Skip to main content

SAUF LE RESPECT QUE JE VOUS DOIS

 C’est le premier long-métrage de Fabienne Godet, après le très prometteur moyen-métrage de 1999 “La tentation de l’innocence” avec Emmanuelle Devos et Antoine Chappey. Ce film âpre et poignant, décrit avec justesse le monde du travail.  L’action se passe dans une entreprise moyenne dirigée par un homme cynique, souvent odieux, et calculateur – Jean-Marie Winling adoptant une convivialité de façade, il est ici idéal pour ce type de rôle -. Il a dans le collimateur Simon, un employé impulsif et prompt à revendiquer ou à briser le ronron de la soumission ambiante – Jean-Michel Portal, poignant, jouant subtilement la colère rentrée -. Entre eux deux, François Durieux – magistral Olivier Gourmet, un comédien de la trempe d’un Harry Baur ou d’un Michel Simon, capable de susciter des émotions même de dos -, modère les tensions au sein du groupe d’employés. Ces derniers sont résignés – Pascal Elso, très juste en homme timoré -, compatissant – Martine Chevallier brillante –, craintifs – Guy Lecluyse convaincant – ou suffisants – François Levantal, grand numéro du cadre arrogant et narcissique -. Ils forment une petite humanité craintive redoutant la précarité et supportant une oppression sourde. Les pressions sont très fortes, François les tolère en prenant du temps sur sa vie familiale, ratant même l’anniversaire de son fils pour être disponible aux obligations constantes. Son couple avec est solide, sa femme étant compréhensive – Dominique Blanc superbe de retenue -.Mais peut-on tolérer l’intolérable…

Même si le film est parfois un peu démonstratif – le personnage de la jeune journaliste soucieuse de rétablir la vérité, joué tout en nuances par Julie Depardieu -, ou dans une narration un peu artificielle –la jeune marginale joué par Marion Cotillard d’ailleurs excellente -. C’est l’aspect documentaire du film qui est ici le plus probant. La réalisatrice ancienne psychologue s’étant inspirée de faits réels. L’ancrage dans le quotidien est ici probant, montrant nos mornes lâchetés, notre capacité à subir et à obéir et à s’arranger avec un système gangrené. Le film est porté par l’interprétation d’Olivier Gourmet, idéal pour concilier une force tranquille et une faiblesse névrotique.  Définitivement c’est l’un des meilleurs comédiens de son temps. Avec intelligence, il montre la détresse humaine, les contradictions et les dérives de son personnage face à une situation inéducable. Ne voulant pas se résigner, son petit monde de concession s’écroule, le laissant vaciller face à un monde égoïste. Le film montre bien la fragile illusion d’un équilibre que l’on croit trouver dans notre société actuelle marchande personnalisée par le personnage sans états d’âmes joué par le très impressionnant Hans Meyer, haut responsable industriel. On retrouve aussi toute une galerie de seconds rôles de Maxime Leroux policier compréhensif ou Mado Maurin hôtelière sympathique. Habilement restituée en demi-teintes, la tension et l’émotion sourde font de ce film un objet de réflexion. En parfaite adéquation avec notre société actuelle, on peut voir ici un cri d’alarme salutaire et unisité. C’est suffisamment rare pour le signaler, tant on a l’impression de visiter souvent le “pays des fées” dans le cinéma actuel.

DU JOUR AU LENDEMAIN

 Qu’est-il arrivé à Philippe Le Guay auteur de films remarquables des “Deux Fragonard” (1988), “L’année Juliette” (1994), “Trois huit” (2000), “Le coût de la vie” (2002) avec un sens aigu de l’observation, mais ici le film patine laborieusement. Reprenant comme modèle de construction le film “Un jour sans fin” d’Harold Ramis, ce film se veut une fable, sur notre capacité au bonheur, de son attitude vis-à-vis des autres pouvant générer une situation en sa faveur ou en sa défaveur, et de la capacité de chacun à se résigner et à subir. François Berthier – Benoît Poelvoorde convainquant mais il n’arrive pas à sauver le film, trop au service du cinéaste -, est un employé landa d’une banque. Son bureau exigu semble sortir tout droit du “Brazil” de Terry Gilliam, vit mal la séparation avec sa femme – Anne Consigny décidément radieuse et que l’on a du plaisir à voir en premier plan – et de sa petite fille. Son morne quotidien se passe entre les brimades d’un chefaillon “tape-dur” – Bernard Bloch, formidable en huissier blessé dans “Le coût de la vie”, ici moins inspiré -, les avanies d’un quotidien agressif, de la machine à café qui explose, nuisances sonores de toutes sortes et son évolution poissarde dans un univers hostile. Hors du jour au lendemain, sa condition change du tout au tout, sans explications réalistes. François finir par vivre très mal cet état de grâce, et finit par dériver dans une paranoïa autodestructrice…

Le film n’arrive pas à transcender l’idée de départ, le scénario cousue de fil blanc, pourtant co-signé par Olivier Dazat, est trop visible. Le laborieux running-gag du « mardi » lasse très vite et on essaie durant toute la durée de comprendre pourquoi ça ne fonctionne pas. On retrouve pourtant les qualités habituelles de Philippe Le Guay, mais les affres du quotidien, pourtant notre lot commun, n’arrive pas à réveiller notre affect, mais il se complaît dans l’anecdotique. Il tente même une citation de l’œuvre de Jacques Demy, il faut voir Bernard Bloch et Benoît Poelvoorde chantant dans un parc, mais ici ça confine au grotesque. La quête du personnage principale et sa théorie de “La mécanique des fluides” patinent, et on finit par ce demander où veut en venir le metteur en scène. On est loin du réalisme poétique cher à Prévert, malgré une utilisation insolite des décors parisiens. On peut sauver une interprétation de qualité, mention spécial à Rufus, jubilatoire en officier obsédé par les batailles Napoléoniennes – il faut le voir agresser Philippe Béglia lointain descendant d’un ennemi félon du sieur Bonaparte – et Anne Le Ny, prévenante collègue en mal d’amour. Saluons aussi Bernard Ballet et Manuela Gourary en voisins pleurant la mort de son chien hurleur et mélomane, Robert Castel en petit entrepreneur timoré, Daniel Isoppo en kiosquier obséquieux, Olivier Broche en pizziaolo apeuré, Constance Dollé en jeune femme en roller, Michaël Cohen en amant rassurant, François-Eric Gendron en joueur de tennis cyclothymique, etc… Un film que l’on aurait aimé aimer. Dommage le thème pouvant concilier drôlerie et réflexion sur la notion relative d’être heureux…

LES MÊMES, EN PLUS CHERS !

 Et “Les Bronzés 3 – amis pour la vie”, alors ? L’équipe du Splendid me reste sympathique en raison d’une sorte de coup d’état de ces comédiens partis pour une brillante carrière d’excentriques dans cinéma français – pléthore de rôles pour ces comédiens dans les années 70 de Roman Polanski, Bertrand Tavernier ou Bertrand Blier -. À l’encontre de l’exemple d’un Louis de Funès 36ème couteau, qui est devenu star sur le tard, ils se sont associés pour faire exister leur univers, influencé par la comédie italienne jouant avec notre médiocrité du beauf qui s’ignore. Ils ont ouvert une voie, en passant notamment avec bonheur pour beaucoup à la réalisation, en se donnant des bons rôles et en finissant par devenir une véritable institution nationale. On était plutôt preneur pour retrouver presque 30 ans après toute l’équipe, les problèmes d’ego devant être réglés dans les 35 millions d’euros du budget !. On finit par y aller malgré un bouche à oreille pas très probant – les meilleures scènes figureraient dans la bande-annonce et c’est vrai -. Ce qui est curieux c’est la sorte de panurgisme que l’on peut avoir histoire de se faire sa propre opinion, sentant bien que le plan marketing risque d’être plus élaboré que le scénario. Effectivement dans une vague historiette autour d’un hôtel de luxe, on retrouve nos amis fringants, la cinquantaine flamboyante. On rit, mais c’est loin d’être désopilant.. Et pourtant il y a des bonnes scènes ici, de l’évolution de Jean-Claude Dusse – Michel Blanc survolté en parallèle de son propre parcours -, et surtout la petite équipe – Gérard Jugnot végétalisé, Marianne Chazel bimbolisée, Thierry Lhermitte serviceminimumisé, Christian Clavier claviersisé dans un improbable misérabilisme, Josiane Balasko réactivée – qui ne s’épargne pas faisant preuve d’une salutaire autodérision tout en carburant au pruneau. Mais les gags sont un tantinet poussifs, du chien Elvis à la pathétique créature griffeuse…  

Thierry Lhermitte vs Bruno Moynot 

Les personnages ne sont intéressés que par l’argent, hors la majorité de l’équipe du Splendid est composée d’entrepreneurs, c’est assez réjouissant. Il y a même un “égratignage” des sympathisants sarkozystes de l’équipe dans la scène des Albanais réfugiés. Des anciens films devenus cultes non en salles, mais par la télévision puis la vidéo, on a plaisir à retrouver presque tous les protagonistes, le cultissime Bruno Moynot, qui a même sa petite réplique culte – “Je suis propriétaire de mon slip” -, Dominique Lavanant hilarante en victime de la chirurgie esthétique – à noter les protestations disproportionnées d’hindous contre la représentation de Vishnou adulé par le personnage de Christiane ! -, Martin Lamotte amusé et même la touriste allemande – joué ici par Doris Kunstmann -, il ne nous manque juste que l’excellent Maurice Chevit. On découvre les belles Ornella Muti – assez dans l’outrance – et Caterina Murino, mais peu de seconds rôles malgré le personnage décalé d’Éric Naggar, greffons tout juste intégrés dans l’équipe. Le ton vachard général est assez tonique mais la magie n’opère plus trop. Et l’on déplore à nouveau la stagnation dans l’inspiration de Patrice Leconte, qui a « perdu sa petite flamme » depuis un moment, pour reprendre un dialogue de Christina Clavier, pour avoir trop sombré, dans des commandes publicitaires. Au final c’est ni infamant, ni enthousiasmant… C’est juste plaisant avec une impression persistante de réchauffé.

WALK THE LINE

 Nouveau “biopic” musical souffrant un peu de passer après l’admirable “Ray” de Taylor Hackford. On retrouve évidemment le schéma habituel de la rédemption après l’autodestruction. Le film repose sur la performance de Joaquim Phoenix, qui retrouve un étonnant mimétisme avec son personnage de Johnny Cash, mètre étalon du rebelle américain en colère, qu’il avait rencontré en personne à la fin de sa vie. Si l’on garde par exemple le souvenir de “l’homme en noir” originel d’une vision récente d’une de ses prestations dans “Colombo” épisode “Swan song” et réalisé par Nicholas Colasanto (1974), dans un rôle de chanteur country religieux, trucidant la pauvre Ida Lupino et  fêtant sa mort sans retenue, on ne peut qu’être ébaudie de la prestation habitée de Joaquim Phoenix. Son incarnation très probante dans ce film, car il a restitué l’humanité blessée, sa déchéance, les vicissitudes suivant la célébrité et son timbre de voix si reconnaissable. Évidemment c’est Reese Whiterspoon dont la performance est indéniable mais beaucoup plus laborieuse qui se voit récompenser par l’Oscar de la meilleure comédienne dans le rôle de la chanteuse June Carter. C’est prix prévisible, Hollywood est sensible à l’esbroufe et adore “visualiser” le travail, en récompensant parfois des cabotinages laborieux à l’image de Renée Zellweger se voyant recevoir l’oscar du meilleur second rôle dans “Retour à Cold Mountain”. Mais même si je ne suis pas totalement convaincu par l’interprétation de notre si sympathique comédienne prognathe, je dois être un des rares spectateurs à rester sceptique.

Joaquim Phoenix

Au pays du “Biopic” – et des ellispses obligatoires -, on se retrouve sur un terrain connu du traumatisme de l’enfance aux feux de la gloire, mais James Mangold – réalisateur de l’honnête “Copland” – est assez habile pour débuter le film par une représentation du chanteur en milieu carcéral en trouvant des équivalences rappelant l’accident de son frère, tout en retraçant l’angoisse de remonter sur scène. Le portrait de ce pionnier du rock’n’roll post-country, est très juste, et l’ambiance des années 50 – avec une superbe photographie de Phedon Papamichael – est subtile. On ne retrouve pourtant que de manière schématique et assez vaine certains personnages emblématiques comme Elvis Presley et Jerry Lee Lewis. L’itinéraire du personnage est très juste, on retrouve des scènes sensibles et une confrontation assez grave du personnage de Johnny Cash, avec son père taiseux et alcoolique – surprenant et convainquant Robert Patrick, ex-robot dans “Terminator 2” (!) -, laissant seul à son fils porter le poids de la culpabilité de l’accident de son frère. Le réalisateur déjoue les piéges narratifs, en montrant la création du chanteur seul, dans un hangar durant son séjour à l’armée, pour finir par faire exister son talent en transcendant son chaos intérieur et en jouant avec ses démons, lâchés mais non maîtrisés. Notre Joaquim et notre Reese interprètent avec leurs propres voix et conviction les morceaux musicaux et le parcours chaotique et amoureux de ce couple prédestiné à vivre ensemble contre toute attente – Johnny écoutait June Carter, chanteuse comme lui, enfant sur un poste de radio, dans sa campagne profonde. Le film assez classique sur la forme, évite certains poncifs hagiographiques et un certain angélisme même s’il est un poil moralisateur. Le tout est transcendé par la performance du trop rare Joaquim Phenix, prédestiné donc à renaître de ses cendres (arf ! arf !), le film lui doit beaucoup. Au final, c’est une revisitation romanesque d’une œuvre, assez méconnue chez nous finalement, assez séduisante…

UN PRINTEMPS A PARIS

 Eddy Mitchell – excellent -, est “Georges”, un taulard fatigué traficote, en transvasant une bonne bouteille d’alcool dans une vulgaire bouteille en plastique. Las, il magouille et tire profit de son séjour en prison, se fait respecter de tous y compris des gardiens de prisons – dont Frédéric Jessua -. Il sort décontenancé dans un petit matin blême ayant purgé sa peine après 5 ans de détention. Pour se redonner la vie, il reprend ses petits larcins minables, dont le vol de pièces dans des horodateurs de parkings. Il est suivi dans la nuit, par son ancien complice Pierrot – Sagamore Stévenin probant -, “chien fou” obligatoire et  responsable de sa peine lors d’un coup foireux… En retrouvant l’univers de Jacques Bral, dans ce que l’on prend à tort au départ pour des images d’Épinal d’un polar bien français, on retrouve les images de son précédent film “Mauvais garçon” – tourné en 1991, sorti en 1993, avec Bruno Volkowitch en monte-en-l’air romantique charmant la belle Delphine Forest, disparue des écrans c’est grand dommage -, avec l’impression d’avoir quitté l’univers de ce cinéaste la veille. Jacques Bral est un cinéaste rare, mais qui a marqué de sa patte les errances et les incertitudes d’une humanité lasse.  Dans “Extérieur nuit” (1979), il confirmait le talent du trio Christine Boisson/Gérard Lanvin/André Dussollier, et avait donnéle rôle inoubliable d’Eugène Tarpon à l’excellent Jean-François Balmer dans “Polar” (1982), adaptation culte de l’œuvre de Jean-Patrick Manchette. En fait Jacques Bral reprend les clichés du film noir, pour mieux les dynamiter… Il s’attarde sur les silences, les préparatifs, les gestes, les non-dits, le vertige de la séduction, l’humour à froid et une vision assez désespérée dans un climat de compromission générale. L’histoire d’un vieux truand à l’ancienne, dépassé face à un jeune loup sans foi, ni loi, mais baigné dans un certain romantisme, peut paraître classique, dans cette ambiance baignée dans la belle musique de Michel Gaucher, complice de longue date de Monsieur Eddy, presque un hommage à Miles Davis…

Eddy Mitchell & Pierre Santini

Mais Jacques Bral, déconstruit, s’amuse, s’attarde, construit, déconstruit, donne soudain le beau rôle à un personnage secondaire, dynamique tranquillement son film dans la fatalité tranquille du dernier “coup” – ici une affaire de vol de bijoux -. On retrouve donc, les assureurs véreux et indic – Maxime Leroux, inquiet et mélancolique -, flics ripoux – grand numéro de Jean-François Balmer, une fois de plus – ou tenaces – excellent et rare Jean-Michel Dupuis -, fourgues retors – Gérard Jugnot qui a l’élégance d’aider ce film – ou troubles – Pierre Santini malmené qui finit par prendre la vedette par une sorte de coup d’État fébrile, il est ici absolument formidable -, et la vamp maligne – Pascale Arbillot dont la beauté est enfin très bien mise en valeur par un cinéaste visiblement sous le charme -. Les conventions du roman noir finissent pourtant par voler en éclats. Transcendant une désuétude, on passe du bonheur d’une fine à l’eau dans un bistrot, à la fascination du luxe quitte à y laisser des plumes, – un hôtel particulier rococo pour Pierrot . Le résultat est très maîtrisé et original, l’atmosphère magnifie les faiblesses des personnages blessés et désespérés, attendant d’un printemps naissant dans Paris, les signes d’un avenir moins déterminé. Le réalisateur parfait un casting toujours aussi juste, il privilégie les comédiens parfois délaissés dans une télévision ronronnante – Xavier Deluc, Florence Darel et Anne Roussel toujours aussi belles en amoureuses, Marianne Epin en infirmière ou Géraldine Danon décalée, par exemple… -, pour leur donner une belle consistance et un regard sans a priori. Réussite formelle, allant au-delà d’un terrain connu et nostalgique, ce film nous fait à nouveau regretter la grande rareté de Jacques Bral – par ailleurs producteur avisé du mésestimé “Sans espoir de retour” dernier film de Samuel Fuller -. Mais les années et les difficultés d’établir une œuvre originale n’entament heureusement pas son talent.

LE MALIN

  John Huston – bizarrement crédité dans ce film “Wise blood” / “Le malin” de 1980,  Jhon Huston au générique du début -, reste un des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma. Ses dernières années restent riches en grands films  – “Fat city”, “L’homme qui voulut être roi”, “L’honneur des Prizzi”, “Les gens du Dublin” -, qui côtoient des commandes assez improbables – “Phobia”, “A nous la victoire” -. Il signe ici un film d’une audace inouïe qui comme le rappelait Tavernier et Coursodon dans “50 ans du cinéma américain”,  est à rapprocher de la liberté des derniers Buñuel.  Ils saluent également “Une distribution aussi inspirée que celle de “The Maltese Falcon”. Hazel Moses – Brad Dourif halluciné, toute la misère du monde sur ses épaules -, rentre de l’armée dans sa maison familiale abandonnée. Lorsqu’il s’étonne auprès d’un chauffeur de taxi, de la nouvelle route, construite depuis son départ, qui le conduit chez lui, ce dernier lui répond “Ca a suffi pour que tout le monde s’en aille”… Traumatisé, enfant, par son grand-père – apparition dans le rôle John Huston -, prêcheur rigoriste, il se voit encore, dans des cauchemars, uriner sur lui de terreur, l’aïeul jouant sur sa capacité à subir sa propre culpabilité. Il fait un rejet violent de la religion, mais qu’il mette un chapeau singulier le voilà endosser rapidement l’image de prédicateur aux yeux des autres.  Il part vers une autre ville sans but précis, avec une petite pension touchée de l’armée… Brad Dourif trouve ici son meilleur rôle On est d’autant plus étonné rétrospectivement qu’il n’a pas eu une carrière plus probante que quelques séries Z ou la voix de Chucky poupée tueuse et consorts, même s’il a travaillé avec Milos Forman, David Lynch et Peter Jackson. Son regard étant à la fois empreint d’humanité et de folie furieuse, il compose un personnage blessé, humilié, mais à la fois dans l’énergie, l’autodestruction et la confusion la plus totale. Il suit dans la ville un prédicateur aveugle Asa Hawks – Harry-Dean Stanton acide – et sa fille, pas vraiment belle mais qui le fascine – Amy Wright -. Il va se prendre au jeu du prêche s’inventant une “Église de la Vérité sans Christ” – Sic -, église sans miracles.

Brad Dourif

Soucieux de ne pas exploiter les gens à des fins personnelles,Hazel entraîne dans son sillage Enoch Emmery, un jeune homme aux portes de la folie – Daniel Shore, trop méconnu,  il faut le voir fasciné par une momie ou interpeller un acteur déguisé en grand singe nommé ” Gong -. Il va aussi attiser la rancœur d’un faux prophète – Ned Beatty, à la rondeur faussement sympathique -. Ce dernier va instrumentaliser un homme malingre – William Hickey, futur parrain dans “L’honneur des Prizzi” – pour le dénigrer, ne supportant pas la concurrence. Recueilli par une logeuse en mal d’amour – Mary Nell Santacroce – et malmené par son nouvel entourage, Hazel va sombrer dans la folie… Il va jusqu’à se flageller comme dans son enfance où il mettait des cailloux dans ses chaussures… Huston en adaptant l’œuvre foisonnante de Flannery O’Connor, mis en valeur par la très belle image de Gerald Fischer est ici très inspiré. Il dresse le portrait poignant des frustrés, des laissés pour compte des États-Unis, d’une humanité blessée et auto-déstructrice transférant leur amour sur des leurres, une prostituée locale, une passagère d’un train maternelle pour Hazel, ou une momie réduite ionisée pour Enoch. La critique des gens ou des systèmes profitant de cette détresse est extrêmement juste et acerbe. Avec un humour ravageur, les rapports d’Hazel avec sa voiture constamment en panne, l’interpellation du véhicule par un policier déconcertant, John Huston dénonce tous les fanatismes, avec une modernité et une jeunesse stupéfiante, qui trouvent un écho brûlant avec notre actualité. Mieux qu’un grand film, c’est un chef d’œuvre.

MADAME HENDERSON PRÉSENTE

 Une nouvelle performance est à souligner, en ce début d’année, pour la comédienne Judy Dench, avec cette Madame Henderson présente, avec ses rôles de noble rigoriste, dans l’ “Ophulsien”, “Orgueil et préjugés” de Joe Wright, et la sœur âgée qui retrouve son âme de midinette dans “Les dames de Cornouailles” du comédien Charles Dance, face à la formidable Maggie Smith. Avec ses trois interprétations à rapprocher par le hasard du calendrier, on peut retrouver toute la gamme de son talent. Mme Henderson, est une septuagénaire, dans la première moitié du Xxème siècle,  décontenancée par son veuvage, qui ébranle sérieusement son univers confiné, rassurant et lénifiant, compensant une étroitesse d’esprit par une excentricité de bon alois. Sa vie se reposait trop autour de celle de son mari, elle se retrouve fortunée mais désemparée, se voyant mal tricoter comme ses congénères dans la même situation, il est vrai qu’elle est d’ailleurs particulièrement peu douée dans cette occupation. Très digne, elle ne consent à pleurer qu’isolée dans une barque. Contre toute attente, elle achète un cinéma en ruines, en plein cœur de Soho : “Le Windmill” pour en faire un théâtre. A la recherche d’un directeur artistique, elle se fixe rapidement sur Vivan Van Damm – Bob Hoskins, outragé et jubilatoire -, bien que ce dernier réagisse très mal face à son arrogance et son impudence. Le rapport chien et chat de ce nouveau couple assez improbable, qui fait des étincelles fait rapidement le succès de cette entreprise. La mode du cabaret relancée par le tandem faisant des émules, Mrs Henderson va utiliser ses relations –Christopher Guest en réjouissant Lord anglais – et sa malice, pour braver la censure et les convenances de l’époque pour lancer un spectacle de femmes nues, devant rester immobile en employant comme parade un alibi artistique composé de tableaux vivants. Le spectacle fonctionne superbement mais la seconde guerre mondiale va rattraper l’insouciance londonienne. Le théâtre deviendra un symbole de résistance avec ce slogan  “We Never closed”, digne réponse face aux bombardements au plus fort du Blitz…

Judy Dench

Saluons au passage le parcours de Stephen Frears, à l’aise dans tous les registres du polar noir au film social, ou du western au film d’époque. Il garde un ton acerbe, une liberté de ton même dans les films de commande, et se renouvelle à chaque film. La reconstitution est très probante, les spectacles musicaux teintés d’une jovialité communicative, digne hommage à l’âge d’or des comédies de la Ealing. Les décors sont habilement élaborés dans le moindre petit détail. On a rarement vu au cinéma l’évocation d’un climat de guerre aussi probante . Le regard chaleureux sur ses personnages, aidé d’un rythme soutenu, et de comédiens formidables – dont Kelly Reilly, révélation de Cédric Klapisch, radieuse en modèle fleur bleue -. La prude Angleterre est mise à mal avec énergie, le couple Hoskins-Dench faisant merveille. La peinture est acide dans cette comédie de mœurs, le réalisateur décrit les difficultés d’y vivre quand on n’appartient pas à la bonne société, et la frustration inhérente à cette honorable société, ou l’angoisse d’un soldat dans l’inquiétude du combat est très subtile. Van Damm cache d’ailleurs ses origines juives, et doit sans cesses s’imposer, utilisant un cynisme défensif et une combativité de chaque instant -Stephen Frears n’hésite pas à revenir sur un humour vachard, quand l’émotion pointe son nez – belle scène de la danse entre les deux protagonistes principaux sur le toit du théâtre -. Pétillant, cocasse et mordant, ce film est une l’une des (rares) bonnes surprises de ce début d’année.

L’IVRESSE DU POUVOIR

 J’ai eu la chance d’avoir assisté à deux jours de ce film, en juin dernier, le film s’appelait alors “La comédie du pouvoir”. Voir les deux notules de ce blog ici et . Ca reste un souvenir vivace, plus la joie d’avoir discuté avec Claude Chabrol, très disponible, Aurore Chabrol, Cécile Maistre, la charmantissime Marilyne Canto, Yves Verhoeven et Jean-François Balmer dont j’ai particulièrement apprécié la performance de sa scène face à Isabelle Huppert, d’autant plus méritoire qu’il n’avait eu qu’une demi-journée pour la jouer. Le film commence par un intertitre, genre “toute ressemblance”, avec un « comme on dit » goguenard entre parenthèse… Car c’est bien un jeu de piste autour de l’affaire Elf. Claude Chabrol se livre à un jeu de massacre délectable et jubilatoire, en jouant avec les patronymes, ou essaimant les indices, lire l’article de Télérama à ce sujet. “La comédie du pouvoir” était un premier titre très judicieux, non retenu car un roman homonyme de Françoise Giroud existait déjà et paru en 1977. Avec grande finesse, et son humour corrosif, Claude Chabrol démonte les rouages du pouvoir, les arcanes de la finance, où les règles du jeu bien établies sont démontées par une juge opiniâtre – Isabelle Huppert, magistrale pour sa 7ème participation dans un film de Claude Chabrol, 8 si l’on compte un court-métrage TV “Monsieur Saint-Saëns” -. Un système bien codifié, devient déliquescent entre les boucs-émissaires comme Michel Humeau – François Berléand, remarquable, réussissant à humaniser son personnage, il faut le voir se faire ramener à l’ordre par un maton, et finir par être meurtri et perdre de son arrogance de grand commis de l’État venant d’une origine modeste -, les séducteurs retords – Patrick Bruel amusé de sa propre rouerie -, un sénateur fernandelien dont les origines marseillaises ne laissaient pas prévoir une importante fonction dans le Nord  – Jacques Boudet, dans une formidable composition, cavalier, cynique et gouailleur, un truand sans scrupule au pedigree chargé – Jean-François Balmer dans une composition inoubliable –, l’homme politique dévoyé – Roland Dumas, acteur fétiche de Chabrol, qui fait exister rapidement son personnage – ou le notable perdu dans ses propres explications – Philippe Duclos, très inspiré et dont les “associations auto-caritatives” devraient rester dans les annales -.

Hubert Saint-Macary, Isabelle Huppert, Yves Verhoeven & François Berléand

La juge – définie comme l’un des personnages les plus puissants de France – Jeanne Charmant-Kilman donne un joyeux coup de pied dans la fourmilière, démontant un système pernicieux, codifié, nourri de basses compromissions et de magouilles. Sytème qui fonctionne d’ailleurs, avec ses propres règles entre ceux illégitimes car autodidactes, et ceux énarques qui vont s’allier et s’épauler par intérêt. Elle se prend au jeu, goûte à “l’ivresse du pouvoir”, mettant en danger son couple avec son mari Philippe – Robin Renucci à fleur de peau -. Mais elle trouve du réconfort avec son neveu qui devient son confident – Thomas Chabrol, reprenant à son compte l’humour ravageur de son père -, et une jeune et radieuse magistrate – Maryline Canto superbe et déterminée, mais que font les cinéastes pour l’utiliser si peu ? -, choisie pour créer une zizanie féminine, mais qui devient une précieuse alliée. Humaniste et finalement moraliste, Chabrol nous livre une nouvelle comédie humaine, grâce à un scénario particulièrement bien ficelé co-écrit avec Odile Barski. Il enrichit son “bestiaire” de nouveaux comédiens, tel Jean-Claude Bouvet, avocat luisant, Hubert Saint-Macary en directeur de prison cynique, utilise des personnalités avec bonheur – Michel Scourneau, Jean-Marie Winling, etc…, et même le Belge Fernand Guiot qui reste en retrait de l’image -, et reprend ses comédiens fétiches comme Yves Verhoeven greffier (trop) dévoué et dans l’ombre, Pierre Vernier en haut magistrat paniqué, ou le sympathique Pierre-François Dumeniaud en financier aguerri -. Le réalisateur se livre à un travail d’enthomologiste, dans une mise en scène au cordeau, dans ce scandale financier resté dans les annales. Ce jeu de piste vachard, nous offre l’un des meilleurs films de Claude Chabrol, dont l’œuvre ne cesse de nous surprendre. Pour paraphraser Vialatte, et c’est ainsi que Claude Chabrol est grand !

PETITES CONFIDENCES (A MA PSY)

 On se demande souvent ce qu’il se passe dans la tête de nos distributeurs, bel exemple avec ce film, une affiche laissant deviner un vaudeville assez lourdingue, un titre vraiment bateau “Petites confidences (à ma psy)” – “Prime” en V.O. -, bande annonce assez racoleuse, c’est la confusion la plus totale, ce film étant beaucoup plus subtil. Rafi, une femme sublime de 37 ans– Uma Thurman radieuse qui a remplacé au pied levé la sombre buse Sandra Bullock qui exigeait une réécriture ( !) -, raconte son désarroi après son divorce, à sa psychiatre – Meryl Streep, qui n’hésite pas à ne pas se mettre en valeur -. C’est une comédie romantique dans un milieu très huppé de la bourgeoisie. Elle rencontre David, un beau jeune homme de 23 ans – Brian Greenberg, bon comédien alors que l’on craignait quelqu’un de falot pour ce type de rôle -, et tombe rapidement amoureuse se préoccupant tout de même de son âge, puisqu’on lui demande ses papiers d’identité quand il achète de l’alcool dans une épicerie. Mais David n’est autre que le fils de sa psychiatre. Cette dernière va décider de continuer l’analyse, malgré les affres de la déontologie – …et la découverte de la sexualité de son fils -, pensant cette union éphémère.

Son réalisateur, Ben Younger – dont le premier film “Les initiés” est sorti en France en 2000 – trouve ces marques  dans les conventions de la ville de New York, dont la vision est ici inhabituelle, qui est à nouveau petit théâtre habituel pour ce type de comédie de “Seinfeld” à “Woody Allen”. Il est ici à la fois drôle et intelligent, les dialogues sont remarquables, loin des poncifs sur les comédies françaises habituelles sur nos amis les trentenaires. La description de la découverte de l’autre, de la maturité, et des difficultés du quotidien est assez fine, et assez universelle, malgré l’évolution ici des personnages dans un milieu friqué et superficiel. Ca renvoie avec une des phrases de la “Maman et la putain”, où Léaud prétendait que l’on ne vit finalement qu’avec les gens de sa “classe”, l’analyse des différences de mentalité, de religion, de vivre une union malgré le jeu des convenances est assez subtile. Les deux comédiennes – Uma Thurman en état de grâce et Meryl Streep, très attachante, qui nous livre une de ses nouvelles brillantes compositions – portent ce film, riche en petites touches – la grand-mère juive se frappant avec un poêle à la moindre contrariété ou l’approche sociale du “coton-tige” ! -. Au final le metteur en scène a un peu de mal à se séparer de ses personnages, mais le film un peu mélancolique a rempli son contrat, tout en évitant de sombrer dans la guimauve. Un film qui se démarque allégrement dans le tout venant des comédies américaines actuelles.

ELVIS PRESLEY IS ALIVE AND WELL AND LIVING IN TEXAS

 A l’heure des faux films cultes, ou autoproclamés, mais vrais films de potaches – genre charpironés -, un film resté longtemps dans les placards comme “Bubba Ho-Tep”, peut aisément prétendre à ce titre. C’est le retour de Don Coscarelli à la réalisation après des films de séries B. comme “Dar l’invincible” et “Phantasm”. Après la peu crédible interprétation d’un certain Tyler Hilton dans le rôle d’Elvis Presley, dans le pourtant formidable “Walk the line” diffusé cette même semaine, c’est ici Bruce Campbell qui s’y colle. On connaissait son auto-ironie sur ses rôles habituels dans le cinéma fantastique – la trilogie “Evil dead” -. Il écornait son image dans “La patinoire” de Jean-Philippe Toussaint (1997), en déglinguant son emploi de comédien américain. Il campe dans une savoureuse composition, Sebastian Haff, un septuagénaire impotent. Il est  pensionnaire d’une maison de retraite assez sordide du Texas. Son voisin de chambre meurt, il se retrouve seul et assez désemparé. La fille du mort, après trois années sans le voir, arrive pour récupérer ses affaires, réveillant un peu les ardeurs de Sebastian devenu impuissant suite à l’apparition d’une excroissance sur sa verge. Il lui révèle son secret, il ne serait autre qu’Elvis Presley en personne, végétant dans l’anonymat après un échange d’existence avec un de ses sosies qui ayant une vie encore plus dissolue que l’original avait succombé très vite. Une infirmière austère, le corps médical étant qualifié de “robots en blouse blanches”, joue le jeu de ce joyeux délire.

Bruce Campbell

Tout serait assez désespérant si  une mystérieuse momie  ne sévissait pas au milieu des personnes âgées, à la recherche d’âmes faciles, accompagné d’un scarabée géant échappé de l’univers de David Cronenberg. Un des pensionnaires, Jack – Ossie Davis, acteur fétiche de Spike Lee, ici très digne, et mort en février 2005 -,  se prend pour J.F. Kennedy, transformé en noir pour être neutralisé suite à un complot (sic). Il lui explique que la momie aspire les âmes par les orifices naturels, de préférence l’anus. Ils sortent déambulateurs et fauteuils roulants pour neutraliser le monstre nocturne… Le film est riche en trouvailles, comme les deux nigauds préposés à la levée des corps, et en répliques désopilantes. De la représentation d’un Elvis fatigué, d’un détail comme la confiture sur la commissure de la bouche du sosie, ou de la chasse à la créature par deux seniors déjantés, tout est ici assez jubilatoire. Don Coscarelli revisite les légendes urbaines, les affres de la célébrité ou de la déchéance de l’âge sans fausse pudeur. Derrière une trame assez déjantée, se cache une amertume, la peur de la sénilité. La vision de la vieillesse est d’ailleurs acerbe, comme la vieille dame volant les lunettes à une grabataire.  Le personnage d’Elvis n’est d’ailleurs pas icônifié… Devant  un marathon télévisuel de ses films comme acteur, il déplore  ne pas avoir renvoyer le colonel Parker. Il ne sauve d’ailleurs aucun de ses films, les saluant par un “tous nuls !”. Les scènes fantastiques sont probantes, le climat est assez malsain, et on finit par s’attacher à ce couple de vieillards indignes. Ce réjouissant jeu de massacre grinçant et décalé, même s’il a un petit ventre mou, est une allègre surprise. Hélas, peu de copies sont disponibles, donc un rendez-vous à ne pas rater.