourir » survolté, désordonné et mésestimé, sur le même sujet traité par François Ozon, sur « Le temps qui reste ». Assagi, « Selon Mathieu », montrait avec justesse les grandes amours contrariées entre deux personnes venant d’un milieu différent. Il est vrai Xavier Beauvois a « la carte » il nous livre ici son quatrième film depuis son premier tournage en 1989, ce qui est peu après la promesse que l’on pouvait avoir pour ses premiers travaux. Le réalisateur reprend la mouvance Pialat, avec une reprise de son « Police », et l’on pense -comme tout le monde – également au très beau « L627 » de Bertrand Tavernier et « Scènes de crimes » qui ont changé la donne ces dernières années. Le formatage « clicheteux » des dernières fictions TV, nous font voir ce film avec intérêt. Ce qui est passionnant dans ce film, c’est de découvrir en même temps que le jeune Antoine Derouère – Jalil Lespert, fiévreux et avide d’adrénaline, définitivement l’un des meilleurs comédiens de sa génération -.
Antoine Chappey, Nathalie Baye & Jalil Lespert
Il quitte son cocon du Havre où il laisse sa jeune femme et ses parents, pour aller au « groupe crim' » à Paris traitant de la majorité des affaires criminelles. Il découvre les lieux en même temps que le Commandant Caroline Vaudieu qui revient après avoir solutionné son problème d’alcool. On retrouve les rites, l’importance des costumes, les premiers émois, frémissement, passages obligés pour ces gens ordinaires confronté à des situations violentes. Xavier Beauvois s’est immergé dans l’univers de la police, de manière extrême comme parfois avec lui. Il confiait à l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde » s’être fait arrêter volontairement, inventant un petit scénario pour être réellement mis en garde à vue, ce qui peut être sujet à caution. C’est finalement un peu la limite du film, il n’y a pas de critique comme dans « L627 » qui parlait des problèmes de budget, on voit pourtant l’opposition entre un nouveau venu et d’autres plus âgés et plein d’une certaine lassitude – le personnage d’Antoine Chappey, toujours très juste pas vraiment enthousiasmé de faire une planque de nuit -. Si les personnages sont assez conventionnels, l’interprétation donne un poids au film, l’alchimie entre les pro et non-professionnels fonctionne, il est vrai que la distribution est de choix.
Antoine Chappey, Roschdy Zem & Jalil Lespert
Nathalie Baye très crédible en femme à la fois borderline qui cherche à se reconstruire et d’expérience avec de l’autorité, un de ses meilleurs rôles. Roschdy Zem est très juste, dans un personnage de policier solide dont on devine les difficultés dues à ses origines marocaines pour s’intégrer même s’il les raconte avec détachement. Mais qu’un de ses lourdingues collègues refasse sa sempiternelle plaisanterie raciste, c’est toute sa rancœur qui resurgit. Ces nouvelles retrouvailles avec Xavier Beauvois, après « N’oublie pas que tu vas mourir » sont l’occasion de retrouver la subtilité de jeu habituelle du comédien. De même que le brillant Antoine Chappey donc, Patrick Chauvel – ancien grand reporter -, Rémy Roubakha et Pierre Aussedat et même Xavier Beauvois, qui s’est donné le rôle le plus ingrat en flic proche de l’extrême droite, sont probants en policier, Bruce Myers en professeur flegmatique, Jean Lespert propre père de Jalil, Riton Liebman en ancien alcoolique et Jacques Perrin en « ex » à l’écoute… Le réalisme finit par nous détacher un peu de l’histoire, la photographie de Caroline Champetier exemplaire d’habitude, me paraît ici surévaluée – elle joue d’ailleurs un petit rôle dans un train -, au final un film honnête mais un peu imparfait. Mais le constat reste très juste et sans jugements, et le jeu de Nathalie Baye est puissant et personne ne peut oublier son dernier regard bergmanien caméra ou sa manière d’appréhender des bouteilles alignées dans un comptoir de bar, une très belle performance.