C’est finalement nos seniors comme Woody Allen avec « Scoop » et Clint Eastwood avec ce film, qui nous donnent en ce moment de bonnes nouvelles du cinéma américain particulièrement ennuyeux et poussif en ce moment : « Les fous du rois », « Le Daliah noir », sans oublier « The last kiss » laborieux et inutile remake de « L’utimo baccio » de Gabriele Muccino, pourtant signé Paul Haggis, scénariste également « La mémoire de nos pères ». Pour faire comme tout le monde je reprends le bon vieil adage du beau film de John Ford « L’homme qui tua Liberty Valance » : » …quand la légende dépasse la réalité imprimez la légende », le film va voir au-delà de cette image. Ce film particulièrement critique envers les États Unis, nous montre la notion toute relative de l’héroïsme, trois survivants sont montés au pinacle, à l’issue d’une des plus sanglantes batailles de la guerre du Pacifique. Il est adapté d’un livre que l’on dit remarquable de James Bradley et Ron Powers, qui vont voir au-delà de la légende. Au cinquième jour de l’historique bataille d’Iwo Jima, cinq Marines et un infirmier de la Navy hissent, dans un élan patriotique, le drapeau américain au sommet du Mont Suribachi, arraché aux Japonais. L’image de ces hommes unis marque rapidement les esprits, mais certains élites veulent récupérer ce drapeau en souvenir. Un photographe souhaite immortaliser cet instant, et refais la photo avec quelques soldats présents le falot John « Doc » Bradley, l’Amérindien Ira Hayes, effacé, ne voulant pas faire la photo pris par ses scrupules et le sympathique René Gagnon. Ils vont devenir des symboles et de retour aux États-Unis vont sillonner le continent, à grand renfort de propagande, ils permettent ainsi de récolter de nombreux bons… Mais ils vivent cet état de gloire comme une imposture, notamment Ira Hayes repris par ses démons. Ils vont traverser un complexe du survivant et se questionner sur ces petits arrangements avec la vérité. La mise en scène de Clint Eastwood est simplement admirable, ces combats font évidemment penser par une certaine crudité et à un grand réalisme à « Il faut sauver le soldat Ryan » de Steven Spielberg, ici co-producteur du film. On ne fait qu’entrevoir l’ennemi, ou parfois leurs corps, certains s’étant suicidés à la grenade pour échapper à un massacre.
Adam Beach, Ryan Philippe & Jesse Bradford
On attend onc avec impatience la suite du diptyque avec « Lettres d’Iwo Jima », également réalisé par Eastwood, contrepoint qui devrait être passionnant, la bataille sera vue par la partie adverse japonaise. L’interprétation est ici remarquable, car elle ne correspond pas à l’imagerie traditionnelle du héros, comme Ryan Philip, Jesse Bradford ou Adam Beach, vivant mal ses origines indiennes face au racisme ambiant. Seul Barry Pepper – remarquable dans « Trois enterrements » figure un combattant hors-norme, il choisit d’aller au casse-pipe alors qu’il pouvait comme officier rester dans une zone protégée. Eastwood prend des interprètes dont on est familier, sans être des vedettes – Paul Walker, Jamie Bell, etc… -. Les scènes de guerres sont saisissantes, la cruauté de la guerre. Les soldats sont déconsidérés, à l’image tragique du soldat qui tombe d’un navire de guerre, en route pour l’île d’Iwo. Les officiels ne s’arrêteront pas pour le repêcher… Même si on peut parfois être déstabilisé par la construction du scénario un peu alambiquée, par certains aller-retour passés-présent, critique toute relative devant le brio de la mise en scène, son réalisateur apporte aisément l’adhésion. Mais il nous montre aussi l’angoisse des soldats, avant le débarquement. Le retour de nos trois soldats est dépeint avec un réalisme teinté d’amertume, ils doivent servir de modèles par ceux qui exploitent des légendes pour de basses vues politiciennes. La scène du dessert, un sorbet miniaturisant la célèbre photo, sur lequel on verse du coulis de fraises est d’une grande force, mais aussi suscite un grand malaise, l’absurdité de la guerre continuant avec la banalité du quotidien, et de l’exploitation de l’image de manière outrancière. Le scénario brillant, ne laisse pas les autres personnages en retrait, comme les mères admirables. Elles sont utilisées, elles aussi, même si elles gardent une grande dignité, comme celle qui reconnaît la silhouette de son fils pris en photo dont le nom ne passera pas dans la postérité malgré ses grands mérites. Après le petit miracle de « Million dollar baby » en 2004, Clint Eastwood continue à s’inscrire comme l’un des grands maîtres du cinéma mondial. Il rend hommage aux soldats, tout en livrant un portrait sans concession d’une Amérique, qui a de curieuses résonances avec notre société contemporaine.