Avant-première hier à l’UGC Ciné-Cité Bordeaux, du second film d’Emmanuel Carrère – après le documentaire « Retour à Kotelnitc » en 2003 -, « La moustache » en présence du réalisateur et de Vincent Lindon. La visite se fait avant le film, le comédien déplorant ne pas pouvoir rester « pour un milliard de raisons ». C’est finalement une bonne chose, de ne pas avoir la tentation de demander ensuite une explication de texte au metteur en scène. Vincent Lindon assez calme, présente ce « premier » film – de fiction  -, comme sa plus belle expérience au cinéma, son autre premier film – « Prunelle blues » ? » étant pour lui son plus mauvais. Il raconte que lors de son 45ème anniversaire l’an dernier sa mère lui avait déclaré ne toujours pas regretter sa venue au monde, Emmanuel Carrère, au 30 ème jour de tournage, lui avait confiait la même chose pour son travail avec lui. Cette espère de corrélation rassurante, nous montre un Vincent Lindon, inquiet, satisfait de compter pour son entourage. L’idéal est de savoir le moins possible sur ce film, mais – n’ayant pas vu la première œuvre cinématographique -, la certitude est de tenir un authentique cinéaste en la personne d’Emmanuel Carrère, alors qu’il a déjà été gâté par ses adaptations par Claude Miller « La classe de neige » et Nicole Garcia « L’adversaire ». 

  

Emmanuelle Devos & Vincent Lindon dans « La moustache »

Le film commence sur un détail qui pourrait être anodin, Marc Thieriez rase sa moustache, sa femme Agnès ne l’ayant connu qu’avec elle. Et personne ne semble rien remarquer ensuite. Est-ce le début d’une perte de la réalité, ou le délire d’Agnès qui entraînerait ses proches avec elle ?. Emmanuel Carrère manie ce vertige à la perfection, partant de ce couple solide, et fait basculer son film, dans une incertitude – le film a pour point de vue le personnage de Marc -. Il définit bien la perte de repères – une rue sous la pluie dans un taxi, une chambre où l’on ouvre les yeux sans trop savoir où l’on est, la perception des sons alentours ou le choix d’une veste… Le film ne donne pas de réponse – la fin est différente de celle du roman -, le mécanisme d’une lente chute est formidablement décrite, destabilisant le spectateur, avec la notion des choses du quotidien qui peuvent se dérober. Vincent Lindon prouve encore une fois l’exigence de ses choix – après les personnages pas très aimables du « Frère du guerrier », « Chaos », « La confiance règne » -. Sa solidité apparente et rassurante et le côté « borderline » de son personnage est d’une grande justesse. Ce comédien confirme son grand talent et sa capacité à nous amener dans des univers variés. A ses côtés, il y a la grande performance d’Emmanuelle Devos, son côté décalé – elle adore le foot -, sa panique devant l’attitude de Marc, sa volonté d’affronter les problèmes, de la belle ouvrage. C’est incontestablement l’une de nos plus grandes comédiennes. Les autres acteurs ont des rôles plus courts dans la perplexité, voir fiche IMDB – Hippolyte Girardot, Brigitte Bémol, en femme policier, Cylia Malki et Mathieu Amalric, en « ex » d’Agnès, narquois et agité. Le film d’Emmanuel Carrère aux frontières du fantastique, de l’onirique et de la simple constatation clinique du point de vue de « l’homme qui tombe » est une preuve de maîtrise, avec un sens filmique très élaboré. Un cinéaste à suivre…