Annonce de la mort du cinéaste Gillo Pontecorvo, hier à Rome, réalisateur engagé s’il en fut. La redécouverte de deux ses films « La bataille d’Alger » et « Kapò » en salles ou en DVD, montrait un metteur en scène confiant aux émotions déclenchées par la fiction, avec une évidente sincérité. Né à Pise en 1959, il fut journaliste tout en suivant des études de chimie, avant de devenir un passionné de cinéma après avoir vu « Paisà » (Roberto Rossellini, 1946), chef d’œuvre du néoréalisme italien. Il débute comme assistant chez Yves Allégret et Joris Ivens rencontré à Paris, avant de rentrer en Italie tourner avec Steno « Le infedeli / Les infidèles » (1952), et Mario Monicelli « Totò et Carolina ». Comme réalisateur il signe notamment « La lunga strada azzura / Un nommé Squarcio » (1957), avec Yves Montand et Alida Valli, histoire du destin de trois pêcheurs sur les côtes de l’Adriatique. Puis vint le très controversé « Kapò » (1959), de part sa représentation d’un camp de concentration de l’Europe de l’Est. Ce film avait fait l’objet d’un article célèbre de Jacques Rivette, intitulé « De l’abjection », dans le Cahier du cinéma N°120 (1961), où il déclarait « l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, […] cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris« . Cet article a eu une grande influence pour Serge Daney – qui ne vit jamais ce film ! -, relaté dans son article « Le travelling de Kapò ». Le film reste discutable, sur le grand problème de la représentation de la « Shoah », à l’écran, mais on apprend dans un des bonus du DVD paru en 2006, qu’une romance entre Susan Strasberg et Laurent Terzieff, lui a été imposée par la production. Plus probant fut « La battaglia di Algeri / La bataille d’Alger », relatant l’insurrection algéroise de 1954 et qui fut interdit en France en 1966. La mise en scène était si saisissante, il avait tourné dans Alger avec les témoins ce haut fait historique, que beaucoup crurent à l’utilisation d’images d’archives. On se souvient dans ce film d’une subtile utilisation d’acteurs non-professionnels face au saisissant Jean Martin, dans le rôle du colonel Mathieu, chef des « paras ». Il obtient avec « Queimada », sur les méfaits du colonialisme, la consécration internationale. Dans le rôle de Sir William Walker, un envoyé par le gouvernement anglais dans une possession portugaise dans « Les Caraïbes », afin de s’occuper du commerce de la Cannes à sucre, Marlon Brando excelle. Enfin en 1979, avec « Ogro » film franco-italien avec Gian-Maria Volonté en terroriste basque et Nicole Garcia, il évoque l’enlèvement d’un haut personnage du gouvernement espagnol par l’E.T.A. Il avait participé à quelques films collectifs, sur la situation politique italienne comme dans : « 12 dicembre » (1972) ou « L’addio a enrico berlinguer » (1984) et « Un mondo diverso è possibile » (2001). Pour reprendre la citation du site de la chaîne Arte, il déclarait au « Guardian » en 1983, « Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de Juifs italiens », citation reprise par les grands médias, mais qui ne sitent pas leur source, par un panurgisme béat.
ARTICLES : LE MONDE DU 13/10/06 ET DU 15/10/2006
Le réalisateur de « La Bataille d’Alger », Gillo Pontecorvo, est mort
L’Italien Gillo Pontecorvo, décédé jeudi 12 octobre à Rome à l’âge de 86 ans, restera dans l’histoire du cinéma comme l’auteur de La Bataille d’Alger, un film controversé couronné en 1966 par le Lion d’or à Venise mais longtemps interdit de diffusion en France. Le scénario, signé Franco Solinas, est inspiré du récit d’un des chefs militaires du FLN à Alger, Yacef Saadi. Tourné avec des non-professionnels (excepté Jean Martin, dans le rôle du colonel Mathieu à la tête des parachutistes français), La Bataille d’Alger traite de la lutte pour le contrôle de la Casbah en 1957 entre les paras français et les hommes du FLN. Et montre notamment l’usage de la torture d’un côté et les attentats aveugles de l’autre, avec un réalisme tel que le film évoque davantage le genre documentaire que la fiction. Interdit en France, le film finit par sortir en 1971 mais est très vite retiré des écrans. Il ne ressort en France qu’en 2004, presque quarante ans après sa réalisation. De la filmographie de Gillo Pontecorvo, on retiendra Kapo (1959) qui raconte l’histoire d’une jeune fille juive internée dans un camp de concentration et qui devient l’auxiliaire des officiers nazis, Queimada (1971), avec Marlon Brando, qui évoque le colonialisme, dans les Antilles du XIXe siècle, et Ogro (1979) qui traite du terrorisme à travers le meurtre du successeur du général Franco, et de la fin d’une dictature. Autant de films qui disent l’engagement du cinéaste, qui parlait de lui-même en ces termes, dans un entretien au Guardian : « Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche. »
Gillo Pontecorvo, par Jean-Luc Douin
Le cinéaste italien Gillo Pontecorvo est mort à Rome, jeudi 12 octobre, à l’âge de 86 ans.
Né à Pise le 19 novembre 1919, scientifique de formation, puis journaliste, Gillo Pontecorvo décide de faire du cinéma en voyant Païsa de Roberto Rossellini (1946). Lorsqu’il ne signe pas des documentaires, il sera obsédé toute sa vie par le souci de réaliser des images ressemblant le plus possible à des documents d’actualité. Giovanna (1956), moyen métrage, relate une grève de femmes dans une usine de tissus. Salué par la critique, son premier long-métrage (La Grande Route bleue, ou Un dénommé Squarcio, avec Yves Montand et Alida Valli, 1957) est un échec commercial. Le film est tiré d’un roman de Franco Solinas qui devient son scénariste de prédilection. Les deux hommes admirent le livre de Primo Levi, Si c’est un homme, et décident de tenter d’en transmettre l’esprit dans un film. Ce sera Kapo (1959), l’histoire d’une jeune juive internée dans un camp de concentration où elle devient l’auxiliaire des nazis. Solinas et Pontecorvo s’affrontent sur un point : le premier veut insérer une histoire d’amour dans cette évocation de l’infamie où peut sombrer une victime, et le second y est hostile. Franco Cristaldi, le producteur, trouve un compromis : Pontecorvo pourra consacrer les deux premiers tiers du film à montrer le quotidien dans un camp d’extermination, l’histoire d’amour n’arrivant qu’à la fin, pour symboliser la rédemption de l’héroïne. Désigné par Luchino Visconti comme le meilleur film de l’année, salué par Roberto Rossellini, Kapo représente l’Italie aux Oscars. Mais un article de Jacques Rivette paru dans le n°120 des Cahiers du cinéma (« De l’abjection » ) le discrédite à jamais aux yeux des cinéphiles français. Rivette y accuse Pontecorvo d’avoir transformé l’horreur des camps en spectacle, de l’avoir rendue supportable. Surtout, il s’en prend à un bref plan, celui où le personnage d’Emmanuelle Riva court se suicider en se jetant sur les barbelés électrifiés. « L’homme qui décide à ce moment de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée (…) n’a droit qu’au plus profond mépris. » Plus tard, Serge Daney fera de cet exemple son dogme.
SENTIMENT D’AUTHENTICITÉ : Atteint par cette polémique, Gillo Pontecorvo va prouver en 1966 qu’aussi maladroit soit le mouvement de caméra de Kapo incriminé, il ne mérite pas cette infamie. Couronné par le Lion d’or de Venise, La Bataille d’Alger relate l’insurrection des membres du FLN et la répression de l’armée française. Pontecorvo y dépeint les rues de la Casbah, la guérilla nationaliste, les attentats dans les cafés ou magasins, les tortures utilisées par les parachutistes pour démanteler les réseaux, avec un souci d’éviter les clichés. Ses images en noir et blanc filmées caméra sur l’épaule donnent un sentiment d’authenticité. Il fallut attendre 1970 pour que ce film financé par le gouvernement algérien soit projeté en France.
Les convictions communistes de Pontecorvo le pousseront à resigner un film anticolonialiste en 1971, Queimada (sur le mécanisme de l’oppression impérialiste aux Antilles, avec Marlon Brando). Dans Ogro (1979), il traite du terrorisme à travers l’attentat qui coûta la vie à un proche collaborateur de Franco. Directeur de la Mostra de Venise de 1992 à 1996, Gillo Pontecorvo avait déclaré en 1983 au Guardian : « Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de juifs italiens. »
Emmanuelle Riva dans « Kapò »
LIBÉRATION DU 14/10/2006
Gillo Pontecorvo, l’arme à gauche, par Antoine de Baecque
Cinéaste italien engagé, l’auteur de «la Bataille d’Alger» meurt à 85 ans.
Gillo Pontecorvo, mort jeudi à Rome à 86 ans, restera dans l’histoire du cinéma à un double titre, qui en fait en France aussi bien un repoussoir pour cinéphiles qu’une icône politique de gauche. Il est à la fois le réalisateur de Kapo (1959), premier film occidental consacré à «remettre en scène» un camp d’extermination nazi, et de la Bataille d’Alger (1965), reconstituant l’un des épisodes les plus sombres de la guerre d’Algérie. Kapo a été dénoncé comme un film obscène. Ce que Jacques Rivette reproche au film, dans les Cahiers du cinéma de juin 1961, est moins son sujet, peinture terrible d’un camp de la mort, que sa forme : avoir reconstitué l’horreur avec un souci esthétique, l’extermination y devenant une chose «joliment filmée». «Voyez dans Kapo, écrit Rivette en prenant à témoin son lecteur de l’abjection d’un passage où Emmanuelle Riva se suicide en se jetant sur les barbelés, l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris.» Cette phrase de Rivette détermine le point de vue éthique sur le cinéma d’une génération de critiques et cinéastes, qui se reconnaîtront dans un autre texte, de Serge Daney, comme un miroir, le Travelling de Kapo (in Trafic, automne 1992). En 1966, Pontecorvo reçoit le Lion d’or à Venise pour la Bataille d’Alger . Marqué par la guerre d’Algérie, il a travaillé avec Yacef Saadi (qui joue son propre rôle), chef militaire du FLN à Alger, à ce film basé sur ses souvenirs de combat. Tourné avec des non-professionnels (sauf Jean Martin, en colonel Mathieu), la Bataille d’Alger montre avec un réalisme sidérant la lutte pour la Casbah en 1957 entre paras et FLN. Interdit en France, le film finit par sortir en 1971 avant d’être retiré face aux menaces des nostalgiques de l’Algérie française. En 2003, considéré comme un modèle sur la guérilla urbaine, il est projeté au Pentagone en vue de préparer la guerre en Irak. Il ne ressort en France qu’en 2004. Pontecorvo, longtemps communiste, a toujours tourné à gauche : Giovanna (1956), sur une grève des femmes dans une usine textile, Queimada (1971), sur le colonialisme dans les Antilles du XIXe (avec Marlon Brando), Ogro (1979), sur la fin de la dictature de Franco, restant fidèle à sa devise : «Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de juifs italiens.» Mais il illustre aussi l’idée qu’un bon film de gauche est rarement un grand film tout court.
Le cinéaste italien Gillo Pontecorvo, décédé jeudi à Rome à 86 ans, restera dans l’histoire du cinéma grâce à son film controversé sur la guerre d’Algérie, interdit de diffusion pendant près de 40 ans en France. Gillo Pontecorvo était reconnu comme l’un des plus grands réalisateurs italiens de l’après-guerre, deux fois candidat aux Oscars, et père de la « Bataille d’Alger ». Cinéaste engagé, Pontecorvo avait déclaré en 1983 au Guardian : «Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de Juifs Italiens.» Né à Pise en 1919, Gillo Pontecorvo se lance d’abord dans des études de chimie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il travaille comme journaliste et messager pour le parti communiste italien. Une fois la paix signée, il devient correspondant à Paris de plusieurs journaux italiens. C’est alors qu’il voit « Paisa » de Rossellini : il abandonne aussitôt son métier de journaliste, achète une caméra et commence à tourner des courts métrages documentaires. Des films à caractère social – En 1956, « Giovanna » relate la grève des femmes dans une usine de tissus. L’année suivante, il tourne son premier long métrage, « La Grande route bleue » (La grande strada azzura), aussi exploité sous le titre «Un dénommé Squarcio». Cette adaptation d’une nouvelle de Franco Solinas, son scénariste de prédilection, décrit la vie difficile d’un petit village de pêcheurs où l’on voit notamment Yves Montand lutter pour nourrir sa famille. En 1959, « Kapo » narre l’histoire d’une jeune fille juive, internée dans un camp de concentration et qui devient l’auxiliaire des officiers nazis. La controverse de la « Bataille d’Alger » – Fortement marqué par la guerre d’Algérie, Gillo Pontecorvo avait très vite songé à réaliser un long métrage sur le conflit, mais celui-ci ne voit le jour que trois ans après la fin des hostilités, lorsque Yacef Saadi, un des chefs militaires du FLN à Alger, lui propose l’idée d’un film basé sur ses propres souvenirs de combat. Tourné avec des non professionnels (excepté Jean Martin, dans le rôle du colonel Mathieu à la tête des parachutistes français), « La bataille d’Alger » traite de la lutte pour le contrôle de la Casbah en 1957 entre les paras français et les hommes du FLN, avec l’usage de la torture d’un côté et les attentats aveugles de l’autre. Interdit en France, le film finit par sortir en 1971 avant d’être très vite retiré des écrans. En 2003, le film, considéré comme un modèle d’enseignement sur la guérilla urbaine, est projeté au Pentagone en vue de préparer la guerre en Irak. Le film ne ressort en France qu’en 2004, presque 40 ans après sa réalisation. Le colonialisme avec Marlon Brandon – Après « La bataille d’Alger » en 1965, il revient en 1971 avec « Queimada » sur le colonialisme, cette fois dans les Antilles du XIXe siècle. L’histoire du cinéma a surtout retenu les caprices sur le plateau de la star Marlon Brando. En 1979, il tourne son dernier long métrage, « Ogro », qui traite du terrorisme à travers le meurtre du successeur du général Franco, et de la fin d’une dictature.
L’HUMANITÉ DU 14/10/2006
Gillo Pontecorvo,le réalisateur de la Bataille d’Alger n’est plus, par Dominique Widemann
Disparition . Le réalisateur italien laisse une oeuvre cinématographique au service de la vérité. Son engagement, son humour et sa modestie vont manquer.
Gillo Pontecorvo, c’était l’Italie et le cinéma dans ce que ce pays a pu donner de meilleur. Diplômé de chimie, journaliste communiste, correspondant de presse à Paris où il assiste Yves Allégret et le critique de cinéma Joris Ivens, Gillo Pontecorvo deviendra l’assistant-réalisateur d’un autre communiste, Francesco Maselli, et celui de Mario Monnicelli, tout en s’essayant lui-même à la réalisation. Né à Pise en 1919, Gillo Pontecorvo, fait ses débuts au cinéma en 1955 avec Giovanna, un épisode du film la Rose des vents qui ne verra jamais le jour car en partie financé par la République démocratique allemande. C’était l’histoire de quatre femmes filmées par quatre réalisateurs de quatre pays. Les Soviétiques firent capoter l’affaire parce qu’ils n’aimaient pas l’épisode de Guerassimov. Pontecorvo, quelques décennies plus tard, s’amusait d’avoir pu, malgré tout, conserver une copie de son travail. Après ce récit de l’occupation d’une petite usine textile d’Italie centrale par des femmes, il s’emploie à réaliser la Grande Strada azzura (la Grande Route bleue devenue en français Un nommé Squarcio) avec Yves Montand, Alida Valli et Francesco Rabal, l’histoire d’un pauvre pêcheur de la côte dalmate. Bien que le film ait obtenu le prix de la mise en scène au Festival de Karlovy Vary, Pontecorvo le jugera a posteriori « assez médiocre », affirmant que l’émotion, la recherche de langage si importante dans son travail n’avaient trouvé d’accomplissement stylistique que dans Kapo, tourné en 1959. Le film, primé dans tous les festivals où il fut présenté, raconte le parcours d’une jeune fille juive qui, internée dans un camp de concentration, devient l’auxiliaire des nazis.
Carte blanche pour Pontecorvo
Gillo Pontecorvo, auréolé de succès, aurait pu à ce moment-là choisir de mettre en scène n’importe quel sujet. Un projet lui tenait particulièrement à coeur : réaliser un film sur le colonialisme. Avec Franco Solinas, scénariste de haute volée, il écrit une histoire intitulée Paras qui se déroule en Italie puis en Algérie. Le producteur, effrayé par l’OAS, renonce. L’Algérie propose alors à Pontecorvo et Solinas un film sur la lutte de libération algérienne. Le cinéaste accepte à condition d’avoir carte blanche. Ce sera la Bataille d’Alger. Yacef Saadi, qui avait été l’un des chefs de la résistance algérienne et le chef politique du FNL pour la région d’Alger, tiendra son propre rôle. À l’exception du colonel Mathieu, interprété par l’acteur Jean Martin, tous les personnages du film sont des amateurs. Pontecorvo et Solinas s’étaient livrés à un important travail de préparation, en Algérie comme en France où ils rencontrent gradés de haut rang pour avoir leur son de cloche. Le scénario est écrit en deux mois et ne laisse aucune place à l. Le tournage s’effectue avec l’aide de nombreux Algériens soucieux de participer à un film qui les concerne. Pontecorvo, qui aimait la musique au point d’avoir rêvé de devenir compositeur, s’attache à une partie de la musique du film et confie l’essentiel à un jeune compositeur de l’époque, Ennio Morricone. Le réalisme du film, qui doit ressembler à des actualités filmées, est travaillé jusque dans le choix précis du grain de la pellicule. L’effet est saisissant. Prêt à temps pour être présenté à la Mostra de Venise de 1966, la Bataille d’Alger y obtient un lion d’or qui sera suivi de nombreuses autres distinctions. Sa sortie en France est prévue dans la foulée. Il n’en sera rien. Au miroir de ce que le pouvoir et les médias appellent alors et pour longtemps « les événements » d’Algérie, le film ne reçoit son visa d’exploitation qu’en 1970. Quelques salles le programment courageusement. Les manifestations d’extrême droite réelles ou annoncées parviennent à faire en sorte que le film soit interdit de projection en raison des « troubles à l’ordre public » qu’il engendrerait. Le 4 juin dans les colonnes de l’Humanité, notre camarade François Maurin écrit : « Laissera-t-on l’OAS dicter sa loi ? » Puis le 5 juin : « Céder aux fascistes ? » et le 6 juin : « La Bataille d’Alger, un film adulte pour un public adulte ». Il faudra pourtant attendre 1971 pour que le film sorte normalement. Une première reprise a lieu en 1981. En 2004, il ressortait en salles, après sa présentation dans la section Cannes Classics du Festival. Un nouveau public a pu découvrir cette magnifique leçon de cinéma.
« la dictature de la vérité »
Gillo Pontecorvo, qui prétendait modestement que l’ensemble de sa carrière tenait en six films, a pourtant réalisé en 1984 l’Adieu à Enrico Berlinguer, court métrage collectif. En 1989 ce sera Douze Réalisateurs pour douze films ; en 1997 Nostalgia di protezione dans le cadre du film les Courts Métrages italiens, puis un autre film collectif et militant réalisé sur le contre-sommet de Gênes, Un autre monde est possible (2001) et encore Florence, notre demain, aventure semblable portant sur le Forum social européen (2003). Ajoutons que le succès de la Bataille d’Alger avait permis à Pontecorvo de diriger Marlon Brando dans Queimada, en 1969, film sur un soulèvement des Noirs aux Antilles en 1845. Il fut également le patron de la Mostra de Venise de 1992 à 1995, fonda en 1993 l’Union mondiale des auteurs. Toujours amical et chaleureux, plein d’humour et de verve, Gillo Pontecorvo s’était confié à notre journal en 2004, au cours d’un long entretien réalisé par Jean Roy (voir notre édition des 22 et 23 mai 2004). Le cinéaste réitérait alors sa foi en « la dictature de la vérité », vérité au service de laquelle il devait placer toutes les fictions qu’il eut le grand art de nous offrir.