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MUNICH

   Agréable surprise avec ce “Munich”, évoqué ici tardivement pour cause de migration 20six cataclysmique, et nouvelle preuve de maturité pour son metteur en scène Steven Spielberg, L’atmosphère baignée d’amertume est ici soulignée par la musique de John Williams, et les 164 minutes passent avec aisance. C’est l’adaptation d’un récit partial, “Vengeance of an Israël counter-terrorist team”, de George Jonas, journaliste, privilégiant l’optique de “La loi du talion”, plutôt que celle d’un commando répressif. Le film évoque une étape importante dans le  conflit israélo-palestinien, des événements suivants la prise d’otages des athlètes israéliens en septembre 1972, lors des Jeux Olympiques de Munich, suivie de représailles du Mossad contre les commanditaires palestiniens. Le récit a déjà connu une adaptation dans le téléfilm “Sword of Gideon”, voir fiche IMDB, l’un des derniers rôles de Lino Ventura. Le cinéaste fait l’effort de ne pas prendre parti – d’où de nombreuses polémiques, même si on peut trouver assez improbable les états d’âmes et les dilemmes moraux des agents du Mossad, selon certains témoignages. On peut d’ailleurs lui préférer le regard d’Éric Rochant et ses “Patriotes”, à redécouvrir en DVD. Après un départ probant, des athlètes aident les terroristes à franchir les barrières de sécurité, les prenant pour des sportifs fêtard, la film se perd un peu parfois, malgré l’incarnation inspirée de Golda Meir, et la vie de famille du personnage d’Avner. L’interprétation est assez inégale si on peut saluer la sobriété exemplaire d’Eric Bana et de ses compagnons joués par Daniel Craig – le déterminé -, Hanns Zischler – l’intrépide -, Ciarán Hinds – le sentimental – et Mathieu Kassovitz – l’amateur artificier, excellent comédien on le sait -,  on peut donner un gros bémol à  Geoffrey Rush qui nous offre un de ses cabotinages éhontés dont il a le secret, son personnage n’étant jamais crédible, – piquez-lui son Oscar ! – Nombre de comédiens se contentent d’une apparitions furtives (Valérie Bruni-Tedeschi par exemple), même si certains sont remarquables comme Yvan Attal se régalant visiblement dans un numéro pacinien. 

Eric Bana, Matieu Kassovitz, Ciarán Hinds, Hanns Zischler & Daniel Craig

Mais Spielberg fait l’effort d’utiliser une distribution internationale bien choisie – comme le choix de Hiam Abbass devenue consultante sur tout le film -, de faire s’exprimer certains personnages dans leurs langues. – On retrouve l’habilité habituelle de Steven Spielberg, la richesse de la reconstitution – le cinéphile peut s’amuser avec les affiches ciné françaises choisies -, mais aussi ses maladresses, comme celle du désormais célèbre montage parallèle final, à ranger au même plan que la scène de la “douche” dans la “Liste de Schindler”. La vision finale du Wold Trade Center, loin d’être gênante, c’est bien d’un point de vue post 11 septembre, que Spielberg approche le conflit israélo-palestinien, et donc d’un point de vue bien Américain. Mais le réalisateur privilégie l’option de thriller politique, et utilise le suspense, citant même Alfred Hitchcock et son “Sabotage / Agent secret” (1936), en utilisant une enfant face à la menace d’une bombe. D’où quelques problèmes, les agents étant ici soucieux à ce qu’il n’y ait pas de dommages collatéraux – inexacts dans les faits réels -, gare aux dérives romantiques. Mais il y a de très belles scènes, la manipulation d’agents français, membre d’un mystérieux réseau – forts convaincants Mathieu Amalric & Michael Lonsdale, en patriarche hédoniste  -, l’apparition magique de Marie-Josée Croze, ou l’admirable face à face de deux parties adverses qui s’ignorent, ayant une ébauche de conversation, en hauts d’escaliers. Inégal, voire bancal, le discours est assez attendu mais sincère. Le résultat est finalement étonnant quand on pense au très cours délai de post-production, le tournage s’étant terminé en septembre. Ce nouveau virage chez Spielberg augure de projets intéressants et une capacité de renouvellement, de réflexion, malgré ses petits arrangements avec des faits avérés. Reste le message humaniste, la réponse d’un artiste face à un sentiment d’impuissance. Citons d’ailleurs Hiam Abbass : “Plus tard, quand on a tourné l’exécution des otages, un comédien israélien a craqué et j’ai dû m’éloigner un long moment avec lui. J’étais une mère, une soeur, une psychologue. Et j’ai eu un sentiment que j’avais déjà eu sur le tournage de La Fiancée syrienne : que si on transportait ce conflit sur un plateau de cinéma, il n’y aurait plus de conflit.”  (Le monde, 21/01/2006).  “Syriana” sort mercredi prochain, et offre une autre approche sur un problème contemporain, à comparer…

BROTHERS

 Membre de l’équipe de cinéastes gravitant autour de Lars Von Trier, Susanne Bier suit ici les voies du dogme, avec le bonheur d’un cousinage avec le beau “Festen” de Thomas Vinterberg, auquel on pense beaucoup en retrouvant son protagoniste principal : Ulrich Thomsen. La réalisatrice qui a déjà filmé “Open Hearts” respectant les contraintes du “dogme”, gimmick efficace Vontrierien, cite d’ailleurs ce grand film, avec quelques scènes ironiques de repas, dont une où une petite fille règle ses comptes avec son père. Même si ce film danois n’égale pas la réussite du précédent, le film a une acuité de regard indéniable. Le postulat de départ est le suivant, Michael – Ulrich Thomsen donc – va chercher son frère Jannik de prison – Nikolaj Lie Kaas -. Tout oppose les deux frères qui s’aiment énormément, Michael est le fils préféré de son père, a une épouse sublime – Connie Nielsen, vue il y a peu en femme fatale dans “Faux amis” d’Harold Ramis -, deux filles adorables, un métier solide de militaire, une maison de rêve, Jannik, lui est asocial, a raté lamentablement un braquage de banque, boit beaucoup et est anti-conformiste. Le retour du fils prodigue ne fait pas plaisir à son père, un taiseux patenté, mais Jannik tente de s’intégrer. Michael part lui en mission pour l’ONU en Afghanistan…

Connie Nielsen & Ulrich Thomsen

Sans vouloir déflorer l’histoire, le postulat de départ va être malmené sérieusement. Dans un climat faussement rassurant d’un pavillon familial, un évènement redéfinit les liens, certains étant rapidement effilochés, d’autres se solidifiant. Le scénario d’Anders Thomas Jensen, est brillant et non dénué d’humour, à l’image de la mère de Jannik qui lui prépare un canard, croyant par on ne sait quel quiproquo, que c’est le plat préféré de son cadet.  Les deux frères ont du caractère qu’ils vont utiliser parfois de manière surprenante pour des questions de survie. Comme “Festen” les apparences vont valdinguer, laissant poindre la détresse ou même la folie. Avec beaucoup de pudeur, malgré quelques maniérismes de mises en scènes, comme l’inévitable caméra portée séquelle du dogme – ce film ne respectant pas toutes les contraintes, ne peut donc pas y appartenir – assume ici les névroses de ses personnages. Les acteurs sont solides, la musique est envoûtante. On retrouve de réelles qualités, une aptitude à décrire l’intimité comme une agressivité étonnante. Susanne Bier a réussi à faire un film à l’atmosphère prenante de bout en bout.

NOUVELLE CUISINE

 “Dumplings / Nouvelle cuisine” est un film saisissant et une variation inventive du  mythe de la comtesse Bathory, se nourrissant du sang des vierges pour garder la jeunesse éternelle. C’est la première incursion du cinéaste Fruit Chan dans le cinéma fantastique. Ce film est le prolongement d’un des  sketches “3 extrêmes”, le cinéaste souhaitant développer le personnage de Mei, et en faire un long métrage. Le climat social et la description de la société coréenne déliquescent est ici remarquable – c’est la marque de fabrique du metteur en scène, habitué à dépeindre dit-on la société de son temps. Adapté d’une nouvelle de Lilian Lee, le film met en scène la belle Mei, sorte de sorcière moderne, sans âge et très sensuelle et transfuge de la Chine communiste – exceptionnelle Ling Bai, tricarde à Hongkong par son anticonformisme, elle ici inquiétante, séductrice et désinvolte -, et de Ching Lee – Miriam Yeung Chin Wah, retrouvant l’expressivité d’une actrice de cinéma muet – une ancienne comédienne de sitcom, devenue oisive après un riche mariage avec un homme qui la trompe – Tony Leung Ka Fai, “L’amant” chez Jean-Jacques Annaud, désormais grisonnant -, et qui a peur des premiers signes de vieillissements de sa beauté froide.

Ling Bai / Bai Ling

Mei est très connue pour préparer dans un quartier populaire, de mystérieux petits raviolis vapeur – des dumplings-, dont la chaire rose assez ragoûtante semble avoir des vertus rajeunissantes. Elle fait de mystérieux va et vient pour en trouver la matière première. Ching, délaissée, se laisse tenter sur la foi d’un bouche à oreille encourageant. Le film se voit à deux niveaux, le premier un film d’effroi absolument maîtrisé passant de l’appétit au dégoût, la belle Mei, outre ses talents de cuisinière, étant médecin dans une vie antérieure n’hésite pas à se proposer faiseuse d’anges. La prouesse est de faire monter l’angoisse aussi bien dans des scènes neutres où les grands ensembles s’avèrent tout aussi inquiétants qu’une somptueuse demeure en ravalement, que dans des scènes gore, saisissantes, où l’on se retrouve au bord de la nausée. Baigné d’humour noir – à recommander une scène d’amour avec une jambe dans le plâtre -, le film bafoue allégrement la bienséance. Le second niveau est une critique acerbe de l’individualisme, de la politique de l’enfant unique – garçon de préférence -. L’admirable photographie de Christopher Doyle magnifie de climat délétère, de la dictature des apparences, l’ancienne actrice étant prête à tout pour retrouver sa séduction entière de son ancienne série, où sa jeunesse éclate ressort avec les interminables rediffusions. Quitte à y laisser son âme, pour briller dans une société de dupes, elle ne se pose pas trop de questions, et finit par être vampirisée par Mei. Le film mérite de se laisser désarçonner –  essayer d’imaginer la tête d’une spectatrice, qui se plaignait d’avoir mal digéré à son mari, à l’issue du film – , le choc est rude, mais il est difficile de trouver un univers aussi fort ces derniers temps.

THE KING

 Elvis Sandow – Gael Garcia Bernal, qui ne cesse de nous surprendre -, dont le prénom évoque évidemment  “Le King”, après avoir effectué son service dans la Navy, par avec son arme dans une petite ville puritaine du Texas, nommée Chorpus Christi !, trouver son véritable géniteur, un certain David Sander – William Hurt, en très grande forme ces derniers temps -, qui a abandonné sa mère. Ce dernier est devenu prédicateur respecté, faisant son prêche à l’Américaine, a épousé une très belle femme, et a deux enfants une adolescente réservée et un fils qui reprend les idées de son père, en essayant de faire valoir en vain, ses croyances contre les théories officielles de Darwin, dans son école. Le premier contact entre Elvis et son père, ne fait que provoquer l’animosité de ce dernier, réveillant une ancienne vie, peu recommandable, et en contradiction totale avec son nouveau rôle. Qu’importe, Elvis persiste, s’installe, et élabore volontairement ou non une stratégie pour ce faire accepter.

Gael Garcia Bernal

Ce film, pas aimable, corrosif et à contre-courant avec le cinéma américain actuel, a une sorte de logique implacable et assez salutaire. Le Texas, et les allusions bibliques -Le retour de l’enfant prodigue – ne sont pas le fait du hasard, pour son premier film de fiction, James Marsh semble se délecter de bousculer l’hypocrisie générale d’une petite ville tranquille des États Unis, en étudie les codes pour mieux les détruire. Refusant d’éclairer certaines zones d’ombres, le film compte sur le charisme de Gael Garcia Bernal, dans un personnage à la fois bafoué et monstre froid. Par son ambiance torve et sans apitoiements moralisateurs, le réalisateur décortique les mécanismes du certain fanatisme, instrumentalisé, mis en spectacle, et soucieux des apparences et l’aliénation par la foi, par l’armée – l’arme est une compagne ritualisée pour Elvis -. Le film refuse l’utilisation d’un suspense artificiel, mais nous laisse assez amer face à la situation. Un film inconfortable et très maîtrisé, à la fois détaché et sans complaisances. L’atmosphère, proche d’un David Lynch, trouble est remarquablement réussite par sa musique, sa lumière et son interprétation – mention spéciale à la jeune Pell James -.

LA VIE A DEUX

 “La vie à deux”, une rareté de 1958, est désormais disponible en DVD chez René Château. Dénonçons par contre la malhonnêteté foncière de cet éditeur. Le prix reste cher, même en “premiers” prix, pour un produit sommaire, sans bonus et sans chapitrage. L’affiche originale du film ci-dessus provenant du site des “Gens du cinéma” est trafiquée pour la jaquette, avec un rajout grossier du visage de Louis de Funès, qui n’a d’ailleurs qu’un second rôle, histoire de vendre l’objet sur son nom et sur celui de Fernandel. Il y figure aussi la mention “le dernier film de Sacha Guitry” – qui apparaît sur le générique du film mais en hommage -. Guitry est mort le 27 juillet 1957, et le tournage a débuté le 22 juillet 1958 selon Jean-Charles Sabria, vaste fumisterie donc. C’est Clément Duhour, un de ses proches collaborateurs qui a produit – avec Gilbert Bokanowski, qui joue un rôle non crédité – et réalisé ce film, dont Sacha Guitry avait eu l’idée avant sa mort. L’adaptation d’un certain Jean Martin – ça sent le pseudo – compile les pièces de théâtres comme “Désiré”; “L’illusionniste” “Faisons un rêve”, “Le blanc et le noir”, sur le thème du couple en rajoutant une sommaire histoire d’héritage. Le film est donc à sketches, avant la grande mode des années 60. Le prétexte est le suivant, l’auteur Pierre Carreau – Pierre Brasseur, qui s’est fait la tête de Guitry dans ses derniers jours et qui est ici très impressionnant -, réuni ses amis – Gilbert Boka et Jean Tissier, luisants à souhaits -, son secrétaire, Max Montavon dans son rôle de cabot habituel de maniéré, ici encore plus mauvais que d’habitude, c’est dire -, un notaire – Louis de Funès donc, très bon avec sa manière bien à lui de dire les aphorismes du maître -, et deux généalogistes – Christian Duvaleix et Jacques Jouanneau, lunaires et maladroits -. Carreau est mourant et souhaite léguer sa fortune aux personnes réelles dont il se servit comme modèles pour les personnages de son roman “La vie à deux”. La condition à respecter pour ces couples, qui ne sont pas au courant de ce projet et qu’ils soient toujours comme ils étaient alors, des exemples de bonheur.

Les généalogistes partent, flanqués des deux amis qui recevront l’héritage “en cas de malheur”. Une pléïade de comédiens défilent avec bonheur, de Jean Richard rageant de la proximité de sa belle-mère, joué avec sensibilité par Jane Marken,Odette, une femme volage – Lili Palmer -, partagée entre son amant officiel, un ministre – Jacques Morel, plaisant -, un amant de passage – Jean Marais, pour l’épisode “L’illusionniste”, et qui fantasme sur son valet – Gérard Philipe, retrouvant des accents guitryens, épisode “Désiré”-., Monique – Danielle Darrieux – qui subit les avances d’Henri – Robert Lamoureux, ludion – devant son mari amateur de belote – Pierre Mondy, vraiment virtuose dans une amusante scène de claques -, Marguerite – Sophie Desmarets – cocufiant Marcel – Fernande, plus sobre qu’à l’accoutumé – et enceinte d’un ténor noir, alors qu’elle a rendez-vous dans le noir avec son amant norvégien -, et l’ami de Marcel – Robert Manuel toujours brillant – qui a du mal à expliquer que ce dernier est père d’un petit enfant noir. La bilan de ces couples étant décourageant, Pierre Carreau agonise dans son lit d’hôpital, trouvant que “La morphine a été inventée pour permettre aux médecins de dormir tranquille...” Son ancienne femme – Edwige Feuillère, port de reine -, le rejoint à son chevet à l’insu de son mari arriviste – Ivan Desny -. La distribution est brillante, on peut rajouter Pauline Carton en femme de Jean Tissier, Mathilde Casadesus en cuisinière amusée, Jacques Dumesnil en digne médecin, mais pas de Pierre Larquey, son rôle ayant été coupé au montage final. Le film finit même pas retrouver, dans ce ton un peu boulevardier, l’amertume et le cynisme que l’on retrouvait dans les derniers Guitry – “La vie d’un honnête homme”, “Assassins et voleurs…” -, et retrouve la vision noire du couple chère au grand maître. Inégal mais plaisant, souffrant de n’être disponible que chez René Château, qui semble être resté bloqué sur la période VHS, et c’est très dommage… 

RIVIERA

Après le très abouti “Petite chérie” en 2000, avec Corinne Debonnière et Jonathan Zaccaï, on attendait légitimement beaucoup de la seconde réalisation d’Anne Villacèque. Si on retrouve bien sa maîtrise, le film hélas déçoit un peu, mais possède une maîtrise évidente. A l’heure où statistiquement 1 réalisateur sur 3, ayant réalisé son second film passe au troisième, espérons pouvoir retrouver son univers dans les années à venir. La réalisatrice se coltine une nouvelle fois avec une certaine vacuité de l’existence et l’idée de la perte de l’innocence. Antoinette, employée au ménage d’un grand hôte sur la Côte d’Azur – Miou-Miou, humanisant un personnage assez retord -, attend beaucoup de sa fille, Stella, – Vahina Giocante – superbe jeune femme “go-go danseuse”. Elles ne font que se croiser, la mère terminant son service et rentrant dans son appartement quand sa fille part travailler. Stella est vue seulement par les hommes que comme une « cagole », loin de voir autre chose au-delà de son charme fracassant, comme Fabrizio – Mathieu Simonet, qui a le même timbre de voix que son père Jacques Perrin – petit richard en goguette. Seul le patron de Stella – Antoine Basler, passant avec aisance de l’inquiétant au rassurant, encore un sous-utilisé à déplorer -, semble avoir un peu de tendresse pour elle. Pour Antoinette, sa fille est sa revanche sociale, elle montre avec fierté sa photo à un jeune livreur de pizza dégingandé – Franc Bruneau, vu dans “Les fautes d’orthographes”,  tout en regrettant sa jeunesse charmeuse. Elle n’hésite pas à instrumentaliser le destin, lors du passage d’un certain Romansky (… Jean-Michel), agent immobilier aisé et échappé à un univers Houellebecquien.  

Miou-Miou

La réalisatrice décortique derrière les clichés d’une ville touristique écrasée de soleil, la vacuité possible de l’existence, la vérité derrière les faux-semblants, la frustration surlignée par le bonheur apparent des riches, la promesse d’une vie facile à travers l’omniprésence d’une télévision promettant le quart d’heure Warholien à chacun. C’est dans cette analyse sans concession du désœuvrement que la réalisatrice retrouve la justesse de son regard. La résignation est vaine pour elle, mais elle démontre la possibilité de révolte naissante voire destructrice, à l’exemple d’un esclandre entre deux personnages au bord de la piscine. Miou-Miou en travailleuse discrète, que l’on ne remarque pas, vivant fusionnellement avec sa fille, dont elle attend beaucoup amène une justesse incroyable à un personnage dérangeant, retord. Elle souhaite pousser sa fille à réussir dans le monde, tout en ayant peur de sa réussite car elle pourrait se retrouver seule. Vahina Giocante, que j’avais vu lors de l’avant-première de “Lila dit ça” – elle avait d’ailleurs charmé tout son auditoire et montré une belle lucidité sur son parcours – un rôle assez similaire que Stella, dégage un érotisme fracassant digne d’une Brigitte Bardot – “l’ancienne !”, comme disait Fellag -, elle est bouleversante dans l’impuissance de bien cerner le trouble qu’elle suscite. Elie Semoun, prouve après le très bon “Aux abois”, la  richesse de son registre, gauche et en manque d’amour, désarmé par la jeunesse de Stella et efficace dans son travail, compose avec aisance une personnalité peu accorte, le film doit beaucoup à ses trois comédiens. Le film finit par trouver une certaine limite peut-être par son scénario, mais saluons son côté dérangeant et inconfortable, assez courageux. Mais elle dépeint très bien de manière presque sociologique, la perte des illusions, un quotidien écrasant et le manque de perspectives dont notre société actuelle – elle avait fait un documentaire sur la jeunesse actuelle avec “Oh ! les filles” en 2003, que l’on aimerait pouvoir découvrir. Un regard singulier d’une noirceur peu commune et la réussite de véritablement capter l’air du temps, font les qualités de ce film. La cinéaste devrait beaucoup compter, même si on en ressort un peu déçu finalement de ce film, surtout après une formidable première oeuvre.

JE VOUS TROUVE TRÈS BEAU

Massacre dans les règles de l’art dans l’émission de France Inter, “Le masque et la plume”, ce dimanche soir, pour ce film d’Isabelle Mergault qui ne méritait pas cet excès d’indignités. On lui reprochait son côté reprise d’ “Une hirondelle ne fait pas le printemps”, comme si c’était l’exploitation d’un filon, flattant les bas instincts bucoliques de citadins blasés, puisque ce film a rencontré son public. Et pourtant, sortir d’un film entouré de spectateurs avec un large sourire, montre encore une fois le divorce entre le public et la critique parfois. Ce n’est pas une surprise de découvrir une écriture sensible chez Isabelle Mergault, qui était scénariste d’ “Aujourd’hui peut-être” (1990) film de Jean-Louis Bertuccelli à redécouvrir avec Giulietta Masina – la comédienne Medeea Marinescu, héroïne du film, a d’ailleurs un petit côté “Gelsomina” -, “Le voyage à Rome” (1992) ou “Meilleur espoir féminin” (1999), loin de ses prestations de “bonnes clientes” à la télévison. Le film narre la vie d’Aymé Pigrenet – Michel Blanc vraiment excellent et qui fut partenaire d’Isabelle Mergault dans “Une nuit à l’assemblée nationale”  -, un agriculteur nouvellement veuf pour avoir perdu sa femme électrocutée par une trayeuse automatique. Sans être véritablement bouleversé, il suit le conseil de sa notaire – Valérie Bonneton, probante entre écoute et exaspération – de faire appel à une agence matrimoniale non pas pour trouver l’âme sœur, mais pour trouver une main d’œuvre corvéable à merci. Mme Marais, directrice d’une l’agence matrimoniale – Eva Darlan, désopilante dans un numéro excentrique -, suivant son idée l’envoie en Roumanie. Elena – Medea Marinescu, très touchante -, mère de Gaby, une fillette de 6 ans, comprend vite la manière de profiter de la situation en opposant sa sincérité face à la sophistication des autres candidates. Aymé invente un stratagème pour justifier la présence d’Elena dans le village. La bonne humeur et la générosité d’Elena finissent par faire des étincelles face à Aymé, bourru, pingre, maladroit et surtout éternel râleur.

Michel Blanc & Medea Marinescu

Certes on peut reprocher à la réalisatrice quelques situations convenues, mais le dosage émotion et humour vachard est bien dosé. La mise en scène est loin d’être aussi anodine qu’on le dit, il y a même quelques trouvailles, comme le passage du nouvel an au clair de lune. Les situations sont crédibles et les personnages attachants, Isabelle Mergault avance par des petites touches très justes, comme des petits gestes d’affections, la chienne “Ciufut”, ou les non-dits dans l’amitié entre Aymé et son voisin Roland – Wladimir Yordanoff, très subtil comme toujours -. L’humanisation d’Aymé est donc prévisible, mais sa solitude est bien décrite, le marasme de la Roumanie est montré de manière pudique et l’intérêt du film ne défaillit jamais. Outre les comédiens cités, il y a une belle galerie de seconds rôles, la toujours formidable Liliane Rovère, irrésistible en villageoise ogresse, déplorant l’alimentation de sa fille et attirant l’attention d’Aymé de manière inattendue, Elisabeth Commelin en femme de Roland toujours sur le qui vive, Véronique Silver, très touchante en cliente dans la salle d’attente de l’agence matrimoniale – trop sous employée ces derniers temps, sa manière de parler de l’anecdote des 2 cuillères est magnifique, Julien Cafaro, se trompant sur le sens des mots -,  Dora Doll dans un rôle trop court, et sa manière de déclarer qu’elle fait peur aux hommes, Renée Le Calm, aïeule délectable et “son qui est mort ?”, etc… et un nouveau venu Benoît Torjman émouvant Antoine, amoureux transi d’Elena. Quand on voit le niveau actuel des comédies, et des films de divertissements Bessonnien – je ne sais pas si je vais vous épargner une notule sur “Bandidas” -, on ne saurait trop qu’encourager Isabelle Mergault de continuer dans cette voie.

JARHEAD – LE FIN DE L’INNOCENCE

Le film débute sur une citation ironique de “Full metal jacket” de Stanley Kubrick, avec un sergent recruteur lobotomisant, mais plus proche de Steve Martin que de R. Lee Ermey. La guerre du golfe éclatant durant l’été 90, on retrouve nos militaires face à l’aridité du désert saoudien, certains refusant de voir les intérêts économiques en jeu. Mais le film n’est pas un film de guerre attendu, dans cette atypique opération de la “tempête du désert”. L’intérêt de ce film du britannique Sam Mendes, qui a un sens visuel indéniable, est l’influence du cinéma sur l’esprit des jeunes marines, nourris d’images de guerre “Apocalypse now” – le monteur du film Walter Murch est repris pour ce film -et “voyage au bout de l’enfer” sont d’ailleurs cités. Nos militaires s’attendent donc à découdre, mais cette guerre atypique. Le film se veut subjectif, prenant le point de vue d’un soldat landa, Anthony Swofford – c’est l’adaptation de son témoignage vécu -, souffrant d’une militarisation atavique.  Autodidacte, il essaie de s’instruire en se cachant en lisant “L’étranger” d’Allbert Camus dans les toilettes. Pour la plupart, il y a une volonté d’en découdre avec cet ennemi presque invisible – reprenant ainsi l’idée de “Full metal jacket”, où il n’était personnifié que par une femme armée. Il y a ici un petit côté pas déplaisant “Désert des tartares”, célèbre roman de Dino Buzzati, dans l’attente ponctuée de frustrations, d’onanismes, de nettoyage de l’arme prolongement phallique évident, rites initiatiques lourdingues de chambrée, d’organisations de jeux comme un duel de scorpions , de sur-hydratation obligée, c’est dans ces moments là cycliques que le film est le plus intéressant. Les palliatifs de la masturbation et de l’alcool, ne font que participer à la fatigue. Les soldats guettent le moindre signe, même lors d’une rencontre de quelques autochtones en promenade…

Jake Gyllenhaal et Peter Sargaard

On reste finalement assez distant avec les personnages, même si Jake Gyllenhaal mérite l’engouement qu’il suscite en ce moment – même si on a du mal à occulter son personnage de “Donnie Darko”, où il était exceptionnel, alors qu’il était assez falot dans le film catastroph(ique) “Le jour d’après” -. Peter Sargaard dans le rôle de Troy est plus probant car il dégage une certaine opacité, voire ambiguïté dans un rôle d’aîné protecteur. Jamie Foxx dirige ce petit monde de recrues tous des archétypes avec poigne et une humanité parfois suspecte. On retrouve Chris Cooper et Dennis Haysbert (“24 heures” qui s’amusent visiblement à composer deux ganaches délectables. Le problème est finalement de Sam Mendes est de vouloir contenter tout le monde, montrer l’absurdité de la guerre, comme de montrer que l’armée est un refuge pour les laissés pour compte, où les personnes en quête de sens, comme l’ode enthousiaste du personnage de Jamie Foxx pour l’engagement contre un quotidien plus morne à travailler chez son frère. Reste les petits détails qui sentent “le vécu”, comme les matériels radios qui ne fonctionnent jamais au moment voulu, ou le leurre d’une guerre “chirurgicale” avec les tirs “amis”. La réconstitution générale est remarquable, le réalisateur trouvant parfois un décalage onirique – l’apparition du cheval dans la nuit -. L’humour général est à saluer, à l’image du personnage d’Anthony qui entendant la musique des “Doors” d’un hélicoptère, se plaignant de cette musique du Vietnam et déplorant de ne pas avoir de musiques à eux ! Une approche non conventionnelle de la guerre et les affres de l’attente font de ce film une œuvre singulière mais au final assez décevante et au message assez évasif.

MORT D’UN POURRI

Georges Lautner a, ironiquement reçu une reconnaissance pour son travail, alors qu’il se fait plus discret. “Mort d’un pourri” (1977) dans un registre moins sarcastique que la série des “Monocles”, montre la maîtrise de la mise en scène, face aux dialogues, excellents quoi qu’un peu inhibants on peut l’imaginer pour un réalisateur, de Michel Audiard. Le film met en vedette Alain Delon, curieusement assez primesautier au début du film, dans le rôle de Xav un entrepreneur qui se retrouve mêlé à une sombre histoire de dossier compromettant. Son ami Philippe Dubaye un politicien véreux –campé par l’admirable Maurice Ronet défait qui parvient à imposer son personnage dans un rôle très court –  vient d’assassiner un député – Charles Moulin, le berger de “La femme du boulanger” dans un rôle muet –. Ayant pris possession de documents pouvant nuire à de nombreuses personnalités du pouvoir. Il vient de donner ici un beau coup de pied dans “un panier de crabes”, et les “intermédiaires” vont tout faire pour avoir ce dossier. C’est ici un rôle étalon pour Alain Delon, un solitaire qui va tout faire par fidélité pour sauver un ami, même si c’est un parfait salaud. L’amitié indéfectible est ici soulignée par des photos présentes du tournage des “Centurions” (Marc Robson, 1965), reprise ici pour souligner les épreuves subies par le duo Delon-Ronet, soldats ou mercenaires durant la guerre d’Algérie. Le regard de Michel Audiard est ici impitoyable et même assez ambiguë, dans le style “Tous pourris”, il évoque finalement quelques idées un tantinet extrême (droite ?) et un nettoyage d’une société pervertie à tous les niveaux. Ca reste du divertissement même si c’est assez gênant, autre curiosité, tous les personnages déclament du Audiard, ce qui est un peu lénifiant, mais nous vaut la satisfaction d’un décalage d’entre Klaus Kinski – toujours inquiétant et ici mielleux à souhait – dire un texte mordant de ce célèbre dialoguiste.

Ornella Muti, Alain Delon & Jean Bouise dans “Mort d’un pourri”

Si les femmes sont un peu sacrifiées ici – Mireille Darc dévouée au “repos du guerrier”, Stéphane Audran en grande bourgeoise alcoolique, Ornella Muti en jeune femme dans “l’œil du cyclone”,. Les rôles d’hommes sont plus probants, aux services le plus souvent d’organisations occultes, sociétés secrètes dans une vision du monde paranoïaque. Jean Bouise amène toujours une humanité en commissaire probe, luttant contre les connivences entre gens influents, Michel Aumont est son opposé, “compétent” et brutal, François Chaumette est un politique, remettant un prix dans la soirée de “la qualité française” – faut-il y voir une preuve d’auto ironie ? -, Daniel Ceccaldi est un avocat extrémiste, veule et amant de Stéphane Audran, Xavier Depraz – flanqué d’un Charles Millot muet – est un homme de main violent au service d’un Julien Guiomar roublard, composant un industriel “self-made-man” et sentencieux, et on retrouve Henri Virlojeux en dessinateur de BD fatigué, Gérard Hérold en politique déchu, El Kébir en ami sûr de Xav, gardien de parking, revenu d’Algérie pour avoir traversé on le devine quelques épreuves. Ces grands comédiens donnent corps à des personnages assez schématiques, au service d’Audiard qui privilégie son dialogue en sacrifiant un peu la véracité de cette confrérie compromise.  On retrouve toute une série de troisièmes couteaux crédités ou non, comme Roger Muni qui se fait voler sa voiture, Arlette Emmery en secrétaire, Michel Ruhl en préfet sous influence, et l’indispensable Philippe Castelli en buraliste goguenard, mais pas Catherine Lachens, crédité sur sa fiche IMDB, nom que j’avais laissé bien que ne le retrouvant pas sur mes notes. Philippe Sarde signe ici une de ses meilleures musiques, mise en valeur par Stan Getz au saxophone – lire à son sujet l’excellent article dans Chants éthérés -. Delon se coltine ici à de très grands comédiens, et la réalisation de Georges Lautner est très efficace, d’autant plus que ce thriller politique est teinté d’humour et le divertissement est présent.

GOOD NIGHT, AND GOOD LUCK

Second film comme réalisateur pour George Clooney, et seconde charge consacrée à la télévision, après son très probant “Confessions d’un homme dangereux” sorti en 2003 – il se murmure qu’il préparerait un remake du “Network” de Sidney Lumet. Le parti-prix presque documentaire – la caméra suit les comédiens comme dans un reportage -, est réussit et la magie du  noir et blanc est retrouvée ce qui n’était pas le cas de bien de films modes comme le cornichonesque “Angel-a”. On retrouve l’ambiance des années 50, des polars noirs – chanteuse de jazz obligatoire -, de la reconstitution d’une équipe de télévision, ici CBS, mélangée à des images d’archives. Clooney dresse le portrait d’Edward R Murroy, présentateur TV célèbre qui donna le coup de grâce au sinistre sénateur Joseph McCarthy. On suit la chute de ce dernier, de 1953 à 1958. Il était tristement connu pour sa chasse aux sorcières, qui a eu un impact considérable à Hollywood entre ceux qui ont accepter de livrer des noms – Marc Lawrence, mort il y a peu, Sterling Hayden, Elia Kazan -, et les autres exilés en Europe – Joseph Losey, Jules Dassin, Edward Dmytryck etc… -. La sobriété du film est exemplaire, sans esbroufe, voire un tantinet un peu austère, mais on ne peut que saluer le travail du comédien comme réalisateur. On pense beaucoup aux « 12 hommes en colère » de Sidney Lumet sur la forme, Clooney a peut être été influencé par la captation en direct du “Fail safe” (1964), remake TV de Sidney Lumet justement. Il est évident qu’il parle aussi de notre société, de la différence entre l’information et la propagande, il fait ainsi une pique à la chaîne de télévision “Fox News”, qui a d’ailleurs critiqué la France de manière fortement caricaturale, ces derniers temps.

David Strathairn

Sans être manichéen, les journalistes s’attachent ici aux faits, cherchant les contradictions de McCarthy, les failles de sa machine à broyer les consciences. La paranoïa collective atteignant tous les pouvoirs de l’armée aux médias, finissent par pousser les grands manipulateurs à la faute. “Le quatrième pouvoir” semble être né à ce moment là. Le journalisme d’investigations obtient ici ses lettres de noblesses. Le film parle de l’importance de l’éthique, ce qui est universel, il dénonce certaines connivences avec les pouvoirs, c’est d’autant plus important que nous avons une présentatrice TV du service public, mariée à un ministre en exercice, sans que ça ne semble absolument plus poser de problèmes à personne. Le film déplore aussi la censure économique des “sponsors”, l’équipe de journalistes dirigée par Fred Friendly – Clooney qui ne s’est pas donné le beau rôle -, doit réfléchir à la perte d’une manne publicitaire avant d’énoncer une vérité dérangeante. David Strathairn – prix d’interprétation largement mérité au festival de Venise – méconnaissable quant on l’a vu chez John Sayles – il était formidable dans le méconnu « Limbo » – porte le film sur les épaules, ses interventions de moralistes et polémiques face au public sont des grands moments de cinéma, les autres comédiens étant plus en retrait – notamment les excellents Ray Wise, Robert Downey jr et Patricia Clarkson, Jeff Daniels en directeur des nouvelles, un peu sacrifiés en journalistes inquiets, Franck Langella en cynique patron de presse, Ray Wise  -. Strathairn compose admirablement son personnage, cachant sa nervosité derrière une sempiternelle cigarette, et montre une conviction étonnante. Le regard attachant sur ces pionniers des médias face au cynisme ambiant, est la grande réussite de ce film exigeant même s’il pâtit d’un peu de trop de distances.