Connaissez-vous « Le répertoire général des films », des années 50-60, éditons « Pensée vraie », édités par la « Centrale catholique du cinéma » ? C’est l’ami Christophe Bier, qui m’en avait parlé. L’idée est simple, dresser la liste des films visibles par tous, histoire de chasser les « détails anti-éducatifs » ou des films « qui prônent ouvertement des idées mauvaises et subversives ». Il fallait bien protéger les chères petites têtes blondes d’alors, qui doivent former d’ailleurs, l’élite de notre joyeuse nation. C’est forcément édifiant ! Évidemment quand on voit les films aujourd’hui on ricane ferme, évolution des mœurs oblige ! Il y avait une cote morale, dressée par quelques ecclésiastiques, de la Cote 3, des films visibles par tous, à l’horrible Cote 5 « Par discipline chrétienne, il est demandé de s’abstenir d’aller voir les cotes 5 », qui « attaquent la religion ou qui la rendent méprisable, odieuse et ridicule », et qui en passant « font complaisamment étalage de vices, de crimes ou de dérèglements… ». L’intolérance est parfois visible – le racisme point son nez en passant, confère la note sur « Avec André Gide » . Ce regard effrayé devant les bassesses de ce bas monde ainsi étalées, finit par être assez croquignolet. Elevé par une école catholique, un tantinet plus tard, je retrouve de manière assez caricaturale, la morale rigoriste, complaisamment inquisitrice. Si ces catalogues sont très utiles pour les cinéphiles, « La saison cinématographique » débutant en 1957, c’est aussi un absolu régal à lire. Toute une époque… pas si lointaine…
Extraits – pris au hasard ! – : tirés du « Répertoire général des films » volume « 1952-1953 » & « 1953-1954 ».
Adorables créatures (Christian-Jaque, 1952), avec Daniel Gélin, Edwige Feuillère : « …Les auteurs tendant, au travers des histoires d’alcôves, à présenter sur les femmes des considérations fausses, stupides et méprisantes. De nombreuses scènes sensuelles : amoralité et cynisme de tous les personnages ». – Cote 5.
L’affaire Ciceron, Five Fingers (Joseph L. Mankiewicz, 1952), avec James Mason, Danielle Darrieux : « ..Le châtiment final des deux coupables ne rétablit que faiblement la moralité de cette histoire. Mais le caractère historique de l’aventure relatée en atténue la nocivité ».
Agence matrimoniale (Jean-Paul Le Chanois, 1951), avec Bernard Blier, Michèle Alfa : « … »Les critiques contenues dans ce film sont justifiées ; elles montrent à quel point certaines moeurs habituelles à notre société peuvent avoir sur des individus faibles de caractères de fâcheuses répercussions. Réserves pour remariage après divorce, considéré comme une solution normale ».
A l’abordage, Against all flags (George Sherman, 1952), avec Errol Flynn, Maureen O’Hara : « …La fille du grand Mogol aime se faire embrasser et la femme corsaire aussi… Tous ces corsaires ne sont pas des enfants de choeur et ça se voit ».
Alice aux pays des merveilles, Alice in Wonderland (Walt Disney, 1951) : « …Rien à dire du point de vue moral. Le public doit cependant savoir que le caractère abracadabrant et parfois impressionnant de ce film risque de heurter de très jeunes enfants sensibles ».
Les amants de Bras-Mort (Marcel Pagliero, 1951), avec Frank Villard, Nicole Courcel. « …L’atmosphère d’union libre et de violence motive de sérieuses réserves morales malgré l’indéniable leçon morale donnée par l’amour du travail et le renoncement final de la jeune fille ».
L’amour, Madame (Gilles Grangier, 1951), avec Arletty, François Périer : « …Les situations, le dialogue, quelques toilettes légères, telles qu’on en voit sur la Côte d’Azur, appellent des réserves ».
Au coeur de la casbah (Pierre Cardinal, 1951), avec Viviane Romance, Claude Laydu : « …La compagnie des personnages aussi inquiétants durant une heure et demie risque de faire participer le spectateur à leur univers intérieur, et c’est l’univers du péché, envoûtant et désirable. Une danse de cabaret spécialement suggestive oblige à plus de sévérité encore. » – Côte 5.
Avec André Gide (Marc Allégret, 1951), avec André Gide, Maurice Garçon : « …Une allusion aux moeurs de Gide, des danseuses nègres à moitié nues, tout cela entraînent certaines réserves ».
L’étrange amazone (Jean Vallée, 1952), avec Madeleine Lebeau, Gérard Landry : « … Il est admis qu’un homme ne peut vivre longtemps sans une maîtresse. Mais ce sont surtout les photos qui sont répréhensibles (Scènes de nudités au bord de l’étang, numéro de strip-eause, chansons, etc…) ».
Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque, 1952), avec Gérard Philipe, Gina Lollobrigida : « …Le dialogue léger et des scènes suggestives obligent à des réserves morales ».
Le Fauve en liberté, Kiss tomorrow Goodbye (Gordon Douglas, 1950), avec James Cagney, Barbara Payton : « …Ce film baigne dans une ambiance lourde, qui soulève le coeur. Tous les personnages sont des brutes ou des hommes moralement abjects ».
Le masque de Dimitrios, The mask of Dimitrios (Jean Negulesco, 1944), avec Peter Lorre, Sidney Greenstreet : « …On montre beaucoup d’indulgence avec plusieurs personnages sans scrupules. Le mal n’est pas assez désapprouvé ».
Mina de Vanghel (Maurice Clavel, 1953), avec Odile Versois, Alain Cuny : « …Les réserves portent sur l’atmosphère sensuelle de ce film et sur l’attitude de la jeune fille qui n’hésite pas à convoiter un homme marié et à tenter de détruire un ménage uni, pour finir par se suicider. Seul le caractère romantique et artistique de cette oeuvre empêche une cote plus sévère ».
Mon gosse de père (Léon Mathot, 1952), avec Maurice Teynac, Jean Tissier : « …Le plaisir est considéré comme le bien suprême, la vertu, présentée sous l’aspect d’un puritanisme rigide, est ridiculisée. Les dialogues sont légers, l’attitude de l’aumônier des girls (sic !…) est sujette à caution et la plupart des personnages sont immoraux ».
La mort d’un commis voyageur, Death of a Salesman (Laslo Benedek, 1951), avec Frederic March, Mildred Dunnock : « …Les éléments qui seraient susceptible d’entraîner des réserves : la liaison du héros, qui est marié, et son suicide – qui est un suicide d’homme détraqué – renforcent dramatiquement un contexte de valeur.
La tournée des Grands-Ducs (André Pellec, 1952), avec Raymond Bussières, Sophie Sel : « …Dialogues vulgaires, situations équivoques et surtout exhibitions indécentes au cours de spectacles de cabarets. – Cote 5.
Un caprice de Carloline Chérie (Jean Devaivre, 1952), avec Martine Carol, Jean-Claude Pascal : « …Malheureusement, les déshabillages renouvelés de Martine Carol et la mentalité d’ingénue-libertine prêtée à son personnage, à quoi il faut ajouter un language dévergondé, font rejeter ce film par tous ceux qui ont un souci de propreté ». – Cote 5.
Victoire sur l’Annapura (Marcel Ichac, 1953, documentaire) : « …Aucune réserve sur le plan moral. Tout au contraire, on ne peut que recommander un tel film, réelle leçon dénergie, relatant un exploit dont la France peut à juste titre s’enorgueillir ».