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LIBERO

Qui pouvait penser un jour en voyant Kim Rossi-Stuart dans le film de Michelangelo Antonioni dans « Par-delà les nuages » en 1985, où il paraissait comme une gravure de mode bien fade, qu’il s’avèrerait plus de 10 ans plus tard, un réalisateur aussi subtil avec son premier « Anche libero va bene », en V.O.. Il est vrai que l’on avait put noter une maturité dans son jeu d’acteur, dans « Romenzo criminale » (Michele Placido, 2005) et surtout « Les clés de la maison » (Gianni Amelio, 2004) , où il se découvrait un père tardif d’un petit handicapé. On attendait donc son film, en raison des échos favorables de la présentation du film, dans le cadre de la « Quinzaine des réalisateurs à Cannes ». Il avait d’ailleurs obtenu le prix de la CICAE, association rassemblant des exploitants de salles « Art et Essai européennes ». Il joue ici Renato, le père un peu dépassé de Tommi, enfant de 11 ans et de sa grande sœur Viola. Pour son premier film, il ne devait pas jouer ce rôle, mais il a finalement emplacé un comédien défaillant au pied-lever. La mère les a abandonnés assez rapidement.  Complètement irresponsable, elle préfère suivre sa vie volage. Le trio subsiste face aux difficultés financières du père. Il est un petit caméraman assez impulsif, qui tente de s’installer à son compte. Mais il a du mal à trouver des contrats, car il est trop entier pour accepter les compromissions – voir la mémorable scène du chameau lors d’un tournage d’une publicité -. Ils arrivent à un petit équilibre, malgré l’absence de l’amour d’une mère, le fils – formidable Alessandro Morace doté d’une belle sensibilité et trouvé par le réalisateur dans son école -, très mature pour son âge, se forge son propre univers. Il s’approprie le toit de son immeuble comme terrain de jeu. Tommi poursuit ses études sans trop d’enthousiasme .Il finit par s’attacher à un jeune retardé plus âgé arrivé dans sa classe, mutique et presque autiste. S’il hésite à s’asseoir avec ce nouvel arrivant, il finit par s’en faire un allier. Renato a pour son fils, de grandes ambitions, il l’encourage à devenir un champion de natation, alors que ce dernier préfèrerait jouer au foot. Même si Viola, a des petits jeux sexuels assez inquiétants pour son âge, cette famille décomposée est unie, malgré l’autorité du père, et de sa colère rentrée qui ne demande qu’à sortir, comme la gifle qu’il donne à son fils pour le punir d’avoir traité sa sœur de pute. Mais la mère, en femme désinvolte et  blessée revient et demande à se faire accepter par le trio malgré son attitude indigne. Le père demande à ses enfants de voter pour autoriser son retour, et bien évidemment l’équilibre précaire qu’il y avait chez lui est fortement remis en question…

Kim Rossi Stuart, Marta Nobil & Alessandro Morace

Rarement au cinéma, on aura vu une telle acuité sur le monde de l’enfance, décrit avec autant de justesse par Kim Rossi Stuart. Il montre la vulnérabilité, la fragilité et un monde évoluant très vite, dans la lignée d’un Luigi Comencini, avec lequel ce film est très justement comparé par quelques critiques. Au petit jeu un peu stérile des références, on pense également à la maîtrise de Nanni Moretti – et pas seulement en raison de la barbe de Kim Rossi Stuart, lui donnant une allure toute  « Morettienne ». Il est vrai que  la co-scénariste du film, est Linda Ferri qui avait signé également « La chambre du fils ». Le titre est révélateur de l’attente d’un père au bord de la démission, pour son fils, le terme. « Libero », signifie un poste de défenseur au football, ce qui est une belle métaphore pour le jeune Tommi. Kim Rossi Stuart est avec les jeunes comédiens, formidable, impressionnant de rage et de révolte face à un monde qui ne lui fait pas de cadeau. Au bord de la détresse, il tient cependant par l’amour de ses enfants, en père imparfait il reste particulièrement touchant dans son exigence et dans la tendresse qu’il peut avoir quand il retrouve le sourire en voulant s’amuser avec eux. Ils sont prêts à traverser les épreuves futures, par une osmose réelle. Le cinéma italien continue à nous réserver quelques surprises, ce film étant révélateur de la santé de leur cinéma d’auteur, tout en continuant une grande tradition d’écoute sociale. En privilégiant le regard d’un enfant, Kim Rossi Stuart, qui se révèle un metteur en scène inspiré, nous livre un portrait prenant, sans concession et assez âpre, de la société italienne et de la place à tenir au sein d’une famille monoparentale. Le réalisateur préfère distiller l’émotion par petites touches, plutôt que de jouer la carte du mélo, en nous montrant par exemple, une lettre de la mère repentante mouillée de larmes. Mais derrière une dureté apparente, il y a une grande pudeur, l’histoire n’est pas dénuée d’espoir. Une formidable réussite ! Mais gros bémol hélas pour l’aigri de base qui se met au final à râler, Kim Rossi Stuart est beau… et en plus talentueux… il n’y a aucune justice en ce bas monde !

MÉMOIRES DE NOS PÈRES

C’est finalement nos seniors comme Woody Allen avec « Scoop » et Clint Eastwood avec ce film, qui nous donnent en ce moment de bonnes nouvelles du cinéma américain particulièrement ennuyeux et poussif en ce moment : « Les fous du rois », « Le Daliah noir », sans oublier « The last kiss » laborieux et inutile remake de « L’utimo baccio » de Gabriele Muccino, pourtant signé Paul Haggis, scénariste également « La mémoire de nos pères ». Pour faire comme tout le monde je reprends le bon vieil adage du beau film de John Ford « L’homme qui tua Liberty Valance » :  » …quand la légende dépasse la réalité imprimez la légende », le film va voir au-delà de cette image. Ce film particulièrement critique envers les États Unis, nous montre la notion toute relative de l’héroïsme, trois survivants sont montés au pinacle, à l’issue d’une des plus sanglantes batailles de la guerre du Pacifique. Il est adapté d’un livre que l’on dit remarquable de James Bradley et Ron Powers, qui vont voir au-delà de la légende. Au cinquième jour de l’historique bataille d’Iwo Jima, cinq Marines et un infirmier de la Navy hissent, dans un élan patriotique, le drapeau américain au sommet du Mont Suribachi, arraché aux Japonais. L’image de ces hommes unis marque rapidement les esprits, mais certains élites veulent récupérer ce drapeau en souvenir. Un photographe souhaite immortaliser cet instant, et refais la photo avec quelques soldats présents le falot John « Doc » Bradley, l’Amérindien Ira Hayes, effacé, ne voulant pas faire la photo pris par ses scrupules et le sympathique René Gagnon. Ils vont devenir des symboles et de retour aux États-Unis vont sillonner le continent, à grand renfort de propagande, ils permettent ainsi de récolter de nombreux bons… Mais ils vivent cet état de gloire comme une imposture, notamment Ira Hayes repris par ses démons. Ils vont traverser un complexe du survivant et se questionner sur ces petits arrangements avec la vérité. La mise en scène de Clint Eastwood est simplement admirable, ces combats font évidemment penser par une certaine crudité et à un grand réalisme à « Il faut sauver le soldat Ryan » de Steven Spielberg, ici co-producteur du film. On ne fait qu’entrevoir l’ennemi, ou parfois leurs corps, certains s’étant suicidés à la grenade pour échapper à un massacre.

Adam Beach, Ryan Philippe & Jesse Bradford

On attend onc avec impatience la suite du diptyque avec « Lettres d’Iwo Jima », également réalisé par Eastwood, contrepoint qui devrait être passionnant, la bataille sera vue par la partie adverse japonaise. L’interprétation est ici remarquable, car elle ne correspond pas à l’imagerie traditionnelle du héros, comme Ryan Philip, Jesse Bradford ou Adam Beach, vivant mal ses origines indiennes face au racisme ambiant. Seul Barry Pepper – remarquable dans « Trois enterrements » figure un combattant hors-norme, il choisit d’aller au casse-pipe alors qu’il pouvait comme officier rester dans une zone protégée. Eastwood prend des interprètes dont on est familier, sans être des vedettes – Paul Walker, Jamie Bell, etc… -. Les scènes de guerres sont saisissantes, la cruauté de la guerre. Les soldats sont déconsidérés, à l’image tragique du soldat qui tombe d’un navire de guerre, en route pour l’île d’Iwo. Les officiels ne s’arrêteront pas pour le repêcher… Même si on peut parfois être déstabilisé par la construction du scénario un peu alambiquée, par certains aller-retour passés-présent, critique toute relative devant le brio de la mise en scène, son réalisateur apporte aisément l’adhésion. Mais il nous montre aussi l’angoisse des soldats, avant le débarquement. Le retour de nos trois soldats est dépeint avec un réalisme teinté d’amertume, ils doivent servir de modèles par ceux qui exploitent des légendes pour de basses vues politiciennes. La scène du dessert, un sorbet miniaturisant la célèbre photo, sur lequel on verse du coulis de fraises est d’une grande force, mais aussi suscite un grand malaise, l’absurdité de la guerre continuant avec la banalité du quotidien, et de l’exploitation de l’image de manière outrancière. Le scénario brillant, ne laisse pas les autres personnages en retrait, comme les mères admirables. Elles sont utilisées, elles aussi, même si elles gardent une grande dignité, comme celle qui reconnaît la silhouette de son fils pris en photo dont le nom ne passera pas dans la postérité malgré ses grands mérites. Après le petit miracle de « Million dollar baby » en 2004, Clint Eastwood continue à s’inscrire comme l’un des grands maîtres du cinéma mondial. Il rend hommage aux soldats, tout en livrant un portrait sans concession d’une Amérique, qui a de curieuses résonances avec notre société contemporaine.

BAMAKO

« Bamako » ,présenté hors compétition au Festival de Cannes en mai 2006 en sélection officielle, est un film atypique. Le cinéaste Abderrahmane Sissako à l’idée de faire le procès populaire de la « Banque mondiale » et du « Fond monétaire international », dans une cours de son propre petit village malien. C’est une poignée de représentants de la société civile africaine, qui a engagé cette procédure. Ce huis-clos en plein air, est une belle idée, prendre un axe local pour toucher à l’universel. Un haut-parleur diffuse les actes du procès aux villageois, et le désintérêt de certains d’entre eux compose est montré comme une critique de la passivité de certains de ses concitoyens, qui se soumettent à l’ordre établi. Le ton est accusateur pour nos sociétés, mais il est aussi fortement autocritique. C’est la belle Aïssa Maïga, qui ponctue le film, en danseuse de bal. Son couple avec son mari traversant une crise, le procès l’indiffère un peu. Dans le village, la vie continue, certains souffrent, s’aiment, s’occupent des enfants et des animaux. La vie propre continue malgré le procès. Les intervenants se succèdent sans manichéismes, des véritables avocats jouent leurs propres rôles, comme Roland Rappaport avocat de la défense flirtant avec le ridicule – il faut le voir essayer d’improbables lunettes noires, proposées par un vendeur à la sauvette. Ces personnalités, comme l’avocate sénégalaise Aïssata Tall Fal, jouent le jeu avec une grande ferveur, forts de leurs éloquences acquises avec l’expérience. Les personnages qui témoignent sont touchants, d’une grande dignité, comme ce griot qui se met à chanter dans sa langue, alors qu’on lui refuse tout témoignage – moment d’une très grande force -, ou une femme très courageuse qui témoigne de son vécu.

Le résultat est poignant, nous montrant toute la souffrance de l’Afrique acculée par une dette astronomique. Les secteurs de la santé et de l’éducation sont donc sacrifiés. A l’heure d’une médiatisation assez ambiguë avec des vedettes internationale de Brad Pitt à Madonna, le metteur en scène nous montre le grand dénuement d’une Afrique qui survit dans une grande indifférence. Tout le protocole d’un procès est respecté à la lettre. Un avocat blanc peut détenir la vérité quand il défend le continent africain, alors que sont montrés ici certains noirs dans la compromission, à l’instar de ce portier qui se laisse aisément soudoyer par un journaliste. Il nous montre l’importance de la culture africaine, sa grande sagesse, sa capacité à se révolter, et à subsister malgré la misère. Les scènes de plaidoiries sont les plus fortes, alternant avec des scènes oniriques ou du quotidien. Seule la scène du western africain, proposé à la télévision, est ici un peu déplacée, mais on peut s’amuser à l’incongruité de voir Dany Glover – co-producteur du film -, ou Elia Suleiman, original cinéaste du film « intervention divine« . L’humour est constant, la critique assurée. Le décalage est grand entre une Afrique ancestrale et contemplative, et cet hypothétique procès où finalement les puissants sont pour une foi dépossédés d’une arrogance cynique. L’image d’une Afrique debout, se révèle très forte malgré une situation alarmante, et dépeinte sans didactisme et sans moralise. Cette rêverie réaliste se révèle passionnante, et plus mordante qu’un film uniquement  documentaire. C’est assurément l’un des films les plus libres, originaux et les plus forts de cette rentrée maussade. Abderrahmane Sissako montre, avec une grande acuité, que l’on peut concilier l’engagement militant avec l’exigence artistique, le tout avec intelligence.

UNE VIE DIFFICILE

Il y a des films que l’on désire voir ardemment, et que l’on finit par découvrir tardivement. L’occasion était trop belle pour ne pas aller voir « Una vita difficile / Une vie difficile » de Dino Risi, datant de 1961, et sauf erreur étant sorti tardivement en France en 1976. Il est encore à l’affiche de l’Utopia de Bordeaux au moins jusqu’au 14 novembre, dans une copie parfaitement restaurée. C’est un petit bijou en noir et blanc,  dans la filmographie pourtant brillante de Dino Risi, qualifié justement par les critiques de « moraliste acerbe ». On découvre le destin de Silvio Magnozzi – Alberto Sordi dans l’un de ses meilleurs rôles – qui s’occupe d’un journal clandestin dans l’Italie de 1944. Surpris par une attaque des Allemands, il doit fuir et se réfugie dans une petite auberge. Sa propriétaire, une femme mûre particulièrement déplaisante refuse de l’accueillir. Il manque de se faire arrêter par les occupants, mais il doit son salut avec une intervention inattendue d’une belle jeune femme, fille de l’aubergiste Elena Pavinato – éblouissante Léa Massari -. Il file ensuite le parfait amour dans un vieux moulin, avant de l’abandonner pour rejoindre les partisans, pris par le remord de ne pas continuer à faire son devoir. La guerre terminée, il devient un journaliste dans un petit journal d’opposition qui le rémunère très mal. Emporté, il prend prétexte d’un article de son ami Franco Simonini – Franco Fabrizi, figure sympathique du cinéma italien -, pour aller rejoindre Elena et voir ce qu’elle est devenue… Il y a une maestria dans ce film, porté par l’incroyable composition d’Alberto Sordi, au sommet de son art. Il excelle dans un personnage complexe, à la fois révolté et veule, naïf et cynique, il n’hésite pas à aller au bout de son personnage. Même si son personnage est odieux, il finit par devenir touchant. A ses côtés Léa Massari, rayonne, elle doit supporter les humiliations de Silvio qui la rabaisse, en lui disant qu’elle n’a pas de culture, et plus tard, aura des réactions particulièrement odieuses sous l’emprise de la boisson.

Léa Massari & Alberto Sordi

Il faut voir sa réaction quand il apprend qu’elle tombe enceinte, il lui reproche de ne pas avoir fait attention, car pour lui il faut qu’une femme travaille pour subvenir à son avenir. Mais le film n’est pas dénué d’espoir, car Silvio est un rebelle. Il a le choix de se laisser corrompre ou non quand il dévoile un scandale financier. S’il se compromet, il n’aura plus aucun souci d’avenir, même il préfère garder sa dignité. Il est tiraillé entre le désir de sa femme et de sa belle-mère, cette dernière voulant le voir retourner au village au volant d’une belle voiture, ce qu’il finira par faire de manière détournée. Il se bat pour imposer son roman, impubliable s’il ne passe pas entre les ciseaux de la censure. Dino Risi nous propose une radiographie mordante de la société italienne d’après guerre, il est impitoyable avec le fameux miracle économique italien, qui ne profite qu’aux margoulins de tous poils. Il égratigne aussi son propre milieu, à l’instar des apparitions grotesques de Vittorio Gassman, Silvana Mangano et Alessandro Blassetti qui tourne un péplum. Il y a un petit côté chaplinesque chez ce couple, à l’exemple de la scène d’anthologie, un beau sommet de grotesque. En effet des royalistes les invitent à manger… pour ne pas être 13 à tables. Affamés, n’arrivant pas à manger tous les jours, Silvio et Elena ne veulent que manger, alors que la famille richissime appréhende les résultats sur un référendum concernant le futur système d’anthologie. Tout ici est admirable, de la scène de Silvio devant un jury, après avoir repris tardivement des études d’architectes, des petits matins blêmes le lendemain d’une nuit dans un night-club, ou une hilarante scène d’enterrement. Ce film est d’une richesse inouïe, le regard de Dino Risi étant à la fois lucide sur son temps, et tendre sur ce couple bancal mais amoureux. On peut aisément parler de chef d’œuvre avec ce film.

THE QUEEN

Un certain dimanche 31 août 1997, la princesse Diana succombe à un accident de voiture survenu sous le pont de l’Alma. La popularité de cette personnalité est si importante, que la planète entière se met à la pleurer. Tony Blair- Michael Sheen – qui jouit d’une grande popularité, depuis sa récente élection comme « prime minister », pressent le phénomène. Il ne gardera pourtant pas cette clairvoyance durant toute sa carrière et le réalisateur nous le fait remarquer avec beaucoup de justesse. Elizabeth II, la reine – Helen Mirren -, confinée dans son château de Balmoral en Écosse, n’appréciait guère le comportement de Diana Spencer. Aussi elle préfère garder le silence, ne se rendant pas comte dans son isolement de l’ampleur de ce mouvement, ce qui choque les Britanniques. Tony Blair, après une prise de contact assez froide, finit par vouloir la convaincre. Dans ce rôle Michael Sheen, avait déjà expérimenté dans un téléfilm « The deal » en 2003, signé pour la télévision par Frears également, le comédien excelle dans un registre matois et arriviste. Son conseiller de communication lui conseille de célébrer cette icône iconoclaste naissante en qualifiant de « Princesse du peuple ». Il conforte ainsi sa côte médiatique. Cette radiographie de la société anglaise, signée Stephen Frears, dans cet épiphonème qui a suivi ce deuil tragique, est ici faite avec beaucoup de mordant. Mais ce n’est pas une satire, il y a réellement un effort de compréhension de découvrir la véritable personnalité de ceux cachés derrière les arcanes du pouvoir et des rites d’un autre âge et d’une rigueur inouïe. La royauté pouvant présenter pour nous un anachronisme pesant, on finit pourtant par ressentir l’attachement des Anglais envers elle. Le scénario de Peter Morgan est particulièrement brillant – il a reçu d’ailleurs l’Osella du scénario lors de la 63ème Mostra de Venise -, même s’il cède parfois à une symbolique un peu lourde, – l’anecdote du cerf, décidément très en vogue en ce moment -. Il montre brillamment l’inconstance de l’opinion publique, et la manipulation roublarde des médias. Évidemment, ça ne manque pas de sel quand on connaît la position actuelle de Tony Blair, dont l’image est désirlaus ternie pour les Anglais. Le Premier ministre est égratigné avec justesse quand la reine mère – Sylvia Syms – évoque son célèbre sourire du « chat du Cheshire » de Lewis Carroll. l faut voir la colère de cette dernière, quand elle voit que la cérémonie funèbre préparée à son intention, finit par servir pour celle qu’elle déteste. Tout ce petit monde est personnifié, avec un réel bonheur, dans ce petit jeu des convenances, James Cromwell – inoubliable interprète de « Six feet under », et américain type – est réjouissant en Prince Philip, réactionnaire à souhait.

Michael Sheen & Helen Mirren

Mais il faut s’attarder sur l’extraordinaire composition, tout en nuances d’Helen Mirren, dans le rôle d’Elizabeth II – elle a reçu la coupe Volpi toujours à Venise. Elle incarne avec beaucoup de justesse le destin exceptionnel de cette reine. Il suffit de faire la comparaison avec traitement poudré et compassé de Golda Meir et Ben Gourion, joués respectivement par Tovah Feldshuh et Ian Holm dans « O Jérusalem », pour souligner ici les mérites de ce film. Helen Mirren trouve l’essence de son personnage, en lui donnant une grande complexité, une noblesse de port, et nous faisant comprendre ce personnage à priori peu discernable à nos yeux.  Il y a une formidable empathie avec son personnage, dont la grande noblesse est la sauvegarde de son sens du devoir. Elle s’humanise malgré les travers d’une hypocrisie construite. Elle est même touchante quand elle finit par voler des moments de liberté au protocole de sécurité, au volant de son vieux véhicule. Tony Blair et elle, s’observe sans vouloir faire trop de concessions, Cherie Blair s’amusant en plus de ce protocole désuet autour de cette souveraine – Helen McCrory d’une drôlerie superbe -. Ils finissent par s’apprécier finalement, dans une idée de partager des intérêts communs. Ils baisseront la garde devant une situation qui les dépasse, Blair finissant même par la défendre la monarque devant son état major, en maugréant après de l’inconstance la princesse Diana, statufiée par l’opinion comme une sainte laïque. Il faut saluer l’audace de vouloir évoquer la vie privée des grands de ce monde, même si on du mal à retrouver le Prince Charles dans l’incarnation d’Alex Jennings, et d’imaginer avec un vérisme certain ce qui se cache derrière la comédie du pouvoir. Frears prouve que l’on peut être vachard, tout en étant respectueux finalement. On est très loin de la grosse farce que l’on pouvait attendre dans le traitement de ce sujet. Stephen Frears de film en film, continue à se renouveler, garde son acuité au monde, aussi bien dans une grosse machinerie américaine que dans un petit budget se passant en Irlande. Derrière le travail de reconstitution minutieux, il arrive à nous faire comprendre ce que représente cette monarchie, pourtant ruineuse, pour les Anglais, ce qui n’est pas une petite affaire. La mise en scène est enjouée, et il arrive, cas extrêmement rare, à faire parfaitement coexister des images d’archives – celles de Lady Di -, et le jeu de comédiens. Il est étonnant de voir que ce réalisateur avec Mme Henderson présente, nous propose deux des meilleurs films de l’année et continue avec une belle constance de nous montrer son grand talent. God Save the Frears !

C’EST BEAU UNE VILLE LA NUIT

C’était le début 1994, je croise le chemin de Richard Bohringer, venu accompagner le cinéaste Charles Matton et le chef opérateur Jean-Jacques Flori, venus présenter l’avant-première de « La lumière des étoiles mortes » au cinéma L’Arlequin à Paris. La semaine suivante, était présenté « L’Italien des roses », grand premier rôle du flamboyant Richard, signé Matton également, l’occasion de retrouver sa grande flamme dès le début de sa carrière. L’homme est très plaisant, accessible, il est sorti un petit peu avant, peu très sensible au débat d’après film. Je me retrouve à discuter avec lui, ainsi qu’une autre personne. Il nous parle de la mort tragique du cinéaste Maroun Bagdadi, et de l’impossibilité pour lui de lui rendre hommage, dans l’indifférence des médias. Tout naturellement, il parle de son projet de film adapté de son beau roman « C’est beau une ville la nuit », et des divers refus des réseaux de production. Il cite l’institution de « L’avance sur recettes » qui le boude, « Je suis ennemi des intelligents ! », déclarait t’il. A voir sa ferveur, je me mettais à avoir des images du film dans ma tête, et quand on croise un homme comme ce grand comédien, il reste une trace indélébile devant sa passion. Près de 13 ans plus tard, c’est l’avant-première de ce film enfin, à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux, organisé en sa présence, que je découvre enfin ce film. Et ça valait le coup d’attendre toutes ces années pour retrouver son énergie, fort de son expérience de réalisateur à la télévision, avec « Les coquelicots sont revenus » et « Poil de carotte ». Dès les premiers plans, la tendresse est au rendez-vous, avec le petit monde du  » bar de la dernière chance », où chacun refait le monde. Il était conscient de devoir ne pas rater cette scène. C’est le quartier général des amoureux de la nuit, et le point de ralliement des amis. La scène a son dynamisme, tout ce petit monde est embarqué dans la folie ambiante.  Avec le budget d’un téléfilm, et l’absence des régions au financement, Bohringer a réussi enfin à faire son adaptation en trouvant de belles fulgurances, co-écrites avec Gabor Rassov. Il nous montre sa chaleur sur les hommes, et sur ses compagnons de routes, au dénominateur commun d’avoir une âme blessée. Il sublime, la poésie des zincs, la rumeur des villes, il a tourné en France, au Canada et au Sénégal – Il a, on le sait, adopté la double nationalité franco-sénégalaise -. Conciliant 50% d’écritures, et 50% de spontanéité, il nous dresse le portrait de Richard, homme blessé, mais à l’enthousiasme intact. Autour de lui, gravitent ses compagnons de beuveries. Chanteur, il suit ses tournées musicales autour de la France, peu aidé par un manager excentrique – belle folie de Jacques Spiesser -, avec ses fidèles musiciens. Il se sert de ses souvenirs et de ses écrits, pour les récréer, en tirer des essences de vie. Il nous racontait avoir débuté d’ailleurs, en première partie de Vince Taylor, sous le nom, trouvé par ce fameux manager… de Richard Blues ! Le personnage hilarant du cycliste sous amphétamines – joué par Nicolas Tronc -, est aussi un personnage réel.

Richard Bohringer

Il y a beaucoup d’humour, du musicien amoureux trahi qui ne cesse de vouloir se supprimer, aux concerts parfois miteux dans quelques campagnes, tel la répétition organisées dans un local, royaume des poules. L’écriture tourmentée de Richard Bohringer trouve ici un écrin dans ce film. Sa manière de filmer les lumières des cités et de ses murmures lointains, son ode amoureux au Sénégal, aux paumés du petit matin chers à Jacques Brel, nous électrise tant son humanité éclate. Il parle de ses dérives, de sa jeunesse meurtrie broyée par le démon de la drogue, mais émaillée de rencontres spectaculaires, comme une prostituée, junkie un musicien noir, un policier désabusé mais humain – Daniel Duval d’une grande justesse – ou l’amour de sa grand-mère – Annie Cordy dont il a salué l’énergie et sa vitalité dans ses improbables tenues de scènes -. Sa fille est aussi présente – lumineuse Romane Bohringer -, présente à ses côtés quand l’alcool lui fait tutoyer les anges, et qui nous donne sa vision du métier d’actrice. Robinson Stévenin personnifie très bien le Paulo, avec sa machine à écrirede la marque « Underwood », une véritable antiquité qui ne serait pas indigne d’un Chester Himes. Les périodes, les livres, les films se télescopent pour cette machine à vivre, si bien personnalisée par ce comédien. Il y a aussi une belle idée d’utiliser quelques mal-aimés du cinéma français, souvent réputés ingérables, suivant quelques échos nous parvenant du petit monde du cinéma français. Le réalisateur dénote n’avoir eu aucun problèmes avec eux, il les utilise avec chaleur, citons Farid Chopel en berbère aveugle, Luc Thuillier en cafetier enthousiaste ou Rémi Martin en ami perdu de vue. François Négret incarne parfaitement Bohringer jeune, apportant avec lui ses propres blessures. Il est ici très touchant, curieux parcours pour ce comédien prometteur, qui se retrouvait, il y a peu, simple figurant dans une scène d’ascenseur dans « Caché » de Michael Haneke. On retrouve aussi Annie Girardot, dans une brève apparition – on la préfère ainsi qu’aux mains de sinistres charognards style « Paris Match » -, Sonia Rolland dans un rôle inattendu, ou une Gabrielle Lazure amusée. On retrouve ici l’univers de « La blonde » et de « Paulo » cher à Bohringer. Il trouve dans une économie de moyens, aidé au financement par l’ex-rugbyman Denis Charvet, présent également avec ses deux musiciens. Le réalisateur tient à défendre son film – il venait de faire le jour même une interview pour RTL -. Il fallait le voir parler des techniciens, avec lesquels ce n’était pas « Une lune de miel », et mimer celui qui désigne sa montre lors de la pause déjeuner. « Mais les poètes n’ont jamais faim ! » -. L’enthousiasme du comédien, inentamé dans ce voyage initiatique, renouait ce soir là avec son public. Si vous aimez cet acteur, nous ne pouvez qu’aimer son film… 

LES FRAGMENTS D’ANTONIN

Avant-première le lundi 23 octobre, du premier long-métrage de Gabriel Le Bonin, en sa présence, celle de la productrice Alexandra Lederman et du comédien Grégory Dérangère. Le film commence sur des images d’archives, d’une grande force, comme intactes et préservées par le temps. Des grands traumatisés de la première guerre mondiale, sont filmés par les psychiatres soignants de l’armée. Ils sont secoués de tics, et montrés nus pour bien montrer que leurs attitudes ne proviennent pas de blessures physiques. Intervient ensuite le personnage d’Antonin, qui alterne cinq gestes de manière obsessionnelle. Antonin est joué par Grégory Dérangère, et il passe aisément le test impitoyable de jouer ses scènes après des archives à fort pouvoir émotionnel. C’est au travers de son regard que l’on va suite les conséquences de la guerre. Il est un colombier, un peu en retrait face aux atrocités des étrangers, mais vite rattrapé par les dures réalités. Il ne trouve de consolation qu’à retrouver l’accorte Madeleine Oberstein – la trop rare Anouk Grinberg, une humanité blessée et un charme fou -, infirmière blessée par la vie, qui doit faire au mieux dans un hôpital de fortune dirigé cyniquement par le professeur Lantier – impressionnant Niels Arestrup -. Il termine pourtant, très traumatisé dans le service du professeur Labrousse – Aurélien Recoing égal à lui-même -, pionnier de la psychiatrie, qui cherche à décoder ses tics nerveux, et refaire surgir l’homme derrière la souffrance, quitte à lui faire revivre des moments limites. Grande est la satisfaction de découvrir un film sans rien connaître de son sujet, et de découvrir une indéniable maîtrise de mise en scène. Le film doit le jour grâce à la ferveur de la productrice Alexandra Lederman, qui séduite par le talent de Gabriel Le Bomin, en ayant vu ses courts-métrages, a souhaité développer un sujet avec lui. La recherche et la documentation, font de ce film, une œuvre originale, d’une grande probité, il est vrai que le metteur en scène avait pour modèle le méconnu « Les hommes contre » de Francesco Rosi – film assez rare, bien que parfois diffusé par Patrick Brion -. La genèse du film, n’a pas été simple, les divers partenaires télévisuels et les maisons de productions furent particulièrement rétive devant ce sujet. C’est donc dans une économie de moyens – difficilement visible tant le film est réussi -, et l’enthousiasme de ses divers participants, que ce film a réussit à voir le jour. Les scènes de guerres sont ici véristes, loin des aspects carton-pâtes de certains films français récents. La vision des tranchées est saisissante, on se souviendra longtemps du lieutenant poussant ses troupes au casse-pipe – formidable Pascal Demolon -, quitte à fustiger les siens.

Grégori Dérangère & Anouk Grinberg

Chaque scène a sa cohérence, le réalisateur décortiquant habilement les mécanismes de l’armée à l’instar du grand comédien Yann Collette, figurant un capitaine pris en contradiction entre ses devoirs de meneurs, et l’absurdité de la guerre. Collette avec son histoire amène une authenticité, une force considérable, et une bel analyse des combats à mener, il a une mission à tenir, il passe outre de ses états d’âmes. On passe aisément des moments douloureux, des choix à tenir, l’ennemi n’étant pas forcément l’Allemand, à l’exemple de la belle scène avec Laure Duthilleul et Richard Sammel. Tout manichéisme est évité avec intelligence. L’émotion est présente, des mains qui se frôlent entre Madeleine et Antonin, ont une sensualité exacerbée. Le débat fut passionnant, Gabriel Le Bonin, parlant admirablement de son travail, de son regard sur la guerre, de ses recherches. Avec une grande force de conviction, il a réussi à faire tenir des propos louangeurs de la part de hauts-militaires présents – il n’y a rien à en dire, venir au cinéma avec la légion d’honneur, ça le fait !, quitte à faire déguerpir quelques pécores venus malencontreusement s’installer à côté d’eux. Il est vrai que de voir un premier film aussi abouti devient extrêmement rare. C’était plaisant de découvrir aussi l’énergie de sa productrice – une jeune femme au lumineux regard -, voulant retrouver la force de films comme « Midnight express » et « Voyage au bout de l’enfer ». Autre force du film, l’interprétation de Grégori Dérangère, qui dégage une grande force, sans que l’on sente aucunement un effort de composition. Il est conscient que c’est un rôle payant, l’Antonin d’avant le traumatisme n’étant pas le même homme en 1919, mais il transcende son personnage. Il a dû commencer par les scènes de l’hôpital – il se mettait en retrait de ses partenaires -, avant de jouer les scènes intimes avec Anouk Grinberg, avant de finir sur les scènes de carnages. Ce comédien est véritablement l’un des meilleurs comédiens actuels, comme le confirme sa superbe incarnation d’un paysan secret, mouvance Gabin première manière dans « Le passager de l’été ». Il reste formidablement modeste, attribuant tous les mérites à son metteur en scène, alors qu’il incarne un homme blessé à la perfection, avec beaucoup de vérisme et de force. Le film ne devant pas avoir beaucoup de couvertures médiatiques, vu son petit budget, il est important de ne pas le rater. Contribuons donc à un « bouche-à-oreille » enthousiaste, car on ne voit que très peu de films de cette qualité. Vous ne le regretterez pas. Sortie le 8 novembre.

LE COIN DU NANAR : C’EST PAS PARCE QU’ON A RIEN A DIRE…

« …Qu’il faut fermer sa gueule ! ». Non ce n’est pas le sous-titre du « support-technique » – je mets des guillemets, bien sûr – de mon ancien hébergeur de blog, où un énervé destitué insulte les blogueurs, avant de censurer ensuite une de ses notes vipérine. Ce n’est pas non plus, le résumé général de l’actuelle campagne présidentielle… C’est en fait le titre de l’un des sommets de la comédie désolante franchouillarde. On doit ce monument au cinéastes Jacques Besnard, sorti en janvier 1975, d’après une idée originale de Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte, Christian Clavier – ce dernier étant alors, coïncidence, le beau-fils du producteur Yves Rousset-Rouard -. L’histoire est simple, une minable histoire de casse, entre « Le pigeon » et « Faites sauter la banque ». Riton et Max – Jean Lefebvre et Michel Serrault -, deux escrocs pathétiques et benêts, sont renvoyés par Phano, receleur qui se prend pour un génie – Bernard Blier, au mieux de sa forme -, vu la petitesse des résultats. Mais Phano a l’idée du siècle, fracasser le mur dans les toilettes publiques de la Gare de l’Est, dans le WC N°3, qui se trouve être mitoyen avec une pièce contenant un coffre-fort richement pourvu… L’idée n’est pas fracassante, rajoutant à cela les poussifs dialogues de Jean Halain et Albert Kantoff, louchant méchamment sur l’écriture de Michel Audiard, le talent en moins, à l’exemple de cette phrase de Blier à Serrault : « Le jour où on mettra les cons dans un panier, tu ne seras pas sur le couvercle ». Evidemment, à la lourdeur ambiante, aux vapeurs d’urine, vient un petit côté scatologique. Notre trio de bras cassés, doivent percer le mur en plein jour, dans un lieu de forts passages, histoire de voler les recettes de la SNCF. Et il y a un obstacle colossal, le cerbère local qu’est la dame-pipi, – Tsilla Chelton, hilarante, excentrique, et professeur de l’équipe du théâtre du Splendid -. Il faut la voir véritable furie, gouverner son petit monde, déployer ses dons pour les langues avec les touristes étrangers. Mais elle ménage les habitués, dont Gaston, un contrôleur SNCF – mais qui contrôle plus l’accès des quais que sa vessie -. Gaston c’est Gérard Jugnot, dans un running-gag désolant, accompagné d’une petite musiquette de Gérard Calvi.

Tsilla Chelton, Bernard Blier, Michel Serrault & Jean Lefebvre

Evidemment, difficile pour le trio infernal de passer inaperçu avec cette terreur. Ils ne trouvent rien de mieux, que d’aligner les déguisements les plus improbables, un moine, un anglais, un pêcheur, des plombiers, et se disputent même certains costumes – moment culte où Michel Serrault chiale comme un gosse, parce que Lefebvre lui a piqué son costume d’Écossais -. Pas un modèle de discrétion ! Le petit monde trouble des sanisettes n’arrange rien à l’affaire, c’est une série de trognes qui défilent – dont Marcel Gassouk et Sébastien Floche, noms que je viens de soumettre dans la fiche du film chez IMDB -. Cerise sur le pudding, arrive Christian Clavier, en policier homosexuel. Il faut le voir draguer Bernard Blier, grand moment de n’importe quoi, il hume amoureusement sa nuque à grande force de mimiques. Le Clavier 75, ressemblant furieusement à Nicolas S., version minaude, cette représentation des forces de la loi a un petit côté furieusement subversif. Pas de Thierry Lhermitte pourtant souvent crédité dans se film – rôle coupé au montage ? -, mais on retrouve quelques seconds rôles comme Maurice Travail en automobiliste pressé, Max Amyl en agent de police narquois, Marion Game qui ne fait que passer, et Armel de Lorme me signale aussi Henri Coutet en contrôleur et Madeleine Bouchez en vieille dame outragée. Mais le film malgré l’absence de mise en scène chère à Jacques Besnard – déjà évoqué ici même – a un charme fou, un petit côté transgressif dans le mauvais goût assumé, malgré tous les clichés du cinéma comique d’alors. Bernard Blier est superbe, il fait preuve de grandeur même avec ces dialogues frelatés, Michel Serrault joue la carte du décalage amenant un brillant non-sens, et Jean Lefebvre, en improbable tombeur qui a du « Peps » ne démérite pas de ses deux partenaires monstres sacrés, ce qui prouve à nouveau que son talent est sous-estimé. Combien de nos nanars actuels auront ce même charme dans trente ans, tant nos comiques actuels se galvaudent rapidement… 

LADY CHATTERLEY

Avant-première à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux de « Lady Chatterley », en présence de Pascale Ferran et de Jean-Louis Coulloc’h. La célèbre œuvre de D.H. Lawrence a été adaptée à plusieurs reprises, citons « L’amant de Lady Chatterley » de Marc Allégret, avec Danielle Darrieux en 1955 – que l’on imagine bien édulcoré -, l’érotico-soft film de Just Jaeckin, avec Sylvia Kristel en 1981, deux obscurs « Young Lady Chatterley », une préquel ? signé Alan Roberts en 1977 puis 85,  et un téléfilm, « Lady Chatterley » de 1993 de Ken Russel, qui semble légitime pour le réalisateur du célèbre « Love » en 1969, autre adaptation culte de l’écrivain. Personnellement, j’avais été fortement impressionné par la maîtrise de ses « Petits arrangements avec les morts », en 1993, l’un des meilleurs films français des années 90. L’annonce d’une nouvelle version de l’œuvre de D.H. Lawrence pouvait surprendre dans le cliché que l’on pouvait avoir sur cette œuvre, sans l’avoir lue. Le silence de Pascale Ferran pouvait surprendre, depuis « L’âge des possibles » réalisé pour Arte en 1995. Elle répond avec franchise, qu’elle s’était totalement investi dans son premier film, et qu’elle manquait d’inspiration pour d’autres œuvres. La créativité revenue, elle n’a pas hélas réussi à obtenir un budget conséquent pour un film d’auteur ambitieux : « Paratonnerre ». Elle a fait beaucoup de travaux d’écritures, de la version française « Eyes Wide Shut » de Stanley Kubrick, et a était scénariste sur « La sentinelle » ou « Mange ta soupe », ce qui l’a aidé pour l’écriture du film, avec Pierre Trividic. La réalisatrice a utilisé la troisième version écrite de l’œuvre « Lady Chatterley et l’homme des bois ». Elle a eu un véritable coup de cœur pour cette œuvre éditée chez Gallimard, et qui est sensiblement différente de l’œuvre la plus connue. L’adaptation est originale, même si les conditions ne furent pas optimales ce soir là. Ca a commencé par une adepte de « La dame aux camélias », qui jalouse de voir une de ses rivales sur l’écran, s’est mise à cracher ses miasmes durant tout le film, avec la dernière énergie. Crachant tripes et âme, la « tubarde » doit avoir contaminé la moitié de la ville désormais. Jamais on aura vu autant de ferveur à élaborer une toux inédite, entre le brame du cerf et le marteau piqueur. N’importe qui serait mort à sa place… d’épuisement. En plus, le film a carrément cassé à deux reprises, dont durant une jolie et sensuelle scène florale, résultat une partie du public, panurgiste se mit à sortir, devant penser que c’était une audace de mise en scène de terminer un film d’une manière aussi abrupte… Si le film est parfois inégal, trop riche peut être et souffrant peut-être d’un trop plein filmique – le personnage de Bernard Verley, dans le rôle du père de Constance, doit se contenter d’une simple apparition, mais on devrait retrouver sous peu, une version feuilleton TV sur Arte, plus complète sous le titre éponyme « Lady Chatterley et l’homme des bois ».

Marina Hands & Jean-Louis Coullog’h

Pascale Ferran évite tout académisme – à déplorer par exemple chez Jean-Daniel Verhaeghe, qui a signé une adaptation trop classique du « Grand Meaulnes », alors qu’il est beaucoup plus probant sur le petit écran -.En effet, loin des clichés attendus, on redécouvre l’œuvre originelle d’une grande sensibilité. Constance – étonnante et superbe Marina Hands, déjà sensible dans « Sur le bout des doigts » d’Yves Angelo, se fane littéralement d’ennui dans le château des Chatterley. Son mari Clifford – Hippolyte Girardot, rarement aussi bon, sauf chez Arnaud Desplechin -, handicapé physique, a du mal à la comprendre. Il dispose de sa domination sociale, et a une fierté avec son handicap le raidissant encore plus – confère la scène très drôle de la petite voiture qui refuse d’avancer -. Elle ne peut que se distraire qu’écouter ses conversations avec ses anciens amis militaires ou recevoir les rares visites d’Hilda, sa sœur – Hélène Fillières, étonnante en « garçonne » -. Les convenances la pèsent, et elle finit par tomber malade, mais la rencontre avec le garde-chasse Wragby, fruste et mutique – Jean-Louis Coullog’h, sorte d’amalgame entre Nicolas Silberg et Daniel Mesguich, avec une fragilité derrière un aspect « brut de décoffrage » -. Le désir physique naît entre ces deux personnes. Ils finissent par se découvrir, avec sensualité au fil de la relation, chacun donnant de l’énergie à l’autre, et s’obligeant à se transcender contre les conventions du voisinage. Le cinéma a rarement montré aussi justement l’amour fusionnel et une intimité fragile dans un couple. Ils transgressent une époque rigoriste sans obscénité, l’amour est un dénominateur commun pour ceux que tout oppose. Loin de l’agitation « gymastiquatoire » d’un Just Jaeckin – sans avoir vu son film cependant -, Pascale Ferran s’approche de l’essence charnelle des êtres. Le débat était passionnant, de découvrir le comédien Jean-Louis Coullog’h, très intuitif et au parcours singulier – de la cuisine au théâtre exigeant de Claude Régy -, timide, semblant à l’aise avec les scènes physiques, mais beaucoup moins dans les scènes de dialogue, il pulvérise par une grande sensibilité son personnage. La rencontre avec Pascale Ferran fut magnifique, rarement on peut retrouver dans le cinéma français une grande richesse, un investissement de tous les instants, une attention aux moindres détails. D’une œuvre de fiction, elle en fait un projet personnel, réussit à recréer une Angleterre puritaine mais fantasmée, à partir des superbes paysages du Limousin. Elle montre le passage des saisons, et l’évolution de la nature selon les périodes, elle la domestique, la recrée, en replantant des fleurs par exemples, pour magnifier les sens et cette histoire d’amour. Pascale Ferran livre une eau forte absolument originale, souhaitons que nous n’attendions pas 10 ans pour retrouver cet univers si riche, à l’écran.

NE LE DIS A PERSONNE

Avant-première mardi 13 octobre à l’UGC-Cité Ciné Bordeaux en l’absence de Marie-Josée Croze – las ! – et de François Berléand – mais il a un alibi, quand je l’ai eu au téléphone il embarquait pour Lyon pour les derniers jours de tournage du prochain Chabrol – annoncés, mais en présence de Guillaume Canet, Gilles Lelllouche, Philippe Lefebvre et du producteur du film, Alain Attal. Arrive également une célébrité locale, Joël Dupuch – qui fait dans le film du panouille -, adulé par Guillaume Canet, qui ne manque pas de chanter ses louanges à chacun de ses passages. C’est un ostréiculteur côté, je vous vois venir… non, ce n’est pas le tueur du film, puisque son pote a survécu à une forte consommation de mollusques bivalves durant tout l’été… Il fallait le voir monter et tituber sur scène, « beurré », comme il se doit… comme une huître ! Difficile de parler du film sans le déflorer, disons qu’Alexandre Beck – François Cluzet, un de nos meilleurs comédiens -, ressassent le souvenir de sa femme Margot, enlevée dans la forêt de Fontainebleau et assassinée de manière violente par un tueur en série. Mais ce dernier arrêté depuis a avoué tous ses crimes, mais a toujours nié avoir assassiné cette femme. La découverte de deux corps de 2 hommes, près du lieu du crime, détermine la réouverture de l’enquête. Alex qui a désormais voué sa vie à son métier de pédiatre, reçoit un jour un e-mail anonyme, dont le libellé du titre rappelle à son souvenir, les entailles laissés par le couple, gravées dans l’écorce d’un arbre. C’est un signe évocateur que seule Margot pouvait connaître… Guillaume Canet et Philippe Lefebvre séduits par le roman éponyme d’Harlan Coben, gros succès de libraire souhaitaient l’adapter de longue date. Mais le cinéaste Michael Apted avait déjà une option sur le livre, et avait déjà en Keenu Reeves, l’interprète principal. Mais le projet s’avérant décevant est annulé, et Guillaume Canet a eu la chance de prendre connaissance de l’annulation du projet de la bouche des intéressés aux États-Unis, avant de foncer contacter Alain Attal, pour relancer le projet avec l’accord de Michael Apted et de l’écrivain séduit par la vision de « Mon idole » sur DVD. L’intelligence du réalisateur de ce brillant premier film – un coup d’essai, un coup de maître – et co-scénariste est de donner un point de départ fort, sans laisser tomber la tension dramatique. La mise en scène nerveuse, au service d’une brillante distribution – le moindre rôle est tenu par un solide comédien -. Marie-Josée Croze donne dans ce rôle bref mais marquant une interprétation sensuelle – à l’instar de son rôle sur « Ordo » -, mais aussi elle confère à son rôle un mystère, elle est idéale pour donner crédit aux zones d’ombres de son personnage. D’André Dussollier et Martine Chevallier, en parents déchirés mais rassurants, Kristin Scott-Thomas en confidente amoureuse de Marina Hands et Nathalie Baye en avocate réputée et efficace. François Berléand touchant en flic compatissant et un peu maniaque – il faut le voir rabrouer Philippe Lefebvre qui joue son partenaire, pour le tri des déchets, vérifier sa gazinière avant de prendre congé de sa mère joué par l’excellente Françoise Bertin -. Son talent fut loué par la petite équipe, sa capacité à jouer des rôles peu valorisant, seul Guillaume Canet déplorait sa boulimie, le privant de grands rôles, à l’évocation du claquage de son épaule dans la scène de l’aéroport. Philippe Lefebvre un peu trop en retrait hélas lors du débat, reste très sympathique et modeste – il était étonné de voir que c’était un internaute, en l’occurrence mézigue, qui avait fait le distinguo entre lui et son homonyme réalisateur sur IMDB -. On retrouve aussi Jean Rochefort, dans un bref rôle de patriarche propriétaire d’un haras – il joue le père de Guillaume Canet, dont la présence sur la fiche laisse augurer qu’il a son importance dans l’histoire -. C’est une digne filiation pour ces deux amoureux des chevaux, et qui étaient déjà partenaires sur « Barracuda » (Philippe Haïm, 1997).

Gilles Lellouche & François Cluzet

Gilles Lellouche – fort capital de sympathie – présent sur la scène, nous livre aussi une interprétation subtile de loubard balieuesard au grand cœur, loin des poncifs habituels, il a une palette de jeu très large comme on a pu le constater de « Ma vie au grand air » à « On va s’aimer ». Il devrait diriger son premier film seul en 2007, et vient de tourner « Ma vie avec Meg Ryan ». On retrouve la folie habituelle de Florence Thomassin, Brigitte Catillon en capitaine efficace, Eric Naggar en avocat miteux, Olivier Marchal en mystérieux homme de main, Jalil Lespert en gros bras, Jean-Pierre Lorit en adjudant-chef précautionneux, Éric Savin en procureur suffisant, Sarah Martins qui a une forte présence dans un rôle muet, pour ne citer que quelques noms. Il est rare de retrouver un tel effort dans la distribution dans notre joyeux cinéma, rétif à chérir nos chers seconds rôles. Mais le meilleur du film reste la composition de François Cluzet, éblouissant et humain, dans un rôle très physique. Alain Attal, me confiait en aparté son osmose avec Guillaume Canet, son investissement y compris dans les scènes spectaculaires. Il a exécuté lui-même les scènes au bord du lac et de courses-poursuites, laissant le pourtant trentenaire Philippe Lefebvre complètement essoufflé-. S’il reçoit ici un rôle à la mesure de son talent, il aura pourtant fallu à l’équipe du film se battre pour l’imposer ici, certaines chaînes de télé, comme TF1, lui préférant un nom plus « bankable ». Autant d’absence de discernement chez ces lessiviers peut surprendre – d’où un « casting » béton autour de Cluzet –  quand on voit l’explosion de son talent. On comprend mieux la régulière livraison de produits manufacturés de secondes zones. La sous-utilisation de François Cluzet ces derniers temps reste un mystère pour les spectateurs. Guillaume Canet, particulièrement disert, a parlé brillamment de sa mise en scène, de l’emploi de la courte focale, et de la revanche du cerf par rapport à « Mon idole » – vous comprendrez ce fait en voyant le film… -. Le choix de la B.O. est aussi très convaincant et la musique de M effectuée en live, et arrivé au pied levé après la démission d’un musicien préférant partir pour comme le disait son réalisateur – faire un petit court-métrage pour un metteur en scène nommé Oliver Stone -. Petit bémol cependant, si le film est d’une excellente facture, je ne sais finalement pas quoi penser du résultat final. Si l’on comprend parfaitement l’histoire pourtant très complexe, le film pâtit peut-être de son montage – l’intérêt baisse un peu quand on ne voit plus François Cluzet -, mais la première version faisait 160 minutes, et peut être bizarrement de trop de maîtrise et de morceaux de bravoures. Il reprend une idée, déjà traitée dans « Stage fright / Le grand alibi » d’Hitchcock (1950), pour le « twist » – mot désormais à la mode pour retournement de situation – final, idée reprise par Brian Singer, pour ses « Usuals suspects », mais qui ici jette une sorte de distance dans la narration dans la révélation finale, pourtant traitée avec beaucoup de sobriété. Mais tout cela est finalement très relatif quand on voit le résultat à la hauteur de l’ambition initiale, servi par une admirable photographie de Christophe Offenstein. On retrouve un polar, enfin sans la roublardise de certains films de genres et la confirmation d’un grand talent de cinéaste pour Guillaume Canet.