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Fragments d’un dictionnaire amoureux : Daniel Emilfork

Daniel Emilfork dans son dernier film : « Faut que ça danse » 

Annonce de la mort de Daniel Emilfork, le cinéma ne lui aura pas donné de rôles à la mesure de son talent. Le cinéma français, notamment, était sans doute trop réducteur pour apprécier les subtilités de son jeu, et son phrasé si spécial. Il était pourtant un inoubliable « Le Kanak » dans « Chéri-Bibi », face à Hervé Sand, qui lui confèrera en 1975 une grande notoriété. Un grand monsieur avec un fort sens de l’autodérision quand il parlait de son visage de gargouille. J’avais eu la chance de le voir jouer en 2000 sa pièce « Pueblo Horno », un monologue sobre mais poignant, où il évoquait avec beaucoup de sensibilité son enfance au Chili. Il était né d’une famille russe et de culture juive. Il citait sa maîtresse parlant de lui comme « Ni noir, ni blanc, mais gris, juif ». Une enfance difficile, son frère devint proche du régime de Pinochet, il souffrait de sa bisexualité et il avait perdu un talon dans une voie ferrée de son village suite à une tentative de suicide à 17 ans. Il commence à s’intéresser au théâtre avec Alejandro Jodorowski. Il s’exile en 1949, dans le plus complet dénuement. Il fint par suivre les cours de Tania Balachova, suite à une rencontre décisive avec l’EPJD, prônant l’enseignement par le jeu dramatique. Il y rencontre « une autre grenouille » (1) –  un bibelot représentant une grenouille joueuse de golf était son totem, dans son modeste appartement -, en la personne de la comédienne Denise Péron. Elle devient sa femme et lui donnera une fille Stéphanie Loïk, également comédienne. Les premiers engagements arrivent, avec les petits rôles à la télévision du temps des « Buttes Chaumont », ou au cinéma comme dans « Frou-Frou » en 1954, où on le reconnaît en invité d’un bal masqué. Les débuts sont difficiles, il aimait à raconter son permier rôle, le grand méchant loup dans une adaptation du « Petit Chaperon rouge » : « Un jour, il ôte son masque en pleine représentation et des centaines d’enfants se mettent à hurler, il en rit encore ». (1) Il tente de trouver ses marques, il est très vite engagé : « Marc Allégret m’avait vu au théâtre et me proposa le rôle d’un professeur de violon un peu hystérique dans « Future vedettes » (…) J’avais une seule scène, avec Bedos, et en arrivant au studio, j’avais préparé ma propre mise en scène. Alors , je dis : « Voilà comment je vois la chose… » On m’a tout de suite arrêté. Tout le monde rigolait. Je ne comprenais pas pourquoi ! Je ne connaissais rien à la hiérarchie qu’il y avait alors au cinéma… Et ça m’a fait beaucoup souffrir. Vous savez, quand j’ai démarré, on vous serrait la main par rapport au petit fric qu’on gagnait. C’était horrible ». (2) Mais il tire toujours son épingle du jeu, même en barman volubile face à Marina Vlady dans « Sophie et le crime », où il est doublé… par Jacques Jouanneau ! C’est le théâtre qui lui apporta le plus de satisfactions, notamment avec Patrice Chéreau qui le dirige dans le rôle titre de « Richard II », il lui demande ensuite d’être son coach pour « Troller », avant de le placer à la tête de l’école des Amandiers. Il n’avait pas voulu se laisser enfermer dans des rôles souvent improbables de vampires – il semble se caricaturer dans sa composition « draculesque » dans « Au service du diable », selon un rédacteur du livre-somme « Cinéma Belge » (1999) – ou de truands inquiétants.  Il craque un jour devant Alain Robbe-Grillet qui l’employa à deux reprises dans « Trans Europe Express », et dans l’onirique « Belle captive » : « Contrairement à ce que vous croyez, je ne peux pas avoir une gueule de gangster : quand vos ancêtres grimpaient aux arbres, les miens lisaient le Talmud » (1). Il est vrai que le cinéma n’a pas eu beaucoup d’imagination à son sujet. C’était un personnage au phrasé très spécial, assez curieux avec un comportement de diva, selon Jean-Pierre Jeunet, prêt à faire des procès à tout le monde au moindre prétexte, mais aussi très touchant car blessé par la vie, comme il le confiait dans le commentaire du DVD du film « La cité des enfants perdus ». Son rôle de Krantz, savant fou et voleur de rêves d’enfant, sera l’un de ses meilleurs rôles, il refusera cependant le rôle tenu par Serge Merlin dans « Amélie Poulain ». Mais il est aussi bien à l’aise dans la farce, comme dans son inoubliable composition de « libellule », prenant une incroyable posture d’insecte dans le « Casanova de Fellini » ou son rôle d’Egyptien servile dans « Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ ». Il aura pourtant avec Jacques Baratier une collaboration fructueuse, du joueur de luth dans « Goha le simple » (1956), en passant par « La poupée » d’après Jacques Audiberti et « L’or du duc » (1965). Son côté inquiétant est souvent utilisé, de l’espion joueur d’ocarina dans l’internationale distribution des « Espions » de Clouzot, à l’étrange propriétaire d’un hôtel meublé « Meurtres à domicile ». Mais à un sentiment de menace, il pouvait conférer une drôlerie incroyable, que l’on songe à son rôle de tueur dans « Ballade pour voyou ». Il y joue un convoyeur, répondant au doux nom de « Molok » chargé de récupérer une valise noire auprès du personnage joué par Laurent Terzieff. Il ne cesse en l’escortant de lui dire « Comment va votre sœur ? », alors que Terzieff lui répond, complètement interloqué qu’il est fils unique. Molok en fait ne parle pas français, et ne fait que répéter la seule phrase qu’il connaît en français pour l’avoir entendu dans une méthode assimil ! C’est l’occasion d’un formidable moment de cocasserie. Il était prompt à participer à des films expérimentaux, ou onirique comme dans « Taxandria » de Raoul Servais. Il pousse même le radicalisme jusqu’à ne prêter que son corps et sa gestuelle pour personnifier la Mort dans « Le passage », comme me confiait René Manzor, rencontré lors d’une avant-première. Il était ravi que l’on n’utilise pas, pour une fois, son singulier visage. Il reste exigeant dans ses choix de rôles et tient à suivre son parcours sans compromission, il fut d’ailleurs renvoyé du tournage de « Voir Venise et crever « . : « À tel point qu’un jour, pendant un tournage à Venise, j’ai savonné une réplique. Le metteur en scène (qu’il ne citera pas, par élégance… ou par mépris !), offusqué vint me dire : « Emilfork, vous, un professionnel ! ? » La moutarde me monte au nez et je lui ai répondu : « Écoutez, je crois que j’ai dit cette même phrase vingt fois – Que voulez-vous dire ? – Que ce script est une merde. Et vous et moi, on le fait pour le fric. Et on a tort. » (2) C’était l’un de mes acteurs préférés, et je m’aperçois qu’il est difficile de lui rendre véritablement justice. C’est finalement sa fille qui en a le mieux parlé : « Il a été incroyablement sous-employé. Les gens ont peur de lui alors que c’est un grand professionnel. Je pense que ce n’est pas en France qu’il aurait dû aller ». (1). Selon ce même article, il disait avoir achevé un roman autobiographique « Le Batracien », qu’il ne souhaitait publier qu’après sa mort. On le retrouve une dernière fois, éblouissant en médecin militaire dans « Faut que ça danse » de Noémie Lvovsky, en voisin du personnage de Salomon, superbement campé par Jean-Pierre Marielle. Il faut le voir lui donner son diagnostic en créant une véritable panique, lui parler de l’incongruité d’avoir une vie sexuelle à son patient âgé, un grand moment délirant et jubilatoire. François Jonquet lui a consacré un formidable livre « Daniel » (Sabine Wespieser éditeur, 2008). C’est une belle évocation d’une étonnante rencontre. À lire le compte rendu de Pierre Assouline sur son Blog. Vous pouvez consulter un portrait original à son sujet : Portrait d’un prince hors-norme. En 2007, Christophe Bier a réalisé un excellent documentaire à son sujet « Gargouille de charme – Daniel Emilfork, contre les apparences », avec les témoignages de sa fille Stéphanie Loïk, et de Jacques Baratier, Jean-Claude Dreyfus, Michael Lonsdale, Daniel Mesguich, Michel Meurger, Pierre Philippe, Jean-Louis Roy, diffusé sur CinéCinémaClassik le 30 octobre 2010.

(1) Libération du 17/02/1998. (2) Studio N°108 – Mars 1996, « Le K Emilfork… » par Thierry Valletoux.

Daniel Emilfork © François-Marie Banier

CV, établi avec Christophe Bier

Filmographie : 1954  Frou-Frou (Augusto Genina) – Futures vedettes (Marc Allégret) – 1955  Sophie et le crime (Pierre Gaspard-Huit) – 1956  Notre-dame de Paris (Jean Delannoy) – Saint on jamais ? (Roger Vadim) – 1957  Une Parisienne (Michel Boisrond) – Goha (Jacques Baratier) – Les espions (Henri-Georges Clouzot) – Maigret tend un piège (Jean Delannoy) – Sans famille (André Michel) – Le temps des œufs durs (Norbert Carbonnaux) – 1958  Le joueur (Claude Autant-Lara) – Les motards (Jean Laviron) – 1959  Du rififi chez les femmes (Alex Joffé ) – Pantalaskas (Paul Paviot) –1960  Le bal des espions (Michel Clément) – 1961 Le triomphe de Michel Strogoff (Victor Tourjansky) – Seul… à corps perdu (Jean Maley) – La poupée (Jacques Baratier) – Le rendez-vous de minuit (Roger Leenhardt) – 1962  Les bricoleurs (Jean Girault) – Ballade pour un voyou (Claude-Jean Bonnardot) – 1963  L’assassin viendra ce soir (Jean Maley) – OSS 117 se déchaîne (André Hunebelle) –  Château en Suède (Roger Vadim) – Des frissons partout (Raoul André ) – Voir Venise et crever (André Versini) –  1964  – Le commissaire mène l’enquête [épisode « Fermez votre porte »] (Fabien Collin & Jacques Delile) – What’s new Pussycat ? (Quoi de neuf Pussycat ?) – Lady L (Id) (Peter Ustinov) – 1965  L’or du duc (Jacques Baratier) – Dis-moi qui tuer (Étienne Périer) – The liquidator (Le liquidateur) (Jack Cardiff) – 1966  Trans-Europ-Express (Alain Robbe-Grillet) – Lotosblüten für Miss Quon (Coup de Gong à Hong Kong) (Jürgen Roland) – 1967  L’inconnu de Shandigor (Jean-Louis Roy) – 1969  Midi-Minuit (Pierre Philippe)1971 Kill (Id)Au service du diable / Le château du vice / La nuit des pétrifiés (Jean Brismée) – 1972 Travels with my aunt (Voyages avec ma tante) (Georges Cukor) –  1975  Il Casanova di Fellini (Le Casanova de Fellini) (Federico Fellini) – 1977  Who is killing the great chefs of Europe ? (La grande cuisine, ou l’art et la manière d’assaisonner les chefs) (Ted Kotcheff) – 1978  The thief of Bagdad (Le voleur de Bagdad) (Clive Donner) (Téléfilm diffusé en salles en Europe) – Subversion (Stanislav Stanojevic, inédit) – 1979  L’extraordinaire ascension de Maurice Bellange (Bruno Decharme, CM) – 1982  Meutres à domicile (Marc Lobert) – Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ (Jean Yanne) – La belle captive (Alain Robbe-Grillet) – 1985  Pirates (Id) (Roman Polanski) – 1986  Le passage (René Manzor, silhouette de la mort seulement) – 1987  Niezwykla podróz Baltazara Kobera (Les tribulations de Balthazar Kober) (Wojciech J Has)  – 1990  Artcore oder Der Neger (Heinz Peter Schwerfel, film expérimental) – 1993  De Vliegende Hollander (Le Hollandais volant) (Jos Stelling) – L’écriture de Dieu / Die Inschrift des Gottes (Heinz-Peter Schewerfel, CM) – 1994  Lou n’a pas dit non (Anne-Marie Miéville, voix seulement) –  Taxandria (Raoul Servais) – 1996  La cité des enfants perdus (Marc Caro & Jean-Pierre Jeunet) – 1997  Babel (Gérard Pullicino, voix seulement) – 1998  Les frères Sœur (Frédéric Jardin) – 2001  Pat (Harold Vasselin, CM) – 2006  L’homme de la lune ((Serge Elissalde, film d’animation, CM, voix) – Faut que ça danse (Noémie Lvovsky).

Daniel Emilfork dans « Chéri-Bibi »

Télévision : 1955  Crime et châtiment (Stellio Lorenzi) – 1956  La chemise (René Lucot) – Le revizor (Marcel Bluwal) – Cece (Bernard Hecht) – 1959  Cristobal de Lugo (Jean-Paul Carrère) – 1960  Le fils du cirque (Bernard Hecht) – Un beau dimanche de septembre (Marcel Cravenne) – 1961  Youm et les longues moustaches (Yves-André Hubert) – Le massacre des innocents (Roland Bernard) – Le musée hanté – 1962  Magic Story – L’inspecteur Leclerc enquête : Feu monsieur Serley (Jean Lavrion) – L’esprit et la lettre : Candide ou l’optimisme (Pierre Cardinal) – 1963  Babaji et le roi Pataf (Anne-Marie Ullmann) – La caméra explore le temps : La conspiration du général Malet (Jean-Pierre Marchand) – 1964  Le héros et le soldat (Marcel Cravenne) – 1965  L’école de la médisance (François Gir) – La part du pauvre (Éric Le Hung) – 1967  Mars : mission accomplie (Edmond Tyborowski) – Signé Alouette (Jean Vernier) – 1968  Les bas-fonds (Jean-Paul Carrère) – La prunelle (Emond Tyborowski)- Graf Yoster gibt sich die Ehre (Le comte Yorster a bien l’honneur : Johann and co) (HW Schwarz) – 1970  Reportages sur un squelette ou Masques et bergamasques (Michel Mitrani) – Le dernier adieu d’Armstrong (Gilbert Pineau) – Allô police : La pantoufle de jade (Daniel Leconte) – Jumbo ein elefantenleben / Jumbo jet (Michael Phflegar) – Rendez-vous à Badenberg (Jean-Michel Meurice) – 1971  Romulus le grand (Marcel Cravenne) – 1972  La cantonade (Pierre Philippe) – 1973  Le canari (Peter Kassovitz, voix du récitant) – 1974  Chéri-Bibi (Jean Pignol) – Le comte Yoster a bien l’honneur : Un petit détail – 1977  Double détente (Claude-Jean Bonnardot) – Zwei himmlische Töchter : Ein Sarg nach Leech (Michael Phflegar) – 1980  Porporino (André Flédérik, captation) – 1981  Caméra une première : Square X (Jean Kerchbron) – 1986  Riviera (Alan Smithee [John Frankenheimer]) – 1987  Trakal (épisode N ° 4) (Gilles Bastianelli) – La poupée – Les mystères de l’agence K (Gérald Frydman) – La dernière fuite (Yves Turquier & François Verret, CM, + conception, [ captation spectacle dansé ]) – 1988  La fée Carabine (Yves Boisset) – M’as-tu vu : Le trésor des Cardeillac (Éric Le Hung) – Sueurs froides : Mort en copropriété (Arnaud de Sélignac) – 1990  Un film sur Georges Pérec [deux parties :  « Te souviens-tu de Gaspard Wincker ? » & « Vous souvenez-vous de Gaspard Wincker ? » (Catherine Binet, récitant présent à l’image) – 1991  The first circle (Le premier cercle) (Sheldon Larry) – 2001  Les archives de Jean-Pierre Jeunet (vidéo) – 2005  Les rois maudits (Josée Dayan).

 

Daniel Emilfork dans « Les amants puérils » (source, le documentaire « Gargouille de charme »)

Théâtre : 195?  Le petit chaperon rouge – Les méfaits du tabac, d’Anton Tcheckhov – L’autoclète, d’Alfred Jarry. Mise en scène de Pierre Alec Quains. Théâtre de la Huchette. 1951 La Tour de Nesle, d’après Alexandre Dumas fils. Mise en scène Pierre-Alec Quains – 1952 Doña Rosita de Federico Garcia Lorca. Mise en scène Claude Régy. Théâtre des Noctambules. – 1954 La matinée d’un homme de lettres. Théâtre de la Huchette- La peur de Georges Soria. Mise en scène Tania Balachova. Théâtre Monceau – Les Trois Sœurs de Tchekhov. Mise en scène Sacha Pitoëff. Théâtre de L’Oeuvre. – 1955  Homme pour homme. Théâtre de l’Oeuvre. – Les poissons d’or, de René Aubert. Mise en scène d’André Villiers. Théâtre en Rond. -1956 Les amants puérils de Crommelynck. Mise en scène Tania Balachova. Théâtre des Noctambules. – 1958 Ubu-Roi d’Alfred Jarry, au TNP – 1961 Dommage qu’elle soit une putain de John Ford. Mise en scène Lucchino Visconti.- Miracle en Alabama, de William Gibson. Mise en scène de François Maistre. Théâtre Hébertot. – 1965  L’autre royaume, de Marc Desclozeaux. Théâtre de Poche-Montparnasse. Mise en scène seulement. – Zoo story, d’Edward Albee. Mise en scène seulement. 1966 Hélas ! Pauvre Fred de James Sanders. Mise en scène Daniel Emilfork. Théâtre de Lutèce. – 1968 Le Manteau d’astrakan de Pauline Macauly. Mise en scène Daniel Emilfork. Comédie de Paris. – 1970 Richard II deWilliam Shakespeare. Mise en scène Patrice Chéreau. Théâtre de L’Odéon. – 1973 Toller, scènes d’une révolution allemande. Mise en scène Patrice Chéreau TNP Villeurbanne et Théâtre de L’Odéon – 1974 Zalmen ou la folie de Dieu d’Elie Wiesel. Mise en scène Daniel Emilfork. Nouvelle Comédie.- 1979 Kafka, Théâtre complet. Mise en scène André Engel. Théâtre National de Strasbourg. – 1980 Archéologie. Mise en scène Christiane Cohendy. Le Lucernaire – Porporino, de Domique Fernandez. Festival d’Aix en Provence. 1981  Les fiancés de Loches. Théâtre de Boulogne Billancourt. 1983. Lulu au Bataclan de Franck Wedekind. Mise en scène André Engel. – 1983 Minetti de Thomas Bernhard. Mise en scène Gilles Atlan. Festival d’Avignon.- 1986 Marat-Sade de Peter Weiss. Mise en scène Walter Le Moli. MC93 Bobigny. – 1987  Mindadoo Mistiru, mise en scène de François Verret. Festival de danse d’Aix en Provence – 1988 La Journée des chaussures de Denise Péron, Daniel Emilfork, Frédéric Leidgens. Festival d’Avignon et Nanterre-Amandiers. – 1991 Pas là de Samuel Beckett. Mise en scène Jean-Claude Fall. Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. – Voyage à Weimar, de Dominique Guilhard. Théâtre de la Bastille. – Le voyage, spectacle en 2 parties composé d’une reprise d' »Archéologie » et de la création de « Domus », de Daniel Emilfork & Frédéric Leidgens. Théâtre Paris-Villette. – 1997 Comment te dire de La Métaphore à Lille, puis au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis – 2000 Pueblo Horno de Daniel Emilfork. Théâtre Le Lucernaire. – 2003  Lettre ouverte à Renée Saurel de et mis en scène de Daniel Emilfork.

Mise à jour du 05/11/2010

©   Le coin du cinéphage (reproduction strictement interdite, textes déposés)

NOUVELLE CHANCE

Avant-première lundi 16 octobre, à l’UGC-Cité Ciné, du nouveau film d’Anne Fontaine « Nouvelle chance » et troisième film de la trilogie autour du personnage d’Augustin Dos Santos, interprété par son frère le singulier Jean-Chrétien Sibertin-Blanc. On retrouve ce corps comique avec grand plaisir, ses trajets en vélos – son accessoire privilégié, l’équivalent du parapluie pour M. Hulot », sa famille japonaise – la véritable famille du comédien d’ailleurs -, et son incroyable manière de donner une légèreté aux situations les plus improbables. On le retrouve à la fois comme metteur en scène de théâtre, et homme à tout faire dans une piscine de luxe à l’hôtel Ritz, lieu échappé d’un péplum hollywoodien. Il rencontre Odette Saint-Gilles – , ancienne chanteuse d’opérette – Danielle Darrieux simplement magnifique -, une grande dame dynamique et ne sombrant pas dans la nostalgie, malgré quelques souvenirs épars – on reconnaît d’ailleurs en passant une photo d’ « Occupe-toi d’Amélie » de Claude Autant-Lara, avec Grégoire Aslan -. Augustin monte des spectacles pour les comités d’entreprise. Il a un spectacle très rodé, où il campe une Geisha, mais il ne correspond pas au goût de l’un de ses commanditaires, qui souhaite choyer ses clients suédois. Odette, qui a beaucoup aimé son spectacle, lui parle d’une pièce de théâtre qu’elle adore, « Les salons », contant les rapports entre deux femmes du XVIIIème siècle, Mme du Deffand et Julie Lespinasse, élaboré à partir de la correspondance entre des deux femmes d’esprits. Augustin rencontre une actrice de télévision, Bettina Flescher, utilisée dans des œuvres médiocres – en illustration on a droit à un extrait du cornichonesque Milady de Josée Dayan ! qui joue d’ailleurs ici son propre rôle -. L’actrice est suffisamment excentrique pour s’embarquer dans cette aventure. Un ami comédien d’Augustin, à la virilité encombrante – Christophe Vandevelde, un nom à retenir, Anne Fontaine l’avait découvert dans le film de Jacques Audiard : « Sur mes lèvres », va jouer le rôle du diaphane amant de Julie de Lespinasse, mais Bettina, lui préférera Raphaël, un gracile et ambigu jeune homme – joué par Andy Gilet -. L’œuvre finira par avoir une curieuse influence sur le destin de cette curieuse petite troupe… Si vous avez aimé « Augustin » (1995) et « Augustin, roi du kung-fu » (1999), vous connaissez l’originalité du personnage d’Augustin, lunaire, un peu obsessionnel, porté par la forte personnalité de Jean-Chrétien Sibertin-Blanc. Son travail avec sa sœur, la réalisatrice nous précisait qu’elle fait beaucoup de répétitions avec lui -, a pour résultat l’un des personnages les plus drôles – mais il peut en irriter certains – et les plus originaux du cinéma français. J’ai parlé avec Anne Fontaine, de la même émotion que j’avais en voyant Claude Melki débouler dans l’univers de Jean-Daniel Pollet – idée partagée avec une autre personne, qu’elle a rencontré lors d’une avant-première -.

Arielle Dombasle, Danielle Darrieux & Jean-Chrétien Sibertin-Blanc

Il est à la fois touchant, imprévisible, d’une cocasserie inouïe, nous amène dans une sorte de fantastique du quotidien.. Quand on demande à sa sœur, le manque d’intérêt des autres réalisateurs à son sujet, elle répond que l’homme semble aussi particulier, ne souhaite pas tourner pour tourner s’il n’est pas à l’aise avec l’univers d’un metteur en scène – Mais il a tourné tout de même chez Alain Resnais, je me souviens de lui poursuivant Juliette Binoche dans un « Tour de manège », une nuit de pleine lune, et il a intéressé Godard.  Il faut le voir discuter pilosité avec Christophe Valverde, avoir une rencontre hors du commun dans un vernissage avec un ex-futur candidat aux Présidentielles pour paraphraser Al Gore – je vous en laisse la surprise -, ou découvrir une scène de répétition, impromptue  dans une chapelle. Autre petit miracle du film, le retour en grâce et dans un premier rôle de Danielle Darrieux. Son bagou, son charme superbe malgré son âge, sa capacité d’émotion – moment d’émotion où ses yeux se rougissent soudainement -, et son improbable rencontre avec une vedette – Arielle Dombasle, actrice sous-utilisée, appréciée par la réalisatrice chez Rohmer -, prête à casser ses codes et son emploi de bimbo comme elle dit elle-même. Belle rencontre avec Anne Fontaine, qui a beaucoup de charme, d’aplomb et de lucidité. Elle répond avec franchise, de son joyeux surnom de Leni Riefenstahl par Benoît Poelvoorde, évoquant avec l’humour qu’on lui connaît sa direction d’acteur, de l’insatisfaction de son parcours de comédienne. Elle évoque l’homme politique cité précédemment, dont la femme précise qu’il devrait faire l’acteur, et les rapports entre Danielle Darrieux et Arielle Dombasle, polis mais sans « atomes crochus », l’aînée évoquant à propos de sa partenaire « La petite jeune », l’idée d’une moitié de femmes. Danielle Darrieux rayonne ici – elle demandait, elle était âgée de 88 ans lors du tournage, avec humour à la réalisatrice de se dépêcher, car elle pouvait mourir à tout instant ! -. Sa palette incroyable de jeu est utilisée au mieux, son dynamisme, sa séduction et ses dons de chanteuses – sa mère était professeur de chants -, elle nous livre d’ailleurs une version d’anthologie de la chanson de Charles Trenet « La folle complainte ». Saluons l’audace habituelle – on connaît son brillant et original parcours – d’Anne Fontaine, rebondissant à partir d’une commande de ses amis Bernard Minoret et Claude Arnaud, de faire un film à partir des « Salons », avec Isabelle Huppert et Danielle Darrieux. Elle en fait un en fait un projet personnel, trouvant une habile correspondance entre les « salons » et la société du spectacle. Elle nous livre ici un spectacle comique d’une grande finesse, tout en donnant un superbe rôle à l’une de nos plus prestigieuses actrices. Une liberté de ton salutaire.

LE COIN DU NANAR OU LA REVANCHE DE DANACOL

Curieux parcours pour la sympathique Charlotte de Turckheim, de l’infirmière, joyeusement massacrée et disséquée par des membres d’une maison de retraite dans « La nuit de la mort » de Raphaël Delpard, à son improbable « Marie-Antoinette » chez l’académique James Ivory, dans « Jefferson à Paris », en passant par sa prestation style chaînon manquant entre Danièle Delorme et Eva Darlan dans « Mme le (la) proviseur ». Rien de très probant, mais un petit côté agressif, il fallait la voir dans un talk-show, régler ses comptes avec le cinéaste Claude Confortès, qualifié de libidineux. C’est sa seconde réalisation après « Mon père, ma mère… » (1999) – pas vu, pas pris… -, il y avait eu aussi une captation assez mollassone de ses spectacles avec « Une journée chez ma mère » (1992).  La réalisatrice chasse comme d’habitude, sur la terre de l’aristocratie désargentée. Pourquoi pas, ce thème a donné lieu a de superbes réussites, du « Diable par la queue », un grand Philippe de Broca, cuvée 1968, ou le chef d’œuvre absolu « Noblesse oblige », où Dennis Price avait une méthode bien a lui pour survivre à ses revers de fortune. Le comte Charles Valerand d’Arbac de Neuville et son épouse Solange, née Poitou Castilla de la Taupinière – Jacques Weber et la Charlotte, se livrant à une compétition de cabots, résultat match nul -, doivent au Trésor Public – je mets une majuscule, on ne sait jamais -, la modique somme de 1 991 753 euros. Le château familial tombe en ruine, ils sont réduits à la débrouille, Weber fait des faux meubles en les vieillissants avec du yaourt – encore un qui crache dans la soupe, il doit se venger de son image ternie à faire des pubs pour Danacol, le laitage anti-cholestérol -. La châtelaine en fait de même en vendant de la pâtée pour chiens aux gogos dans de jolis bocaux, imitation « Comtesse du Barry » – métaphore sur ce film ? -. L’huissier débarque, cerise sur le gâteau c’est Sébastien Cauet qui l’incarne – Le Bill Murray français, ben quoi, la voix du dessin animé « Garfield » aux États-Unis, c’est Murray, en France, c’est Cauet, CQFD -. Le regrettable vendeur de cerveau disponible, qui sévit non seulement sur TF1, mais dans la presse trash et la mal-bouffe, – une sorte de synthèse donc… -, peine à composer un personnage intraitable. Il faut le voir avec sa moumoute, essayer de faire valoir son petit regard vicelard en fantasmant sur Mme la châtelaine, garanti culte en 2058.

Armelle, Jacques Weber & Charlotte de Turckheim

La petite famille composée de quatre générations, des de Turckheim partout, en rejetons à rejeter, + Vincent Desagnat, pitoyable en alcoolique mondain, Edith Perret en aïeule liquéfiée, Armelle qui ne se renouvelle guerre dans une composition lourdingue, avec un accent teuton d’une rare bêtise, le falot Rudi Rosenberg – pourtant formidable dans « Le tango des Rashevski » – fait gravure de mode, va chercher à travailler pour la première fois de sa vie… Suit une pantalonnade sans rythme, égaillée par quelques caméos amusants,  Rossy de Palma et Victoria Abril en aubergistes parvenues, Hélène de Fougerolles – enlaidie, si, si – et Éric Le Roch en cousins radins, Catherine Hosmalin et Chantal Ladesou, en aristos dégénérées, Catherine Jacob et Urbain Cancelier en nobles fortunés cyniques. Trois petits tours et puis s’en vont. On a même droit à Stéphane Bern, qui nous livre son fond de commerce habituel, qui commence à devenir lassant, une autodérision forcée. Compatissons pour la pauve Gaëlle Lebert dans son rôle de Marie-Astrid, laideron frappé de stupidité, mais reconnaissons qu’elle est finalement la seule ici à tirer son épingle du jeu. Impossible d’imaginer une distribution plus hétéroclite. L’enchaînement de saynètes outrées peut amuser, si vous avez comme moi une petite perversité à voir tout ce petit monde s’enliser allégrement. Charlotte de Turckheim et son comparse Jean-Marie Duprez, nous régalant en prime d’un dialogue faisandé : « Le trésor Public, c’est le seul trésor que tu ne peux pas trouver, mais lui il te trouve toujours !. ». La caricature peut avoir un charme salutaire, chez Jean-Pierre Mocky par exemple – Christophe Bier citait très justement Daumier à son sujet -, tout est ici un simple prétexte à meubler une historiette minimale. Le bâclage global est ici patent, et l’enfilage des clichés haineux,  pourtant portés disparus depuis belle lurette, ne sert qu’à conforter la bêtise ambiante. Si le cinéma français continue ces oeuvrettes, il ne faudra pas s’étonner de la désertion des salles du public visé, qui certes cherche un peu de gaudriole, mais ne mérite pas un pareil mépris. On est en train de dépasser les périodes fastes des années 50, et celle du début des années 80, dans le style de la comédie désolante. Chapeau bas donc pour Charlotte de Turckheim, pour arriver à baisser encore le niveau de cette année cinématographique, ce qui tient, en ce moment, de l’exploit.

MORT DE GILLO PONTECORVO

img185/4028/gillopontecorvozr5.jpg Annonce de la mort du cinéaste Gillo Pontecorvo, hier à Rome, réalisateur engagé s’il en fut. La redécouverte de deux ses films « La bataille d’Alger » et « Kapò » en salles ou en DVD, montrait un metteur en scène confiant aux émotions déclenchées par la fiction, avec une évidente sincérité. Né à Pise en 1959, il fut journaliste tout en suivant des études de chimie, avant de devenir un passionné de cinéma après avoir vu « Paisà » (Roberto Rossellini, 1946), chef d’œuvre du néoréalisme italien. Il débute comme assistant chez Yves Allégret et Joris Ivens rencontré à Paris, avant de rentrer en Italie tourner avec Steno « Le infedeli / Les infidèles » (1952), et Mario Monicelli « Totò et Carolina ». Comme réalisateur il signe notamment « La lunga strada azzura / Un nommé Squarcio » (1957), avec Yves Montand et Alida Valli, histoire du destin de trois pêcheurs sur les côtes de l’Adriatique. Puis vint le très controversé « Kapò » (1959), de part sa représentation d’un camp de concentration de l’Europe de l’Est. Ce film avait fait l’objet d’un article célèbre de Jacques Rivette, intitulé « De l’abjection », dans le Cahier du cinéma N°120 (1961), où il déclarait « l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, […] cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris« . Cet article a eu une grande influence pour Serge Daney – qui ne vit jamais ce film ! -, relaté dans son article « Le travelling de Kapò ». Le film reste discutable, sur le grand problème de la représentation de la « Shoah », à l’écran, mais on apprend dans un des bonus du DVD paru en 2006, qu’une romance entre Susan Strasberg et Laurent Terzieff, lui a été imposée par la production. Plus probant fut « La battaglia di Algeri / La bataille d’Alger », relatant l’insurrection algéroise de 1954 et qui fut interdit en France en 1966. La mise en scène était si saisissante, il avait tourné dans Alger avec les témoins ce haut fait historique, que beaucoup crurent à l’utilisation d’images d’archives. On se souvient dans ce film d’une subtile utilisation d’acteurs non-professionnels face au saisissant Jean Martin, dans le rôle du colonel Mathieu, chef des « paras ». Il obtient avec « Queimada », sur les méfaits du colonialisme, la consécration internationale. Dans le rôle de Sir William Walker, un envoyé par le gouvernement anglais dans une possession portugaise dans « Les Caraïbes », afin de s’occuper du commerce de la Cannes à sucre, Marlon Brando excelle. Enfin en 1979, avec « Ogro »  film franco-italien avec Gian-Maria Volonté en terroriste basque et Nicole Garcia, il évoque l’enlèvement d’un haut personnage du gouvernement espagnol par l’E.T.A. Il avait participé à quelques films collectifs, sur la situation politique italienne comme dans : « 12 dicembre » (1972) ou « L’addio a enrico berlinguer » (1984) et « Un mondo diverso è possibile » (2001).  Pour reprendre la citation du site de la chaîne Arte, il déclarait au « Guardian » en 1983, « Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de Juifs italiens », citation reprise par les grands médias, mais qui ne sitent pas leur source, par un panurgisme béat.

ARTICLES : LE MONDE DU 13/10/06 ET DU 15/10/2006

Le réalisateur de « La Bataille d’Alger », Gillo Pontecorvo, est mort

L’Italien Gillo Pontecorvo, décédé jeudi 12 octobre à Rome à l’âge de 86 ans, restera dans l’histoire du cinéma comme l’auteur de La Bataille d’Alger, un film controversé couronné en 1966 par le Lion d’or à Venise mais longtemps interdit de diffusion en France. Le scénario, signé Franco Solinas, est inspiré du récit d’un des chefs militaires du FLN à Alger, Yacef Saadi. Tourné avec des non-professionnels (excepté Jean Martin, dans le rôle du colonel Mathieu à la tête des parachutistes français), La Bataille d’Alger traite de la lutte pour le contrôle de la Casbah en 1957 entre les paras français et les hommes du FLN. Et montre notamment l’usage de la torture d’un côté et les attentats aveugles de l’autre, avec un réalisme tel que le film évoque davantage le genre documentaire que la fiction. Interdit en France, le film finit par sortir en 1971 mais est très vite retiré des écrans. Il ne ressort en France qu’en 2004, presque quarante ans après sa réalisation. De la filmographie de Gillo Pontecorvo, on retiendra Kapo (1959) qui raconte l’histoire d’une jeune fille juive internée dans un camp de concentration et qui devient l’auxiliaire des officiers nazis, Queimada (1971), avec Marlon Brando, qui évoque le colonialisme, dans les Antilles du XIXe siècle, et Ogro (1979) qui traite du terrorisme à travers le meurtre du successeur du général Franco, et de la fin d’une dictature. Autant de films qui disent l’engagement du cinéaste, qui parlait de lui-même en ces termes, dans un entretien au Guardian : « Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche. »

Gillo Pontecorvo, par Jean-Luc Douin

Le cinéaste italien Gillo Pontecorvo est mort à Rome, jeudi 12 octobre, à l’âge de 86 ans.

Né à Pise le 19 novembre 1919, scientifique de formation, puis journaliste, Gillo Pontecorvo décide de faire du cinéma en voyant Païsa de Roberto Rossellini (1946). Lorsqu’il ne signe pas des documentaires, il sera obsédé toute sa vie par le souci de réaliser des images ressemblant le plus possible à des documents d’actualité. Giovanna (1956), moyen métrage, relate une grève de femmes dans une usine de tissus. Salué par la critique, son premier long-métrage (La Grande Route bleue, ou Un dénommé Squarcio, avec Yves Montand et Alida Valli, 1957) est un échec commercial. Le film est tiré d’un roman de Franco Solinas qui devient son scénariste de prédilection. Les deux hommes admirent le livre de Primo Levi, Si c’est un homme, et décident de tenter d’en transmettre l’esprit dans un film. Ce sera Kapo (1959), l’histoire d’une jeune juive internée dans un camp de concentration où elle devient l’auxiliaire des nazis. Solinas et Pontecorvo s’affrontent sur un point : le premier veut insérer une histoire d’amour dans cette évocation de l’infamie où peut sombrer une victime, et le second y est hostile. Franco Cristaldi, le producteur, trouve un compromis : Pontecorvo pourra consacrer les deux premiers tiers du film à montrer le quotidien dans un camp d’extermination, l’histoire d’amour n’arrivant qu’à la fin, pour symboliser la rédemption de l’héroïne. Désigné par Luchino Visconti comme le meilleur film de l’année, salué par Roberto Rossellini, Kapo représente l’Italie aux Oscars. Mais un article de Jacques Rivette paru dans le n°120 des Cahiers du cinéma (« De l’abjection » ) le discrédite à jamais aux yeux des cinéphiles français. Rivette y accuse Pontecorvo d’avoir transformé l’horreur des camps en spectacle, de l’avoir rendue supportable. Surtout, il s’en prend à un bref plan, celui où le personnage d’Emmanuelle Riva court se suicider en se jetant sur les barbelés électrifiés. « L’homme qui décide à ce moment de faire un travelling-avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée (…) n’a droit qu’au plus profond mépris. » Plus tard, Serge Daney fera de cet exemple son dogme.

SENTIMENT D’AUTHENTICITÉ : Atteint par cette polémique, Gillo Pontecorvo va prouver en 1966 qu’aussi maladroit soit le mouvement de caméra de Kapo incriminé, il ne mérite pas cette infamie. Couronné par le Lion d’or de Venise, La Bataille d’Alger relate l’insurrection des membres du FLN et la répression de l’armée française. Pontecorvo y dépeint les rues de la Casbah, la guérilla nationaliste, les attentats dans les cafés ou magasins, les tortures utilisées par les parachutistes pour démanteler les réseaux, avec un souci d’éviter les clichés. Ses images en noir et blanc filmées caméra sur l’épaule donnent un sentiment d’authenticité. Il fallut attendre 1970 pour que ce film financé par le gouvernement algérien soit projeté en France.

Les convictions communistes de Pontecorvo le pousseront à resigner un film anticolonialiste en 1971, Queimada (sur le mécanisme de l’oppression impérialiste aux Antilles, avec Marlon Brando). Dans Ogro (1979), il traite du terrorisme à travers l’attentat qui coûta la vie à un proche collaborateur de Franco. Directeur de la Mostra de Venise de 1992 à 1996, Gillo Pontecorvo avait déclaré en 1983 au Guardian : « Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de juifs italiens. »

Emmanuelle Riva dans « Kapò »

LIBÉRATION DU 14/10/2006

Gillo Pontecorvo, l’arme à gauche, par Antoine de Baecque

Cinéaste italien engagé, l’auteur de «la Bataille d’Alger» meurt à 85 ans.

Gillo Pontecorvo, mort jeudi à Rome à 86 ans, restera dans l’histoire du cinéma à un double titre, qui en fait en France aussi bien un repoussoir pour cinéphiles qu’une icône politique de gauche. Il est à la fois le réalisateur de Kapo (1959), premier film occidental consacré à «remettre en scène» un camp d’extermination nazi, et de la Bataille d’Alger (1965), reconstituant l’un des épisodes les plus sombres de la guerre d’Algérie. Kapo a été dénoncé comme un film obscène. Ce que Jacques Rivette reproche au film, dans les Cahiers du cinéma de juin 1961, est moins son sujet, peinture terrible d’un camp de la mort, que sa forme : avoir reconstitué l’horreur avec un souci esthétique, l’extermination y devenant une chose «joliment filmée».  «Voyez dans Kapo, écrit Rivette en prenant à témoin son lecteur de l’abjection d’un passage où Emmanuelle Riva se suicide en se jetant sur les barbelés, l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris.» Cette phrase de Rivette détermine le point de vue éthique sur le cinéma d’une génération de critiques et cinéastes, qui se reconnaîtront dans un autre texte, de Serge Daney, comme un miroir, le Travelling de Kapo (in Trafic, automne 1992). En 1966, Pontecorvo reçoit le Lion d’or à Venise pour la Bataille d’Alger . Marqué par la guerre d’Algérie, il a travaillé avec Yacef Saadi (qui joue son propre rôle), chef militaire du FLN à Alger, à ce film basé sur ses souvenirs de combat. Tourné avec des non-professionnels (sauf Jean Martin, en colonel Mathieu), la Bataille d’Alger montre avec un réalisme sidérant la lutte pour la Casbah en 1957 entre paras et FLN. Interdit en France, le film finit par sortir en 1971 avant d’être retiré face aux menaces des nostalgiques de l’Algérie française. En 2003, considéré comme un modèle sur la guérilla urbaine, il est projeté au Pentagone en vue de préparer la guerre en Irak. Il ne ressort en France qu’en 2004. Pontecorvo, longtemps communiste, a toujours tourné à gauche : Giovanna (1956), sur une grève des femmes dans une usine textile, Queimada (1971), sur le colonialisme dans les Antilles du XIXe (avec Marlon Brando), Ogro (1979), sur la fin de la dictature de Franco, restant fidèle à sa devise : «Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de juifs italiens.» Mais il illustre aussi l’idée qu’un bon film de gauche est rarement un grand film tout court.

img291/8885/pontecorvocy0.jpg LE FIGARO DU 13/10/2006

Le cinéaste italien Gillo Pontecorvo, décédé jeudi à Rome à 86 ans, restera dans l’histoire du cinéma grâce à son film controversé sur la guerre d’Algérie, interdit de diffusion pendant près de 40 ans en France. Gillo Pontecorvo était reconnu comme l’un des plus grands réalisateurs italiens de l’après-guerre, deux fois candidat aux Oscars, et père de la « Bataille d’Alger ». Cinéaste engagé, Pontecorvo avait déclaré en 1983 au Guardian : «Je ne suis pas un révolutionnaire à tout prix. Je suis simplement un homme de gauche, comme beaucoup de Juifs Italiens.» Né à Pise en 1919, Gillo Pontecorvo se lance d’abord dans des études de chimie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il travaille comme journaliste et messager pour le parti communiste italien. Une fois la paix signée, il devient correspondant à Paris de plusieurs journaux italiens. C’est alors qu’il voit « Paisa » de Rossellini : il abandonne aussitôt son métier de journaliste, achète une caméra et commence à tourner des courts métrages documentaires. Des films à caractère social – En 1956, « Giovanna » relate la grève des femmes dans une usine de tissus. L’année suivante, il tourne son premier long métrage, « La Grande route bleue » (La grande strada azzura), aussi exploité sous le titre «Un dénommé Squarcio». Cette adaptation d’une nouvelle de Franco Solinas, son scénariste de prédilection, décrit la vie difficile d’un petit village de pêcheurs où l’on voit notamment Yves Montand lutter pour nourrir sa famille. En 1959, « Kapo » narre l’histoire d’une jeune fille juive, internée dans un camp de concentration et qui devient l’auxiliaire des officiers nazis. La controverse de la « Bataille d’Alger » – Fortement marqué par la guerre d’Algérie, Gillo Pontecorvo avait très vite songé à réaliser un long métrage sur le conflit, mais celui-ci ne voit le jour que trois ans après la fin des hostilités, lorsque Yacef Saadi, un des chefs militaires du FLN à Alger, lui propose l’idée d’un film basé sur ses propres souvenirs de combat. Tourné avec des non professionnels (excepté Jean Martin, dans le rôle du colonel Mathieu à la tête des parachutistes français), « La bataille d’Alger » traite de la lutte pour le contrôle de la Casbah en 1957 entre les paras français et les hommes du FLN, avec l’usage de la torture d’un côté et les attentats aveugles de l’autre. Interdit en France, le film finit par sortir en 1971 avant d’être très vite retiré des écrans. En 2003, le film, considéré comme un modèle d’enseignement sur la guérilla urbaine, est projeté au Pentagone en vue de préparer la guerre en Irak. Le film ne ressort en France qu’en 2004, presque 40 ans après sa réalisation. Le colonialisme avec Marlon Brandon – Après « La bataille d’Alger » en 1965, il revient en 1971 avec « Queimada » sur le colonialisme, cette fois dans les Antilles du XIXe siècle. L’histoire du cinéma a surtout retenu les caprices sur le plateau de la star Marlon Brando. En 1979, il tourne son dernier long métrage, « Ogro », qui traite du terrorisme à travers le meurtre du successeur du général Franco, et de la fin d’une dictature.

L’HUMANITÉ DU 14/10/2006

Gillo Pontecorvo,le réalisateur de la Bataille d’Alger n’est plus, par Dominique Widemann

Disparition . Le réalisateur italien laisse une oeuvre cinématographique au service de la vérité. Son engagement, son humour et sa modestie vont manquer.

Gillo Pontecorvo, c’était l’Italie et le cinéma dans ce que ce pays a pu donner de meilleur. Diplômé de chimie, journaliste communiste, correspondant de presse à Paris où il assiste Yves Allégret et le critique de cinéma Joris Ivens, Gillo Pontecorvo deviendra l’assistant-réalisateur d’un autre communiste, Francesco Maselli, et celui de Mario Monnicelli, tout en s’essayant lui-même à la réalisation. Né à Pise en 1919, Gillo Pontecorvo, fait ses débuts au cinéma en 1955 avec Giovanna, un épisode du film la Rose des vents qui ne verra jamais le jour car en partie financé par la République démocratique allemande. C’était l’histoire de quatre femmes filmées par quatre réalisateurs de quatre pays. Les Soviétiques firent capoter l’affaire parce qu’ils n’aimaient pas l’épisode de Guerassimov. Pontecorvo, quelques décennies plus tard, s’amusait d’avoir pu, malgré tout, conserver une copie de son travail. Après ce récit de l’occupation d’une petite usine textile d’Italie centrale par des femmes, il s’emploie à réaliser la Grande Strada azzura (la Grande Route bleue devenue en français Un nommé Squarcio) avec Yves Montand, Alida Valli et Francesco Rabal, l’histoire d’un pauvre pêcheur de la côte dalmate. Bien que le film ait obtenu le prix de la mise en scène au Festival de Karlovy Vary, Pontecorvo le jugera a posteriori « assez médiocre », affirmant que l’émotion, la recherche de langage si importante dans son travail n’avaient trouvé d’accomplissement stylistique que dans Kapo, tourné en 1959. Le film, primé dans tous les festivals où il fut présenté, raconte le parcours d’une jeune fille juive qui, internée dans un camp de concentration, devient l’auxiliaire des nazis.

Carte blanche pour Pontecorvo

Gillo Pontecorvo, auréolé de succès, aurait pu à ce moment-là choisir de mettre en scène n’importe quel sujet. Un projet lui tenait particulièrement à coeur : réaliser un film sur le colonialisme. Avec Franco Solinas, scénariste de haute volée, il écrit une histoire intitulée Paras qui se déroule en Italie puis en Algérie. Le producteur, effrayé par l’OAS, renonce. L’Algérie propose alors à Pontecorvo et Solinas un film sur la lutte de libération algérienne. Le cinéaste accepte à condition d’avoir carte blanche. Ce sera la Bataille d’Alger. Yacef Saadi, qui avait été l’un des chefs de la résistance algérienne et le chef politique du FNL pour la région d’Alger, tiendra son propre rôle. À l’exception du colonel Mathieu, interprété par l’acteur Jean Martin, tous les personnages du film sont des amateurs. Pontecorvo et Solinas s’étaient livrés à un important travail de préparation, en Algérie comme en France où ils rencontrent gradés de haut rang pour avoir leur son de cloche. Le scénario est écrit en deux mois et ne laisse aucune place à l. Le tournage s’effectue avec l’aide de nombreux Algériens soucieux de participer à un film qui les concerne. Pontecorvo, qui aimait la musique au point d’avoir rêvé de devenir compositeur, s’attache à une partie de la musique du film et confie l’essentiel à un jeune compositeur de l’époque, Ennio Morricone. Le réalisme du film, qui doit ressembler à des actualités filmées, est travaillé jusque dans le choix précis du grain de la pellicule. L’effet est saisissant. Prêt à temps pour être présenté à la Mostra de Venise de 1966, la Bataille d’Alger y obtient un lion d’or qui sera suivi de nombreuses autres distinctions. Sa sortie en France est prévue dans la foulée. Il n’en sera rien. Au miroir de ce que le pouvoir et les médias appellent alors et pour longtemps « les événements » d’Algérie, le film ne reçoit son visa d’exploitation qu’en 1970. Quelques salles le programment courageusement. Les manifestations d’extrême droite réelles ou annoncées parviennent à faire en sorte que le film soit interdit de projection en raison des « troubles à l’ordre public » qu’il engendrerait. Le 4 juin dans les colonnes de l’Humanité, notre camarade François Maurin écrit : « Laissera-t-on l’OAS dicter sa loi ? » Puis le 5 juin : « Céder aux fascistes ? » et le 6 juin : « La Bataille d’Alger, un film adulte pour un public adulte ». Il faudra pourtant attendre 1971 pour que le film sorte normalement. Une première reprise a lieu en 1981. En 2004, il ressortait en salles, après sa présentation dans la section Cannes Classics du Festival. Un nouveau public a pu découvrir cette magnifique leçon de cinéma.

« la dictature de la vérité »

Gillo Pontecorvo, qui prétendait modestement que l’ensemble de sa carrière tenait en six films, a pourtant réalisé en 1984 l’Adieu à Enrico Berlinguer, court métrage collectif. En 1989 ce sera Douze Réalisateurs pour douze films ; en 1997 Nostalgia di protezione dans le cadre du film les Courts Métrages italiens, puis un autre film collectif et militant réalisé sur le contre-sommet de Gênes, Un autre monde est possible (2001) et encore Florence, notre demain, aventure semblable portant sur le Forum social européen (2003). Ajoutons que le succès de la Bataille d’Alger avait permis à Pontecorvo de diriger Marlon Brando dans Queimada, en 1969, film sur un soulèvement des Noirs aux Antilles en 1845. Il fut également le patron de la Mostra de Venise de 1992 à 1995, fonda en 1993 l’Union mondiale des auteurs. Toujours amical et chaleureux, plein d’humour et de verve, Gillo Pontecorvo s’était confié à notre journal en 2004, au cours d’un long entretien réalisé par Jean Roy (voir notre édition des 22 et 23 mai 2004). Le cinéaste réitérait alors sa foi en « la dictature de la vérité », vérité au service de laquelle il devait placer toutes les fictions qu’il eut le grand art de nous offrir.

L’ÉTAT DE GRACE

Anne Consigny, « Mme la présidente », comme Al Gore, travaille avec « Apple » !

A voir le sieur Patrick de Carolis, faire des vœux pieux dans un numéro de septembre de « Télérama », on pouvait se demander s’il y a actuellement, des améliorations dans la fiction française via le service public. Il fallait le voir, figurer dans ce magazine, posant façon style Harcourt, avec un sourire encore plus effrayant que celui de Jean Lecanuet – mon traumatisme enfantin ! – Il est vrai que l’on peut avoir une certaine lassitude via bien des téléfilms, et retrouver un ennui habituel face à nos héros récurrents récurés. La fiction France Télévision  a souvent des qualités, quand elle table toujours sur les sujets de sociétés « Harkis », ou les téléfilms historiques « Les vauriens », « La volière aux enfants », etc… », en attendant la nouvelle mode des adaptations de faits divers.  Mais on le sait, on peut se souvenir des témoignages de scénaristes dans feu la revue « Synopsis », pour passer au Prime time, il ne faut surtout heurter personne, et surtout ne faire aucune preuve d’originalité. Petit saut chez « L’état de Grace », en 6 épisodes, réalisé par Pascal Chaumeil. C’est bien Grace et non grâce, c’est un jeu de mot infâme avec le prénom du personnage principal, enceinte durant son quinquennat -. Le public a boudé dès les premiers épisodes – les deux premiers épisodes furent classés 4ème en résultat d’audience ! -. Mais la distribution particulièrement brillante et le sujet abordé – la représentation des politiques – pouvait titiller notre curiosité. Cette mini série est présentée sous le format de 52minutes. C’est ici un procédé particulièrement roublard – le tout ne dépasse pas en fait les 100 minutes -, ce découpage permet en fait de placer entre les deux épisodes un écran de pub supplémentaire en contournant la législation, de là à croire que l’on nous prend pour des cochons de payants… Grace Bellanger – la délicieuse Anne Consigny, qui danse ici le tango comme dans le subtil « Je ne suis pas là pour être aimé » -, venant de la société civile et du militantisme, a été élue présidente de la République Française. C’est un coup de tonnerre dans le Landerneau politique, elle était au second tour face à face avec le socialiste Victor Tage – l’excellent André Marcon, pas vraiment gâté par son son rôle -, qui se retrouve Premier ministre, et la première présidente de la France, s’entoure de conseillers, et combat pour maintenir sa probité face aux arcanes du pouvoir et des sondages en baisse. La France est à la fois devenue le pays des fées, sorte de royaume d’opérette, avec une petite touche de cauchemardesque cependant, Ariane Massenet étant ici une animatrice à part entière ! – il faut la voir, tétanisée, avec l’aisance d’un condamné à la chaise électrique -. Évidemment quand on voit le romanesque de nos deux précédents présidents de la République, entre maladie, nudisme sur son lieu de vacances, bestiaire amusant, chiens ou canards, trahisons, cocufiages, passés troubles divers, on se dit pour reprendre un mot de Patrice Delbourg que la réalité dépasse l’affliction.

Anne Consigny & Zinedine Soualem

Évidemment, la fiction paraît bien mièvre en comparaison, on peut constater le même problème avec « Président », pâtissant de la mise en scène pataude de Lionel Delplanque, et où malgré le talent d’Albert Dupontel, on ne croit guerre à cette incarnation de cette personnification de l’État. Il fallait un peu plus de tonus, d’irrévérence et de crédibilité, à l’exemple des anglais dans « Les années Tony Blair » ou « The Queen », qui sort la semaine prochaine. Le scénariste Jean-Luc Gaget, peut être bridé par des cahiers des charges restrictifs, nous raconte une bluette, sans trouver ses marques. Il se perd en de toutes petites évocations de notre réalité – reprise du pssshittt chiraquien -, évocation plombée de personnages réels – Edith Cresson sacrifiée sur l’autel du machisme, Chirac réduit à être un ventre, Marc-Olivier Fogiel – au service du pouvoir, le dialogue précisant « Il nous doit bien çà ! » -. En prime, il s’auto cite, le personnage joué par Michèle Godet se nomme Clémence Acéra en référence à son film comme réalisateur. Il y a pourtant la caution de Christophe Barbier – chroniqueur régulier dans une émission d’Yves Calvi sur la Cinquième -, mais ces greffons ne font que surligner l’incohérence de l’ensemble. On pouvait voir à la rigueur, la réaction d’un homme désemparé de voir sa femme le dépasser. Dans cet emploi de « first man »,  Frédéric Pierrot fait ce qu’il peut pour animer l’ensemble. Mais son machisme et son problème de couvade flirtent avec la guimauve. La charge contre le pouvoir de l’image est bien niais, à l’instar de l’interminable casting du chien Jean-Paul. Les 6 épisodes semblent délayés, et la satire bien inoffensive. On peut sourire, notamment avec Martine Chevallier en mère dragon de Mme la présidente, où quand on voit André Marcon se servir d’un « Sac à hurler » – qui permet de crier sans se faire entendre -. Mais les personnages sont très caricaturaux, malgré le grand talent des acteurs, voir la distribution que j’ai complétée sur IMDB, il manque encore les noms des participants aux deux derniers épisodes, mais on dépasse déjà les 100 noms. Zinedine Soualem insuffle un peu d’humanité à son rôle de confident, Daniel Martin – son rôle est trop court – est formidable en leader de l’opposition particulièrement retord,  Bernard Ballet en père un peu paumé, Marie-Sonha Condé est irrésistible en séguélette – elle veille sur l’image de Mme la présidente -, Yves Jacques en conseiller qui se déride, Annelise Hesme est ravissante… Le moindre petit rôle est joué par de brillants comédiens, Philippe Laudenbach en serveur dissertant sur les estomacs de politiques, Jean-Pierre Becker en chef des Renseignements Généraux travaillant dans le secret, Rémy Roubakha en kiosquier sympathique, etc… reste que les rôles sont un peu légers pour une telle distribution. La mise en scène est très sage, même quand elle pille « Six feet under », avec des numéros musicaux rêvés ou des interventions intempestives des personnages à la Blier, regard caméra. Mais, quand on voit, l’audace, l’imagination et le talent aux États-Unis, dans les séries estampillées HBO, on se dit que décidément nos fictions TV traînent laborieusement la patte. Si la tâche de Patrick de Carolis, est de nous jeter dans un sommeil profond, en période électorale, il a pleinement rempli sa mission.

MORT DE DANIÈLE HUILLET

Jean-Marie Straub & Danièle Huillet

Nous avons ce jour, une pensée pour Jean-Marie Straub, à l’annonce de la mort de sa femme, Danièle Huillet, des suites d’un cancer, avec laquelle il fit un cinéma exigeant et radical.

Filmographie : Comme réalisatrice, auteur, monteuse et productrice, avec Jean-Marie Straub : 1962  Machorka Muff (CM) – 1965  Nicht versöhnt  oder es hilft nur gewalt wo gewalt herrscht (Non réconciliés : seule la violence aide où la violence règne, MM) – 1967  Chronik der Anna Magdalena Bach (Chronique d’Anna Magdalena Bach) –  1968  Der bräutigam, die komödiantin und der zuhälter (Le fiancé, la comédienne et le maquereau, CM) – 1969  Othon / Les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer ou peut-être qu’un jour Rome se permettra de choisir à son tour – 1972  Einleitung zu Arnold Schonbergs « Begleitmusik zu einer Lichtspielscene »  (Introduction à la musique d’accompagnement pour une scène de film d’Arnold Schonberg) (CM) – Geschicht Suntericht (Leçons d’histoires) – 1974  Moses und Aaron (Moïse et Aaron) – 1976  Forti Cani / I cani del Sinaï / Die hunde von Sinai (Les chiens du Sinaï ) – 1977  Toute révolution est un coup de dés (CM) – 1979  Dalla nube alla resistenza / Von der wolke zum Widerstand (De la nuée à la résistance) – 1980  Trop tôp, trop tard – 1982  En rachâchant (CM) – 1984  Amerika, klassenverhältnisse (Amerika, rapports de classe) – 1986  Der Tod des Empedokles oder wenn dann der erde grün von neuem euch erglänzt (La mort d’Empédocle) – 1988  Schwarze Sünde (Noir péché ) – 1989  Cézanne (documentaire, CM, + narration) – 1992  Antignone –   1995  Lothringen ! (CM) – 1996 Von heute auf morgen (Du jour au lendemain) – 1998  Sicilia ! – 2000 Operai e contadini  (Ouvriers, paysans) –2003  Le retour du fils prodigue / Humiliés – 2004  Une visite au Louvre (documentaire) – 2006  Quei loro incontri (Ces rencontres avec eux) – Interprétation : 1971  Obrigkeitsfilm (Vlado Kristl) – 1983  Jean-Marie Straub und Danièle Huillet bei der arbeit an einem film (Harun Farocki, CM) – 1984  Cinématon N° 343 (Gérard Courant, CM) – 1999  Die musik seid ihr, Freunde ! – Danièle Huillet und Jean-Marie Straub bei der Arbeit an ihrem Film Sicilia ! (Andreas Teuchert, documentaire) – 2000  Sicilia ! Si gira  (Jean-Charles Fitouni, CM) – 2001  Cinéma de notre temps : Danièle Huillet / Jean-Marie Straub : Où gît votre sourire enfoui ? (Pedro Costa, documentaire, TV) –Montage seulement : Jane erschießt John, weil er sie mit Ann betrügt (Rudolf Thome, CM).

Signalons également la mort de Jean-Pierre Dougnac, dont on peut lire le portrait chez « Les gens du cinéma » et de l’égérie de la « Blaxploitation », Tamara Dobson, célèbre Cleopatra Jones.

DANS PARIS

Troisième film de Christophe Honoré, auteur complet avec « Dans Paris », écrit et tourné à toute berzingue a été présenté et salué à la quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes, en mai dernier. C’est incontestablement un auteur doué, trouvant ces marques malgré quelques afféteries dans ces deux premiers films. 17 fois Cécile Cassard a donné l’un de ses meilleurs rôles à Béatrice Dalle, et avait révélé un grand talent de composition chez Romain Duris – on se souvient de son interprétation de la chanson de « Lola » de Jacques Demy -, et « Ma mère », cherchait à trouver une équivalence dans l’œuvre majeure de Georges Bataille, avec un certain trouble. Pour la petite histoire, on se demande d’ailleurs ce vaut l’adaptation de « l’histoire de l’œil »  par le Belge Patrick Longchamps en 1975, intitulé « Simona », mais il faut préciser que Marcelle, l’adolescente est jouée par la pulpeuse Laura Antonelli ! Christophe Honoré trouve ici son rythme, son style est littéraire, mais c’est brillant et jamais écrasant. Guillaume – Romain Duris -, vit une sorte d’abattement moral suite à un chagrin d’amour avec sa compagne, Joanna, mère d’un petit garçon – singulière Joana Preiss, vue déjà dans « Ma mère » et qui a une très forte présence -. Il s’installe chez son père Mirko – Guy Marchand – et prend possession de la chambre de son jeune frère Jonathan, un infatigable jouisseur, énergique et un peu cradingue – Louis Garrel -, qui dort lui sur le canapé. La petite famille ne communique pas beaucoup, surtout depuis un drame familial que tous évitent d’évoquer -. Pour aider son frère, il va vivre avec intensité, pour faire vivre un peu par procuration son frère qui reste cloîtré dans sa chambre. Il décide de faire une course, jusqu’au « Bon marché » pour découvrir les décorations de Noël, Honoré retrouvant ainsi l’esprit de Jean-Luc Godard de « Bande à part », quand Anna Karina, Sami Frey et Claude Brasseur traversent le Louvres à toute vitesse. La grande idée du film, c’est l’inversion des emplois, on attendait évidemment Louis Garrel dans le rôle du dépressif comme son personnage dans « Ma mère » et Romain Duris dans le rôle du frère porteur d’énergie.

Guy Marchand & Louis Garrel

Louis Garrel est étonnant, l’on songe bien évidemment à Jean-Pierre Léaud – qui est un grand comédien, rappelons le sans cesse, et qui est d’ailleurs son parrain, Romain Duris dans l’introversion est ici, très touchant. On a plaisir à retrouver Guy Marchand, dans la tonalité qu’il avait dans les années 70-80, chez Maurice Pialat ou Claude Miller. Il est irrésistible en papa « bouillon de… » poule, aux portes de la précarité. Drôle et touchant, refusant devoir son neurologue, suite à des soucis de santé, c’est l’abattement de son fils qui le force à réagir. Il faut le voir transporter un énorme arbre de Noël, retrouver les mécanismes de la dispute avec son ancienne femme – Marie-France Pisier, sa partenaire dans « Cousin-Cousine » (Jean-Charles Tacchella, 1975). Cette dernière dans un bref rôle, est marquante dans la dureté et la sécheresse de cœur de son personnage. Si le film parfois arrive à trouver son rythme, le regard caméra de Louis Garrel fait un peu procédé, l’ensemble est cohérent, intense et très vivant. L’écueil des citations, est évité, le réalisateur digérant le travail de ses grands aînés, avec humour et irrévérence. S’il cite « La maman et la putain » – un de mes films de chevet – quand trois personnages couchent dans le même lit, la chanson au téléphone entre Romain Duris et Joana Preis évoquant irrésistiblement l’univers de Jacques Demy, ou la séance de lecture dans « Domicile conjugal » entre Claude Jade et Léaud, c’est pour mieux trouver un moteur car le film est bien ancré dans notre société contemporaine, avec une désillusion et le deuil d’une perte de l’innocence bien dans l’air du temps. . . Les « passantes » qui gravitent autour de Jonathan trouvent aussi une consistance, citons Alice Butaud, dans le rôle d’Alice, subtile dans un rôle de jeune femme blessée et un peu revancharde. La vision d’un Paris hivernal, débarrassé de ces clichés me semble formidablement juste.

INDIGÈNES

Amis blogueurs arrêtez de bloguer, citons en exemple hier un de mes concitoyens de 61 ans, Alain J. ayant traversé une période d’exil et de recul… Il avait, pour meubler cette période d’incertitude, ouvert son blog. A son retour il abandonne ce support, et tout lui souri, à méditer… Désolé, mais je dois surmonter un certain dégoût depuis que j’ai vu, dans le zapping de Canal+, le sinistre ludion écrivaillon Nicolas Rey – qui ne mérite pas sa presque homonymie avec Nicholas Ray, le cinéaste -, boire dans la bottine de l’infâme Alexia Laroche-Joubert dans « En aparté »… On attendait mieux de Pascale Clark, son émission pouvant désormais s’appeler « L’auberge espagnole ». Pitié Pascale ! on voit suffisamment d’horreurs en ce bas monde… Je digresse de plus en plus, c’est grave docteur ?

Parlons du film qui a touché notre vénérable président – enfin ce qu’il en reste -, « Indigènes ». Soucieux de ne pas laisser seulement lors de son passage à l’Élysée, le seul souvenir d’avoir celui qui a réhabilité le néologisme « abracadabrantesque », il daigne enfin s’occuper de la question des pensions versées aux anciens combattants. Tardive consolation pour ces vétérans de la seconde guerre mondiale, venant du Maghreb et d’Afrique noire, certains vivant dans des foyers Sonacotra -, avec un l’effet non rétroactif à déplorer. Organisons-lui donc des projections privées à l’avenir, la « Raison du plus faible » de Lucas Belvaux par exemple, sur la précarité, si ça semble le réveiller un peu. Pourvu que ne lui montre pas des classiques, comme « Vos gueules les mouettes », de Robert Dhéry, il va y voir un message contre une certaine nuisance sonore durant cette campagne électorale pourtant d’une grande tenue. Et le film lui-même… et bien il fait mentir  l’adage, « Les grands sujets ne font pas forcément des bons films ». Au-delà du devoir de mémoire, son cinéaste Rachid Bouchareb, 5 ans après le poignant « Little Sénégal », nous invite à découvrir ce point d’histoire méconnu, salutaire en cette période où de nombreux politiques continue à vanter les mérites de la colonisation des pays africains par la France, avec une arrogance ethnocentrique. Le film est porté par ses cinq interprètes, tous formidables. Jamel Debbouze dans le rôle de Saïd, est émouvant quand il sort du giron de sa mère pour s’affirmer, et découvre sa rage de se défendre quand on l’humilie. Sami Bouadjila dans le rôle d’Abdelkader, joue le soldat le plus instruit de ce bataillon, il est en attente de reconnaissance – Le réalisateur Jean- Pierre Sinapi, avec raison évoquait à son sujet la classe d’un Marcello Mastroianni -. Roschdy Zem dans le rôle de Messaoud, est excellent  et touchant quand il tombe amoureux d’une belle marseillaise, Samy Naceri dans le rôle de Yassir, violent mais qui protège son père et Bernard Blancan, est très convaincant dans un personnage complexe. Dans le rôle de Martinez, un sergent « pied-noir » en prise avec ses contradictions, finit par nous donner une véritable empathie avec son personnage. Il confirme ici son grand talent, après son personnage touchant et lunaire de Cloclo dans « Peau d’homme, cœur de bête » (Hélène Angel, 1999). Le prix collectif d’interprétation à Cannes est donc amplement mérité. Le film a une grande qualité pédagogique, mais sans manichéismes, les personnages ne sont pas des héros, ils ont des faiblesses à l’instar de Yassir n’hésite pas à piller ses ennemis. Ce sont des individus qui cherche à survivre, qui cherche à s’en sortir, ballottés par le destin et en prise avec une armée française qui ne cesse de les dénigrer…

Bernard Blancan & Jamel Debbouze

S’ils obtiennent de l’estime, c’est surtout pour mieux être manipulés, comme le fait le personnage du colonel joué par Antoine Chappey – épatant -, qui propose une émulation factice au petit groupe, pour mieux sauvegarder ses intérêts. Il était important ici de garder la langue arabe, lien très fort entre ses soldats inconsidérés, le retour à cette langue maternelle, est aussi ici un refuge contre toutes les épreuves. Il y a beaucoup d’humanité ici, et pas seulement pour les soldats, mais aussi pour toutes les victimes de la guerre, comme ces villageois du Bas Rhin, montrant simplement – par des saluts amicaux, ou pour par la cuisine comme le fait une vieille dame -, la reconnaissance devant les libérateurs. Comme disent si bien, les personnages du film, les balles allemandes ne font aucune différence entre les nationalités. Les effets spéciaux guerriers signés les « Versaillais » sont très probants. On retrouve un souffle épique, rare dans notre cinéma. Les scènes de guerres, sont particulièrement réalistes, évitent tout manichéisme. Les scènes de désolations, de villages détruits, où l’on retrouve des carcasses de chevaux morts, sont ici très justes, on ne souffre pas ici d’un effet de reconstitution. La musique de Armand Amar et Khaled, évocatrice de souvenirs et d’un paradis perdu pour les soldats est ici simplement magnifique. Saluons dans de brefs rôles Mélanie Laurent dans une scène très émouvante face à Jamel Debouzze, l’indispensable Philippe Béglia, qui arrive à faire exister un ancien ministre vichyste en un seul plan, Assad Bouab dans le rôle de Larbi ou Thomas Langmann qui ne fait plus que de simples apparitions – il participe ici à production -, alors qu’il était un excellent acteur dans les années 90, c’est dommage. Il faut saluer la détermination de toute l’équipe du film, pour donner le plus de chances possibles à ce film, on le sait Jamel Debbouze a beaucoup apporté à ce film – il s’est beaucoup investi dans ce film, et a trouvé avec le Maroc par exemple quelques partenaires -. Il y a beaucoup d’émotions et d’authenticité, jusqu’à la dernière scène sobre et retenue. Pour terminer saluons Bernard Blancan, qui dans son site officiel, nous propose son blog : Blancan… Journal d’un comédien qui est superbement écrit. Il relate avec humour son parcours de comédien, ses joies ou ses incertitudes avec beaucoup de retenue et de modestie. Une réussite de la blogosphère…

COURS, JEAN-BAPTISTE, COURS…

Évidemment c’était une gageure d’adapter « Le parfum », beau roman de Patrick Süskin et succès mondial de librairie, ce dernier lâchant enfin les droits en raison de la forte insistance de son compatriote, le producteur Bernd Eichinger – producteur du douteux « La chute » -, avec ce film « Le parfum, histoire d’un meurtrier ». On le sait Stanley Kubrick, Milos Forman, Steven Spielberg, Martin Scorsese, Ridley Scott, Tim Burton, sans oublier Patrice Leconte – que la réussite du « Mari de la coiffeuse » pouvait légitimer -. On se demande ce que fait ici le tâcheron Tom Tykwer dans cette entreprise– du moins avec le souvenir de « Cours, Lola, cours », et qui participe en prime à la sirupeuse du film. On découvre donc le destin de Jean-Baptiste Grenouille, né en 1744 d’une femme accouchant et abandonnant son enfant dans un marché aux poissons. Heureusement pour lui, il a un sens très fort de la survie et un odorat hors du commun. Vendu par un orphelinat à une tannerie, il livre un jour des peaux à un célèbre parfumeur. Il va chercher à s’imposer pour arriver à finaliser son obsession, conserver le parfum des femmes… Malgré une débauche de moyens, il n’arrive qu’à une veine illustrative, sans susciter aucune émotion. Je dois confesser ici un ennui profond. Avec le souvenir de la lecture lointain mais persistant du livre, on finit par faire des allers-retours avec les deux œuvres, histoire de se lamenter un peu. On déplore une figuration particulièrement statique, au mieux cela figure un champ d’oignons. La reconstitution est ici compassée et on ne retrouve aucun souffle, aucune vie, même dans un champ de lavande. Tout ici sent le « Matte painting » à plein nez ! (arf, arf).  On pouvait attendre mieux, que certaines ellipses, notamment la scène où Grenouille devient ermite dans sa grotte, traitée ici de manière particulièrement anecdotique. Le réalisateur voulant sans doute jouer sur le réalisme, confine sa restitution dans le misérabilisme.

Dustin Hoffman & Ben Whishaw

L’ensemble finit par sombrer dans le grotesque, on finit par ricaner, à voir la mort implacable des personnes quittant notre Grenouillot. Le réalisateur multiplie les maniérismes, des plans de petit malin d’introspection nasale, ou la caméra placée à l’intérieur d’une distillerie, avec des ralentis poussifs ou des accélérations soudaines. C’est un aveu patent d’impuissance à animer l’aseptisation générale dans ce musée Grévin boursouflé. Certes traduire le sens olfactif à l’écran était compliqué, la littérature de Süskin avait un fort potentiel de suggestion. Mais tout ici est vain, le réalisateur échouant lamentablement ici, le frémissement des narines grenouillettes, et une bande-son exacerbée confinant au grotesque. Mais on pouvait espérer au moins un peu de sensualité, même le pataud « Chocolat » de Lars Hallström était plus évocateur. Quant au morceau de bravoure final attendu, c’est un sommet de fadeur. La direction d’acteur laisse à désirer, Dustin Hoffman en roue libre dans le rôle de Baldini, parfumeur poudré à la ramasse, arrive un peu à tromper notre ennui, la présence butée de l’Anglais Ben Whishaw, n’est pas idéale pour avoir de l’empathie avec personnage, la belle allemande Corinna Harfouch fait de la figuration intelligente dans le rôle de Mme Arnulfi, Sarah Forestier ne fait que trépasser. Et Rachel Hurd-Wood, sorte de clone de Franka Potente dans « Cours, manque sérieusement de charisme,  le réalisateur semble faire une fixette sur les Lolita à cheveux rouges, au moins il se fait plaisir… Seul Alan Rickman, en père possessif arrive à tirer un peu son épingle du jeu avec autorité. Autre écueil l’utilisation de John Hurt comme récitant. Pourquoi pas se servir de la voix-off comme rustines aux faiblesses du scénario, le comédien anglais pouvant formidablement évoquer certaines émotions. Le problème est que Hurt était aussi le récitant de « Dogville » et « Manderlay », œuvres audacieuses et stylisées du grand manipulateur Lars Von Trier. Le souvenir de la narration de ces deux films, ne font que souligner la platitude de l’ensemble. A noter que Jacques Perrin est le récitant français. Nous ne sommes pas loin d’un désartre. Mais le film semble avoir ses fans, notamment en Allemagne où il triomphe.

SI TU ES GAY, RIS DONC…

Avant-première le 3 octobre à l’UGC cité-ciné Bordeaux de « Poltergay » en présence de l’équipe du film. C’était une belle consolation pour mézigue, pour avoir raté dans ce lieu, des rencontres au mois de septembre avec excusez du peu, Jamel Debbouze, Bernard Blancan, Rachid Bouchareb, Emmanuel Bourdieu, Jean-Pierre Darroussin, Asia Argento, Tony Gatlif et Bruno Dumont. Éric Lavaine très en verve – il a participé à l’écriture des « Guignols » et de la série « H », et avait réalisé « Le 17 » -, éphémère sitcom  avec Jean Benguigui et Jean-Paul Rouve, tenait à présenter le film. Il a commencé par nous faire peur, en nous précisant que des fantômes existent à Bordeaux… En effet il nous citait l’exemple d’un individu ayant disparu pendant un an, et qui circulerait beaucoup en ce moment pour retrouver ses anciennes responsabilités… Renseignement pris, c’est même un ancien collègue blogueur, mais son blog, bien que non hébergé chez 20six, fabrique ectoplasmique, mord désormais, lui les pissenlits par les racines. Je crois que le réalisateur a raison, je dois témoigner aussi de phénomènes inexpliqués et paranormaux dans cette fille. En effet, j’arpente chaque jour la même rue, et je vois la bobine de l’ancien spectre en question sur des affiches électorales, salués par quelques citadins inscrivant quelques noms d’oiseaux sur la relative honnêteté du susdit candidat. Comme par miracle, les affiches redeviennent immaculées chaque matin ! Dans le petit matin blême, l’effroi est saisissant. Si ce n’est pas un phénomène à la « X-files » !. Il y a matière à un débat à la con chez feu Stéphane Bern, chez (F)rance 2, dirigé par aussi un esprit frappeur n’ayant pas survécu d’être le biographe officiel de Bernadette C. Après ses digressions cinquièmedimensionesques sans aucun intérêt,  venons au sujet du film. Marc – Clovis Cornillac, remarquable comme à l’accoutumée -, s’installe avec l’amour de sa vie – Julie Depardieu -, dans une grande maison isolée. Comme il est chef de chantier, il rénove ce bâtiment, abandonné depuis 30 ans. Mais ce lui, est une ancienne boîte de nuit homosexuelle, « L’ambigu », lieu d’un incendie accidentel en 1979. 5 ectoplasmes « gay » sont prisonniers du lieu depuis ce drame. Esseulés, et confinés dans la cave, ils sont émoustillés par le corps d’athlète de Marc – Clovis Cornillac, s’étant entraîné de manière spectaculaire pour interpréter un champion de boxe-thaï -…

Julie Depardieu & Clovis Cornillac

Taquins, narquois, versions discos d’Albin Mougeotte, ils ne cessent d’importuner Marc, et bien évidemment Emma, ne voit rien. Il demande conseil à son meilleur ami, David, médecin de nuit cocufié par la belle Anne Caillon – non, elle n’est pas coupée au montage cette fois… Je devine déjà vos sarcasmes -.  pensant que de fantasmes à fantômes il n’y a qu’un pas, y voit un symptôme d’homosexualité refoulée pour Marc… L’idée de base, qui en vaut bien une autre, on se demandait si ce divertissement pouvait tenir la route… Porté par de formidables comédiens, cette comédie enlevée se révèle finalement très probante, proposant en passant une petite ode sur la tolérance. Éric Lavaine, joue avec les poncifs, avec la formidable idée de prendre des comédiens inattendus et excentriques pour jouer des stéréotypes de « folles furieuses ». Il faut voir Lionel Abelanski – voir note d’hier -, Gilles Gaston-Dreyfus inconditionnel du repassage coiffé d’une improbable perruque blonde, Jean-Michel Lahmi, en timide en quête de son identité, Philippe Duquesne destroy, brodant partout des symboles phalliques et qui nous livre un véritable morceau d’anthologie dans son plaidoyer de l’hétérosexuel landa, sans oublier le nouveau venu Georges Gay (sic), grand échalas survolté. Les voir danser au son de « Rasputin » vaut son pesant de cacahuètes, ils arrivent à glisser chacun une émotion alors que l’on pouvait présager une lourde caricature. Le quintet est absolument remarquable. C’est la première rencontre à l’écran de Clovis Cornillac et Julie Depardieu – ils partageaient l’affiche de « Un long dimanche de fiançailles », mais ils n’avaient pas de scènes ensemble -. Ils montrent à nouveau leurs grands talents, car il faut arriver à exister face à 5 voleurs de scènes spectraux particulièrement redoutables. Ils ont d’ailleurs fait des suggestions sur le film, comme la belle scène de la pomme, proposée par Cornillac, à la réécriture du rôle féminin qui n’existait pas véritablement dans la première version du scénario. Julie Depardieu, à nouveau subtile – chantant joliment « Born to be alive » -est idéale pour jouer un contrepoint inquiet à cette farce, aidant à la crédibilité de la situation.

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Lionel Abelanski, Philippe Duquesne, Georges Gay, Clovis Cornillac, Gilles Gaston-Dreyfus & Jean-Michel Lahmi.

Les autres comédiens sont à l’unisson, dont Michel Duchaussoy décalé en médium amateur de McDonald’s, Christian Pereira en beau-père bougon appréciant modérément son gendre, Thierry Heckendorn en patron vindicatif, Gérard Loussine en flic sarcastique, Christophe Guybet en dragueur d’hétéros ou Michel Modo en cafetier sensible, plus quelques surprises, comme le retour de Stefano Cassetti ou l’invité surprise du dernier plan. Le débat d’après film, fut absolument jubilatoire, en effet outre la venue de Clovis Cornillac et Julie Depardieu, nous avons eu la surprise de découvrir une chorégraphie hilarante de nos cinq fantômes au complet, porté par un Jean-Michel Lahmi virevoltant, avec un numéro halluciné rodé sans doute chez Édouard Baer, et ponctué par les traits d’esprits d’un Lionel Abelanski en grande forme. Grande et joyeuse animation, une petite fille posant une question sur le chat, on a eu confirmation après « La nuit américaine », de faire tourner des chats dans un film. Il disparaît du film, même avec des doublures, l’animal reste rétif à jouer son rôle. Pour la petite histoire, Marc-Antoine Beldent, ingénieur du son présent ce soir là, a révélé un de ses secrets… Pour obtenir les cris d’un chat apeuré, il a dû écraser les testicules d’un félidé de l’Europe de l’Est ! – mais que fait Brigitte ! -. Jolie rencontre ensuite avec les membres du film, de Julie Depardieu d’une grande franchise, et très critique envers elle même, Clovis Cornillac, toujours aussi disponible et généreux, Lionel Abelanski et Jean-Michel Lahmi rivalisant de sympathie, et Gilles Gaston-Dreyfus et Philippe Duquesne, plus calmes mais avec de la malice. Au final ce film, même s’il n’est pas sans défauts, finit par se distinguer dans le tout venant de la comédie française particulièrement en méforme ces derniers temps.