C’est le premier long-métrage de Fabienne Godet, après le très prometteur moyen-métrage de 1999 « La tentation de l’innocence » avec Emmanuelle Devos et Antoine Chappey. Ce film âpre et poignant, décrit avec justesse le monde du travail. L’action se passe dans une entreprise moyenne dirigée par un homme cynique, souvent odieux, et calculateur – Jean-Marie Winling adoptant une convivialité de façade, il est ici idéal pour ce type de rôle -. Il a dans le collimateur Simon, un employé impulsif et prompt à revendiquer ou à briser le ronron de la soumission ambiante – Jean-Michel Portal, poignant, jouant subtilement la colère rentrée -. Entre eux deux, François Durieux – magistral Olivier Gourmet, un comédien de la trempe d’un Harry Baur ou d’un Michel Simon, capable de susciter des émotions même de dos -, modère les tensions au sein du groupe d’employés. Ces derniers sont résignés – Pascal Elso, très juste en homme timoré -, compatissant – Martine Chevallier brillante –, craintifs – Guy Lecluyse convaincant – ou suffisants – François Levantal, grand numéro du cadre arrogant et narcissique -. Ils forment une petite humanité craintive redoutant la précarité et supportant une oppression sourde. Les pressions sont très fortes, François les tolère en prenant du temps sur sa vie familiale, ratant même l’anniversaire de son fils pour être disponible aux obligations constantes. Son couple avec est solide, sa femme étant compréhensive – Dominique Blanc superbe de retenue -.Mais peut-on tolérer l’intolérable…
Même si le film est parfois un peu démonstratif – le personnage de la jeune journaliste soucieuse de rétablir la vérité, joué tout en nuances par Julie Depardieu -, ou dans une narration un peu artificielle –la jeune marginale joué par Marion Cotillard d’ailleurs excellente -. C’est l’aspect documentaire du film qui est ici le plus probant. La réalisatrice ancienne psychologue s’étant inspirée de faits réels. L’ancrage dans le quotidien est ici probant, montrant nos mornes lâchetés, notre capacité à subir et à obéir et à s’arranger avec un système gangrené. Le film est porté par l’interprétation d’Olivier Gourmet, idéal pour concilier une force tranquille et une faiblesse névrotique. Définitivement c’est l’un des meilleurs comédiens de son temps. Avec intelligence, il montre la détresse humaine, les contradictions et les dérives de son personnage face à une situation inéducable. Ne voulant pas se résigner, son petit monde de concession s’écroule, le laissant vaciller face à un monde égoïste. Le film montre bien la fragile illusion d’un équilibre que l’on croit trouver dans notre société actuelle marchande personnalisée par le personnage sans états d’âmes joué par le très impressionnant Hans Meyer, haut responsable industriel. On retrouve aussi toute une galerie de seconds rôles de Maxime Leroux policier compréhensif ou Mado Maurin hôtelière sympathique. Habilement restituée en demi-teintes, la tension et l’émotion sourde font de ce film un objet de réflexion. En parfaite adéquation avec notre société actuelle, on peut voir ici un cri d’alarme salutaire et unisité. C’est suffisamment rare pour le signaler, tant on a l’impression de visiter souvent le « pays des fées » dans le cinéma actuel.