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SAINT-JACQUES… LA MECQUE

Inauguration hier, 3 octobre du 7ème festival du cinéma au féminin à Bordeaux, festival original présentant des longs et courts-métrages, gratuits et des rencontres. Camille Japy, présidente du jury de courts-métrages, a déclaré la cérémonie ouverte. Le festival a commencé a l’UGC Cité-Ciné, avec la diffusion en avant-première du film de Coline Serreau, “Saint-Jacques… la Mecque”, en présence de la réalisatrice, Muriel Robin, Pascal légitimus et Artus de Penguern. L’équipe du festival semblait un peu contrariée de commencer ces festivités dans ce complexe cinématographique – le producteur en étant UGC, avec Charles Gassot, d’ailleurs présent mais en retrait -. Les films ce déroulant habituellement – et gratuitement – au théâtre “Fémina” et au cinéma le “Jean Vigo” – salle d’art et essai, animée par des passionnés -. D’où l’empressement cavalier d’une partie des organisateurs pour reconduire, tout le petit monde des invités, ce qui est un peu frustrant et pas franchement convivial, loin de l’habituelle hospitalité du directeur de l’UGC, Pierre Bénard.

Avec ce nouveau film, on retrouve le grand talent de Coline Serreau, après les déceptions de “La belle verte” et “18 ans après”. La cinéaste retrouve la veine de ses films utopistes, comme “Pourquoi pas”,, analysant les travers de son temps et nos petites lâchetés comme dans “Chaos”. Un notaire – Olivier Claverie, décidément indispensable -, réunit Clara, une enseignante un peu aigrie – Muriel Robin -, Pierre, homme d’affaire survolté – Artus de Penguern -, et Claude, alcoolique désœuvré – Jean-Pierre Darroussin -, frères et soeur fâchés depuis longtemps, à la lecture du testament de leur mère qui vient de mourir. C’est l’idée de base de bien des comédies, subir, pour toucher à l’héritage, une épreuve qui risque évidemment de rapprocher tout ce petit monde. Il faut ici parcourir en pèlerinage à pied, l’itinéraire partant du Puy-en-Velay à Saint Jacques de Compostelle, sous l’œil d’un guide patenté – Pascal Légitimus, humain et désabusé -. Ils partent avec un groupe hétérogène composé de Mathilde, une femme discrète – Marie Bunel -, et quatre jeunes adultes, Saïd – Nicolas Cazalé, mettant en émoi toute la gente féminine -, son cousin naïf Ramzi – Aymen Saïdi – et deux amies Camille, camarade de classe de Saïd et Elsa – Marie Kremer et Florence Vannier Moreau -.

Artus de Penguern, Pascal Légitimus & Muriel Robin

Tout ce petit monde est dirigé avec maestria par la cinéaste – qui fait beaucoup de répétitions -, d’Artus de Penguern jubilatoire en P.D.G. survolté, son rôle a été refusé par plusieurs comédiens – voir la scène d’anthologie de son énervement devant le notaire – impuissant devant l’alcoolisme de sa femme, Muriel Robin retrouvant son sillage de son personnage dans “Mari-Line” (Mehdi Charef, 1999), amenant une grande humanité, Marie Bunel – lumineuse – et Aymen Saïdi, sont les personnages les plus attachants du film, Nicolas Cazalé, Marie Kremer et Florence Vannier-Moreau sont très justes, Pascal Légitimus temporise les humeurs, blessé d’être loin de ses proches et Jean-Pierre Darroussin touchant en alcoolique désinvolte… Quelques clichés, certes, mais avec beaucoup d’énergie.

Marie Bunel & Jean-Pierre Darroussin

Coline Serreau joue avec les clichés, elle privilégie la liberté d’une image en DV – à souligner les progrès réalisés avec ce support -, l’abondance de son matériel donne cependant un côté dispersé, le montage devant être plus délicat que le support 35 mn. Pourtant il faut souligner le rythme, l’abattage des personnages, la réalisatrice se montrant plus convaincante dans la méchanceté, que dans l’affabilité et l’évolution un peu brusque des personnages. Elle a un sens unique de la comédie, retrouvant ici des moments de grâce de “La crise” (1992) – pour moi ce film est une grande réussite. Elle nous dresse une critique assez réjouissante de la religion catholique – ce qui va sans doutes déplaire, à l’image des personnages de religieuses joués avec mordant Hélène Vincent et Michèle Simonnet édulcorant les prières écrites par les pèlerins dans la cathédrale du Puy – en fait tourné à Rouen suite à un refus des autorités ecclésiastiques -, ou le curé espagnol raciste. Ce film surprend, n’est pas immédiatement aimable, Coline Serreau prenant des risques – les scènes oniriques originales mais mal perçues par une partie du public. Dans les seconds rôles on retrouve également Stéphane de Groodt en curé sympathique à Navarrenx et Michel Lagueyrie en curé peu hospitalier, Pierre Ausset en chauffeur servile. J’ai rajouté quelques noms sur la fiche IMDB, mais n’ayant trouvés que très peu outre ceux de l’affiche sur le web, merci de me signaler des compléments si vous en trouvez. Plaisant, parfois naïf et singulier, ce film prouve que Coline Serreau n’a rien perdu de son talent, malgré un ton parfois lénifiant.

JE NE SUIS PAS LA POUR ETRE AIME

Avant-première à l’UGC Cité Ciné à Bordeaux de “Je ne suis pas là pour être aimé” en présence d’Anne Consigny et du réalisateur Stéphane Brizé. Première scène un quinquagénaire monte assez péniblement les escaliers d’un immeuble. Essoufflé, fatigué il sonne à la porte d’une jeune femme qui lui ouvre pensant que c’est un de ses amis qui lui demande de revenir avec elle. On apprend qu’il est un huissier, qu’il apporte une mise en demeure à la jeune femme, dépassée par l’énormité de la dette rappelée. Le personnage se prénomme Jean-Claude, qui dit que ce n’est pas de sa faute, mais on comprend bien qu’il vit parfaitement la situation, son problème étant juste son souffle. Le titre apparaît évident “Je ne suis pas là pour être aimé”. Dès le premier plan tout est dit, tout est définit, Jean-Claude est joué par Patrick Chesnais, et on est ravi de voir qu’enfin il va trouver ici un grand rôle à la hauteur de son grand talent.

Patrick Chesnais

Ce film est un grand coup de cœur, une écriture subtile et dépouillée, le scénario initial est débarrassé de toutes les scories, passant de 100 à 50 pages, et on a rarement vu un film aussi subtil dans le cinéma français depuis très longtemps. Jean-Claude Delsart s’arrange avec la raideur de son travail, vit sereinement son emploi, il a repris l’étude de son père, un homme bougon et coléreux, qu’il va rendre visite tout les dimanches à la maison de retraite – Georges Wilson, d’une raideur saisissante qui nous livre ici une composition exceptionnelle. Le vieil homme avec lequel il joue au monopoly est la terreur des lieux, peste un jour car il reçoit des chocolats qui ne sont pas à 80 ans. On devine très vite les relations pères-fils. Jean-Claude reproduit d’ailleurs le même schéma avec son films – remarquable nouveau venu Cyril Couton, un nom à retenir, l’obligeant à travailler avec lui, alors que lui ne vit que pour sa passion des plantes vertes. L’étude n’est pas très sympathique, la secrétaire – Anne Benoît parfaite venant du théâtre, veillant au grain et ne semble avoir d’amour que pour son chien. La santé de Jean-Claude le préoccupant, il prend des cours de tango, qui jouxtent juste son étude. Une jeune femme particulièrement radieuse Françoise, repoussant un dragueur insistant – Olivier Claverie parfait en danseur déplaisant à souhait – reconnaît Jean-Claude, sa mère l’ayant élevé. Elle se prépare pour son mariage, avec un écrivain renfrogné : Lionel Abelanski, formidable comme à son habitude, qui a fait une pose dans son métier d’enseignant pour écrire un roman.

Patrick Chesnais et Anne Consigny

La suite est très prenante, Stéphane Brizé après le très bon “Le bleu des villes”, où les amours d’une pervenche – l’on se souvient de l’anthologique scène des noyaux de cerises laissés dans le gâteau de la belle-mère joué par Liliane Rovère – , décrivait également une personne remettant ses agissements et sa vie en question. Anne Consigny engagée selon le réalisateur suite à des essais de danse avec Patrick Chesnais – il avait trouvé que le couple fonctionnait parfaitement -, est très à l’aise dans les non-dits, lumineuse, elle compose un personnage particulièrement attachant. Patrick Chesnais trouve ici son meilleur rôle depuis longtemps. Beaucoup d’émotions canalisées et niées ressortent dans un amour incertain, les personnages déstabilisés se remettent en question dans leurs vies.

Tous les comédiens sont formidables, choisis avec le grand talent de directrice de casting de Brigitte Moidon, le metteur en scène connaît les acteurs et s’évertue à éviter les clichés présentant même un autre scénario pour les essais pour ne pas trop dévoiler ses personnages et garder une fraîcheur. Citons également Geneviève Mnich appréciée par Alain Resnais, en mère étouffante, Hélène Alexandris en grande sœur, Marie-Sohna Condé en jeune femme qui perd tout mais reste digne – voir la terrible scène des ricanements des policiers -. Optimiste, ce film nous donne une formidable empathie avec ses personnages, Stéphane Brizé a su illustré un formidable scénario – Anne Consigny a rappelé qu’il déclarait que c’était pour lui son meilleur ennemi. Le public emballé, charmé par la grâce d’Anne Consigny – parfaite dans le rôle de la récitante dans « L’équipier » de Philippe Lioret, parlait d’ailleurs de « Lost in translation » le beau film de Sofia Coppola, nous sommes ici dans le même cousinage et louons le réalisateur d’avoir donné à Patrick Chesnais enfin un rôle à la mesure de son grand talent, impressionnant d’autorité, son système de vie vacille, il s’humanise, s’ouvre aux autres, et comprend la difficulté que l’on peut avoir à dire des choses simples. Donnez sa chance à ce film le 12 octobre prochain, belle observation de nos frilosités, vous ne le regretterez pas !

VIRGIL

Emballé ! Il y avait hier soir, une avant-première à l’UGC Cité-Ciné du film “Virgil” premier long-métrage de Mabrouk El Mechri, en sa présence ainsi que celles de Jean-Pierre Cassel, Jalil Lespert, Tomer Sisler et celle surprise de Kader Belkhadra. Et pour un coup d’essai c’est un coup de maître. C’est un film que l’on peut rapprocher aux “Mauvais joueurs”, un des meilleurs films de cette année, signé Frédéric Balekhdjian, avec également une mise en scène au cordeau et à l’énergie. Mabroul El Mechri utilise avec virtuosité les codes du film noir et du film de boxe – on pense évidemment à “Nous avons gagné ce soir” chef d’œuvre de Robert Wise (1949), dont il parle volontiers en citant son titre original “The setup” – qui donne ici son nom à une boîte de nuit -. Il cite également le premier Rocky, mais loin de faire preuve d’un exercice de style, il s’approprie complètement ce film, les références de ce grand connaisseur de cinéma, ne l’aidant qu’à mieux confirmer son style. La bande son travaillée par Frédéric Verrière – rencontré pour avoir fait la musique d’un film avec Lon Chaney -, nous plonge dans un climat sans redondance. Les combats de boxe sont chorégraphiés précisément, le film parle du parcours de Virgil – Jalil Lespert, subtil et obstiné -, un jeune boxeur qui a une relation très forte avec son père adoptif, manchot flamboyant, Ernest, ancien boxeur lui-même – Jean-Pierre Cassel prodigieux -, qui a terminé en prison pour avoir assassiné le corrupteur de son fils après le rituel “à la quatrième tu te couches !”. Son père souffrant d’un cancer il se refuse de lui avouer qu’il a perdu sa licence pour violence. Aidé de Sid, son ami et co-propriétaire d’une sandwicherie grecque – jubilatoire Karim Bedkhadra -, il va retenter de remonter sur le ring, aidé du magouilleur et combinard, Dunopillo – Patrick Floersheim, enfin dans un rôle à mesure. A parloir il rencontre une jeune femme Margot – Léa Drucker enfin dans un rôle principal -, qui rend visite à son père, le mutique Louis qui intrigue d’ailleurs Ernest – Philippe Nahon, au-delà du formidable…-.

Jalil Lespert et Jean-Pierre Cassel

Le réalisateur dépeint ce petit monde avec originalité, on s’attache à tous les personnages, et il a un sens de la distribution remarquable utilisant les comédiens de manières inhabituelles. La petite équipe était arrivé le dernier quart d’heure pour voir l’accueil du public – c’était l’une des premières -. Si Mabrouk El Mechraoui, préférait rester en retrait, c’est avez émotion que j’ai pu voir dans l’obscurité l’élégante silhouette de Jean-Pierre Cassel. Ensuite avec beaucoup de modestie, il a évoqué sa disponibilité aux premières œuvres, grâce à ses enfants Vincent et Cécile, préférer tenter une aventure quelle que soit la longueur de son rôle. Ironisant sur ces rôles dans les derniers films des grands maîtres (Jean Renoir, Abel Gance, Jean-Pierre Melville etc… il s’amusait de sa réputation de porter malheur, tout en déplorant de n’avoir jamais été sollicité par des metteurs en scène de sa génération. Il glisse une grande humanité dans son personnage d’Ernest, volubile et combatif, qui prend sa maladie avec humour et ne supporte pas que l’on s’apitoie sur lui, il trouve ici un de ses meilleurs rôles. Sa manière de distiller les répliques, son punch et sa présence font de ce très beau rôle une formidable performance. Avec patience et dignité, il était disposé pour le public, un grand monsieur. Son duo avec Philippe Nahon – qui a pour point commun avec lui d’avoir également travaillé avec Jean-Pierre Melville – est incroyable, ce dernier faisant exister son personnage avec très peu de mots. Le cinéaste témoignait de la difficulté de faire accepter ce rôle à la lecture du scénario, quelques répliques rajoutées furent supprimées. Philippe Nahon fait passer beaucoup d’émotions, derrière sa grande tignasse, il faut le voir guetter l’arrivée d’Ernest, pour filer à la cuisine, se demander comment tenir le coup en prison et faire preuve d’une violence explosive, son jeu est encore un plus à ce film maîtrisé.

Léa Drucker et Mabrouk El Mechri

Jalil Lespert prouve encore une fois ses capacités – après ses rôles de sportif dans “Un dérangement considérable” et “Vivre me tue” -. Il me semble avoir été sous estimé pour son rôle dans “Le promeneur du champ de Mars”, il est à l’aise dans tous les registres, son Virgil déterminé et désabusé, ses approches maladroites de séduction avec une Léa Drucker au meilleur de sa forme, et ses échanges muets avec son père, prouve qu’il est un des meilleurs comédiens de sa génération. C’est la deuxième fois que je le rencontre et il est toujours aussi disponible et modeste. Léa Drucker comédienne atypique et qui a un formidable abattage, rayonne ici et se montre disponible pour les grands rôles, en utilisant l’humour qu’on lui connaît, elle révèle une belle sensibilité. Tout un petit monde gravite autour d’eux, le réalisateur laissant sa chance à chacun. Karim Belkhadra est inoubliable dans le rôle du bon policier dans « La haine », je lui ai parlé de sa fameuse scène dans la voiture, improvisée pour beaucoup selon lui, il est très sympathique. Dans le rôle de Sid, il fait preuve d’un humour ravageur, montre la force de son personnage, virevolte, il est simplement formidable. Patrick Floerscheim dans un personnage retord gagne en humanité, Marc Duret en maton a un monologue d’anthologie, Tomer Sisley – beaucoup d’humour après l’avant-première – surprend dans un rôle physique et antipathique, citons aussi Philippe Manesse – acteur fétiche de Sotha – en maton compréhensif, Jean-Marie Frin en ponte inquiétant et l’irrésistible David Zitouni en cuistot “Clouzeauesque”. Mabrouk El Mechri joint exigence, inventivité, rigueur et maîtrise, vivement la suite, et saluons l’arrivée d’un grand. Sortie en septembre, vous avez donc au moins un beau film à voir dans cette rentrée.

UN VRAI BONHEUR (LE FILM)

Coup de cœur, hier soir à l’avant-première du film “Un vrai bonheur”, premier film de Didier Caron, à l’UGC Cité-Ciné. Pour accompagner le réalisateur il y avait la chaleureuse équipe du film composée par Véronique Barrault, Stéphane Boutet, le “local de l’étape” et Valérie Baurens. Et il y avait pour les accompagner la ferveur coutumière du producteur Charles Gassot, toujours à l’écoute du public, parlant avec franchise des contraintes de l’époque, loin du marketing pouvant peser dans le cinéma. Il déplorait avoir entendu parlé, par exemple d’un mauvais coefficient province pour un acteur connu !-. Ce producteur est toujours à l’affût des nouveaux talents, était allé voir la pièce en août suite à un article de Paris Match. Il a résisté à remplacer les comédiens originaux de la pièce, par des noms ” bankabeules”, à l’exemple de la pièce “Un petit jeu sans conséquence”, pièce de Jean Dell et Gérald Sibleyras. Et c’est ici l’une des grandes forces du film, ils sont tous formidables.

Valérie Vogt, Valérie Baurens, Véronique Barrault & Marie-Hélène Lentini dans “Un vrai bonheur, le film” 

Par ordre alphabétique :

Valérie Baurens est une lumineuse Mathilde, rattrapée par des incertitudes le jour de son mariage, elle a une très belle scène où elle parle à sa robe de mariée, elle était de la distribution de la tournée province de la pièce. Véronique Barrault joue Cécile est une nature incroyable, – elle jouait l’infirmière dans “7 ans de mariage”, très sympathique et énergique, le cinéma va désormais se l’arracher. Son personnage est désabusé et direct. Stéphane Boutet joue François, aventurier au Gabon, et premier amoureux de la belle Mathilde, dont l’arrivée va causer le trouble, il remplace Didier Caron, qui avait créé ce rôle au théâtre. Denis Chérer joue Christophe, le mari et gynécologue rassurant de Mathilde, dépassé par une incertitude. Pierre-Jean Chérer joue Yvan, l’ami coureur de la famille, lâche et fuyant. C’est dans la vie le frère de Denis. Bernard Fructus, joue le traiteur méridional défendant toujours ses jeunes employés maladroits, ses répliques risquent de devenir culte. Maaike Jansen est extraordinaire en mère insatisfaite de Mathilde, elle se liquéfie littéralement de dépit, acariâtre et cassante, sa prestation est un régal. Françoise Lépine est France, maîtresse d’Yvan, et rêvant de mariage avec lui, habituée de rôles mordants, elle donne ici une belle sensibilité. Marie-Hélène Lentini – vue dans “La France d’en face” sur Canal+, est Yvonne, femme possessive et rude de Jean, Fred Nony – le cafetier dans la série “Boulevard du Palais” – joue Patrice, garagiste lourd de “beaufitude” et spécialiste des interventions qui se veulent drôle mais tombe à plat. Valérie Vogt est Valérie, l’épouse sensuelle de Patrice, mais qui s’est arrangé avec les contraintes de sa vie. Patrick Zard’ est Jean, l’époux résigné d’Yvonne, amoureux transi de Cécile, et qui se révèle l’un des personnages les plus touchants. N’oublions pas Eric Laugérias, une folie sous-utilisée hilarant dans le rôle de M Da Silva, et pardon pour les autres interprètes dont il est parfois difficile associer un nom à un visage. Et il y a l’amusant – et lourd – clin d’oeil de voir Gérard Louvin pathétique en curé – il était producteur de la pièce -, en partie doublé par Didier Caron, lui-même.

Il faut donc passer outre, l’appréhension d’un nouveau film surfant sur la mode des films de “Mariages”, la pièce datant de 1997, et d’une énième captation d’une pièce à succès. Il y a eu des répétitions pour casser le rythme rodé de la pièce, et Charles Gassot a eu l’idée lumineuse d’organiser une lecture – la 23ème version du scénario ! – par les comédiens, avec les partenaires financiers très indifférents et finalement convaincus. Car il y a ici un grand regard, une acuité. La maison bourgeoise est remplacée ici par une gare désaffectée emménagée en salle de réception – Lieux réels suite à une idée de Charles Gassot. Le tournage des scènes de repas a été chronologique, parfois jusqu’à 5 heures parfois, le tournage étant limité à 5 semaines en juillet, et il fallait lutter contre le froid, selon Véronique Barrault avec des doudounes. Et on passe ici du rire à l’émotion très rapidement, le “spleen” inhérent à ce genre de cérémonie est bien rendu. Et il y a l’écriture, très inspirée, et des éléments – le “12 juin”, le lavomatic -, qui vont rester dans les mémoires…  Je discutais ensuite avec Pierre Bénard, l’indispensable directeur de l’UGC, d’avoir eu un rire de cette qualité, la dérnière fois, sans pouvoir y répondre. Ils d’ailleurs couvrent certains dialogues, ce qui est bon signe. Ce film risquant d’avoir une couverture médiatique assez rudimentaire, empressons-nous donc, de nourrir un “bouche à oreille”  favorable.

AU SUIVANT

Avant-première hier soir à l’UGC Cité Ciné Bordeaux, du premier long métrage “Au suivant !” en présence de sa réalisatrice Jeanne Biras, Alexandra Lamy et Clovis Cornillac. C’est le développement du court éponyme et épatant, réalisé en 2002, avec Isabelle Nanty et Patrick Ligardes. Il est rare de voir “un timing” efficace dans une première comédie, cette réussite est à saluer, la réalisatrice se réclame des films de Pierre Richard – elle trouve un pendant féminin d’ailleurs avec Alexandra Lamy -, Louis de Funès et l’âge d’or de la comédie américaine “screwball comedy” à l’image du “Avanti” de Billy Wilder. Elle a tiré ce film de sa propre expérience, où il faut une disponibilité constante. Son sens aigu de l’observation se révèle dans le film d’ailleurs, en privilégiant des acteurs méconnus en dehors de Marie-Christine Adam en mère énergique. Il y a beaucoup de révélations comme Juliette Roudet, une nature de comédie, son personnage secondant l’agence de casting.

Alexandra Lamy & Juliette Roudet dans “Au suivant !”

Le film narre les mésaventures d’une directrice de casting de pub à la recherche de l’âme soeur. Elle est aux prises avec les difficultés de son entreprise. Elle est prête à accueillir toute la misère du monde, et peut-être la victime toute désignée de quelques roublards. Le rythme haletant perdure durant tout le film sans relâchement, c’est assez rare pour le signaler, Alexandra Lamy promène une nervosité et une belle énergie, elle peut désormais prétendre à tenir le haut de l’affiche d’un film de cinéma.  Et il y a Clovis Cornillac, qui continue à aller où ne l’on attend pas, et qui peut prétendre au titre du meilleur comédien de sa génération. Son personnage virevolte, surprend, s’accroche. Il était intéressant d’interroger Clovis Cornillac, sur son travail.

Il voit le regain d’intérêt récent à son sujet avec lucidité. Il déplore que la promotion – règle du jeu qu’il admet – lui prend un temps de travail pour d’autres aventures, comme les courts-métrages par exemple. Il est attaché à sa famille – sa “Douce” et ses enfants, il ne peut plus répondre à toutes les sollicitations. Jeanne Biras a déclaré qu’il apportait beaucoup de choses au texte ” l’animal en plastique au sauna, “Mon nom est “Manche”. Il est un grand travailleur, préparant longtemps ses rôles, pouvant y penser en vous parlant. Son champ est très large de la comédie populaire : “Brice de Nice”, “Mensonges et trahisons…” -, du film de genre : “Maléfique”,  où il était saisissant, “A la petite semaine” – à voir absolument mardi prochain sur France 2″ -, ou le film “d’auteur” : “Vert paradis”, “Je t’aime, je t’adore”, “La femme de Gilles”. Un acteur exceptionnel !. La comédie est un genre difficile et c’est le moyen idéal de décrire nos préoccupations et nos aspirations. Elle acquiert ici une énergie communicative. Nous tenons donc ici la comédie de l’été !

LA MOUSTACHE

 Avant-première hier à l’UGC Ciné-Cité Bordeaux, du second film d’Emmanuel Carrère – après le documentaire “Retour à Kotelnitc” en 2003 -, “La moustache” en présence du réalisateur et de Vincent Lindon. La visite se fait avant le film, le comédien déplorant ne pas pouvoir rester “pour un milliard de raisons”. C’est finalement une bonne chose, de ne pas avoir la tentation de demander ensuite une explication de texte au metteur en scène. Vincent Lindon assez calme, présente ce “premier” film – de fiction  -, comme sa plus belle expérience au cinéma, son autre premier film – “Prunelle blues” ?” étant pour lui son plus mauvais. Il raconte que lors de son 45ème anniversaire l’an dernier sa mère lui avait déclaré ne toujours pas regretter sa venue au monde, Emmanuel Carrère, au 30 ème jour de tournage, lui avait confiait la même chose pour son travail avec lui. Cette espère de corrélation rassurante, nous montre un Vincent Lindon, inquiet, satisfait de compter pour son entourage. L’idéal est de savoir le moins possible sur ce film, mais – n’ayant pas vu la première œuvre cinématographique -, la certitude est de tenir un authentique cinéaste en la personne d’Emmanuel Carrère, alors qu’il a déjà été gâté par ses adaptations par Claude Miller “La classe de neige” et Nicole Garcia “L’adversaire”. 

  

Emmanuelle Devos & Vincent Lindon dans “La moustache”

Le film commence sur un détail qui pourrait être anodin, Marc Thieriez rase sa moustache, sa femme Agnès ne l’ayant connu qu’avec elle. Et personne ne semble rien remarquer ensuite. Est-ce le début d’une perte de la réalité, ou le délire d’Agnès qui entraînerait ses proches avec elle ?. Emmanuel Carrère manie ce vertige à la perfection, partant de ce couple solide, et fait basculer son film, dans une incertitude – le film a pour point de vue le personnage de Marc -. Il définit bien la perte de repères – une rue sous la pluie dans un taxi, une chambre où l’on ouvre les yeux sans trop savoir où l’on est, la perception des sons alentours ou le choix d’une veste… Le film ne donne pas de réponse – la fin est différente de celle du roman -, le mécanisme d’une lente chute est formidablement décrite, destabilisant le spectateur, avec la notion des choses du quotidien qui peuvent se dérober. Vincent Lindon prouve encore une fois l’exigence de ses choix – après les personnages pas très aimables du “Frère du guerrier”, “Chaos”, “La confiance règne” -. Sa solidité apparente et rassurante et le côté “borderline” de son personnage est d’une grande justesse. Ce comédien confirme son grand talent et sa capacité à nous amener dans des univers variés. A ses côtés, il y a la grande performance d’Emmanuelle Devos, son côté décalé – elle adore le foot -, sa panique devant l’attitude de Marc, sa volonté d’affronter les problèmes, de la belle ouvrage. C’est incontestablement l’une de nos plus grandes comédiennes. Les autres acteurs ont des rôles plus courts dans la perplexité, voir fiche IMDB – Hippolyte Girardot, Brigitte Bémol, en femme policier, Cylia Malki et Mathieu Amalric, en “ex” d’Agnès, narquois et agité. Le film d’Emmanuel Carrère aux frontières du fantastique, de l’onirique et de la simple constatation clinique du point de vue de “l’homme qui tombe” est une preuve de maîtrise, avec un sens filmique très élaboré. Un cinéaste à suivre…

CAMPING A LA FERME

Ce film peut poser problème, soit on le voit pour ce qu’il est une sympathique comédie, soit on le voit dans la continuité des précédents films de Jean-Pierre Sinapi, et l’on peut être déçu. Hier c’était donc l’avant-première de “Camping à la ferme” à l’UGC Cité Ciné, présenté par le réalisateur lui-même, Nadine Marcovici qui joue “La maire” – c’est une fidèle depuis “National 7”, Aghmane Ibersiene qui joue Assane, et la productrice Nathalie Gastaldo. On comprend très vite le pourquoi du film, c’est une commande de la productrice, et de l’écrivain Azouz Begag, dont la voix chaude de conteur sur France Culture me revenait en mémoire. A la recherche d’un cinéaste, il pense à Jean-Pierre Sinapi, dont l’acuité, l’humour (très présent dans “National 7”, film où rayonne l’admirable Olivier Gourmet), la sensibilité semblait idéale. Le réalisateur voit en cette comédie, un moyen de poursuivre son oeuvre, après le très “noir” “Vivre me tue”, et un moyen d’y apporter une touche personnelle, une poésie – ce qui est parfois une erreur -, avec l’aide de son scénariste Daniel Tonachella.

 Jean-Pierre Sinapi

Curiosité, Azouz Begag, entre au gouvernement,  – idée pour sortir des abîmes de l’impopularité ? –, comme ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances – vaste programme ! -, ce qui change un tantinet la grille de lecture du film. Mais la productrice habile,  présente le fait comme une surprise, coupant court aux questions. Le fait est confirmé ensuite par le metteur en scène au sortir du débat, la promotion ne se fera pas sur ce fait, notre si charmant gouvernement n’y tenant pas non plus. Il précise que Clotilde Coureau est devenu princesse après le tournage des “Beaux jours” pour Arte. Amis artistes participez à un tournage du sieur Sinapi, c’est bon pour votre carrière ! J’ai pour parti-pris de saluer le travail des comédiens, qui devrait être au service du film, et non l’inverse, histoire de trouver toujours quelque chose à sauver d’un film, ou saluer ceux que nous connaissons sans toujours pouvoir mettre un nom. Ils peuvent être à la rescousse du film parfois. Le film doit beaucoup à l’abattage des jeunes acteurs, excepté pour Jean-Noël Cridlig-Veneziano, c’était la première expérience au cinéma pour Rafik Ben Mebarek, Hassan Ouled-Bouarif, Yves Michel, l’attachant Marc Mamadou et Aghmane Ibesiene, chaleureux malgré le tract dans la salle hier. Ils ont eu deux mois pour se préparer, ils sont tous très drôles, ou touchants.

Nadine Marcovici aime bien préparer ses personnages, elle s’est aidé de la vision du rôle de Nicole Kidman, dans “Prêt à tout / To die for” de Gus Van Sant. Elle est ici une femme politique arriviste – qui ne veut pas qu’on l’appelle la mairesse qui est la femme du maire ! “. Il y a un cousinage avec Isabelle Nanty, elle a un bel abattage. La seule indication du metteur en scène était de s’adresser aux personnes, comme si elles étaient les plus importantes au monde. Les villageois recevant les jeunes en difficulté dans le cadre des TIG – prononcez tige -, sont des “bas du front”.

La caricature semble un tantinet un peu lourde tout de même, tel le Rodolphe – joué avec humour par Dominique Pinon, qui jouait alors au théâtre avec Isabelle Carré dans “Les pieds sous la table -, l’agriculteur ne travaille que pour les subventions européennes – le très bon Robert Rollis, dont je vais faire un petit portrait d’ici peu -, ou Gaston – Jean-François Stévenin, convaincu de figurer dans ce film, grâce à sa fille Salomé qui aimait à raison les films de Sinapi -, qui voit des “fellagas” partout. C’est un peu le point faible du film, mais on a plaisir à retrouver de vieux routiers, Michel Fortin en ouvrier dans une église, Jean-Claude Frissung – troisième rôle pour Sinapi – en curé conciliant, Jean-Paul Bonnaire en abruti suiveur – comme d’hab’ – ou Jacques Giraud en cafetier – comme d’hab aussi -, Bruno Lochet “deschienise” et  sa scène du “pétard” a provoqué lancé un curieux débat dans la salle, nous sommes ici à Bordeaux, ne l’oublions pas.

Roschdy Zem est excellent dans la comédie – comme dans “Filles uniques”, en éducateur probe, patient mais motivé, ne serait-ce que par le charme d’une femme juge – apparition amicale pour Julie Gayet -. Il porte le film par sa belle énergie. L’empreinte de Jean-Pierre Sinapi, est bien présente dans ce film. Dans le hall de l’UGC, il disait ne pas être d’accord avec le titre du film, imposé par la productrice, mais cette dernière semblait surprise que les gens avait un apriorisme sur ce film, pour finalement l’aimer beaucoup. L’étiquette “film de banlieue” semble si on prête oreille, ici ou là, semble faire fuir le public, ce qui est arrivé à l’attachant “Ze film” de Guy Jacques. Ici on se rapproche un peu de la comédie italienne, et la salle riait beaucoup. Mais on pouvait attendre légitimement un peu mieux du cinéaste de plus très sympathique.

TRAVAUX, ON SAIT QUAND CA COMMENCE…

L’affiche belge de Travaux…

L’œuvre de réalisatrice de Brigitte Roüan est attachante, de l’amusant court-métrage”Grosse” (1985) où une comédienne enceinte – elle est éconduite par Maurice Pialat – cherche du travail, d’ “Outremer” (1989), itinéraire nostalgique de trois sœurs, de “Post coïtum, animal triste” (1997),  récit d’une femme amoureuse d’un homme plus jeune qu’elle, et “Sa mère, la pute” (2001) sur Arte, portrait d’une vengeance de femme, il y a une gravité, une cohérence, et elle mérite plus que de figurer dans des petits rôles de femmes “fofolles,” ces derniers temps. Même s’il y a un petit problème de rythme parfois, me semble-t’il, Brigitte Roüan réussit parfaitement à mélanger des scènes oniriques – les plaidoiries de Carole Bouquet – et un certain réalisme social – les sans-papier et le petit monde des ouvriers colombiens -. J’entends ici ou là, parler de démagogie à propos de ce film, gageons que si ce même film était une réalisation anglaise tout le monde s’enthousiasmerait sans réserves.

Carole Bouquet

Venue avec Jean-Pierre Castaldi, présenter ce film avec enthousiasme, Brigitte Roüan montrait chaleur et conviction. Elle insistait sur l’importance des décors de Guy-Claude François – La seconde star du film, construit dans un entrepôt, selon le producteur Humbert Balsan, qui s’est donné la mort depuis et qui apparaît ici en banquier – . On se réconcilie ici avec Jean-Pierre Castaldi, qui était sur scène comme un lion dans une cage, et on finit même par oublier son image très dégradée de “premièrecompagnisé”, son personnage jouant de son statut d’amant encombrant de la belle Chantal. Le film doit beaucoup à sa distribution hétérogène, – elle avait déjà dirigé un inattendu Pierre Doris, en grand-père dans “Outremer” – dominée la belle énergie de Carole Bouquet, montrant ici, après “Nordeste”, l’étendue de son registre. Aldo Maccione – perdu de vue depuis le peu mémorable “La femme de chambre du Titanic” – est hilarant, en entrepreneur caractériel, c’est une figure poétique selon la réalisatrice, l’acteur avait tendance à faire comme son personnage, sortant du film, se faisant prier, avant de revenir rattrapé par Carole Bouquet. Les interprètes jouant les ouvriers colombiens sont tous formidables, avec une belle humanité, on se réjouit de revoir Françoise Brion, en mère fantasque de Chantal,  Gisèle Casadesus en voisine complice, Marcial Di Fonzo Bo en architecte colombien maladroit mais enthousiaste, Bernard Menez en commissaire décalé, Éric Laugérias en directeur de centre commercial conciliant, l’excellent Sotigui Kouyaté et son incroyable présence en sans-papier, Jean-Paul Bonnaire en consommateur de bistrot nonchalant, Philippe Ambrosini en inspecteur speedé, Rona Hartner en locataire volubile . N’oublions pas l’impeccable Didier Flamand en ancien mari de Chantal, toujours présent dans les mauvais moments, et la surprise finale du film. Au final, c’est un film très chaleureux, dont le souvenir perdure après sa vision, un film qui réchauffe l’âme, ce qui n’est pas si fréquent.

Aldo Maccione & Carole Bouquet

Article : Libération : Mes dates clés par Brigitte Roüan

“Juin 1947. Mon père se noie. Je suis posthume, mon biberon sous le bras. Eclipse du soleil, les brumes matinales auront toujours du mal à se dissiper.

Novembre 1954. Ma mère meurt de mélancolie. Je vis à Toulon, petite fille dans le noir, le deuil. On m’envoie en Algérie, chez mes oncles et tantes. Une grande maison blanche, pleine de lumière, de cris et de rires d’enfants. La joie, la beauté, les parfums, la chaleur des femmes algériennes, et les couleurs sur fond blanc. L’Algérie, qui entre en guerre, est désormais ma mère fantasmée, ma résilience.

1960. Ça chauffe en Algérie. On me réexpédie en France, pensionnaire chez les Dames de Sion, rue Notre-Dame-des-Champs à Paris. Jupes plissées, mines contrites, pupille de la nation, le noir revient. Silence et chahut, adolescente je m’ennuie. J’ai honte d’être roturière, orpheline, boursière fauchée. Je m’invente une vie où je serais riche et fameuse. Les seules dames en couleur sont les putes de la rue Quentin-Bauchart, qui me donnent des bonbons. Je ne sais pas trop ce qu’elles font là tous les lundis matin.

1966. Hypokhâgne au lycée Camille-Sée, autre caserne. Dernière de la classe : sacrée claque et des complexes pour la vie. Il ne m’en reste qu’un poème de Valéry : «O combles d’or, ô mille tuiles toits…»

Mai 1968. Je découvre la liberté. Avec quelques copines à Saint-Eustache pour un concert de musique sacrée, on décide d’aller rue Gay-Lussac. Sur les robes de soirée et les escarpins, on enfile des pulls, des jeans. On part faire la révolution sur les barricades. Quand les CRS ont chargé, je n’ai pas couru assez vite, mais lorsqu’ils voient les escarpins, la belle robe, ils me relâchent sur-le-champ. Mai 68, c’est la naissance de tous les sens et je ne veux qu’une chose : ne plus être vierge. Comme la révolution est très érotique, ça n’a pas traîné. Je rencontre mon premier ouvrier, de chez Renault : pour moi, c’est Mick Jagger.

1972. Thérèse est triste parce qu’elle rit quand on la b…, pièce de Coluche, que je joue au grand dam de ma famille. Je n’avais pas conscience que je pouvais faire rire, c’est venu petit à petit. Je joue une petite fille qui fait pipi au cinéma, submergée d’émotions. Il fallait que tout soit chronométré au millimètre. Quand ça ne marchait pas, Coluche était furieux. Il m’a appris le tempo. Je voulais être danseuse, mais j’avais une jambe plus courte que l’autre. Alors… va pour le théâtre. Mais du théâtre de rue pour changer le monde. Je me suis rendu compte que c’était le contraire : faire du théâtre pour être aimée.

1976. Les Amoureux de Goldoni, à la Gaîté-Montparnasse, avec Patrick Chesnais, mis en scène par Caroline Huppert. C’était hilarant : on a fait un tabac. Je me shoote à l’amour : les troupes, les metteurs en scène, les grands théâtres.

1977. Je joue Ophélie dans la Cour d’honneur d’Avignon, dans le Hamlet de Benno Besson. Un battement de cil et 2 000 personnes qui rient : un orgasme géant.

Juillet 1983. Naissance de mon fils, Félix. Enceinte, je venais de commencer Grosse, mon court métrage, où je joue face à Maurice Pialat, et je l’ai fini après la naissance. Félix est le seul acteur au monde qui, dans un même film, est à la fois dedans et dehors : il est dans mon ventre de comédienne et figurant bébé.

1987. Repérages pour Outremer, mon premier long. Je retrouve en Algérie les sensations de mon enfance. Je vais voir cette grande maison où j’ai vécu, la ferme des quatre chemins. Les arbres ont été coupés, c’est devenu moche, ça ressemble à un bidonville. La pauvreté est venue. Mais les Algériens, libres, marchent le plexus vers le soleil.

Cannes 1990. Outremer à la Semaine de la critique. Un festival à bicyclette. Je faisais tout, du Palm Beach au Palais, pour répondre aux interviews. On a le prix de la Semaine, joyeuses Cannes.

Cannes 1997. Post coïtum, animal triste à Un certain regard. C’est le plus petit budget de la sélection avec Marius et Jeannette de Guédiguian, mais ce seront les deux succès cannois de l’année : le rapport qualité/prix est excellent ! Les Américains disaient : «Ce n’est pas un low budget, mais un no budget…» Humbert Balsan, mon producteur, me lance au moment de monter sur scène : «Quand on montre un film qui s’appelle Post coïtum, animal triste, on n’a pas peur !» C’était très gai.

2001. Sa mère, la pute, pour Arte. Un film dur, qui s’est fait vite et dans la joie.

10 février 2005. Humbert se pend, mon film posthume sous le bras. Je suis KO, et tout le cinéma indépendant avec moi.

Cannes 2005. Travaux, à la Quinzaine. Cannes à tâtons, j’entends à peine les rires qui sont énormes. Les gens applaudissent comme à Guignol. Je suis cannée. Heureusement, Carole est là, avec son énergie, son appétit du bonheur.”

NE QUITTEZ PAS

Troisième volet de ce qui peut constituer une trilogie (avec les jubilatoires “Alberto Express” et “Que la lumière soit” sur la dette au son père, « Ne quittez pas » est un bijou de conte philosophique, alternant le rythme d’une “screwball comédie” américaine et une humanité rare au cinéma français, à redécouvrir en ce moment en DVD.

Sergio Castellito est prodigieux d’inventivité, dans la lignée des grands comédiens italiens, tel celui qui jouait son père dans “Alberto Express” : Nino Manfredi et dont la disparition a touché de nombreux cinéphiles.

Sergio Castellitto

TOUTE la distribution est au même niveau, d’Isabelle Gélinas mêlant dureté et drôlerie, une rayonnante Rachida Brakni dans un rôle symbole, le toujours très juste Laszlo Szabo, l’Anglaise Emily Morgan en amour de jeunesse, Chantal Neuwirth en passagère d’avion perplexe, une inattendue Lisette Malidor et l’étonnant Maurice Bernard (le producteur) excellent dans le rôle du rabbin, pour ne citer que quelques-uns uns…

Il y a également les familiers d’Arthur Joffé, Tcheky Karyo en petit frère d’Harper (son personnage dans “Que la lumière soit”, le formidable Zinedine Soualem, Dominique Pinon en clochard acerbe ou Hélène de Fougerolles.

L’une des nombreuses grandes idées de ce film est d’avoir pris Michel Serrault pour la voix du père défunt, on imagine aisément se morfondre et fulminer, tel un lion dans sa cage dans son univers « ouaté » jaloux de son fils, bien vivant lui. Il est difficile de parler de l’histoire sous peine de déflorer bon nombre de surprises, le film regorge d’espoir face aux situations désespérées et l’humour transcende une certaine dureté et une vision lucide de la vie.

On ne peut que se louer d’avoir un metteur en scène qui a un univers aussi original dans le cinéma français, l’un des rares dont on reconnaît le style dès les premiers plans, il faut guetter la sortie en DVD d « Alberto Express » et « Que la lumière soit » (qui a connu une sortie désastreuse en pleine coupe du monde de football en 1998).

Rencontré lors d’une avant-première du film Arthur Joffé, passionnant et passionné, reste serein malgré les difficultés connues dans son parcours et nous promet un nouveau film bientôt. Il semble avoir payé la carte blanche qu’il avait eu pour son premier long-métrage “Harem” avec Nastassja Kinski et Ben Kingsley, et c’est bien dommage…

LES POUPÉES RUSSES

Restons en compagnie de la charmante Cécile de France avec l’avant-première euphorisante – première de la tournée Province – à l’UGC Ciné Cité Bordeaux, du film de Cédric Klapisch “Les poupées russes”, qu’elle présentait avec Cédric Klapisch et Romain Duris. Dans la série des – rares – suites réussies, ce film, succédant à “L’auberge espagnole” est digne d’ y figurer, à la manière du “Parrain II”, “La fiancée de Frankenstein” ou “Nous irons tous au Paradis”. L’univers de Cédric Klapisch y est toujours aussi foisonnant, et on ne peut que louer son aptitude à se renouveler à chaque nouveau film. Il étonne par son inventivité constante, sa manière lumineuse de filmer “Paris”, “Londres” et “Saint-Petersbourg”, comme trois personnages à part entière du film. On retrouve les personnages quatre ans après, à travers le regard de Xavier – fantastique Romain Duris -, personnage central de ce film choral. Il vivote écrivant pour une bluette télévisée qui s’avère être une version ridicule de son propre parcours amoureux. Les clichés volent en éclats, Klapisch mettant un recul burlesque sur les difficultés de notre quotidien. Duris confirmait l’exigence de  Klapisch, qui avait refusé de tourner “Astérix”. C’est une scène de la vie quotidienne qui a été le catalyseur de cette suite. Un jeune marié, un peu ivre et pris de panique,  pleurait dans les toilettes d’un restaurant… On retrouve cette scène emblématique du film. C’est un grand plaisir de découvrir un film, sans en avoir aucun écho au préalable. Le film est à la hauteur de l’attente, visible ce soir là du public, qui salua par une « standing-ovation » méritée ce film jubilatoire. Le réalisateur, a 43 ans a bien évalué l’inquiétude – il disait “j’ai eu 13 ans pour réfléchir sur mes 30 ans”, l’air du temps de jeunes trentenaires inquiets devant les incertitudes de la vie. Il analyse subtilement  – en vrac – les relations amoureuses, la précarité d’un travail subi, la mondialisation, l’état de la planète laissé en héritage par les post-soixantuitards désabusés. C’est donc un premier semestre déterminant pour lui, après avoir été à l’auteur d’un très grand rôle dans « De battre son cœur s’est arrêté » de Jacques Audiard, il confirme son assurance mêlée de légèreté, il était un peu dépassé, hier soir de son nouveau statut d’idole, face à des fans empressés. Acteur fétiche et complice de Klapisch, il avait retrouvé facilement son personnage, par la force de la mise en scène, puisqu’il n’avait pas le temps de se préparer entre deux tournages. Petite anecdote, le réalisateur aimant à donner des indications de dernières minutes, Romain lui a gardé une petite rancune. Il avait une longue blague à apprendre la veille pour le ledemain, en espagnol !, pour finir sur la table de montage. Audrey Tautou, mutine, amuse par son statut d’ex, qui garde toujours une importance – vaste programme pour une situation pas toujours facile à vivre – . Elle passe de l’inquiétude à l’amusement et se retrouve perdue lorsque le père de son jeune fils le récupère le temps d’un week-end. Kevin Bishop amoureux d’une danseuse russe, effrayé des perspectives de sa nouvelle vie en Russie, et Kelly Reilly en amoureuse transie et sensible participent à la réussite du film.

Cécile de France et Romain Duris dans “Les poupées russes”.

Cécile de France retrouve son rôle – pour lequel elle avait gagné un César de la meilleure révélation, en lesbienne complice, et brûlant la vie, elle retrouve ce rôle fort de femme libre et maladroite quant il s’agit de figurer en fiancée pour faire plaisir au grand-père, un grand moment cocasse.  Le reste de la distribution est à l’avenant de Carole Franck – la prof de “L ’esquive” -, en productrice qui prend Xavier en sympathie, Pierre Gérald en grand-père attachant de Xavier en harmonie avec son grand âge, la magnifique Aïsa Maïga – « L’un reste, l’autre part – en vendeuse amusée, Bernard Haller en éditeur efficace, Olivier Saladin en bourgeois bohème amoureux de la mère de Xavier, jouée par Martine Demaret, Lucy Gordon en mannequin entre fascination et étrangeté, etc… Et il y a le fidèle Zinedine Soualem, personnifiant « Monsieur tout le monde », inspirant des situations de comédie à Xavier. Saluons ce comédien, toujours drôle et efficace quelle que soit la durée de ses rôles. C’était un bonheur pour moi de pouvoir rediscuter un peu, une troisième fois avec le modeste Cédric Klapisch et de retrouver après “La confiance règne” la charmante et souriante Cécile de France, après sa performance cannoise, elle voit cette tournée promotionnelle comme des vacances !. Nous nous reconnaissons dans ces personnages encombrés mais bien vivants, et l’on ressort de ce film avec une énergie formidable, qui parle superbement d’amour, exercice périlleux par excellence. Un grand et beau moment de cinéma !