J’ai eu la chance d’avoir assisté à deux jours de ce film, en juin dernier, le film s’appelait alors « La comédie du pouvoir ». Voir les deux notules de ce blog ici et . Ca reste un souvenir vivace, plus la joie d’avoir discuté avec Claude Chabrol, très disponible, Aurore Chabrol, Cécile Maistre, la charmantissime Marilyne Canto, Yves Verhoeven et Jean-François Balmer dont j’ai particulièrement apprécié la performance de sa scène face à Isabelle Huppert, d’autant plus méritoire qu’il n’avait eu qu’une demi-journée pour la jouer. Le film commence par un intertitre, genre « toute ressemblance », avec un « comme on dit » goguenard entre parenthèse… Car c’est bien un jeu de piste autour de l’affaire Elf. Claude Chabrol se livre à un jeu de massacre délectable et jubilatoire, en jouant avec les patronymes, ou essaimant les indices, lire l’article de Télérama à ce sujet. « La comédie du pouvoir » était un premier titre très judicieux, non retenu car un roman homonyme de Françoise Giroud existait déjà et paru en 1977. Avec grande finesse, et son humour corrosif, Claude Chabrol démonte les rouages du pouvoir, les arcanes de la finance, où les règles du jeu bien établies sont démontées par une juge opiniâtre – Isabelle Huppert, magistrale pour sa 7ème participation dans un film de Claude Chabrol, 8 si l’on compte un court-métrage TV « Monsieur Saint-Saëns » -. Un système bien codifié, devient déliquescent entre les boucs-émissaires comme Michel Humeau – François Berléand, remarquable, réussissant à humaniser son personnage, il faut le voir se faire ramener à l’ordre par un maton, et finir par être meurtri et perdre de son arrogance de grand commis de l’État venant d’une origine modeste -, les séducteurs retords – Patrick Bruel amusé de sa propre rouerie -, un sénateur fernandelien dont les origines marseillaises ne laissaient pas prévoir une importante fonction dans le Nord  – Jacques Boudet, dans une formidable composition, cavalier, cynique et gouailleur, un truand sans scrupule au pedigree chargé – Jean-François Balmer dans une composition inoubliable –, l’homme politique dévoyé – Roland Dumas, acteur fétiche de Chabrol, qui fait exister rapidement son personnage – ou le notable perdu dans ses propres explications – Philippe Duclos, très inspiré et dont les « associations auto-caritatives » devraient rester dans les annales -.

Hubert Saint-Macary, Isabelle Huppert, Yves Verhoeven & François Berléand

La juge – définie comme l’un des personnages les plus puissants de France – Jeanne Charmant-Kilman donne un joyeux coup de pied dans la fourmilière, démontant un système pernicieux, codifié, nourri de basses compromissions et de magouilles. Sytème qui fonctionne d’ailleurs, avec ses propres règles entre ceux illégitimes car autodidactes, et ceux énarques qui vont s’allier et s’épauler par intérêt. Elle se prend au jeu, goûte à « l’ivresse du pouvoir », mettant en danger son couple avec son mari Philippe – Robin Renucci à fleur de peau -. Mais elle trouve du réconfort avec son neveu qui devient son confident – Thomas Chabrol, reprenant à son compte l’humour ravageur de son père -, et une jeune et radieuse magistrate – Maryline Canto superbe et déterminée, mais que font les cinéastes pour l’utiliser si peu ? -, choisie pour créer une zizanie féminine, mais qui devient une précieuse alliée. Humaniste et finalement moraliste, Chabrol nous livre une nouvelle comédie humaine, grâce à un scénario particulièrement bien ficelé co-écrit avec Odile Barski. Il enrichit son « bestiaire » de nouveaux comédiens, tel Jean-Claude Bouvet, avocat luisant, Hubert Saint-Macary en directeur de prison cynique, utilise des personnalités avec bonheur – Michel Scourneau, Jean-Marie Winling, etc…, et même le Belge Fernand Guiot qui reste en retrait de l’image -, et reprend ses comédiens fétiches comme Yves Verhoeven greffier (trop) dévoué et dans l’ombre, Pierre Vernier en haut magistrat paniqué, ou le sympathique Pierre-François Dumeniaud en financier aguerri -. Le réalisateur se livre à un travail d’enthomologiste, dans une mise en scène au cordeau, dans ce scandale financier resté dans les annales. Ce jeu de piste vachard, nous offre l’un des meilleurs films de Claude Chabrol, dont l’œuvre ne cesse de nous surprendre. Pour paraphraser Vialatte, et c’est ainsi que Claude Chabrol est grand !