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Fragments d’un dictionnaire amoureux : Tina Aumont

 

Annonce de la mort de la comédienne Tina Aumont, à l’âge de 60 ans, samedi dernier d’une embolie pulmonaire. Elle était la fille de Jean-Pierre Aumont et de Maria Montez. Son père l’éleva avec Marisa Pavan, après la tragique mort accidentelle de sa mère dans une baignoire, Elle débute au cinéma sous le nom de Tina Marquand après avoir épousé le comédien Christian Marquand en 1963. Le cinéma italien des années 60, se l’arrache, elle tournera une singulière adaptation de « Carmen » de Prosper Mérimée, transformé en western : « L’homme, l’orgueil, la vengeance », avec Franco Nero et Klaus Kinski. « La saison cinématographique » de 1975, n’est d’ailleurs pas très tendre avec elle sur ce film : « …La Carmen interprétée par Tina Aumont est par contre décevante : l’actrice a l’âge de son rôle, mais elle manque de personnalité et on sent moins dans son jeu la passion fantasque de la gitane que les caprices d’une enfant gâtée »… Mais elle devient l’une des icônes des années 60-70,  avant de trouver un rôle important chez Bernardo Bertolucci dans « Partner » en 1968, avec Pierre Clémenti, sur de la schizophrénie à l’adolescence. Mais malgré des cinéastes prestigieux comme Federico Fellini, Roberto Rosselini – elle joue la femme adultère dans « Le Messie », ou Francesco Rosi, c’est surtout le cinéma bis qui la sollicite. Elle aura une traversée du désert, sa carrière étant brisée pour possession de drogue à la fin des années 70. Elle rentre en France, et a du mal à retrouver le vedettariat. Elle tourne avec Philippe Garrel, avant de retrouver de petits rôles, souvent d’ailleurs dans des rôles de prostituées. Les cinéphiles auront le souvenir d’une grande tristesse dans son beau regard.

Filmographie, établie avec Christophe Bier : 1965  Modesty Blaise (Id) (Joseph Losey) – La curée (Roger Vadim) – 1966  Texas across the river (Texas, nous voilà) (Michael Gordon) – 1967  Troppo per vivere… poco per morire (Qui êtes-vous inspecteur Chandler ?) (Michele Lupo) – L’ uomo, l’ orgoglio, la vendetta (L’homme, l’orgueil et la vengeance) (Luigi Bazzoni) – Scusi, lei è favorevole o contrario ? (Alberto Sordi) – 1968  Satyricon (Gian Luigi Polidoro) – Partner (Id) (Bernardo Bertolucci) – L’alibi (Vittorio Gassman, Adolfo Celi & Luciano Luciganini) – L’urlo (Tinto Brass) – 1969  Le lit de la vierge (Philippe Garrel) – Come ti chiami, amore moi (Umberto Silva) – Infanzia, vocazione e prime esperienze di Giacomo Casanova Veneziano (Casanova, un adolescent à Venise) (Luigi Comencini) – Trapianto, consuzione e morte di Franco Brocani (Mario Schifano, film underground) – 1970  Metello (Id) (Mauro Bolognini) – Necropolis (Franco Brocani) – Corbari (Le dernier guet-apens) (Valentino Orsini) – 1971  Il sergente Klems (Sergent Klems) (Sergio Grieco) – Bianco, rosso e… (Une bonne planque) (Alberto Lattuada) – 1972  Racconti proibiti… di niente vestiti (Brunello Rondi) – Arcana (Giulio Questi) – Malizia (Malicia) (Salvatore Sampieri) – Blu Gang / Blu gang e vissero per sempre felici e ammazzati (Luigi Bazzoni) – 1973  I corpi presentano tracce di violenza carnale (Sergio Martino) – Storia de fratelli e de cortelli (Mario Amendola) – 1974  Lifespan (Le secret de la vie) (Sandy Whitelaw) – Les hautes solitudes (Philippe Garrel) – Fatti di gente per bene (La grande bourgeoise) (Mauro Bolognini) – Il trafficone (Bruno Corbucci) – Divina creatura (Divine créature) (Giuseppe Patroni Griffi) – 1975  Il Messia (Le Messie) (Roberto Rosselini) – Salon Kitty (Id) (Tinto Brass) – Il Casanova di Fellini (Casanova) (Federico Fellini) –  1976  Cadaverri eccelenti (Cadavres exquis) (Francesco Rosi) – Giovannino (Paolo Nuzzi) –  La Principessa nuda (La Princesse nue / Parties déchaînées) (Cesare Canevari) – A matter of time (Nina) (Vincente Minelli) – 1977  Un cuor semplice (Giorgio Ferrara) – Le rouge de Chine (Jacques Richard) – 1978  Una splendide giornata per morire / Titre reprise 1980 : Holocaust parte seconda : I ricordi, i deliri, la vendetta (Subliminal) (Angelo Pannaccio) – Fratello crudelle (Mario de Rosa, inédit) – 1979  La bande du Rex (108-13 [Jean-Henri Meunier]) – 1982  Rebelote (Jacques Richard) – 1985  Cinématon N° 509 (Gérard Courant, CM) – 1986  Les frères Pétard (Hervé Palud) – 1991  Sale comme un ange (Catherine Breillat, rôle coupé au montage) – 1993  Dinosaur from de deep (N.G. Mount [Norbert Moutier] , vidéo) – 1995  Nico Icon (Id) (Susanne Ofteringer, documentaire) – Les deux orphelines vampires (Jean Rollin) – 1997  Le marquis de Slime (Quelou Parente, CM) – Cantique de la racaille (Vincent Ravalec) – 1999  Giulia (Roy Stuart) – La mécanique des femmes (Jérôme de Missolz).

©   Le coin du cinéphage (reproduction strictement interdite, textes déposés)

CARNET TROUVÉ CHEZ LES FOURMIS (SUR IMDB)

IMDB : C’était 2000, « Les acteurs » de Bertrand Blier, viennent de sortir, évidemment le site incontournable pour un cinéphile est « Internet Movie Data Base ». Câblé depuis peu, c’est l’instrument idéal pour repérer le 36ème second rôle, scène 14, celui qui monte les escaliers dans un film hollywoodien de 1943. Mais côté français, c’était alors du très léger, les « Laurence » sont toutes créditées comme des acteurs !, pour certains films il n’y avait parfois qu’un seul nom d’acteur, par exemple Jean Gabin dans « Le drapeau noir flotte sur la marmite » de Michel Audiard, et rien sur le mythique – et unique film – de Jacques Martin « Na ! », etc… Et il y a une énormité de manques et une belle foule d’erreurs, volontaires ou non – Les membres de l’équipe du splendid crédités dans des films où ils ne figurent pas, et quelques mauvaises blagues -. Il y a peu d’informations sur les courts métrages et il y a deux ou trois téléfilms avant 1990, qui se battent en duel, « Les Perses » de Jean Prat, crédité comme un téléfilm américain ! ou un téléfilm de Serge Moati établit par un Allemand, deux titres de Jean-Christophe Averty et quelques séries recopiées d’un très bon livre de Jean-Jacques Jelot-Blanc.

J’envoie donc, alors, des informations, respectant la règle du crédit du générique, les autres figurant avec la mention « uncredited », pendant un certain temps ou un temps certain c’est selon… Et puis un jour on ne sait pas pourquoi ils commencent à prendre vos informations, sans interrogations, sans aucun échange, et de plus en plus rapidement, par regroupements sans doutes… Ils ont dû voir que j’étais un poil sérieux, de plus mon intérêt concernant les seconds rôles a fait que j’avais une mine d’informations, publiées – Les saisons cinématographiques,  les catalogues du CNC, génériques de vieux Télérama, Ciné-Revue – ou non. J’ai la fâcheuse manie de lister les génériques de films et de répertorier des éternels non crédités des génériques…

Et là c’est un boulevard qui s’offre à moi, IMDB devient une sorte de site perso, sauf que c’est la base la plus importante du monde… Il m’est impossible de savoir combien de temps j’ai passé sur cette base, je me dis que si un site à l’intelligence de se faire de l’argent avec les informations des internautes pourquoi pas. C’était à la base un site de cinéphile mais repris par le grand groupe « Amazon », pas de philanthropie donc -. Télérama avait publié un article très juste sur le sujet – il faudrait que je le retrouve… -,  comparant ces cinéphiles amoureux des listes, très justement à des fourmis. Chacun amenant sa petite pierre à l’édifice, dans un véritable travail de bénédictin,  avec une belle idée de partage. Il y a toujours une satisfaction à voir un internaute rajouter ensuite une information ou un commentaire à une fiche que vous avez créé. Notamment pour les télévisions, il y a toujours le douzième assistant du son, qui va rajouter son nom, omettant complètement ceux de ses collègues que ce qui me semble révélateur d’une certaine mentalité du cinéma français…

IMDB est donc devenu une sorte de monstre froid, un Moloch à nourrir, car il y a toujours quelque chose à faire, un court, un téléfilm recopié sur un Télérama consulté en bibliothèque, ou un téléfilm trouvé sur les sites de programmes TV – en rentrant ceux qui sortent largement avant la France en Belgique et en Suisse, pour des raisons de co-productions -… J’ai vu souvent des cinéphiles conserver ses propres informations pour soi, je me suis dit que c’était plus intéressant de les partager, le site restant gratuit -. De plus, l’anonymat qui me convenait parfaitement. Car les gestionnaires d’IMDB ne communiquent pas les noms des participants, hormis qu’ils vous citent désormais dans le « Top contributors » depuis 2003, sur le site. Le site évolue, et semble très compartimenté, il y a un responsable pour chaque rubrique – les titres étrangers notamment -. Certaines rubriques fastidieuses à compléter « guest-star » pour une série sont simplifiées depuis 20030 On peut depuis le début d’année dresser un générique complet d’un épisode de série. Il y a un forum pour les utilisateurs en cas de problèmes.

Reste que l’équipe du site s’ils acceptent volontiers vos infos, cloisonnent, ils refusent de communiquer la liste des autres participants, il y a peu de contact, sinon les rituels vœux de bonne année. Les 100 premiers, ont un accès gratuit à la version IMDP pro, – payante pour les autres -. Mais l’intérêt pour un non professionnel peut échapper et une ribambelle d’accusés réceptions des compléments, d’où l’intérêt de créer une adresse mail spécifique. Le seul message un peu personnel a été pour me demander si j’étais sûr de la participation de Myriam Mézières dans « La vie facile » un film de 1971, après un article, paru sur elle, dans « Les cahiers du cinéma ».

La participation à ce site peut apporter différentes satisfactions, le comédien Jean-Jacques Moreau me parlant d’un de ses amis lui ayant envoyé sa filmo venant d’ « Américains » et me citant des films dont j’avais créé la fiche comme « La soupe froide » (1974), et celle de revoir des informations reprises par des sites d’extrême orient. L’idée que ces informations sont consultables de n’importe quel coin du monde, est assez vertigineuse. Participer à une sauvegarde d’une certaine mémoire du cinéma, y compris des nanars, a tout de même sa petite importance. En créant, l’an dernier une fiche d’une série de courts-métrages « Mon meilleur Noël » en 1981, avec pléthore de débutants (Catherine Frot, Pierre Arditi, Robin Renucci, etc…), je me dis que peut-être telle « la madeleine de Proust » la lecture de la fiche réveillera quelques souvenirs émus chez quelques internautes.


Reste qu’il faut rester en vigilance constante, puis qu’atteint un certain seuil chacun peut aisément compléter la base, il y en a toujours un pour rajouter une erreur, de bonne foi : les catalogues de Raymond Chirat – non exempt d’erreurs – créditent à tort Henri Virlojeux dans « Horace 62 » et « Du grabuge chez les veuves » dans des rôles joués respectivement par François Darbon et Hubert De Lapparent, son nom revient régulièrement sur la base, ainsi que Françoise Arnoul, Brigitte Bardot et Roger Vadim dans « Le testament d’Orphée » (Jean Cocteau, 1959), noms figurant par erreur dans bien des dictionnaires.

. Il y a des petits malins qui s’amusent à mettre des erreurs, tel un inconnu – nom supprimé – qui figurait sous le personnage de « Le pute (sic) » dans tous les noms de films ayant « frite » dans le titre ! Si vous distinguez les homonymes, il y a trois Christian Barbier, et Georges Guéret n’est pas Georges Géret…, il y en aura toujours un peu pour refondre les noms. IMDB avait déjà fait mourir Gérard Brach, bien avant l’heure, ainsi que Luigi Comencini ! il serait trop laborieux de faire un listing exhaustif. Il suffit qu’un internaute rajoute la mentions mini à la série des « Vidocq » version Claude Brasseur, pour que la liste des « guests – vedettes invités » disparaissent. Donc on est toujours à la merci d’un autre indélicat ou non, plus les « bugs » fréquents comme Maurice Baquet qui avait un jour, complètement disparu de la base. Et l’erreur étant humaine, comme disait un de mes amis, si un jour je prenais un coup sur la tête, l’équipe du site continuerait à rentrer mes informations même si ça devient du parfait n’importe quoi.

On a bien compris que l’on doit une masse d’informations inédites aux internautes – je n’en connais que quelques autres, Jean-Marcel Erre, auteur du roman « Prenez soin du chien »,  Grégory Alexandre « ancien » nègre de Jean Tulard, la cinéaste Isabelle Broué et l’ami Jean-Louis Sauger… IMDB se garde bien de mettre tout ce petit monde en rapport, on ne sait jamais s’ils venaient à faire une base parallèle. Le site IMDB doit être une base de départ et n’est pas toujours fiable. Pour une filmographie ils datent à partir de la date de sortie par exemple, « Jet pilot / Les espions s’amusent » figure à l’année 1957, alors que le tournage date de 1950. Il est à déplorer une nouvelle catégorie de filmographes qui ne font que dresser des listes sans voir les films !, et vont dénigrer ensuite la base IMDB alors qu’ils ne font que du recopiage myope, ce qui est assez curieux. Autre exemple, pour un ami cinéphile participant aux « joutes du cinéma », je rentre régulièrement ses rôles et figurations, même s’il n’est jamais crédité à un générique… Résultat un figurant peut donc se retrouver bien placé dans un « Annuel du cinéma » par exemple, même s’il disparaît au montage. Certaines fiches restent mimalistes, comme celle de « Quand j’étais chanteur », où j’ai dû rajouter le nom de Jean-Pierre Gos, oublié alors qu’il y a un rôle important.

C’est donc en temps que « petite fourmi » et dans une idée de partage que j’ai pris l’habitude de travailler sur ce site, depuis plusieurs années maintenant. A l’instar du vieux garçon, décrit par Philippe Garnier dans l’article de « Libération » repris ici,  je tente de rentrer les téléfilms et des court-métrages, ce qui reste une goutte d’eau dans l’océan. Si jamais vous aviez des informations à me communiquer, surtout pour les dramatiques d’avant 1972, elles seraient bienvenues. Il y a aussi une interactivité salutaire, avec la base, puisque l’on peut rajouter de nombreux liens, histoire de faire connaître d’autres sites. IMDB doit donc beaucoup aux internautes et à quelques cas cliniques dont mézigue…

ARTICLE : LIBÉRATION

Zoom
IMDb, de la mine au filon
Il y a une quinzaine d’années, un étudiant lançait ce site cinéphile aujourd’hui incontournable.

Par Philippe GARNIER
mercredi 04 janvier 2006
Los Angeles correspondance

Cherchez trace d’un obscur film MGM dans lequel Robert Blake joue Corky, un mécanicien taré mais marié à CHARLOTTE RAMPLING (!) qui cherche à percer comme pilote de stock-cars, et bam, merci IMDb, non seulement vous apprenez que Ben Johnson, le transfuge de John Ford, était dedans, mais aussi plein de pilotes de course célèbres comme Jo Petty. Vous apprenez du même coup que, surprise, le film n’a plus jamais refait surface depuis sa sortie en 1972 sur le circuit des drive-in, et n’a jamais existé ni en VHS ni en DVD. Or on n’imagine pas vraiment la sortie imminente du coffret Robert Blake pour les fêtes («Kiss Kiss, Bang Bang, the Robert Blake Collection» ?). Et, IMDb étant réellement un site interactif, vous êtes immédiatement mis en contact avec un avocat texan défroqué qui ne peut pas CROIRE qu’on lui parle de ce film auquel il n’a pas songé depuis trente ans. «Non seulement je l’ai vu quand il est sorti, j’étais sur le TOURNAGE à Dallas, et sur le circuit de course près de Fort Worth…» Tout ça pour vous dire qu’il n’a pas de cassette du film.

Science et manies. Il est difficile d’imaginer, aujourd’hui, la vie sans IMDb (www.imdb.com) , ou un monde sans ce site qui répertorie les plus infimes et futiles détails sur près de 471 000 films (du muet aux productions en cours), 1 200 000 personnes (du réalisateur au maquilleur, en passant par la distribution quasi complète), et enregistre plus de trente millions de visites chaque mois. On a autant de peine à se rappeler à quoi ressemblait le site, disons, au début 1996, quand on l’a découvert pour la première fois. L’entreprise existait depuis six ans sous forme embryonnaire, changeant aussi vite que les progrès techniques informatiques, mais venait de se mettre en société, sans pour autant améliorer son blase (Internet Movie Data Base, Ltd). On se souvient, après avoir frimé une semaine à peu de frais sur le plateau culture de Libé, dévoilant le clic magique aux collègues, et les répercussions. Le site n’avait alors pas grand-chose à voir avec celui d’aujourd’hui. Ses ressources étaient déjà impressionnantes, d’ampleur et d’exactitude, mais l’habillage restait spartiate.

A l’origine de ce succès industriel, il y a naturellement un cinéphage ou deux. Et tant qu’il y aura des vieux garçons, il y aura des listes. Qu’il s’agisse de rock ou de cinéma, le fanatique vieux garçon compile, classe, hiérarchise, compare. Col Needham était de ceux-là, un étudiant de Bristol (il a 38 ans maintenant) qui a un jour eu l’idée de mettre sa science au service de ses manies. Voulant partager ses génériques et ses listes avec d’autres fadas de la même eau, Needham, en octobre 1990, a commencé un newsgroup sur Usenet, un des réseaux préhistoriques, pré-World Wide Net, surtout connus des hackers et étudiants. L’entreprise de ces premiers chrétiens avait un nom encore plus tartignole, rec. arts. movies movie data base, trahissant bien ses origines boutonneuses et universitaires. C’est d’ailleurs l’université de Cardiff qui a un temps abrité cette banque de données en formation, jusqu’à ce que la demande d’espace explose, malgré la création de sites miroirs aux Etats-Unis et Royaume-Uni.

En 1993, révolution Number Nine : Needham adapte son site au Net et adopte une interface e-mail permettant une interactivité simple et essentielle au développement d’IMDb : il est désormais possible à tout utilisateur de corriger les fautes, ou combler les lacunes, sans avoir à jouer les cyber-Sherlock pour trouver à quel collaborateur du site s’adresser. Car c’est là la force de cette confrérie frapadingue, et la fascination qu’elle provoque : encore aujourd’hui, le bureau de Seattle qui lui sert à la fois de façade et de raison sociale, ne loge qu’une vingtaine de ses cent employés. Les autres, y compris le patron, sont dans le cyberspace. Needham, qui réside toujours à Bristol, n’a rencontré ses premiers collaborateurs qu’en 1996, une fois la décision prise de se mettre en société. Et encore aujourd’hui leurs noms demeurent secrets, provoquant toutes les curiosités.

Shazam ! Quand on demande à Kevin Brownlow, un des plus célèbres spécialistes du cinéma muet, s’il a un jour été «recruté», il rétorque qu’il n’a même pas l’Internet. Mais l’identité des contributors est devenue d’autant plus cruciale que le site a changé de peau du tout au tout, du jour où Needham a rencontré Jeff Bezos, en 1998. Le fondateur d’Amazon.com envisageait étendre son empire au-delà du livre ­ vendre du contenu audiovisuel. IMDb lui semblait être un support essentiel pour s’ouvrir le marché vidéo naissant. Non seulement IMDb vous indiquerait si le film existe en VHS ou DVD, et dans quel pays, mais vous seriez désormais à un clic du magasin, et à deux du chariot. Shazam ! Needham et ses mystérieux actionnaires ont accepté de se laisser acheter par Amazon, Bezos leur ayant assuré leur complète autonomie.

Mais, bien au-delà de l’habillage plus jazzy et des banderoles publicitaires, IMDb a irrémédiablement changé. L’utilisateur est aujourd’hui constamment confronté aux promos de toutes sortes, et aux «si vous avez aimé ceci, vous aimerez cela» (attrape-con si familier des piégés d’Amazon) ; invité de plus à participer à toutes sortes de referendums tarés, le meilleur de ci, le pire de ça, «et qu’en pensez-vous ?». C’est-à-dire, comme sur les télés du monde entier, le travesti de l’interactivité, en réalité l’invitation à la passivité.

Collusion. De la caverne des cent un nunuches qu’il était, IMDb est devenu un emporium de zombies qui se croient obligés de tartiner leur ego et leurs opinions sur tout. Si IMDb a perdu de son intégrité et de son exactitude (encore très remarquables, par les temps qui courent), c’est que le site est phagocyté par les blogueurs, ragoteurs et poseurs de canulars et autres véroles de l’époque. Mais aussi, plus grave, une grande partie d’IMDb est devenue une version en ligne de Variety ou du Hollywood Reporter, avec l’avantage d’être gratuit (mais une version «pro» payante existe aussi). Comme les magazines professionnels, le site est désormais truffé d’infos plus volontaristes qu’exactes ­ surtout en ce qui concerne les films en production, ou simplement «annoncés». Il est souvent utile pour un producteur d’annoncer un projet avec telle ou telle vedette, même si c’est du pipeau complet.

Et on retrouve aujourd’hui sur IMDb la même collusion insidieuse corporatiste qui a toujours fait les choux gras de Variety. Par exemple, si vous explorez le site au sujet de Capote, aucune mention n’est faite de l’AUTRE film sur l’écrivain, fait cette année aussi, et sur la même époque de sa vie (celle de De sang froid). C’est seulement si vous cliquez sur le titre du film, Infamous, que vous apprenez que Warner a un pareil oiseau sur les bras. Warner et Sony Classic ont probablement depuis conclu un pacte et décidé d’espacer et désassocier le plus possible les deux films. Mais ce silence radio, même par simple omission, est preuve que Hollywood peut encore tenir le couvercle sur quelques infos gênantes ou inopportunes. Et que, indépendance ou pas, IMDb roule surtout pour la promo des films. Maintenant, cliquez sur «cet article vous a-t-il été utile ?» Mais auparavant, n’oubliez pas de vous enregistrer et de participer au référendum de l’article le plus con de l’année.

PAR DISCIPLINE CHRÉTIENNE, IL EST DEMANDÉ DE S’ABSTENIR D’ALLER VOIR LES FILMS COTES 5

Connaissez-vous « Le répertoire général des films », des années 50-60, éditons « Pensée vraie », édités par la « Centrale catholique du cinéma » ? C’est l’ami Christophe Bier, qui m’en avait parlé. L’idée est simple, dresser la liste des films visibles par tous, histoire de chasser les « détails anti-éducatifs » ou des films « qui prônent ouvertement des idées mauvaises et subversives ». Il fallait bien protéger les chères petites têtes blondes d’alors, qui doivent former d’ailleurs, l’élite de notre joyeuse nation. C’est forcément édifiant ! Évidemment quand on voit les films aujourd’hui on ricane ferme, évolution des mœurs oblige ! Il y avait une cote morale, dressée par quelques ecclésiastiques, de la Cote 3, des films visibles par tous, à l’horrible Cote 5 « Par discipline chrétienne, il est demandé de s’abstenir d’aller voir les cotes 5 », qui « attaquent la religion ou qui la rendent méprisable, odieuse et ridicule », et qui en passant « font complaisamment étalage de vices, de crimes ou de dérèglements… ». L’intolérance est parfois visible – le racisme point son nez en passant, confère la note sur « Avec André Gide » . Ce regard effrayé devant les bassesses de ce bas monde ainsi étalées, finit par être assez croquignolet. Elevé par une école catholique, un tantinet plus tard, je retrouve de manière assez caricaturale, la morale rigoriste, complaisamment inquisitrice. Si ces catalogues sont très utiles pour les cinéphiles, « La saison cinématographique » débutant en 1957, c’est aussi un absolu régal à lire. Toute une époque… pas si lointaine…  

Extraits – pris au hasard ! – : tirés du « Répertoire général des films » volume « 1952-1953 » & « 1953-1954 ».  

Adorables créatures (Christian-Jaque, 1952), avec Daniel Gélin, Edwige Feuillère : « …Les auteurs tendant, au travers des histoires d’alcôves, à présenter sur les femmes des considérations fausses, stupides et méprisantes. De nombreuses scènes sensuelles : amoralité et cynisme de tous les personnages ». – Cote 5.

L’affaire Ciceron, Five Fingers (Joseph L. Mankiewicz, 1952), avec James Mason, Danielle Darrieux : « ..Le châtiment final des deux coupables ne rétablit que faiblement la moralité de cette histoire. Mais le caractère historique de l’aventure relatée en atténue la nocivité ». 

Agence matrimoniale (Jean-Paul Le Chanois, 1951), avec Bernard Blier, Michèle Alfa : « … »Les critiques contenues dans ce film sont justifiées ; elles montrent à quel point certaines moeurs habituelles à notre société peuvent avoir sur des individus faibles de caractères de fâcheuses répercussions. Réserves pour remariage après divorce, considéré comme une solution normale ». 

A l’abordage, Against all flags (George Sherman, 1952), avec Errol Flynn, Maureen O’Hara : « …La fille du grand Mogol aime se faire embrasser et la femme corsaire aussi… Tous ces corsaires ne sont pas des enfants de choeur et ça se voit ». 

Alice aux pays des merveilles, Alice in Wonderland (Walt Disney, 1951) : « …Rien à dire du point de vue moral. Le public doit cependant savoir que le caractère abracadabrant et parfois impressionnant de ce film risque de heurter de très jeunes enfants sensibles ». 

Les amants de Bras-Mort (Marcel Pagliero, 1951), avec Frank Villard, Nicole Courcel.  « …L’atmosphère d’union libre et de violence motive de sérieuses réserves morales malgré l’indéniable leçon morale donnée par l’amour du travail et le renoncement final de la jeune fille ». 

L’amour, Madame (Gilles Grangier, 1951), avec Arletty, François Périer : « …Les situations, le dialogue, quelques toilettes légères, telles qu’on en voit sur la Côte d’Azur, appellent des réserves ». 

Au coeur de la casbah (Pierre Cardinal, 1951), avec Viviane Romance, Claude Laydu : « …La compagnie des personnages aussi inquiétants durant une heure et demie risque de faire participer le spectateur à leur univers intérieur, et c’est l’univers du péché, envoûtant et désirable. Une danse de cabaret spécialement suggestive oblige à plus de sévérité encore. » – Côte 5. 

Avec André Gide (Marc Allégret, 1951), avec André Gide, Maurice Garçon : « …Une allusion aux moeurs de Gide, des danseuses nègres à moitié nues, tout cela entraînent certaines réserves ».

L’étrange amazone (Jean Vallée, 1952), avec Madeleine Lebeau, Gérard Landry : « … Il est admis qu’un homme ne peut vivre longtemps sans une maîtresse. Mais ce sont surtout les photos qui sont répréhensibles (Scènes de nudités au bord de l’étang, numéro de strip-eause, chansons, etc…) ». 

Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque, 1952), avec Gérard Philipe, Gina Lollobrigida : « …Le dialogue léger et des scènes suggestives obligent à des réserves morales ». 

Le Fauve en liberté, Kiss tomorrow Goodbye (Gordon Douglas, 1950), avec James Cagney, Barbara Payton : « …Ce film baigne dans une ambiance lourde, qui soulève le coeur. Tous les personnages sont des brutes ou des hommes moralement abjects ». 

Le masque de Dimitrios, The mask of Dimitrios  (Jean Negulesco, 1944), avec Peter Lorre, Sidney Greenstreet : « …On montre beaucoup d’indulgence avec plusieurs personnages sans scrupules. Le mal n’est pas assez désapprouvé ». 

Mina de Vanghel (Maurice Clavel, 1953), avec Odile Versois, Alain Cuny : « …Les réserves portent sur l’atmosphère sensuelle de ce film et sur l’attitude de la jeune fille qui n’hésite pas à convoiter un homme marié et à tenter de détruire un ménage uni, pour finir par se suicider. Seul le caractère romantique et artistique de cette oeuvre empêche une cote plus sévère ». 

Mon gosse de père (Léon Mathot, 1952), avec Maurice Teynac, Jean Tissier : « …Le plaisir est considéré comme le bien suprême, la vertu, présentée sous l’aspect d’un puritanisme rigide, est ridiculisée. Les dialogues sont légers, l’attitude de l’aumônier des girls (sic !…) est sujette à caution et la plupart des personnages sont immoraux ». 

La mort d’un commis voyageur, Death of a Salesman (Laslo Benedek, 1951), avec Frederic March, Mildred Dunnock : « …Les éléments qui seraient susceptible d’entraîner des réserves : la liaison du héros, qui est marié, et son suicide – qui est un suicide d’homme détraqué – renforcent dramatiquement un contexte de valeur.

La tournée des Grands-Ducs (André Pellec, 1952), avec Raymond Bussières, Sophie Sel : « …Dialogues vulgaires, situations équivoques et surtout exhibitions indécentes au cours de spectacles de cabarets. – Cote 5.

Un caprice de Carloline Chérie (Jean Devaivre, 1952), avec Martine Carol, Jean-Claude Pascal : « …Malheureusement, les déshabillages renouvelés de Martine Carol et la mentalité d’ingénue-libertine prêtée à son personnage, à quoi il faut ajouter un language dévergondé, font rejeter ce film par tous ceux qui ont un souci de propreté ». – Cote 5.

Victoire sur l’Annapura (Marcel Ichac, 1953, documentaire) : « …Aucune réserve sur le plan moral. Tout au contraire, on ne peut que recommander un tel film, réelle leçon dénergie, relatant un exploit dont la France peut à juste titre s’enorgueillir ».

CHANGEMENT D’HERBAGE, REJOUIT LES VEAUX…

« Le coin du cinéphage » prototype du blog foutraque est né en mars 2005, chez un autre hébergeur. Tout allait bien, mais la plate-forme a hélas fortement pâti d’une migration non préparée en janvier dernier, pour d’obscures raisons de sécurités. Les promesses n’engageant que ceux qui les reçoivent, comme le disait si bien l’ineffable Charles Pasqua, me voilà à changer d’herbage, après 9 mois à devoir vivre avec un électroencéphalogramme presque plat. Rien ne va fondamentalement changer sur le contenu, la platitude et les lieux communs régneront toujours en maîtres, mais l’ergonomie est ici beaucoup plus probante. Certaines rubriques vont être rapatriés ici…

Samedi 21 octobre dernier, c’était le 20ème anniversaires des joutes, à Toulouse. C’est l’occasion pour quelques amis cinéphiles de se retrouver pour discuter cinéma, se livrer à un petit jeu, loin des affres de la médiatisation. Cette association est née, suite à des retrouvailles d’anciens candidats du célèbre jeu de Pierre Tchernia, lors d’une émission spéciale. J’avais déjà relaté les précédentes éditions dans une note du 12 juin 2005. Désormais, cette réunion est à une période charnière de son histoire, mais il y a désormais un forum de rencontres: http://joutes-cinema.aceboard.fr/ , ou vous retrouverez des amoureux du cinéma très érudits, il est très rare que les questionnaires proposés ne trouvent pas une réponse, tant chacun a son époque de prédilection, ces coups de coeur. Les conversations fusaient, chacun rebondissant sur une réflexion. Le gagnant est à nouveau cette année l’ami Claude Baugée, qui a désormais son blog également chez « Canalblog », http://eeguab.canalblog.com/, Je l’ai suivi en voyant que ce cadre me correspondait mieux, suivi d’un basque au nom imprononçable et de Jackie Martel, collectionneur enthousiaste et que l’on retrouve souvent dans la foire des « Cinglés du cinéma », qui se déroule en début d’année à Argenteuil. Pour vous donner un petit goût à cette manifestation, je vous propose mon questionnaire, vous retrouverez les réponses dans le commentaire. La moyenne générale est de 8. Le forum des « Joutes » devrait désormais continuer à animer notre passion commune, vous pouvez nous retrouver, il suffit juste de s’inscrire.

Politique et cinéma :

1. Dans quel film, sorti en 1961, d’Henri Verneuil, avec Jean Gabin et Bernard Blier, retrouve t’on ce dialogue de Michel Audiard « Je suis un mélange d’anarchiste et de conservateur, dans des proportions qui restent à déterminer ».

2 Qui joue le rôle du président de la République de la France, dans « Les œufs brouillés » (Joël Santoni, 1975).

3 Titre du film militant de 1936, commandité par le Parti Communiste Français, pour s’opposer à la montée de groupuscules fascistes, et réalisé notamment par Jean Renoir, Jean-Paul Le Chanois et Jacques Becker..

4 Qui joue dans « État de siège », de Costa-Gavras, en 1972, le conseiller américain, Philip Michael Santos, enlevé à Montevidéo par un groupuscule révolutionnaire, les Tupamaros. 

5 Dans « Good night and good luck » de George Clooney, sorti en 2005, qui tient le rôle du sénateur Joseph McCarthy.

6 Film italien de 1973 de Mario Monicelli, avec Ugo Tognazzi, Claude Dauphin et François Périer, où un député et d’anciens généraux fascistes, fomentent un coup d’état.

7 Quel est le nom du réalisateur d’ « Ogro » (1979), où Gian Maria Volonté joue un terroriste basque, et qui vient de mourir en octobre.

8. Titre d’un film français de 1955, de Paul Carpita, sur des tensions avec des dockers marseillais, et qui fut interdit. Le film fut finalement diffusé en 1990, grâce à la réapparition de l’unique copie existante confisquée par la censure politique.

9. Film de Pascal Aubier, tourné en 1970, où Alain Cuny joue le rôle d’un révolutionnaire de salon, avec Bernadette Lafont et Fabrice Luchini.

10. Qui joue « Norma Rae », Martin Ritt (1977), une ouvrière qui lutte pour obtenir de meilleures conditions de travail, dans une usine de textile.

11. Titre du film de John Frankenheimer de 1964 , avec Burt Lancaster, Kirk Douglas et Frederic March, où un général, hostile à la politique de désarmement du Président des Etats-Unis, prépare un putsch..

12. Nom du réalisateur de « L’ombre rouge » (1981), avec Nathalie Baye, Claude Brasseur et Jacques Dutronc, sur la lutte indirecte des communistes français dans « La guerre d’Espagne ».

13 Film espagnol de Juan Antonio Bardem (1979), où l’on retrouve les interprètes français Madeleine Robinson et Jacques François, traitant de la tentative de coup d’État fomentée par les nostalgique du Franquisme en 1977.

14. Quel comédien, décédé en juillet dernier, joue le rôle d’Harry M. Rosenfeld, rédacteur en chef du journal où travaillent Dustin Hoffman et Robert Redford, dans « Les hommes du président » d’Alan J. Pakula (1976) et qui joue dans « Bulworth », joué et réalisé par Warren Beatty, en 1998, où un sénateur suicidaire fait ses discours en rappant et se met à dire la vérité.

15. Nom du co-réalisateur de la période politique des films de Jean-Luc Godard, membre du groupe « Dziga Vertov », pour notamment « Vent d’Est » (1969), « Vladimir et Rosa » (1971), « Tout va bien » (1972)… .

LADY CHATTERLEY

Avant-première à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux de « Lady Chatterley », en présence de Pascale Ferran et de Jean-Louis Coulloc’h. La célèbre œuvre de D.H. Lawrence a été adaptée à plusieurs reprises, citons « L’amant de Lady Chatterley » de Marc Allégret, avec Danielle Darrieux en 1955 – que l’on imagine bien édulcoré -, l’érotico-soft film de Just Jaeckin, avec Sylvia Kristel en 1981, deux obscurs « Young Lady Chatterley », une préquel ? signé Alan Roberts en 1977 puis 85,  et un téléfilm, « Lady Chatterley » de 1993 de Ken Russel, qui semble légitime pour le réalisateur du célèbre « Love » en 1969, autre adaptation culte de l’écrivain. Personnellement, j’avais été fortement impressionné par la maîtrise de ses « Petits arrangements avec les morts », en 1993, l’un des meilleurs films français des années 90. L’annonce d’une nouvelle version de l’œuvre de D.H. Lawrence pouvait surprendre dans le cliché que l’on pouvait avoir sur cette œuvre, sans l’avoir lue. Le silence de Pascale Ferran pouvait surprendre, depuis « L’âge des possibles » réalisé pour Arte en 1995. Elle répond avec franchise, qu’elle s’était totalement investi dans son premier film, et qu’elle manquait d’inspiration pour d’autres œuvres. La créativité revenue, elle n’a pas hélas réussi à obtenir un budget conséquent pour un film d’auteur ambitieux : « Paratonnerre ». Elle a fait beaucoup de travaux d’écritures, de la version française « Eyes Wide Shut » de Stanley Kubrick, et a était scénariste sur « La sentinelle » ou « Mange ta soupe », ce qui l’a aidé pour l’écriture du film, avec Pierre Trividic. La réalisatrice a utilisé la troisième version écrite de l’œuvre « Lady Chatterley et l’homme des bois ». Elle a eu un véritable coup de cœur pour cette œuvre éditée chez Gallimard, et qui est sensiblement différente de l’œuvre la plus connue. L’adaptation est originale, même si les conditions ne furent pas optimales ce soir là. Ca a commencé par une adepte de « La dame aux camélias », qui jalouse de voir une de ses rivales sur l’écran, s’est mise à cracher ses miasmes durant tout le film, avec la dernière énergie. Crachant tripes et âme, la « tubarde » doit avoir contaminé la moitié de la ville désormais. Jamais on aura vu autant de ferveur à élaborer une toux inédite, entre le brame du cerf et le marteau piqueur. N’importe qui serait mort à sa place… d’épuisement. En plus, le film a carrément cassé à deux reprises, dont durant une jolie et sensuelle scène florale, résultat une partie du public, panurgiste se mit à sortir, devant penser que c’était une audace de mise en scène de terminer un film d’une manière aussi abrupte… Si le film est parfois inégal, trop riche peut être et souffrant peut-être d’un trop plein filmique – le personnage de Bernard Verley, dans le rôle du père de Constance, doit se contenter d’une simple apparition, mais on devrait retrouver sous peu, une version feuilleton TV sur Arte, plus complète sous le titre éponyme « Lady Chatterley et l’homme des bois ».

Marina Hands & Jean-Louis Coullog’h

Pascale Ferran évite tout académisme – à déplorer par exemple chez Jean-Daniel Verhaeghe, qui a signé une adaptation trop classique du « Grand Meaulnes », alors qu’il est beaucoup plus probant sur le petit écran -.En effet, loin des clichés attendus, on redécouvre l’œuvre originelle d’une grande sensibilité. Constance – étonnante et superbe Marina Hands, déjà sensible dans « Sur le bout des doigts » d’Yves Angelo, se fane littéralement d’ennui dans le château des Chatterley. Son mari Clifford – Hippolyte Girardot, rarement aussi bon, sauf chez Arnaud Desplechin -, handicapé physique, a du mal à la comprendre. Il dispose de sa domination sociale, et a une fierté avec son handicap le raidissant encore plus – confère la scène très drôle de la petite voiture qui refuse d’avancer -. Elle ne peut que se distraire qu’écouter ses conversations avec ses anciens amis militaires ou recevoir les rares visites d’Hilda, sa sœur – Hélène Fillières, étonnante en « garçonne » -. Les convenances la pèsent, et elle finit par tomber malade, mais la rencontre avec le garde-chasse Wragby, fruste et mutique – Jean-Louis Coullog’h, sorte d’amalgame entre Nicolas Silberg et Daniel Mesguich, avec une fragilité derrière un aspect « brut de décoffrage » -. Le désir physique naît entre ces deux personnes. Ils finissent par se découvrir, avec sensualité au fil de la relation, chacun donnant de l’énergie à l’autre, et s’obligeant à se transcender contre les conventions du voisinage. Le cinéma a rarement montré aussi justement l’amour fusionnel et une intimité fragile dans un couple. Ils transgressent une époque rigoriste sans obscénité, l’amour est un dénominateur commun pour ceux que tout oppose. Loin de l’agitation « gymastiquatoire » d’un Just Jaeckin – sans avoir vu son film cependant -, Pascale Ferran s’approche de l’essence charnelle des êtres. Le débat était passionnant, de découvrir le comédien Jean-Louis Coullog’h, très intuitif et au parcours singulier – de la cuisine au théâtre exigeant de Claude Régy -, timide, semblant à l’aise avec les scènes physiques, mais beaucoup moins dans les scènes de dialogue, il pulvérise par une grande sensibilité son personnage. La rencontre avec Pascale Ferran fut magnifique, rarement on peut retrouver dans le cinéma français une grande richesse, un investissement de tous les instants, une attention aux moindres détails. D’une œuvre de fiction, elle en fait un projet personnel, réussit à recréer une Angleterre puritaine mais fantasmée, à partir des superbes paysages du Limousin. Elle montre le passage des saisons, et l’évolution de la nature selon les périodes, elle la domestique, la recrée, en replantant des fleurs par exemples, pour magnifier les sens et cette histoire d’amour. Pascale Ferran livre une eau forte absolument originale, souhaitons que nous n’attendions pas 10 ans pour retrouver cet univers si riche, à l’écran.

NE LE DIS A PERSONNE

Avant-première mardi 13 octobre à l’UGC-Cité Ciné Bordeaux en l’absence de Marie-Josée Croze – las ! – et de François Berléand – mais il a un alibi, quand je l’ai eu au téléphone il embarquait pour Lyon pour les derniers jours de tournage du prochain Chabrol – annoncés, mais en présence de Guillaume Canet, Gilles Lelllouche, Philippe Lefebvre et du producteur du film, Alain Attal. Arrive également une célébrité locale, Joël Dupuch – qui fait dans le film du panouille -, adulé par Guillaume Canet, qui ne manque pas de chanter ses louanges à chacun de ses passages. C’est un ostréiculteur côté, je vous vois venir… non, ce n’est pas le tueur du film, puisque son pote a survécu à une forte consommation de mollusques bivalves durant tout l’été… Il fallait le voir monter et tituber sur scène, « beurré », comme il se doit… comme une huître ! Difficile de parler du film sans le déflorer, disons qu’Alexandre Beck – François Cluzet, un de nos meilleurs comédiens -, ressassent le souvenir de sa femme Margot, enlevée dans la forêt de Fontainebleau et assassinée de manière violente par un tueur en série. Mais ce dernier arrêté depuis a avoué tous ses crimes, mais a toujours nié avoir assassiné cette femme. La découverte de deux corps de 2 hommes, près du lieu du crime, détermine la réouverture de l’enquête. Alex qui a désormais voué sa vie à son métier de pédiatre, reçoit un jour un e-mail anonyme, dont le libellé du titre rappelle à son souvenir, les entailles laissés par le couple, gravées dans l’écorce d’un arbre. C’est un signe évocateur que seule Margot pouvait connaître… Guillaume Canet et Philippe Lefebvre séduits par le roman éponyme d’Harlan Coben, gros succès de libraire souhaitaient l’adapter de longue date. Mais le cinéaste Michael Apted avait déjà une option sur le livre, et avait déjà en Keenu Reeves, l’interprète principal. Mais le projet s’avérant décevant est annulé, et Guillaume Canet a eu la chance de prendre connaissance de l’annulation du projet de la bouche des intéressés aux États-Unis, avant de foncer contacter Alain Attal, pour relancer le projet avec l’accord de Michael Apted et de l’écrivain séduit par la vision de « Mon idole » sur DVD. L’intelligence du réalisateur de ce brillant premier film – un coup d’essai, un coup de maître – et co-scénariste est de donner un point de départ fort, sans laisser tomber la tension dramatique. La mise en scène nerveuse, au service d’une brillante distribution – le moindre rôle est tenu par un solide comédien -. Marie-Josée Croze donne dans ce rôle bref mais marquant une interprétation sensuelle – à l’instar de son rôle sur « Ordo » -, mais aussi elle confère à son rôle un mystère, elle est idéale pour donner crédit aux zones d’ombres de son personnage. D’André Dussollier et Martine Chevallier, en parents déchirés mais rassurants, Kristin Scott-Thomas en confidente amoureuse de Marina Hands et Nathalie Baye en avocate réputée et efficace. François Berléand touchant en flic compatissant et un peu maniaque – il faut le voir rabrouer Philippe Lefebvre qui joue son partenaire, pour le tri des déchets, vérifier sa gazinière avant de prendre congé de sa mère joué par l’excellente Françoise Bertin -. Son talent fut loué par la petite équipe, sa capacité à jouer des rôles peu valorisant, seul Guillaume Canet déplorait sa boulimie, le privant de grands rôles, à l’évocation du claquage de son épaule dans la scène de l’aéroport. Philippe Lefebvre un peu trop en retrait hélas lors du débat, reste très sympathique et modeste – il était étonné de voir que c’était un internaute, en l’occurrence mézigue, qui avait fait le distinguo entre lui et son homonyme réalisateur sur IMDB -. On retrouve aussi Jean Rochefort, dans un bref rôle de patriarche propriétaire d’un haras – il joue le père de Guillaume Canet, dont la présence sur la fiche laisse augurer qu’il a son importance dans l’histoire -. C’est une digne filiation pour ces deux amoureux des chevaux, et qui étaient déjà partenaires sur « Barracuda » (Philippe Haïm, 1997).

Gilles Lellouche & François Cluzet

Gilles Lellouche – fort capital de sympathie – présent sur la scène, nous livre aussi une interprétation subtile de loubard balieuesard au grand cœur, loin des poncifs habituels, il a une palette de jeu très large comme on a pu le constater de « Ma vie au grand air » à « On va s’aimer ». Il devrait diriger son premier film seul en 2007, et vient de tourner « Ma vie avec Meg Ryan ». On retrouve la folie habituelle de Florence Thomassin, Brigitte Catillon en capitaine efficace, Eric Naggar en avocat miteux, Olivier Marchal en mystérieux homme de main, Jalil Lespert en gros bras, Jean-Pierre Lorit en adjudant-chef précautionneux, Éric Savin en procureur suffisant, Sarah Martins qui a une forte présence dans un rôle muet, pour ne citer que quelques noms. Il est rare de retrouver un tel effort dans la distribution dans notre joyeux cinéma, rétif à chérir nos chers seconds rôles. Mais le meilleur du film reste la composition de François Cluzet, éblouissant et humain, dans un rôle très physique. Alain Attal, me confiait en aparté son osmose avec Guillaume Canet, son investissement y compris dans les scènes spectaculaires. Il a exécuté lui-même les scènes au bord du lac et de courses-poursuites, laissant le pourtant trentenaire Philippe Lefebvre complètement essoufflé-. S’il reçoit ici un rôle à la mesure de son talent, il aura pourtant fallu à l’équipe du film se battre pour l’imposer ici, certaines chaînes de télé, comme TF1, lui préférant un nom plus « bankable ». Autant d’absence de discernement chez ces lessiviers peut surprendre – d’où un « casting » béton autour de Cluzet –  quand on voit l’explosion de son talent. On comprend mieux la régulière livraison de produits manufacturés de secondes zones. La sous-utilisation de François Cluzet ces derniers temps reste un mystère pour les spectateurs. Guillaume Canet, particulièrement disert, a parlé brillamment de sa mise en scène, de l’emploi de la courte focale, et de la revanche du cerf par rapport à « Mon idole » – vous comprendrez ce fait en voyant le film… -. Le choix de la B.O. est aussi très convaincant et la musique de M effectuée en live, et arrivé au pied levé après la démission d’un musicien préférant partir pour comme le disait son réalisateur – faire un petit court-métrage pour un metteur en scène nommé Oliver Stone -. Petit bémol cependant, si le film est d’une excellente facture, je ne sais finalement pas quoi penser du résultat final. Si l’on comprend parfaitement l’histoire pourtant très complexe, le film pâtit peut-être de son montage – l’intérêt baisse un peu quand on ne voit plus François Cluzet -, mais la première version faisait 160 minutes, et peut être bizarrement de trop de maîtrise et de morceaux de bravoures. Il reprend une idée, déjà traitée dans « Stage fright / Le grand alibi » d’Hitchcock (1950), pour le « twist » – mot désormais à la mode pour retournement de situation – final, idée reprise par Brian Singer, pour ses « Usuals suspects », mais qui ici jette une sorte de distance dans la narration dans la révélation finale, pourtant traitée avec beaucoup de sobriété. Mais tout cela est finalement très relatif quand on voit le résultat à la hauteur de l’ambition initiale, servi par une admirable photographie de Christophe Offenstein. On retrouve un polar, enfin sans la roublardise de certains films de genres et la confirmation d’un grand talent de cinéaste pour Guillaume Canet.

Fragments d’un dictionnaire amoureux : Daniel Emilfork

Daniel Emilfork dans son dernier film : « Faut que ça danse » 

Annonce de la mort de Daniel Emilfork, le cinéma ne lui aura pas donné de rôles à la mesure de son talent. Le cinéma français, notamment, était sans doute trop réducteur pour apprécier les subtilités de son jeu, et son phrasé si spécial. Il était pourtant un inoubliable « Le Kanak » dans « Chéri-Bibi », face à Hervé Sand, qui lui confèrera en 1975 une grande notoriété. Un grand monsieur avec un fort sens de l’autodérision quand il parlait de son visage de gargouille. J’avais eu la chance de le voir jouer en 2000 sa pièce « Pueblo Horno », un monologue sobre mais poignant, où il évoquait avec beaucoup de sensibilité son enfance au Chili. Il était né d’une famille russe et de culture juive. Il citait sa maîtresse parlant de lui comme « Ni noir, ni blanc, mais gris, juif ». Une enfance difficile, son frère devint proche du régime de Pinochet, il souffrait de sa bisexualité et il avait perdu un talon dans une voie ferrée de son village suite à une tentative de suicide à 17 ans. Il commence à s’intéresser au théâtre avec Alejandro Jodorowski. Il s’exile en 1949, dans le plus complet dénuement. Il fint par suivre les cours de Tania Balachova, suite à une rencontre décisive avec l’EPJD, prônant l’enseignement par le jeu dramatique. Il y rencontre « une autre grenouille » (1) –  un bibelot représentant une grenouille joueuse de golf était son totem, dans son modeste appartement -, en la personne de la comédienne Denise Péron. Elle devient sa femme et lui donnera une fille Stéphanie Loïk, également comédienne. Les premiers engagements arrivent, avec les petits rôles à la télévision du temps des « Buttes Chaumont », ou au cinéma comme dans « Frou-Frou » en 1954, où on le reconnaît en invité d’un bal masqué. Les débuts sont difficiles, il aimait à raconter son permier rôle, le grand méchant loup dans une adaptation du « Petit Chaperon rouge » : « Un jour, il ôte son masque en pleine représentation et des centaines d’enfants se mettent à hurler, il en rit encore ». (1) Il tente de trouver ses marques, il est très vite engagé : « Marc Allégret m’avait vu au théâtre et me proposa le rôle d’un professeur de violon un peu hystérique dans « Future vedettes » (…) J’avais une seule scène, avec Bedos, et en arrivant au studio, j’avais préparé ma propre mise en scène. Alors , je dis : « Voilà comment je vois la chose… » On m’a tout de suite arrêté. Tout le monde rigolait. Je ne comprenais pas pourquoi ! Je ne connaissais rien à la hiérarchie qu’il y avait alors au cinéma… Et ça m’a fait beaucoup souffrir. Vous savez, quand j’ai démarré, on vous serrait la main par rapport au petit fric qu’on gagnait. C’était horrible ». (2) Mais il tire toujours son épingle du jeu, même en barman volubile face à Marina Vlady dans « Sophie et le crime », où il est doublé… par Jacques Jouanneau ! C’est le théâtre qui lui apporta le plus de satisfactions, notamment avec Patrice Chéreau qui le dirige dans le rôle titre de « Richard II », il lui demande ensuite d’être son coach pour « Troller », avant de le placer à la tête de l’école des Amandiers. Il n’avait pas voulu se laisser enfermer dans des rôles souvent improbables de vampires – il semble se caricaturer dans sa composition « draculesque » dans « Au service du diable », selon un rédacteur du livre-somme « Cinéma Belge » (1999) – ou de truands inquiétants.  Il craque un jour devant Alain Robbe-Grillet qui l’employa à deux reprises dans « Trans Europe Express », et dans l’onirique « Belle captive » : « Contrairement à ce que vous croyez, je ne peux pas avoir une gueule de gangster : quand vos ancêtres grimpaient aux arbres, les miens lisaient le Talmud » (1). Il est vrai que le cinéma n’a pas eu beaucoup d’imagination à son sujet. C’était un personnage au phrasé très spécial, assez curieux avec un comportement de diva, selon Jean-Pierre Jeunet, prêt à faire des procès à tout le monde au moindre prétexte, mais aussi très touchant car blessé par la vie, comme il le confiait dans le commentaire du DVD du film « La cité des enfants perdus ». Son rôle de Krantz, savant fou et voleur de rêves d’enfant, sera l’un de ses meilleurs rôles, il refusera cependant le rôle tenu par Serge Merlin dans « Amélie Poulain ». Mais il est aussi bien à l’aise dans la farce, comme dans son inoubliable composition de « libellule », prenant une incroyable posture d’insecte dans le « Casanova de Fellini » ou son rôle d’Egyptien servile dans « Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ ». Il aura pourtant avec Jacques Baratier une collaboration fructueuse, du joueur de luth dans « Goha le simple » (1956), en passant par « La poupée » d’après Jacques Audiberti et « L’or du duc » (1965). Son côté inquiétant est souvent utilisé, de l’espion joueur d’ocarina dans l’internationale distribution des « Espions » de Clouzot, à l’étrange propriétaire d’un hôtel meublé « Meurtres à domicile ». Mais à un sentiment de menace, il pouvait conférer une drôlerie incroyable, que l’on songe à son rôle de tueur dans « Ballade pour voyou ». Il y joue un convoyeur, répondant au doux nom de « Molok » chargé de récupérer une valise noire auprès du personnage joué par Laurent Terzieff. Il ne cesse en l’escortant de lui dire « Comment va votre sœur ? », alors que Terzieff lui répond, complètement interloqué qu’il est fils unique. Molok en fait ne parle pas français, et ne fait que répéter la seule phrase qu’il connaît en français pour l’avoir entendu dans une méthode assimil ! C’est l’occasion d’un formidable moment de cocasserie. Il était prompt à participer à des films expérimentaux, ou onirique comme dans « Taxandria » de Raoul Servais. Il pousse même le radicalisme jusqu’à ne prêter que son corps et sa gestuelle pour personnifier la Mort dans « Le passage », comme me confiait René Manzor, rencontré lors d’une avant-première. Il était ravi que l’on n’utilise pas, pour une fois, son singulier visage. Il reste exigeant dans ses choix de rôles et tient à suivre son parcours sans compromission, il fut d’ailleurs renvoyé du tournage de « Voir Venise et crever « . : « À tel point qu’un jour, pendant un tournage à Venise, j’ai savonné une réplique. Le metteur en scène (qu’il ne citera pas, par élégance… ou par mépris !), offusqué vint me dire : « Emilfork, vous, un professionnel ! ? » La moutarde me monte au nez et je lui ai répondu : « Écoutez, je crois que j’ai dit cette même phrase vingt fois – Que voulez-vous dire ? – Que ce script est une merde. Et vous et moi, on le fait pour le fric. Et on a tort. » (2) C’était l’un de mes acteurs préférés, et je m’aperçois qu’il est difficile de lui rendre véritablement justice. C’est finalement sa fille qui en a le mieux parlé : « Il a été incroyablement sous-employé. Les gens ont peur de lui alors que c’est un grand professionnel. Je pense que ce n’est pas en France qu’il aurait dû aller ». (1). Selon ce même article, il disait avoir achevé un roman autobiographique « Le Batracien », qu’il ne souhaitait publier qu’après sa mort. On le retrouve une dernière fois, éblouissant en médecin militaire dans « Faut que ça danse » de Noémie Lvovsky, en voisin du personnage de Salomon, superbement campé par Jean-Pierre Marielle. Il faut le voir lui donner son diagnostic en créant une véritable panique, lui parler de l’incongruité d’avoir une vie sexuelle à son patient âgé, un grand moment délirant et jubilatoire. François Jonquet lui a consacré un formidable livre « Daniel » (Sabine Wespieser éditeur, 2008). C’est une belle évocation d’une étonnante rencontre. À lire le compte rendu de Pierre Assouline sur son Blog. Vous pouvez consulter un portrait original à son sujet : Portrait d’un prince hors-norme. En 2007, Christophe Bier a réalisé un excellent documentaire à son sujet « Gargouille de charme – Daniel Emilfork, contre les apparences », avec les témoignages de sa fille Stéphanie Loïk, et de Jacques Baratier, Jean-Claude Dreyfus, Michael Lonsdale, Daniel Mesguich, Michel Meurger, Pierre Philippe, Jean-Louis Roy, diffusé sur CinéCinémaClassik le 30 octobre 2010.

(1) Libération du 17/02/1998. (2) Studio N°108 – Mars 1996, « Le K Emilfork… » par Thierry Valletoux.

Daniel Emilfork © François-Marie Banier

CV, établi avec Christophe Bier

Filmographie : 1954  Frou-Frou (Augusto Genina) – Futures vedettes (Marc Allégret) – 1955  Sophie et le crime (Pierre Gaspard-Huit) – 1956  Notre-dame de Paris (Jean Delannoy) – Saint on jamais ? (Roger Vadim) – 1957  Une Parisienne (Michel Boisrond) – Goha (Jacques Baratier) – Les espions (Henri-Georges Clouzot) – Maigret tend un piège (Jean Delannoy) – Sans famille (André Michel) – Le temps des œufs durs (Norbert Carbonnaux) – 1958  Le joueur (Claude Autant-Lara) – Les motards (Jean Laviron) – 1959  Du rififi chez les femmes (Alex Joffé ) – Pantalaskas (Paul Paviot) –1960  Le bal des espions (Michel Clément) – 1961 Le triomphe de Michel Strogoff (Victor Tourjansky) – Seul… à corps perdu (Jean Maley) – La poupée (Jacques Baratier) – Le rendez-vous de minuit (Roger Leenhardt) – 1962  Les bricoleurs (Jean Girault) – Ballade pour un voyou (Claude-Jean Bonnardot) – 1963  L’assassin viendra ce soir (Jean Maley) – OSS 117 se déchaîne (André Hunebelle) –  Château en Suède (Roger Vadim) – Des frissons partout (Raoul André ) – Voir Venise et crever (André Versini) –  1964  – Le commissaire mène l’enquête [épisode « Fermez votre porte »] (Fabien Collin & Jacques Delile) – What’s new Pussycat ? (Quoi de neuf Pussycat ?) – Lady L (Id) (Peter Ustinov) – 1965  L’or du duc (Jacques Baratier) – Dis-moi qui tuer (Étienne Périer) – The liquidator (Le liquidateur) (Jack Cardiff) – 1966  Trans-Europ-Express (Alain Robbe-Grillet) – Lotosblüten für Miss Quon (Coup de Gong à Hong Kong) (Jürgen Roland) – 1967  L’inconnu de Shandigor (Jean-Louis Roy) – 1969  Midi-Minuit (Pierre Philippe)1971 Kill (Id)Au service du diable / Le château du vice / La nuit des pétrifiés (Jean Brismée) – 1972 Travels with my aunt (Voyages avec ma tante) (Georges Cukor) –  1975  Il Casanova di Fellini (Le Casanova de Fellini) (Federico Fellini) – 1977  Who is killing the great chefs of Europe ? (La grande cuisine, ou l’art et la manière d’assaisonner les chefs) (Ted Kotcheff) – 1978  The thief of Bagdad (Le voleur de Bagdad) (Clive Donner) (Téléfilm diffusé en salles en Europe) – Subversion (Stanislav Stanojevic, inédit) – 1979  L’extraordinaire ascension de Maurice Bellange (Bruno Decharme, CM) – 1982  Meutres à domicile (Marc Lobert) – Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ (Jean Yanne) – La belle captive (Alain Robbe-Grillet) – 1985  Pirates (Id) (Roman Polanski) – 1986  Le passage (René Manzor, silhouette de la mort seulement) – 1987  Niezwykla podróz Baltazara Kobera (Les tribulations de Balthazar Kober) (Wojciech J Has)  – 1990  Artcore oder Der Neger (Heinz Peter Schwerfel, film expérimental) – 1993  De Vliegende Hollander (Le Hollandais volant) (Jos Stelling) – L’écriture de Dieu / Die Inschrift des Gottes (Heinz-Peter Schewerfel, CM) – 1994  Lou n’a pas dit non (Anne-Marie Miéville, voix seulement) –  Taxandria (Raoul Servais) – 1996  La cité des enfants perdus (Marc Caro & Jean-Pierre Jeunet) – 1997  Babel (Gérard Pullicino, voix seulement) – 1998  Les frères Sœur (Frédéric Jardin) – 2001  Pat (Harold Vasselin, CM) – 2006  L’homme de la lune ((Serge Elissalde, film d’animation, CM, voix) – Faut que ça danse (Noémie Lvovsky).

Daniel Emilfork dans « Chéri-Bibi »

Télévision : 1955  Crime et châtiment (Stellio Lorenzi) – 1956  La chemise (René Lucot) – Le revizor (Marcel Bluwal) – Cece (Bernard Hecht) – 1959  Cristobal de Lugo (Jean-Paul Carrère) – 1960  Le fils du cirque (Bernard Hecht) – Un beau dimanche de septembre (Marcel Cravenne) – 1961  Youm et les longues moustaches (Yves-André Hubert) – Le massacre des innocents (Roland Bernard) – Le musée hanté – 1962  Magic Story – L’inspecteur Leclerc enquête : Feu monsieur Serley (Jean Lavrion) – L’esprit et la lettre : Candide ou l’optimisme (Pierre Cardinal) – 1963  Babaji et le roi Pataf (Anne-Marie Ullmann) – La caméra explore le temps : La conspiration du général Malet (Jean-Pierre Marchand) – 1964  Le héros et le soldat (Marcel Cravenne) – 1965  L’école de la médisance (François Gir) – La part du pauvre (Éric Le Hung) – 1967  Mars : mission accomplie (Edmond Tyborowski) – Signé Alouette (Jean Vernier) – 1968  Les bas-fonds (Jean-Paul Carrère) – La prunelle (Emond Tyborowski)- Graf Yoster gibt sich die Ehre (Le comte Yorster a bien l’honneur : Johann and co) (HW Schwarz) – 1970  Reportages sur un squelette ou Masques et bergamasques (Michel Mitrani) – Le dernier adieu d’Armstrong (Gilbert Pineau) – Allô police : La pantoufle de jade (Daniel Leconte) – Jumbo ein elefantenleben / Jumbo jet (Michael Phflegar) – Rendez-vous à Badenberg (Jean-Michel Meurice) – 1971  Romulus le grand (Marcel Cravenne) – 1972  La cantonade (Pierre Philippe) – 1973  Le canari (Peter Kassovitz, voix du récitant) – 1974  Chéri-Bibi (Jean Pignol) – Le comte Yoster a bien l’honneur : Un petit détail – 1977  Double détente (Claude-Jean Bonnardot) – Zwei himmlische Töchter : Ein Sarg nach Leech (Michael Phflegar) – 1980  Porporino (André Flédérik, captation) – 1981  Caméra une première : Square X (Jean Kerchbron) – 1986  Riviera (Alan Smithee [John Frankenheimer]) – 1987  Trakal (épisode N ° 4) (Gilles Bastianelli) – La poupée – Les mystères de l’agence K (Gérald Frydman) – La dernière fuite (Yves Turquier & François Verret, CM, + conception, [ captation spectacle dansé ]) – 1988  La fée Carabine (Yves Boisset) – M’as-tu vu : Le trésor des Cardeillac (Éric Le Hung) – Sueurs froides : Mort en copropriété (Arnaud de Sélignac) – 1990  Un film sur Georges Pérec [deux parties :  « Te souviens-tu de Gaspard Wincker ? » & « Vous souvenez-vous de Gaspard Wincker ? » (Catherine Binet, récitant présent à l’image) – 1991  The first circle (Le premier cercle) (Sheldon Larry) – 2001  Les archives de Jean-Pierre Jeunet (vidéo) – 2005  Les rois maudits (Josée Dayan).

 

Daniel Emilfork dans « Les amants puérils » (source, le documentaire « Gargouille de charme »)

Théâtre : 195?  Le petit chaperon rouge – Les méfaits du tabac, d’Anton Tcheckhov – L’autoclète, d’Alfred Jarry. Mise en scène de Pierre Alec Quains. Théâtre de la Huchette. 1951 La Tour de Nesle, d’après Alexandre Dumas fils. Mise en scène Pierre-Alec Quains – 1952 Doña Rosita de Federico Garcia Lorca. Mise en scène Claude Régy. Théâtre des Noctambules. – 1954 La matinée d’un homme de lettres. Théâtre de la Huchette- La peur de Georges Soria. Mise en scène Tania Balachova. Théâtre Monceau – Les Trois Sœurs de Tchekhov. Mise en scène Sacha Pitoëff. Théâtre de L’Oeuvre. – 1955  Homme pour homme. Théâtre de l’Oeuvre. – Les poissons d’or, de René Aubert. Mise en scène d’André Villiers. Théâtre en Rond. -1956 Les amants puérils de Crommelynck. Mise en scène Tania Balachova. Théâtre des Noctambules. – 1958 Ubu-Roi d’Alfred Jarry, au TNP – 1961 Dommage qu’elle soit une putain de John Ford. Mise en scène Lucchino Visconti.- Miracle en Alabama, de William Gibson. Mise en scène de François Maistre. Théâtre Hébertot. – 1965  L’autre royaume, de Marc Desclozeaux. Théâtre de Poche-Montparnasse. Mise en scène seulement. – Zoo story, d’Edward Albee. Mise en scène seulement. 1966 Hélas ! Pauvre Fred de James Sanders. Mise en scène Daniel Emilfork. Théâtre de Lutèce. – 1968 Le Manteau d’astrakan de Pauline Macauly. Mise en scène Daniel Emilfork. Comédie de Paris. – 1970 Richard II deWilliam Shakespeare. Mise en scène Patrice Chéreau. Théâtre de L’Odéon. – 1973 Toller, scènes d’une révolution allemande. Mise en scène Patrice Chéreau TNP Villeurbanne et Théâtre de L’Odéon – 1974 Zalmen ou la folie de Dieu d’Elie Wiesel. Mise en scène Daniel Emilfork. Nouvelle Comédie.- 1979 Kafka, Théâtre complet. Mise en scène André Engel. Théâtre National de Strasbourg. – 1980 Archéologie. Mise en scène Christiane Cohendy. Le Lucernaire – Porporino, de Domique Fernandez. Festival d’Aix en Provence. 1981  Les fiancés de Loches. Théâtre de Boulogne Billancourt. 1983. Lulu au Bataclan de Franck Wedekind. Mise en scène André Engel. – 1983 Minetti de Thomas Bernhard. Mise en scène Gilles Atlan. Festival d’Avignon.- 1986 Marat-Sade de Peter Weiss. Mise en scène Walter Le Moli. MC93 Bobigny. – 1987  Mindadoo Mistiru, mise en scène de François Verret. Festival de danse d’Aix en Provence – 1988 La Journée des chaussures de Denise Péron, Daniel Emilfork, Frédéric Leidgens. Festival d’Avignon et Nanterre-Amandiers. – 1991 Pas là de Samuel Beckett. Mise en scène Jean-Claude Fall. Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. – Voyage à Weimar, de Dominique Guilhard. Théâtre de la Bastille. – Le voyage, spectacle en 2 parties composé d’une reprise d' »Archéologie » et de la création de « Domus », de Daniel Emilfork & Frédéric Leidgens. Théâtre Paris-Villette. – 1997 Comment te dire de La Métaphore à Lille, puis au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis – 2000 Pueblo Horno de Daniel Emilfork. Théâtre Le Lucernaire. – 2003  Lettre ouverte à Renée Saurel de et mis en scène de Daniel Emilfork.

Mise à jour du 05/11/2010

©   Le coin du cinéphage (reproduction strictement interdite, textes déposés)

NOUVELLE CHANCE

Avant-première lundi 16 octobre, à l’UGC-Cité Ciné, du nouveau film d’Anne Fontaine « Nouvelle chance » et troisième film de la trilogie autour du personnage d’Augustin Dos Santos, interprété par son frère le singulier Jean-Chrétien Sibertin-Blanc. On retrouve ce corps comique avec grand plaisir, ses trajets en vélos – son accessoire privilégié, l’équivalent du parapluie pour M. Hulot », sa famille japonaise – la véritable famille du comédien d’ailleurs -, et son incroyable manière de donner une légèreté aux situations les plus improbables. On le retrouve à la fois comme metteur en scène de théâtre, et homme à tout faire dans une piscine de luxe à l’hôtel Ritz, lieu échappé d’un péplum hollywoodien. Il rencontre Odette Saint-Gilles – , ancienne chanteuse d’opérette – Danielle Darrieux simplement magnifique -, une grande dame dynamique et ne sombrant pas dans la nostalgie, malgré quelques souvenirs épars – on reconnaît d’ailleurs en passant une photo d’ « Occupe-toi d’Amélie » de Claude Autant-Lara, avec Grégoire Aslan -. Augustin monte des spectacles pour les comités d’entreprise. Il a un spectacle très rodé, où il campe une Geisha, mais il ne correspond pas au goût de l’un de ses commanditaires, qui souhaite choyer ses clients suédois. Odette, qui a beaucoup aimé son spectacle, lui parle d’une pièce de théâtre qu’elle adore, « Les salons », contant les rapports entre deux femmes du XVIIIème siècle, Mme du Deffand et Julie Lespinasse, élaboré à partir de la correspondance entre des deux femmes d’esprits. Augustin rencontre une actrice de télévision, Bettina Flescher, utilisée dans des œuvres médiocres – en illustration on a droit à un extrait du cornichonesque Milady de Josée Dayan ! qui joue d’ailleurs ici son propre rôle -. L’actrice est suffisamment excentrique pour s’embarquer dans cette aventure. Un ami comédien d’Augustin, à la virilité encombrante – Christophe Vandevelde, un nom à retenir, Anne Fontaine l’avait découvert dans le film de Jacques Audiard : « Sur mes lèvres », va jouer le rôle du diaphane amant de Julie de Lespinasse, mais Bettina, lui préférera Raphaël, un gracile et ambigu jeune homme – joué par Andy Gilet -. L’œuvre finira par avoir une curieuse influence sur le destin de cette curieuse petite troupe… Si vous avez aimé « Augustin » (1995) et « Augustin, roi du kung-fu » (1999), vous connaissez l’originalité du personnage d’Augustin, lunaire, un peu obsessionnel, porté par la forte personnalité de Jean-Chrétien Sibertin-Blanc. Son travail avec sa sœur, la réalisatrice nous précisait qu’elle fait beaucoup de répétitions avec lui -, a pour résultat l’un des personnages les plus drôles – mais il peut en irriter certains – et les plus originaux du cinéma français. J’ai parlé avec Anne Fontaine, de la même émotion que j’avais en voyant Claude Melki débouler dans l’univers de Jean-Daniel Pollet – idée partagée avec une autre personne, qu’elle a rencontré lors d’une avant-première -.

Arielle Dombasle, Danielle Darrieux & Jean-Chrétien Sibertin-Blanc

Il est à la fois touchant, imprévisible, d’une cocasserie inouïe, nous amène dans une sorte de fantastique du quotidien.. Quand on demande à sa sœur, le manque d’intérêt des autres réalisateurs à son sujet, elle répond que l’homme semble aussi particulier, ne souhaite pas tourner pour tourner s’il n’est pas à l’aise avec l’univers d’un metteur en scène – Mais il a tourné tout de même chez Alain Resnais, je me souviens de lui poursuivant Juliette Binoche dans un « Tour de manège », une nuit de pleine lune, et il a intéressé Godard.  Il faut le voir discuter pilosité avec Christophe Valverde, avoir une rencontre hors du commun dans un vernissage avec un ex-futur candidat aux Présidentielles pour paraphraser Al Gore – je vous en laisse la surprise -, ou découvrir une scène de répétition, impromptue  dans une chapelle. Autre petit miracle du film, le retour en grâce et dans un premier rôle de Danielle Darrieux. Son bagou, son charme superbe malgré son âge, sa capacité d’émotion – moment d’émotion où ses yeux se rougissent soudainement -, et son improbable rencontre avec une vedette – Arielle Dombasle, actrice sous-utilisée, appréciée par la réalisatrice chez Rohmer -, prête à casser ses codes et son emploi de bimbo comme elle dit elle-même. Belle rencontre avec Anne Fontaine, qui a beaucoup de charme, d’aplomb et de lucidité. Elle répond avec franchise, de son joyeux surnom de Leni Riefenstahl par Benoît Poelvoorde, évoquant avec l’humour qu’on lui connaît sa direction d’acteur, de l’insatisfaction de son parcours de comédienne. Elle évoque l’homme politique cité précédemment, dont la femme précise qu’il devrait faire l’acteur, et les rapports entre Danielle Darrieux et Arielle Dombasle, polis mais sans « atomes crochus », l’aînée évoquant à propos de sa partenaire « La petite jeune », l’idée d’une moitié de femmes. Danielle Darrieux rayonne ici – elle demandait, elle était âgée de 88 ans lors du tournage, avec humour à la réalisatrice de se dépêcher, car elle pouvait mourir à tout instant ! -. Sa palette incroyable de jeu est utilisée au mieux, son dynamisme, sa séduction et ses dons de chanteuses – sa mère était professeur de chants -, elle nous livre d’ailleurs une version d’anthologie de la chanson de Charles Trenet « La folle complainte ». Saluons l’audace habituelle – on connaît son brillant et original parcours – d’Anne Fontaine, rebondissant à partir d’une commande de ses amis Bernard Minoret et Claude Arnaud, de faire un film à partir des « Salons », avec Isabelle Huppert et Danielle Darrieux. Elle en fait un en fait un projet personnel, trouvant une habile correspondance entre les « salons » et la société du spectacle. Elle nous livre ici un spectacle comique d’une grande finesse, tout en donnant un superbe rôle à l’une de nos plus prestigieuses actrices. Une liberté de ton salutaire.

LE COIN DU NANAR OU LA REVANCHE DE DANACOL

Curieux parcours pour la sympathique Charlotte de Turckheim, de l’infirmière, joyeusement massacrée et disséquée par des membres d’une maison de retraite dans « La nuit de la mort » de Raphaël Delpard, à son improbable « Marie-Antoinette » chez l’académique James Ivory, dans « Jefferson à Paris », en passant par sa prestation style chaînon manquant entre Danièle Delorme et Eva Darlan dans « Mme le (la) proviseur ». Rien de très probant, mais un petit côté agressif, il fallait la voir dans un talk-show, régler ses comptes avec le cinéaste Claude Confortès, qualifié de libidineux. C’est sa seconde réalisation après « Mon père, ma mère… » (1999) – pas vu, pas pris… -, il y avait eu aussi une captation assez mollassone de ses spectacles avec « Une journée chez ma mère » (1992).  La réalisatrice chasse comme d’habitude, sur la terre de l’aristocratie désargentée. Pourquoi pas, ce thème a donné lieu a de superbes réussites, du « Diable par la queue », un grand Philippe de Broca, cuvée 1968, ou le chef d’œuvre absolu « Noblesse oblige », où Dennis Price avait une méthode bien a lui pour survivre à ses revers de fortune. Le comte Charles Valerand d’Arbac de Neuville et son épouse Solange, née Poitou Castilla de la Taupinière – Jacques Weber et la Charlotte, se livrant à une compétition de cabots, résultat match nul -, doivent au Trésor Public – je mets une majuscule, on ne sait jamais -, la modique somme de 1 991 753 euros. Le château familial tombe en ruine, ils sont réduits à la débrouille, Weber fait des faux meubles en les vieillissants avec du yaourt – encore un qui crache dans la soupe, il doit se venger de son image ternie à faire des pubs pour Danacol, le laitage anti-cholestérol -. La châtelaine en fait de même en vendant de la pâtée pour chiens aux gogos dans de jolis bocaux, imitation « Comtesse du Barry » – métaphore sur ce film ? -. L’huissier débarque, cerise sur le gâteau c’est Sébastien Cauet qui l’incarne – Le Bill Murray français, ben quoi, la voix du dessin animé « Garfield » aux États-Unis, c’est Murray, en France, c’est Cauet, CQFD -. Le regrettable vendeur de cerveau disponible, qui sévit non seulement sur TF1, mais dans la presse trash et la mal-bouffe, – une sorte de synthèse donc… -, peine à composer un personnage intraitable. Il faut le voir avec sa moumoute, essayer de faire valoir son petit regard vicelard en fantasmant sur Mme la châtelaine, garanti culte en 2058.

Armelle, Jacques Weber & Charlotte de Turckheim

La petite famille composée de quatre générations, des de Turckheim partout, en rejetons à rejeter, + Vincent Desagnat, pitoyable en alcoolique mondain, Edith Perret en aïeule liquéfiée, Armelle qui ne se renouvelle guerre dans une composition lourdingue, avec un accent teuton d’une rare bêtise, le falot Rudi Rosenberg – pourtant formidable dans « Le tango des Rashevski » – fait gravure de mode, va chercher à travailler pour la première fois de sa vie… Suit une pantalonnade sans rythme, égaillée par quelques caméos amusants,  Rossy de Palma et Victoria Abril en aubergistes parvenues, Hélène de Fougerolles – enlaidie, si, si – et Éric Le Roch en cousins radins, Catherine Hosmalin et Chantal Ladesou, en aristos dégénérées, Catherine Jacob et Urbain Cancelier en nobles fortunés cyniques. Trois petits tours et puis s’en vont. On a même droit à Stéphane Bern, qui nous livre son fond de commerce habituel, qui commence à devenir lassant, une autodérision forcée. Compatissons pour la pauve Gaëlle Lebert dans son rôle de Marie-Astrid, laideron frappé de stupidité, mais reconnaissons qu’elle est finalement la seule ici à tirer son épingle du jeu. Impossible d’imaginer une distribution plus hétéroclite. L’enchaînement de saynètes outrées peut amuser, si vous avez comme moi une petite perversité à voir tout ce petit monde s’enliser allégrement. Charlotte de Turckheim et son comparse Jean-Marie Duprez, nous régalant en prime d’un dialogue faisandé : « Le trésor Public, c’est le seul trésor que tu ne peux pas trouver, mais lui il te trouve toujours !. ». La caricature peut avoir un charme salutaire, chez Jean-Pierre Mocky par exemple – Christophe Bier citait très justement Daumier à son sujet -, tout est ici un simple prétexte à meubler une historiette minimale. Le bâclage global est ici patent, et l’enfilage des clichés haineux,  pourtant portés disparus depuis belle lurette, ne sert qu’à conforter la bêtise ambiante. Si le cinéma français continue ces oeuvrettes, il ne faudra pas s’étonner de la désertion des salles du public visé, qui certes cherche un peu de gaudriole, mais ne mérite pas un pareil mépris. On est en train de dépasser les périodes fastes des années 50, et celle du début des années 80, dans le style de la comédie désolante. Chapeau bas donc pour Charlotte de Turckheim, pour arriver à baisser encore le niveau de cette année cinématographique, ce qui tient, en ce moment, de l’exploit.

MORT DE GILLO PONTECORVO

img185/4028/gillopontecorvozr5.jpg Annonce de la mort du cinéaste Gillo Pontecorvo, hier à Rome, réalisateur engagé s’il en fut. La redécouverte de deux ses films « La bataille d’Alger » et « Kapò » en salles ou en DVD, montrait un metteur en scène confiant aux émotions déclenchées par la fiction, avec une évidente sincérité. Né à Pise en 1959, il fut journaliste tout en suivant des études de chimie, avant de devenir un passionné de cinéma après avoir vu « Paisà » (Roberto Rossellini, 1946), chef d’œuvre du néoréalisme italien. Il débute comme assistant chez Yves Allégret et Joris Ivens rencontré à Paris, avant de rentrer en Italie tourner avec Steno « Le infedeli / Les infidèles » (1952), et Mario Monicelli « Totò et Carolina ». Comme réalisateur il signe notamment « La lunga strada azzura / Un nommé Squarcio » (1957), avec Yves Montand et Alida Valli, histoire du destin de trois pêcheurs sur les côtes de l’Adriatique. Puis vint le très controversé « Kapò » (1959), de part sa représentation d’un camp de concentration de l’Europe de l’Est. Ce film avait fait l’objet d’un article célèbre de Jacques Rivette, intitulé « De l’abjection », dans le Cahier du cinéma N°120 (1961), où il déclarait « l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, […] cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris« . Cet article a eu une grande influence pour Serge Daney – qui ne vit jamais ce film ! -, relaté dans son article « Le travelling de Kapò ». Le film reste discutable, sur le grand problème de la représentation de la « Shoah », à l’écran, mais on apprend dans un des bonus du DVD paru en 2006, qu’une romance entre Susan Strasberg et Laurent Terzieff, lui a été imposée par la production. Plus probant fut « La battaglia di Algeri / La bataille d’Alger », relatant l’insurrection algéroise de 1954 et qui fut interdit en France en 1966. La mise en scène était si saisissante, il avait tourné dans Alger avec les témoins ce haut fait historique, que beaucoup crurent à l’utilisation d’images d’archives. On se souvient dans ce film d’une subtile utilisation d’acteurs non-professionnels face au saisissant Jean Martin, dans le rôle du colonel Mathieu, chef des « paras ». Il obtient avec « Queimada », sur les méfaits du colonialisme, la consécration internationale. Dans le rôle de Sir William Walker, un envoyé par le gouvernement anglais dans une possession portugaise dans « Les Caraïbes », afin de s’occuper du commerce de la Cannes à sucre, Marlon Brando excelle. Enfin en 1979, avec « Ogro »  film franco-italien avec Gian-Maria Volonté en terroriste basque et Nicole Garcia, il évoque l’enlèvement d’un haut personnage du gouvernement espagnol par l’E.T.A. Il avait participé à quelques films collectifs, sur la situation politique italienne comme dans : « 12 dicembre » (1972) ou « L’addio a enrico berlinguer » (1984) et « Un mondo diverso è possibile » (2001).  Pour reprendre la citation du site de la chaîne Arte, il déclarait au « Guardian » en 1983, « Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de Juifs italiens », citation reprise par les grands médias, mais qui ne sitent pas leur source, par un panurgisme béat.

ARTICLES : LE MONDE DU 13/10/06 ET DU 15/10/2006

Le réalisateur de « La Bataille d’Alger », Gillo Pontecorvo, est mort

L’Italien Gillo Pontecorvo, décédé jeudi 12 octobre à Rome à l’âge de 86 ans, restera dans l’histoire du cinéma comme l’auteur de La Bataille d’Alger, un film controversé couronné en 1966 par le Lion d’or à Venise mais longtemps interdit de diffusion en France. Le scénario, signé Franco Solinas, est inspiré du récit d’un des chefs militaires du FLN à Alger, Yacef Saadi. Tourné avec des non-professionnels (excepté Jean Martin, dans le rôle du colonel Mathieu à la tête des parachutistes français), La Bataille d’Alger traite de la lutte pour le contrôle de la Casbah en 1957 entre les paras français et les hommes du FLN. Et montre notamment l’usage de la torture d’un côté et les attentats aveugles de l’autre, avec un réalisme tel que le film évoque davantage le genre documentaire que la fiction. Interdit en France, le film finit par sortir en 1971 mais est très vite retiré des écrans. Il ne ressort en France qu’en 2004, presque quarante ans après sa réalisation. De la filmographie de Gillo Pontecorvo, on retiendra Kapo (1959) qui raconte l’histoire d’une jeune fille juive internée dans un camp de concentration et qui devient l’auxiliaire des officiers nazis, Queimada (1971), avec Marlon Brando, qui évoque le colonialisme, dans les Antilles du XIXe siècle, et Ogro (1979) qui traite du terrorisme à travers le meurtre du successeur du général Franco, et de la fin d’une dictature. Autant de films qui disent l’engagement du cinéaste, qui parlait de lui-même en ces termes, dans un entretien au Guardian : « Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche. »

Gillo Pontecorvo, par Jean-Luc Douin

Le cinéaste italien Gillo Pontecorvo est mort à Rome, jeudi 12 octobre, à l’âge de 86 ans.

Né à Pise le 19 novembre 1919, scientifique de formation, puis journaliste, Gillo Pontecorvo décide de faire du cinéma en voyant Païsa de Roberto Rossellini (1946). Lorsqu’il ne signe pas des documentaires, il sera obsédé toute sa vie par le souci de réaliser des images ressemblant le plus possible à des documents d’actualité. Giovanna (1956), moyen métrage, relate une grève de femmes dans une usine de tissus. Salué par la critique, son premier long-métrage (La Grande Route bleue, ou Un dénommé Squarcio, avec Yves Montand et Alida Valli, 1957) est un échec commercial. Le film est tiré d’un roman de Franco Solinas qui devient son scénariste de prédilection. Les deux hommes admirent le livre de Primo Levi, Si c’est un homme, et décident de tenter d’en transmettre l’esprit dans un film. Ce sera Kapo (1959), l’histoire d’une jeune juive internée dans un camp de concentration où elle devient l’auxiliaire des nazis. Solinas et Pontecorvo s’affrontent sur un point : le premier veut insérer une histoire d’amour dans cette évocation de l’infamie où peut sombrer une victime, et le second y est hostile. Franco Cristaldi, le producteur, trouve un compromis : Pontecorvo pourra consacrer les deux premiers tiers du film à montrer le quotidien dans un camp d’extermination, l’histoire d’amour n’arrivant qu’à la fin, pour symboliser la rédemption de l’héroïne. Désigné par Luchino Visconti comme le meilleur film de l’année, salué par Roberto Rossellini, Kapo représente l’Italie aux Oscars. Mais un article de Jacques Rivette paru dans le n°120 des Cahiers du cinéma (« De l’abjection » ) le discrédite à jamais aux yeux des cinéphiles français. Rivette y accuse Pontecorvo d’avoir transformé l’horreur des camps en spectacle, de l’avoir rendue supportable. Surtout, il s’en prend à un bref plan, celui où le personnage d’Emmanuelle Riva court se suicider en se jetant sur les barbelés électrifiés. « L’homme qui décide à ce moment de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée (…) n’a droit qu’au plus profond mépris. » Plus tard, Serge Daney fera de cet exemple son dogme.

SENTIMENT D’AUTHENTICITÉ : Atteint par cette polémique, Gillo Pontecorvo va prouver en 1966 qu’aussi maladroit soit le mouvement de caméra de Kapo incriminé, il ne mérite pas cette infamie. Couronné par le Lion d’or de Venise, La Bataille d’Alger relate l’insurrection des membres du FLN et la répression de l’armée française. Pontecorvo y dépeint les rues de la Casbah, la guérilla nationaliste, les attentats dans les cafés ou magasins, les tortures utilisées par les parachutistes pour démanteler les réseaux, avec un souci d’éviter les clichés. Ses images en noir et blanc filmées caméra sur l’épaule donnent un sentiment d’authenticité. Il fallut attendre 1970 pour que ce film financé par le gouvernement algérien soit projeté en France.

Les convictions communistes de Pontecorvo le pousseront à resigner un film anticolonialiste en 1971, Queimada (sur le mécanisme de l’oppression impérialiste aux Antilles, avec Marlon Brando). Dans Ogro (1979), il traite du terrorisme à travers l’attentat qui coûta la vie à un proche collaborateur de Franco. Directeur de la Mostra de Venise de 1992 à 1996, Gillo Pontecorvo avait déclaré en 1983 au Guardian : « Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de juifs italiens. »

Emmanuelle Riva dans « Kapò »

LIBÉRATION DU 14/10/2006

Gillo Pontecorvo, l’arme à gauche, par Antoine de Baecque

Cinéaste italien engagé, l’auteur de «la Bataille d’Alger» meurt à 85 ans.

Gillo Pontecorvo, mort jeudi à Rome à 86 ans, restera dans l’histoire du cinéma à un double titre, qui en fait en France aussi bien un repoussoir pour cinéphiles qu’une icône politique de gauche. Il est à la fois le réalisateur de Kapo (1959), premier film occidental consacré à «remettre en scène» un camp d’extermination nazi, et de la Bataille d’Alger (1965), reconstituant l’un des épisodes les plus sombres de la guerre d’Algérie. Kapo a été dénoncé comme un film obscène. Ce que Jacques Rivette reproche au film, dans les Cahiers du cinéma de juin 1961, est moins son sujet, peinture terrible d’un camp de la mort, que sa forme : avoir reconstitué l’horreur avec un souci esthétique, l’extermination y devenant une chose «joliment filmée».  «Voyez dans Kapo, écrit Rivette en prenant à témoin son lecteur de l’abjection d’un passage où Emmanuelle Riva se suicide en se jetant sur les barbelés, l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris.» Cette phrase de Rivette détermine le point de vue éthique sur le cinéma d’une génération de critiques et cinéastes, qui se reconnaîtront dans un autre texte, de Serge Daney, comme un miroir, le Travelling de Kapo (in Trafic, automne 1992). En 1966, Pontecorvo reçoit le Lion d’or à Venise pour la Bataille d’Alger . Marqué par la guerre d’Algérie, il a travaillé avec Yacef Saadi (qui joue son propre rôle), chef militaire du FLN à Alger, à ce film basé sur ses souvenirs de combat. Tourné avec des non-professionnels (sauf Jean Martin, en colonel Mathieu), la Bataille d’Alger montre avec un réalisme sidérant la lutte pour la Casbah en 1957 entre paras et FLN. Interdit en France, le film finit par sortir en 1971 avant d’être retiré face aux menaces des nostalgiques de l’Algérie française. En 2003, considéré comme un modèle sur la guérilla urbaine, il est projeté au Pentagone en vue de préparer la guerre en Irak. Il ne ressort en France qu’en 2004. Pontecorvo, longtemps communiste, a toujours tourné à gauche : Giovanna (1956), sur une grève des femmes dans une usine textile, Queimada (1971), sur le colonialisme dans les Antilles du XIXe (avec Marlon Brando), Ogro (1979), sur la fin de la dictature de Franco, restant fidèle à sa devise : «Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de juifs italiens.» Mais il illustre aussi l’idée qu’un bon film de gauche est rarement un grand film tout court.

img291/8885/pontecorvocy0.jpg LE FIGARO DU 13/10/2006

Le cinéaste italien Gillo Pontecorvo, décédé jeudi à Rome à 86 ans, restera dans l’histoire du cinéma grâce à son film controversé sur la guerre d’Algérie, interdit de diffusion pendant près de 40 ans en France. Gillo Pontecorvo était reconnu comme l’un des plus grands réalisateurs italiens de l’après-guerre, deux fois candidat aux Oscars, et père de la « Bataille d’Alger ». Cinéaste engagé, Pontecorvo avait déclaré en 1983 au Guardian : «Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de Juifs Italiens.» Né à Pise en 1919, Gillo Pontecorvo se lance d’abord dans des études de chimie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il travaille comme journaliste et messager pour le parti communiste italien. Une fois la paix signée, il devient correspondant à Paris de plusieurs journaux italiens. C’est alors qu’il voit « Paisa » de Rossellini : il abandonne aussitôt son métier de journaliste, achète une caméra et commence à tourner des courts métrages documentaires. Des films à caractère social – En 1956, « Giovanna » relate la grève des femmes dans une usine de tissus. L’année suivante, il tourne son premier long métrage, « La Grande route bleue » (La grande strada azzura), aussi exploité sous le titre «Un dénommé Squarcio». Cette adaptation d’une nouvelle de Franco Solinas, son scénariste de prédilection, décrit la vie difficile d’un petit village de pêcheurs où l’on voit notamment Yves Montand lutter pour nourrir sa famille. En 1959, « Kapo » narre l’histoire d’une jeune fille juive, internée dans un camp de concentration et qui devient l’auxiliaire des officiers nazis. La controverse de la « Bataille d’Alger » – Fortement marqué par la guerre d’Algérie, Gillo Pontecorvo avait très vite songé à réaliser un long métrage sur le conflit, mais celui-ci ne voit le jour que trois ans après la fin des hostilités, lorsque Yacef Saadi, un des chefs militaires du FLN à Alger, lui propose l’idée d’un film basé sur ses propres souvenirs de combat. Tourné avec des non professionnels (excepté Jean Martin, dans le rôle du colonel Mathieu à la tête des parachutistes français), « La bataille d’Alger » traite de la lutte pour le contrôle de la Casbah en 1957 entre les paras français et les hommes du FLN, avec l’usage de la torture d’un côté et les attentats aveugles de l’autre. Interdit en France, le film finit par sortir en 1971 avant d’être très vite retiré des écrans. En 2003, le film, considéré comme un modèle d’enseignement sur la guérilla urbaine, est projeté au Pentagone en vue de préparer la guerre en Irak. Le film ne ressort en France qu’en 2004, presque 40 ans après sa réalisation. Le colonialisme avec Marlon Brandon – Après « La bataille d’Alger » en 1965, il revient en 1971 avec « Queimada » sur le colonialisme, cette fois dans les Antilles du XIXe siècle. L’histoire du cinéma a surtout retenu les caprices sur le plateau de la star Marlon Brando. En 1979, il tourne son dernier long métrage, « Ogro », qui traite du terrorisme à travers le meurtre du successeur du général Franco, et de la fin d’une dictature.

L’HUMANITÉ DU 14/10/2006

Gillo Pontecorvo,le réalisateur de la Bataille d’Alger n’est plus, par Dominique Widemann

Disparition . Le réalisateur italien laisse une oeuvre cinématographique au service de la vérité. Son engagement, son humour et sa modestie vont manquer.

Gillo Pontecorvo, c’était l’Italie et le cinéma dans ce que ce pays a pu donner de meilleur. Diplômé de chimie, journaliste communiste, correspondant de presse à Paris où il assiste Yves Allégret et le critique de cinéma Joris Ivens, Gillo Pontecorvo deviendra l’assistant-réalisateur d’un autre communiste, Francesco Maselli, et celui de Mario Monnicelli, tout en s’essayant lui-même à la réalisation. Né à Pise en 1919, Gillo Pontecorvo, fait ses débuts au cinéma en 1955 avec Giovanna, un épisode du film la Rose des vents qui ne verra jamais le jour car en partie financé par la République démocratique allemande. C’était l’histoire de quatre femmes filmées par quatre réalisateurs de quatre pays. Les Soviétiques firent capoter l’affaire parce qu’ils n’aimaient pas l’épisode de Guerassimov. Pontecorvo, quelques décennies plus tard, s’amusait d’avoir pu, malgré tout, conserver une copie de son travail. Après ce récit de l’occupation d’une petite usine textile d’Italie centrale par des femmes, il s’emploie à réaliser la Grande Strada azzura (la Grande Route bleue devenue en français Un nommé Squarcio) avec Yves Montand, Alida Valli et Francesco Rabal, l’histoire d’un pauvre pêcheur de la côte dalmate. Bien que le film ait obtenu le prix de la mise en scène au Festival de Karlovy Vary, Pontecorvo le jugera a posteriori « assez médiocre », affirmant que l’émotion, la recherche de langage si importante dans son travail n’avaient trouvé d’accomplissement stylistique que dans Kapo, tourné en 1959. Le film, primé dans tous les festivals où il fut présenté, raconte le parcours d’une jeune fille juive qui, internée dans un camp de concentration, devient l’auxiliaire des nazis.

Carte blanche pour Pontecorvo

Gillo Pontecorvo, auréolé de succès, aurait pu à ce moment-là choisir de mettre en scène n’importe quel sujet. Un projet lui tenait particulièrement à coeur : réaliser un film sur le colonialisme. Avec Franco Solinas, scénariste de haute volée, il écrit une histoire intitulée Paras qui se déroule en Italie puis en Algérie. Le producteur, effrayé par l’OAS, renonce. L’Algérie propose alors à Pontecorvo et Solinas un film sur la lutte de libération algérienne. Le cinéaste accepte à condition d’avoir carte blanche. Ce sera la Bataille d’Alger. Yacef Saadi, qui avait été l’un des chefs de la résistance algérienne et le chef politique du FNL pour la région d’Alger, tiendra son propre rôle. À l’exception du colonel Mathieu, interprété par l’acteur Jean Martin, tous les personnages du film sont des amateurs. Pontecorvo et Solinas s’étaient livrés à un important travail de préparation, en Algérie comme en France où ils rencontrent gradés de haut rang pour avoir leur son de cloche. Le scénario est écrit en deux mois et ne laisse aucune place à l. Le tournage s’effectue avec l’aide de nombreux Algériens soucieux de participer à un film qui les concerne. Pontecorvo, qui aimait la musique au point d’avoir rêvé de devenir compositeur, s’attache à une partie de la musique du film et confie l’essentiel à un jeune compositeur de l’époque, Ennio Morricone. Le réalisme du film, qui doit ressembler à des actualités filmées, est travaillé jusque dans le choix précis du grain de la pellicule. L’effet est saisissant. Prêt à temps pour être présenté à la Mostra de Venise de 1966, la Bataille d’Alger y obtient un lion d’or qui sera suivi de nombreuses autres distinctions. Sa sortie en France est prévue dans la foulée. Il n’en sera rien. Au miroir de ce que le pouvoir et les médias appellent alors et pour longtemps « les événements » d’Algérie, le film ne reçoit son visa d’exploitation qu’en 1970. Quelques salles le programment courageusement. Les manifestations d’extrême droite réelles ou annoncées parviennent à faire en sorte que le film soit interdit de projection en raison des « troubles à l’ordre public » qu’il engendrerait. Le 4 juin dans les colonnes de l’Humanité, notre camarade François Maurin écrit : « Laissera-t-on l’OAS dicter sa loi ? » Puis le 5 juin : « Céder aux fascistes ? » et le 6 juin : « La Bataille d’Alger, un film adulte pour un public adulte ». Il faudra pourtant attendre 1971 pour que le film sorte normalement. Une première reprise a lieu en 1981. En 2004, il ressortait en salles, après sa présentation dans la section Cannes Classics du Festival. Un nouveau public a pu découvrir cette magnifique leçon de cinéma.

« la dictature de la vérité »

Gillo Pontecorvo, qui prétendait modestement que l’ensemble de sa carrière tenait en six films, a pourtant réalisé en 1984 l’Adieu à Enrico Berlinguer, court métrage collectif. En 1989 ce sera Douze Réalisateurs pour douze films ; en 1997 Nostalgia di protezione dans le cadre du film les Courts Métrages italiens, puis un autre film collectif et militant réalisé sur le contre-sommet de Gênes, Un autre monde est possible (2001) et encore Florence, notre demain, aventure semblable portant sur le Forum social européen (2003). Ajoutons que le succès de la Bataille d’Alger avait permis à Pontecorvo de diriger Marlon Brando dans Queimada, en 1969, film sur un soulèvement des Noirs aux Antilles en 1845. Il fut également le patron de la Mostra de Venise de 1992 à 1995, fonda en 1993 l’Union mondiale des auteurs. Toujours amical et chaleureux, plein d’humour et de verve, Gillo Pontecorvo s’était confié à notre journal en 2004, au cours d’un long entretien réalisé par Jean Roy (voir notre édition des 22 et 23 mai 2004). Le cinéaste réitérait alors sa foi en « la dictature de la vérité », vérité au service de laquelle il devait placer toutes les fictions qu’il eut le grand art de nous offrir.