L’affiche belge de Travaux…

L’œuvre de réalisatrice de Brigitte Roüan est attachante, de l’amusant court-métrage »Grosse » (1985) où une comédienne enceinte – elle est éconduite par Maurice Pialat – cherche du travail, d’ « Outremer » (1989), itinéraire nostalgique de trois sœurs, de « Post coïtum, animal triste » (1997),  récit d’une femme amoureuse d’un homme plus jeune qu’elle, et « Sa mère, la pute » (2001) sur Arte, portrait d’une vengeance de femme, il y a une gravité, une cohérence, et elle mérite plus que de figurer dans des petits rôles de femmes « fofolles, » ces derniers temps. Même s’il y a un petit problème de rythme parfois, me semble-t’il, Brigitte Roüan réussit parfaitement à mélanger des scènes oniriques – les plaidoiries de Carole Bouquet – et un certain réalisme social – les sans-papier et le petit monde des ouvriers colombiens -. J’entends ici ou là, parler de démagogie à propos de ce film, gageons que si ce même film était une réalisation anglaise tout le monde s’enthousiasmerait sans réserves.

Carole Bouquet

Venue avec Jean-Pierre Castaldi, présenter ce film avec enthousiasme, Brigitte Roüan montrait chaleur et conviction. Elle insistait sur l’importance des décors de Guy-Claude François – La seconde star du film, construit dans un entrepôt, selon le producteur Humbert Balsan, qui s’est donné la mort depuis et qui apparaît ici en banquier – . On se réconcilie ici avec Jean-Pierre Castaldi, qui était sur scène comme un lion dans une cage, et on finit même par oublier son image très dégradée de « premièrecompagnisé », son personnage jouant de son statut d’amant encombrant de la belle Chantal. Le film doit beaucoup à sa distribution hétérogène, – elle avait déjà dirigé un inattendu Pierre Doris, en grand-père dans « Outremer » – dominée la belle énergie de Carole Bouquet, montrant ici, après « Nordeste », l’étendue de son registre. Aldo Maccione – perdu de vue depuis le peu mémorable « La femme de chambre du Titanic » – est hilarant, en entrepreneur caractériel, c’est une figure poétique selon la réalisatrice, l’acteur avait tendance à faire comme son personnage, sortant du film, se faisant prier, avant de revenir rattrapé par Carole Bouquet. Les interprètes jouant les ouvriers colombiens sont tous formidables, avec une belle humanité, on se réjouit de revoir Françoise Brion, en mère fantasque de Chantal,  Gisèle Casadesus en voisine complice, Marcial Di Fonzo Bo en architecte colombien maladroit mais enthousiaste, Bernard Menez en commissaire décalé, Éric Laugérias en directeur de centre commercial conciliant, l’excellent Sotigui Kouyaté et son incroyable présence en sans-papier, Jean-Paul Bonnaire en consommateur de bistrot nonchalant, Philippe Ambrosini en inspecteur speedé, Rona Hartner en locataire volubile . N’oublions pas l’impeccable Didier Flamand en ancien mari de Chantal, toujours présent dans les mauvais moments, et la surprise finale du film. Au final, c’est un film très chaleureux, dont le souvenir perdure après sa vision, un film qui réchauffe l’âme, ce qui n’est pas si fréquent.

Aldo Maccione & Carole Bouquet

Article : Libération : Mes dates clés par Brigitte Roüan

« Juin 1947. Mon père se noie. Je suis posthume, mon biberon sous le bras. Eclipse du soleil, les brumes matinales auront toujours du mal à se dissiper.

Novembre 1954. Ma mère meurt de mélancolie. Je vis à Toulon, petite fille dans le noir, le deuil. On m’envoie en Algérie, chez mes oncles et tantes. Une grande maison blanche, pleine de lumière, de cris et de rires d’enfants. La joie, la beauté, les parfums, la chaleur des femmes algériennes, et les couleurs sur fond blanc. L’Algérie, qui entre en guerre, est désormais ma mère fantasmée, ma résilience.

1960. Ça chauffe en Algérie. On me réexpédie en France, pensionnaire chez les Dames de Sion, rue Notre-Dame-des-Champs à Paris. Jupes plissées, mines contrites, pupille de la nation, le noir revient. Silence et chahut, adolescente je m’ennuie. J’ai honte d’être roturière, orpheline, boursière fauchée. Je m’invente une vie où je serais riche et fameuse. Les seules dames en couleur sont les putes de la rue Quentin-Bauchart, qui me donnent des bonbons. Je ne sais pas trop ce qu’elles font là tous les lundis matin.

1966. Hypokhâgne au lycée Camille-Sée, autre caserne. Dernière de la classe : sacrée claque et des complexes pour la vie. Il ne m’en reste qu’un poème de Valéry : «O combles d’or, ô mille tuiles toits…»

Mai 1968. Je découvre la liberté. Avec quelques copines à Saint-Eustache pour un concert de musique sacrée, on décide d’aller rue Gay-Lussac. Sur les robes de soirée et les escarpins, on enfile des pulls, des jeans. On part faire la révolution sur les barricades. Quand les CRS ont chargé, je n’ai pas couru assez vite, mais lorsqu’ils voient les escarpins, la belle robe, ils me relâchent sur-le-champ. Mai 68, c’est la naissance de tous les sens et je ne veux qu’une chose : ne plus être vierge. Comme la révolution est très érotique, ça n’a pas traîné. Je rencontre mon premier ouvrier, de chez Renault : pour moi, c’est Mick Jagger.

1972. Thérèse est triste parce qu’elle rit quand on la b…, pièce de Coluche, que je joue au grand dam de ma famille. Je n’avais pas conscience que je pouvais faire rire, c’est venu petit à petit. Je joue une petite fille qui fait pipi au cinéma, submergée d’émotions. Il fallait que tout soit chronométré au millimètre. Quand ça ne marchait pas, Coluche était furieux. Il m’a appris le tempo. Je voulais être danseuse, mais j’avais une jambe plus courte que l’autre. Alors… va pour le théâtre. Mais du théâtre de rue pour changer le monde. Je me suis rendu compte que c’était le contraire : faire du théâtre pour être aimée.

1976. Les Amoureux de Goldoni, à la Gaîté-Montparnasse, avec Patrick Chesnais, mis en scène par Caroline Huppert. C’était hilarant : on a fait un tabac. Je me shoote à l’amour : les troupes, les metteurs en scène, les grands théâtres.

1977. Je joue Ophélie dans la Cour d’honneur d’Avignon, dans le Hamlet de Benno Besson. Un battement de cil et 2 000 personnes qui rient : un orgasme géant.

Juillet 1983. Naissance de mon fils, Félix. Enceinte, je venais de commencer Grosse, mon court métrage, où je joue face à Maurice Pialat, et je l’ai fini après la naissance. Félix est le seul acteur au monde qui, dans un même film, est à la fois dedans et dehors : il est dans mon ventre de comédienne et figurant bébé.

1987. Repérages pour Outremer, mon premier long. Je retrouve en Algérie les sensations de mon enfance. Je vais voir cette grande maison où j’ai vécu, la ferme des quatre chemins. Les arbres ont été coupés, c’est devenu moche, ça ressemble à un bidonville. La pauvreté est venue. Mais les Algériens, libres, marchent le plexus vers le soleil.

Cannes 1990. Outremer à la Semaine de la critique. Un festival à bicyclette. Je faisais tout, du Palm Beach au Palais, pour répondre aux interviews. On a le prix de la Semaine, joyeuses Cannes.

Cannes 1997. Post coïtum, animal triste à Un certain regard. C’est le plus petit budget de la sélection avec Marius et Jeannette de Guédiguian, mais ce seront les deux succès cannois de l’année : le rapport qualité/prix est excellent ! Les Américains disaient : «Ce n’est pas un low budget, mais un no budget…» Humbert Balsan, mon producteur, me lance au moment de monter sur scène : «Quand on montre un film qui s’appelle Post coïtum, animal triste, on n’a pas peur !» C’était très gai.

2001. Sa mère, la pute, pour Arte. Un film dur, qui s’est fait vite et dans la joie.

10 février 2005. Humbert se pend, mon film posthume sous le bras. Je suis KO, et tout le cinéma indépendant avec moi.

Cannes 2005. Travaux, à la Quinzaine. Cannes à tâtons, j’entends à peine les rires qui sont énormes. Les gens applaudissent comme à Guignol. Je suis cannée. Heureusement, Carole est là, avec son énergie, son appétit du bonheur. »