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LA MÔME

Avant-première lundi 5 février, à l’UGC-Cité Ciné Bordeaux, du film d’Olivier Dahan, « La môme » en présence de Marion Cotillard et Pascal Greggory. Les plus avisés étaient ceux qui avaient réservé tôt, les deux plus grandes salles du lieu, étant archi-comble, et plusieurs spectateurs se sont vus refuser l’entrée. Il est vrai que l’attente était forte, et les 7 minutes du film diffusées dans l’émission « + Clair »  étaient du meilleur présage. On ressort du film le ventre noué par l’émotion, l’accueil du public fut d’une chaleur exceptionnel avec une longue standing ovation ce qui était le minimum vu la reconnaissance du public. Jetons un voile pudique sur « Édith et Marcel », réalisé en 1982, avec Évelyne Bouix dans le rôle d’Édith Piaf – mais il est vrai que la mort de Patrick Dewaere avait obligé son réalisateur Claude Lelouch de rajouter d’autres histoires satellites -, mais nos amis masochistes se régaleront car il est rediffusé sur France 2 ce mardi… 13 ! – ce qui devrait convenir à son superstitieux réalisateur -. Il y eut un autre film, en 1973, « Piaf » réalisé par Guy Casaril, avec Brigitte Ariel, mais le film semble être rarement diffusé. Si vous entendez à Bordeaux, un couillon qui s’englue dans des digressions interminables quand il prend la parole, ne cherchez plus c’est moi… J’ai sorti mon petit compliment, étant d’autant plus reconnaissant qu’elle avait traversé de manière lumineuse un tragique nanar, avec le monolithique Russel Crowe, et le comédien français qui visiblement tente n’importe quoi pour avoir sa page dans le site « Nanarland », c’est Didier Bourdon, dans « Une grande année » de Ridley Scott en petite forme. J’ai donc débité l’observation suivante. J’avais vu, il y a peu, un drôle de petit film, « Étoiles sans lumière », amusant petit film avec Edith Piaf, son protégé Yves Montand – période « Les portes de la nuit » donc pas vraiment inspiré -, Serge Reggiani et Jules Berry. Loin d’être déshonorant on retrouvait une Edith Piaf, avec une aura incroyable, un côté espiègle, loin des dernières images que l’on pouvait avoir de la chanteuse réaliste, tout de noir vêtu. Je l’ai retrouvé incroyablement dans ce film d’Olivier Dahan, et Marion Cotillard, je ne l’ai pas vue. Sa performance est proprement sidérante. Attitudes, gestes, regards : on est à plusieurs reprises saisi par l’intensité de son jeu. Elle transcende le maquillage, de par sa manière de se tenir, d’arriver à nous figurer les 1m47 de la célèbre interprète. A aucun moment, par un détail du grimage, ou de son jeu, on songe à chercher une trace de son travail. C’est une évidence absolue, Marion Cotillard fait plus qu’incarner Piaf, elle EST Piaf. Qu’elle figure sa prime jeunesse, ou son corps meurtri de vieillarde, alors qu’elle n’avait que 47 ans, elle a trouvé le charisme de son personnage, ses petits côtés cyclothymiques, passant avec fulgurance dans la gamme des émotions de son personnage.

Marion Cotillard

Même les plus jeunes spectateurs méconnaissant le parcours de la « Môme » étaient sensibles par l’incroyable performance de la comédienne. Interrogée sur son travail, Marion Cotillard a brillamment répondu, loin de répéter les postures et le phrasé, elle a préféré s’immerger dans la vie de Piaf, pour mieux restituer son personnage au moment du tournage. Elle racontait avoir eu du mal à se détacher du personnage, elle citait le témoignage de l’excellent Thierry Frémont, qui témoignait à la télévision, sur les mimiques qui lui revenait de son personnage de Francis Heaulmes, elle s’apprêtait alors de partir sur le tournage à Prague et confiait qu’elle avait ainsi appréhendé cette difficulté. Avec beaucoup de subtilité, elle témoignait des scènes tournées dans l’Olympia, avec quelques familiers de la chanteuse, venu la retrouver. Elle nous racontait sa petite défiance au départ, alors que son metteur en scène ne voyait qu’elle dans ce rôle. Elle probante jusque dans les scènes de play-back – « casse-gueules » par excellence -, elle nous fait retrouver l’univers et la force de son personnage. C’est du grand art, on ne voit personne d’autre désormais pour rééditer cet exploit. Olivier Dahan qui avait déjà montré qu’il avait un univers, mais peut être un manque d’ « affect » dans ses films, le plus intéressant me semblant être « La vie promise » avec Isabelle Huppert. Il était difficile d’évoquer l’incroyable vie, le metteur en scène a supprimé 100 pages de son scénario. Il évite les morceaux de bravoures, à la Lelouch, pour aller dans l’émotion, le récit d’une femme qui brûle sa vie, certes, mais vit pour son art.  On la découvre de son enfance meurtrie à son agonie, il y a deux nombreuses scènes touchées par la grâce comme celle où sur une plage elle répond à une journaliste, ou ses rencontres avec ses grandes chansons, comme sa manière de revenir à la vie par celles de Charles Dumont ou Michel Emmer. Le réalisateur fait des allers-retours entre les différents moments de la vie d’Edith Piaf, évoquant son parcours comme des rêves dans un sommeil agité, pour mieux entrer dans la psychologie de son héroïne. Prenons l’exemple de l’annonce de Marcel Cerdan, qui nous avait valu un formidable moment d’un grotesque achevé chez Lelouch, Edith Piaf prépare le petit déjeuner pour son amant, étonnée de voir les mines pathétiques de son entourage, elle occulte son absence pour être percutée par la terrible vérité de la découverte de sa mort  dans le crash de son avion. S’il respecte les grandes lignes de sa vie, c’est aussi pour privilégier certains aspects méconnus, – il pioche dans son répertoire avec quelques-uns unes de ses chansons moins célèbres.

Marion Cotillard & Pascal Greggory

Il évoque ainsi dans un article de journal Paul Meurisse, ou Yves Montand dans une conversation, sans tomber dans l’écueil d’une sorte de musée Grévin mobile, ne nous donnant qu’une apparition de Marlene Dietrich campée avec conviction par Caroline Sihol. Au-delà de l’incroyable performance de Marion Cotillard, il y a une formidable distribution, de Sylvie Testud en Mômone garçonne, amie jalouse d’Édith, Emmanuelle Seigner dans le rôle d’une prostituée maternelle – seul personnage inventé selon Pascal Greggory -, Marc Barbé dans le rôle de Raymond Asso – pour la petite histoire, il était le frère du comédien Pierre Asso -, parolier Pygmalion, Jean-Paul Rouve en père bourru et contorsionniste, Marie-Armelle Deguy dans le rôle de Marguerite Monnot, la fidèle pianiste, Jean-Pierre Martins – qui a fait un régime draconien – nous fait oublier la prestation de Marcel Cerdan junior, chez Lelouch, André Penvern en jovial Jacques Canetti ou Jean-Paul Muel en débonnaire Bruno Coquatrix, sans oublier Catherine Allégret et Clotilde Coureau en figures maternelles revêches. Même Gérard Depardieu en Louis Leplée, l’homme qui donna sa chance – et son nom – à la « Môme », a l’air d’y croire, et est – pour une fois – au meilleur de sa forme. Nous avions la chance aussi d’avoir le témoignage de Pascal Greggory, prodigieux dans son rôle de Louis Barrier. Il joue le manager qui supporte tous les caprices de la star, mais que l’on devine amoureux transi. Dans son silence respectueux, comme dans son côté respectueux son talent éclate avec justesse. Il avouait être content d’avoir à jouer pour une fois un personnage positif. Il avait déjà eu Olivier Dahan comme réalisateur pour « La vie promise » et au courant du projet a demandé à y figurer. Il a parlé également de son travail de comédien, de sa manière de se servir de ses émotions et son vécu, et paraphrasant Samuel Beckett, il disait que tout le monde en fait né acteur, mais seuls quelques-uns uns le restent.  Les « biopics » ne donnent que très rarement de bons films, le résultat est formidable. Sans le jeu de Marion Cotillard ce film était une pure réussite, grâce à elle c’est un joyau. Un film inoubliable, à voir absolument.

ZONE LIBRE

« Zone libre » est le premier long-métrage de cinéma du comédien Christophe Malavoy, après avoir réalisé deux téléfilms « La ville dont le prince est un enfant » d’après Henry de Montherlant  en 1997, et « Ceux qui aiment ne meurent jamais  » en 2004, adaptation de son récit, hommage à son grand-père mort dans les tranchées lors de la première guerre mondiale. Il a choisi d’adapter la pièce éponyme de Jean-Claude Grumberg, dont la finesse et la justesse nous touchent toujours. Mais loin d’être une simple captation, la mise en scène fait sentir le climat singulier de la guerre dans nous faire ressentir une reconstitution factice, en prenant soin de nous donner une empathie avec ses personnages malgré leurs défauts comme le personnage de Maury, qui n’agit pas par simple altruisme. Maury, c’est Jean-Paul Roussillon, qui après « Mischka » de Jean-François Stévenin et son excellente interprétation dans « Rois et reines », d’Arnaud Desplechin – il fallait le voir se débarrasser des fâcheux l’agressant dans son épicerie – retrouve un rôle à la mesure de son talent, qu’il avait déjà joué au théâtre en 1990 dans une mise en scène de Maurice Bénichou, et qui lui avait valu le « Molière » du meilleur second rôle. Il campe, un paysan bourru qui va recueillir une famille juive, en fuite lors de la seconde guerre mondiale, et qui ne semble pas trop s’entendre avec sa bru qui attend le retour de son mari – saluons Mathilde Seigner, qui se font avec le reste de la distribution, sans jouer le statut de vedette auquel elle pourrait prétendre -. Il y a Simon – forcément formidable Lionel Abelanski, dont j’avais déjà salué le grand talent ici, ayant du mal à maîtriser son inquiétude, mais se révélant courageux -, sa femme Léa –Olga Grumberg, propre fille de Jean-Claude Grumberg, tout en nuances -, la belle-sœur Mauricette, enceinte – Elisa Tovati, absolument charmante -, le neveu Henri dit Riri, un tantinet remuant, – Frédéric Papalia, faux airs d’Alain Cohen, dans « Le vieil homme et l’enfant » et la mère des deux femmes, Mme Schwartz, aïeule qui ne parle que yiddish. Dans le rôle de cette dernière, on retrouve l’étonnante Tsilla Chelton, dont le personnage tient à rester coquet malgré la diversité. Elle compose un personnage haut en couleur, tout en jouant une langue qu’elle ne connaissait pas.

Lionel Abelanski & Jean-Paul Roussillon

Le petit groupe a donc réussi à regagner un coin de la Charente dans la « Zone Libre », appellation ironique pour définir le sud de la France, non occupé par les Allemands, mais dirigée par le gouvernement de Vichy. Le petit groupe tente de subsister, réconforté par la présence de Maury. La promiscuité développe des tensions entre la petite famille, le manque de sommeil aidant. Mais ils tentent de garder le moral. Ils s’amusent parfois d’un rien comme le personnage de Lionel Abelanski, faisant un numéro irrésistible à la « Chaplin », ou comme dans la mémorable partie de domino entre Jean-Paul Roussillon et Tsilla Chelton, tout en gouaille, Mme Schwartz étant mauvaise joueuse. L’accusation de mise en scène « téléfilmique » de certains critiques me semble particulièrement injuste. S’il y a sans doute un manque de moyens, le film privilégie l’aspect intimiste de ce drame, comme dans cette cabane qui devient refuge alors qu’elle n’offre aucun confort. Le soin apporté aux détails que la petite famille a pour reprendre ses affaires nécessaires en cas de fuite, lors des visites de la milice ou gendarme, me semble très juste. Notons la présence d’un « Rondo Hatton », comédien de forte corpulence dont je n’ai pas retenu le nom en milicien français inquiétant. Les petits rôles sont aussi très justes, comme Philippe Fretun, incarnant Apfelbaum, tailleur qui survit en faisant de la couture. La nature parfois hostile et un hiver rigoureux sont rendu avec beaucoup de finesse. Il capte la lumière magnifique de la Charente, pour nous sensibiliser au fil des saisons avec cette campagne tranquille. Le texte de Jean-Claude Grumberg, avec son humour habituel, est admirable, il évite les poncifs de ce type d’œuvre, montrant aussi le chaos de cette époque, en nous faisant perdre de vue l’un des personnages, ce qui semble coller au réalisme le plus juste. Un film authentique, drôle et poignant et d’actualité avec les cérémonies rendant hommage aux « justes » français, qui convient de recommander vivement. Christophe Malavoy dont on connaît la justesse comme comédien, se révèle un véritable cinéaste.

Article sur le tournage de « Zone libre » : LE FIGARO

Fuyant l’Occupation, une famille juive est accueillie en Charente par des paysans. Une confrontation qui «donne lieu à des situations cocasses, décalées», explique Christophe Malavoy. (Photo Moune Jamet.)

CINEMA – Pour sa première réalisation, il a choisi une pièce de Jean-Claude Grumberg qui avait été créée au Théâtre de la Colline
Christophe Malavoy tourne en «Zone libre» Par Marie-Noëlle Tranchant 28/04/2005

Dans un coin de campagne du Sud-Ouest, du côté d’Angoulême, une famille juive se retrouve après s’être séparée pour franchir la ligne de démarcation. Il y a Simon (Lionel Abelanski) et sa femme Lea (Olga Grumberg), sa belle-mère, Mme Schwartz (Tsilla Chelton), sa belle-soeur enceinte (Elisa Tovati), un neveu de onze ans. Ils vont être accueillis par un vieux paysan (Jean-Paul Roussillon) et sa bru (Mathilde Seigner) et trouver refuge auprès d’eux jusqu’à la Libération.

Pour sa première mise en scène de cinéma, Christophe Malavoy porte à l’écran la pièce de Jean-Claude Grumberg Zone libre. Un sujet qui lui a été proposé à la suite de sa collaboration avec Arte pour La ville dont le prince est un enfant. Le voilà au temps de la Seconde Guerre mondiale, après avoir évoqué la première dans son roman Parmi tant d’autres.

«Ce n’était pas voulu, dit l’acteur-réalisateur. Mais les guerres ont un intérêt dramatique parce que ce sont des moments où les gens se révèlent. Une grande partie de ma famille a fait de la Résistance très tôt, certains ont été arrêtés et déportés, à Mauthausen, à Ravensbrück. Même si on n’en parlait pas, notre éducation a été façonnée par leurs personnalités. Ce film est une façon pour moi de leur rendre hommage.»

Malavoy, qui tient aux rôles secondaires (pour lesquels il a engagé des acteurs de la région), a étoffé la pièce de quelques personnages inédits, et le travail d’écriture s’est fait en toute complicité avec Grumberg, qui signe les dialogues, très proches de la pièce. «C’est un de nos meilleurs auteurs, dans la lignée de Pagnol, de Spaak, de Jeanson, dit Christophe Malavoy. La confrontation entre les arrivants citadins et le monde rural donne lieu à des situations cocasses, décalées, et en même temps ancrées dans la vie quotidienne. C’est une comédie au coeur du drame. Grumberg a un regard ironique et acerbe, et il est d’une drôlerie incroyable quand il peint cette famille juive, avec ses excès et ses défauts.» Imaginez la rencontre de Tsilla Chelton, qui ne parle que yiddish, avec Mathilde Seigner, paysanne de Charente. «Elle a cette franchise et cette beauté des filles de la campagne, toujours à l’ouvrage, immédiatement dévouées.»

Zone libre est presque un huis clos, si ce n’est qu’on y voit passer les saisons, qu’on y vit au rythme de la terre : Malavoy attend maintenant le mois de juin pour terminer son tournage avec les feuillages d’été qui accompagnent la Libération. «Tout le film baigne dans la nature, dit Christophe Malavoy, et c’est un bonheur pour moi de filmer son aspect immuable, malgré les événements, les tragédies. Je trouve qu’elle nous enseigne beaucoup de choses, à travers le cycle des saisons, les animaux, les valeurs simples de la terre.» Des choses qui lui sont familières : il a passé son enfance dans la région, du côté de Confolens.

«Je n’éprouve pas la nostalgie du passé, dit-il, mais un plaisir certain à me situer de nouveau dans ce monde rural. C’est plein de sensations que j’ai tenté de reproduire. Un film doit faire naître des sensations très physiques, comme si les images passaient sous l’épiderme.»

Mais, surtout, Zone libre, selon lui, parle «sans message et sans discours» de «ces gens obscurs qui ont simplement agi avec coeur en accueillant les autres. On a fait des films sur des résistants, ou des collaborateurs, mais on a peu vu à l’écran de personnages comme Maury, qui se comporte simplement selon le bon sens paysan, avec cette beauté d’âme austère, sans pathos. Il fait son travail d’homme, voilà tout. Pas besoin d’appartenir à un parti ou à une confession. Ils ont été nombreux à agir ainsi, et c’est une chose à ne pas oublier, parce qu’elle garde toute son actualité.»

VOYAGE AU BOUT DE L’ENNUI : CASHBACK

« Il faut bien convenir que, Freud ou pas Freud, une grande œuvre nous plaît ou nous émeut parce qu’elle touche en nous un complexe inconscient », disait Gaston Bachelard. Mais que dire quand ce fichu « complexe inconscient » (je sais, la culture, moins on en a, plus on l’étale…), ne vous raconte rien quand vous assistez à un curieux cocktail de prétention et de puérilités potaches ? J’ai traversé un petit bout de vie, sans trop de certitudes, mais je croyais au  moins s’avoir ce que c’était l’ennui. C’était avant de voir « Cashback », film inter(minable), qui tient de l’épreuve, tant rien, mais vraiment rien n’accrochait mon esprit (enfin ce qu’il en reste). Le tâcheron, un certain Sean Ellis, anglais au physique d’ado attardé, est un photographe de mode, qui a travaillé au cinéma – pas besoin de lire son pedigree pour le savoir, son « savoir-faire » s’étale suffisamment sur l’écran pour le deviner –. L’histoire semble venir d’un de ses vieux devoirs d’école, nouvelle fantastique laborieuse où l’on rêve de geler les choses, ou alors le zigue est resté bloqué dans son adolescence. Il a juste développé un court-métrage qu’il avait déjà fait, en prime, il existe une version longue du film heureusement restée au placard. Quelque part, il a réussi à  retransmettre l’impression de l’interminable traversée du tunnel au sortir de l’adolescence. Car à l’instar de son personnage, un jeune étudiant aux Beaux-arts – Sean Biggerstaff, tête de minaud, échappé des versions filmées des « Harry Potter » -, il arrive à transformer les minutes en siècles ! Le personnage a, en effet, trouvé le moyen d’arrêter le temps, en employant une touche pause mentale, glaçant l’instant présent. Il illustre cette idée en vous sidérant de vacuités. Ce qui est curieux, c’est la subjectivité de l’ennui, le film semble plaire, mais rien à faire de reste hermétique. Il a même reçu  le prix CICAE au Festival du Film International de San Sebastian en 2006, – c’est un festival sous acide ? -, alors qu’à tout casser, il devait tout rafler aux « Razzy award », catégorie films lamentable.

Emilia Fox, nouveau, le film interactif, où comment s’ennuyer en même temps que les personnages…

L’histoire tiendrait sur un timbre-poste, Ben se fait plaquer par sa copine Suzy qui lui hurle dessus au ralenti – pépère Ellis est tellement content de sa trouvaille, qu’il nous la ressert dans la dernière partie du film… (pardon de ce salmigondis).. Devenu insomniaque – il ne dort plus du tout d’ailleurs, heureusement pour lui, un des spectateurs, ronflait ferme, je n’ai pas eu cette chance, j’ai dû mal à dormir dans les lieux publics -. Ben s’emmerde – et nous avec…-, il décide de travailler dans le supermarché du coin, régi par un chauve suffisant, échappé d’un film de Luc Besson tant il flirte avec le vide abyssal – c’est qu’il est doué le Besson, il a quand même transformé Mia Farrow en zombie dans son « dernier » avatar de cinéaste -. Deux post-ados s’amusent en faisant des farces d’une rare stupidité, Ben s’attache à l’une des caissières la sensible Sharon – Emilia Fox, la seule du lot à ne pas avoir l’air d’une endive -. Oui je sais, c’est méchant pour les endives, je vous recommande un site endive.net http://www.endive.net/, pour vérifier ma mauvaise foi évidente. Bon  Ben, libidineux, c’est de son âge, arrête le temps et peint nues, les clientes de la supérette. L’érotisme de David Hamilton est du niveau d’un Antonioni, en comparaison de la vision de Ellis – hélas est là -, qui se paie le luxe de n’avoir strictement aucune inventivité. Pour meubler l’ennui, j’ai donc tenté de trouver au moins une belle idée, un beau plan, un truc qui ne me pas regretter ma soirée. C’est vrai quand on tombe dans l’ineptie la plus totale, comme chez Josée Dayan ou dans la campagne électorale actuelle d’une grande tenue, le ricaneur finit toujours par tomber sur quelque chose. J’ai fini par trouver, le personnage du gérant chauve, a des pellicules sur sa veste ! et mon esprit tortueux se met en branle, est-ce volontaire, l’acteur a t’il mit un blouson d’un autre en dernière minute, bref c’est une énigme et au moins ça meuble. On trouvait François Truffaut injuste quand il disait : « On peut se demander s’il n’y a pas incompatibilté entre le mot cinéma et le mot Angleterre », on sait désormais qu’au moins sur ce film cette déclaration toniturante colle parfaitement.

TRUANDS

Avant-première le 10 janvier dernier, de « Truands », à l’UCG Cité-Ciné Bordeaux, en présence de son réalisateur, Frédéric Schoendoerffer. Après avoir démythifié le milieu de la police : « Scènes de crimes  » et de l’espionnage « Agents secrets », il s’attaque ici au monde des truands. Tel un entomologiste, avec son scénariste Yann Brion, il dissèque les mécanismes du grand banditisme. Il présente d’ailleurs son film – avec une formule répétée à l’envi durant la promotion du film -, comme un « Microcosmos chez les voyous » – on retrouve d’ailleurs Bruno Coulais à la musique -. La violence réelle n’est pas complaisante ou graphique à l’instar du sinistre Mel Gibson et son nauséeux « Apocalypto ». Il a tiré les leçons d’un Martin Scorsese, on s’attendrait presque à voir déboulé Joe Pesci sur l’écran. Schoendoeffer, a d’ailleurs dû édulcorer certains faits réels, il en était question dans l’excellente émission de Frédéric Taddeï sur France 3, « Ce soir ou jamais », en présence de spécialiste. Le parti pris n’est pas de faire une stylisation d’un Jean-Pierre Melville, qui prenait son inspiration dans le cinéma américain – il avait une adoration pour le coup de l’escalier de Robert Wise. Olivier Marchal avait dû faire quelques concessions pour son « 36, quai des orfèvres », pour éviter l’interdiction au moins de 16 ans. Le romantisme du « voyou » au grand cœur, est abandonné pour une vérité frontale. Nous sommes loin du folklore et des poncifs habituels sur les milieux de la pègre en région parisienne. Le doigt est mis ici, comme le dit son auteur, sur l’esprit gaulois, frondeur et indépendant, expliquant l’échec du système mafieux en France. La femme est traitée comme un objet, la brutalité est le langage basique de cette poignée d’hors-la-loi. Il y a des codes, des lois, le réalisateur démontant les trafics et braquages divers. Une poignée d’hommes règne sur des hommes de mains corvéables à merci, et vivent dans un luxe ostentatoire, dominant un petit territoire. Le réalisateur révèle qu’il a voulu éviter toute sympathie avec ses personnages, évoquant la petite famille de la saga des « Parrains » de Coppola, avec laquelle on finit mine de rien par s’y attacher. Le réalisme ici apporte une distance, des détonations des armes, à la manière de ces bandits à vivre dans une autarcie.

Benoît Magimel & Philippe Caubère

La distribution est assez étonnante, notamment Philippe Caubère en caïd fat, parfois grotesque, se fiant à son instinct avec un peu trop de sûreté. On aurait pu craindre que son parcours théâtral brillant pouvait peser sur son interprétation – il n’a plus fait de cinéma depuis 1989, depuis l’adaptation de l’œuvre de Marcel Pagnol par Yves Robert. Mélange de rage, de folie furieuse, Caubère sidère et est très crédible dans ce rôle de Claude Corti, quinquagénaire cruel. Pour la petite histoire Schoendoerffer l’a choisi pour l’avoir vu dans…. Thalassa, le magazine de la mer de France 3 ! Il ne connaissait pas le parcours théâtral du comédien – ni les captations remarquables de Bernard Dartigues -, en l’entandant parler, il a trouvé ainsi son personnage… Benoît Magimel échappé Mevillien, dans un rôle assez trouble excelle. Le polar est un genre patent dans l’histoire du cinéma français, en crise désormais, la télévision donnant dans l’aseptisation général en crééant ses héros irréalistes de la police. Olivier Marchal trouve également un poids dans cette histoire, en homme défait mais encore confiant sur l’amour, Béatrice Dalle, en compagne de Claude Corti, amène une humanité remarquable, figurant la raison dans ce cahos général. Tout comme dans « Virgil » on retrouve également Tomer Sisley, également probant dans le registre du polar, en truand tenté par l’islamisme. La gallerie des truands est aussi remarquable jusqu’à la moindre silhouette, du cascadeur Alain Figlarz, Dominque Bettenfeld, Moussa Maaski, sans oublier Ludovic Schoendoerffer, propre frère du réalisateur dans un jeu assez expressionniste. Frédéric Schoendoerffer, qui cite ici son père – un extrait de la « 317ème section », avec reconnaissance, comme Oliver Marchal,  en partant de la réalité, sans renouveller le genre, font perdurer au moins une certaine tradition, c’est emminamment louable, et c’est suffisamment rare pour le signaler. Le dosage divertissement et côté documentaire fonctionne au final dans ce film âpre dont la noirceur peut désorienter les habitués de petits thrillers roublards, qui sont la constante en ce moment.

MON MEILLEUR AMI

Est-ce un effet post blues d’avoir traversé les inévitables fêtes de fin d’années sans trop d’ambages, mais « Mon meilleur ami » dernier avatar de Patrice Leconte est une excellente surprise. Cette comédie teintée d’amertume évite la mièvrerie. Je dois confesser avoir un peu décroché de ses derniers films – depuis « Ridicule » en fait. Le cinéaste inventif du « Mari de la coiffeuse »  me semblait s’être un peu dévoyé, pour avoir signé trop de pubs sans doute, dans un glacis général. Les bronzés 3 finissait par nous décourager à son propos, d’autant plus que la polémique à son sujet à propos des critiques semblait l’avoir affecté. L’histoire sans être très originale, on finit par traîner les pieds après avoir vu la bande-annonce, surtout que Daniel Auteuil semblait sérieusement faire avoir mon d’exigences ces derniers temps – jetons un voile pudique sur « Son Napoléon et moi » pantalonnade assez sinistre – . Mais on retrouve une écriture assez ciselée, grâce à Jérôme Tonnerre on peut le supposer. François Coste – Daniel Auteuil, probant -, un marchand d’art qui ne laisse que peu de place à ses émotions, après un enterrement, discute avec son associée, Catherine – lumineuse Julie Gayet, dont on apprécie toujours la subtilité de son jeu – et des amis, sur le nombre de présents à ses propres funérailles. L’homme étant assez antipathique, il fait le pari stupide avec elle de trouver en 10 jours son meilleur ami. Un vase grec de grand prix, que convoite un producteur de TV déterminé – Henri Garcin, épatant – est l’enjeu de son pari. Il délaisse comme à l’accoutumée sa maîtresse discrète – Elizabeth Bourgine que l’on a plaisir à revoir – et sa fille, qui refuse de soigner son asthme – Julie Durand, la révélation du film « Du poil sous les roses » -.

Daniel Auteuil & Julie Gayet

Malgré son tempérament affairiste est ombrageux, il finit par se lier avec un chauffeur de taxi loquace et un peu cuistre féru de culture – Dany Boon, qui impressionne par son jeu, entre drôlerie et émotion, définitivement un grand comédien -. On se laisse très vite prendre par l’histoire, inversant la célèbre phrase de Jean Cocteau « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». Patrice Leconte garde le cap, il est même admirable de voir comment il fait naître une tension, avec l’utilisation casse-gueule d’une célèbre personnalité de TF1, dans une partie du film – la polémique sur le fait que TF1 soit co-producteur du film me semble assez vaine – Il y a un soin particulier aux  – seconds rôles, habitués ou non de l’œuvre  du cinéaste, ce qui se perd un peu dans les comédies actuelles de Jacques Mathou et Marie Pillet touchants en  parents attentifs de Bruno , Jacques Spiesser en marchand d’art cinglant, Anne Le Ny et Pierre Aussedat en sélectionneurs perplexes, Marie Mergey en veuve blessée, Andrée Damant en passagère bretonne et alerte, Philippe du Janerand irrésistible « ami d’enfance » marié à Fabienne Chaudat, Etienne Draber en orateur, le désormais incontournable Eric Naggar – présent de plus en plus sur les écrans, en bigleux timide, soit un grand nombre de nom à rajouter à la fiche d’IMDB du film. Pour faire allusion aux sinistres « Bronzés 3 » , félicitons-nous de voir que Patrice Leconte ait retrouvé sa petite flamme.

LE GRAND APPARTEMENT

Que 2007 soit pour vous une source de multiples réussites professionnelles et privées ! C’est le moment où jamais de souhaiter que  cette nouvelle année comble et apporte tout ce qu’un cœur vaillant peut souhaiter –  si on survit bien sûr aux prochaines élections présidentielles… -. Foin de platitudes et d’usages usés pour saluer l’excellent Pascal Thomas venu présenter le 19 décembre dernier son avant-dernier film en avant-première – il vient de terminer « L’heure zéro », nouvelle adaptation de l’œuvre d’Agathe Christie, après « Mon petit doigt m’a dit », avec Danielle Darrieux et François Morel -. Venu avec des amis, dont la comédienne Evelyne Bouix, il nous a communiqué sa bonne humeur habituelle – c’est la troisième fois que je le vois -. « Le grand appartement » était un projet qu’il avait dû abandonner suite à la désaffection de dernière minute de TF1, qui n’avait pas apprécié les changements dans le scénario initial. Il a enchaîné avec « Mon petit doigt… », avant de le reprendre, en ayant l’idée de féminiser le rôle principal – il devait être tenu par Vincent Lindon, puis Jean Dujardin -. Le ton du film est assez désinvolte, de même la forme moins maîtrisée que d’habitude – on peut s’amuser à compter le nombre de passage des perches de la prise de son -, mais l’enthousiasme du réalisateur est toujours présent, grâce à son inimitable style libertin-libertaire. Un couple bohème, Francesca et Martin Cigalone – se trouvèrent fort dépourvus, quand la bise fut venue ? -, bénéficie de la fameuse loi de 1948, loi sociable, due à la crise du logement suite à la seconde guerre mondiale, « obligeant les autorités à prendre des mesures contre la flambée des loyers en les fixant par décret .. . » (source « Le site immobilier »). Le couple bénéficie donc d’un immense appartement à un prix dérisoire. Mais la propriétaire vacharde – Noémie Lvovsky qui retrouve un personnage outré comme dans « L’école pour tous », flanquée de son gérant – Maurice Risch, irrésistible dans son retour du « grogneau » dans « Mercredi, folle journée ! », veulent récupérer ce lieu loué depuis des décennies à la grand-mère de Francesca qui en prime n’y habite plus – La toujours alerte Gisèle Casadesus -.

Mathieu Amalric, Laetitia Casta à Pierre Arditi

Dans ce vaste appartement – où a véritablement vécu le cinéaste et qui a été divisé en trois en réalité -, vit toute une communauté d’amis de la famille, dont Adrien cinéaste « rozien » volage. Ce dernier est joué par Pierre Arditi, un peu en roue libre mais ce n’est pas désagréable, son réalisateur a insisté sur sa rencontre avec ce comédien enthousiaste.  8 clefs différentes valsent dans ce lui hors du temps dans un climat proche du Renoir du « Crime de M. Lange ». Francesca – Laetita Casta dont le charme au naturel fait des merveilles – est l’âme du lieu, elle doit batailler avec tous les problèmes entre l’inaction revendiquée de son mari Mathieu – Mathieu Amalric, ludion cinéphile qui se laisse vivre -, et les facéties familiales de la grand-mère sénile. Si les coutures sont parfois un peu lâches, le brio des dialogues fait mouche dans ce côté « Joyeux bordel » cher à Pierre Bourdieu. Le cocasse est toujours présent de l’érotisme rêvé chez les commerçantes du quartier, une nostalgie d’une innocence perdue face aux rudesses de ce monde – idée de la « bancarisation » pas si bête, évoquée par Francesca face à  l’excellent Jean-François Balmer en banquier perplexe -. Les professionnels et non professionnels sont toujours comme dans l’œuvre de Pascal Thomas, mis sur le pied d’égalité. Il a toujours le chic pour confirmer de nouveaux talents comme Paul Minthe en acteur cabotin inemployé, Stéphanie Pasterkamp en brunette piquante et Valérie Decobert en sœur neurasthénique, des incongruités d’emplois – Pierre Lescure en bistrot auvergnat mutique, et quelques amis de passages – Cheik Doukouré en ami de la famille, Bernard Verley en avocat visqueux, François Morel en automobiliste outragé. Cet éloge à la liberté, aux groupes composites et solidaires, cette utopie rêvée de réinventer son monde a un charme fou. Même si ce film ne participe pas aux grandes réussites de son metteur en scène, on a toujours un grand plaisir à le retrouver dans ce vaudeville dynamité.

RED ROAD

« Red Road », prix du jury à Cannes est le type de film qu’il faut se précipiter de voir, car il aura très vite disparu de l’affiche, ne vous laissant pas le temps de le conseiller. Sans trop vouloir déflorer l’histoire. Jackie – très attachante Kate Dickie, faux airs de Marilyne Canto –  travaille la nuit pour une société de vidéosurveillance dans un triste quartier de Glasgow. Rapidement on la devine meurtrie par la vie, assez désabusée et tel un ange gardien elle veille sur la petite communauté. Elle prend très à cœur son métier, sans voyeurisme, et prend le temps de regarder les petites beautés de la vie comme deux promeneurs avec leurs chiens qui se rencontrent. Mais elle doit être vigilente car derrière ce calme apparent peut advenir un drame, comme une jeune femme qui se fait agresser par des jeunes filles apparamment tranquilles. Elle trouve dans son travail une sorte de réconfort – avec évidemment tous les problèmes que peut poser ce dispositif de 1984, car elle a le pouvoir d’influer sur la vie des gens -. Mais un jour elle va se focaliser sur un homme qu’elle semble reconnaître, et tout peut alors basculer…. C’est le premier long-métrage de la réalisatrice Andrea Arnold, qui avait remporté l’oscar du meilleur court-métrage en prises réelles en 2005 avec « Wasp ». L’entreprise très originale est le premier des trois films développés au « Sundance Screenwriters Lab », dans le cadre du projet Advence Party, en 2005. Le principe en était de raconter et faire trois films autour de l’utilisation des 9 mêmes personnages par 3 metteurs en scène différents (source le site sur Le festival de Cannes). Le regard qu’Andrea Arnold porte sur le monde est très prenant, proche d’un Mike Leigh. Si elle affronte la dure réalité anglaise sans fioritures, il n’y a pas  pour autant de misérabilisme. Il y a un parti pris naturaliste, qu’elle transcende en flirtant parfois avec le fantastique – les cris des renards au lointain -.

Kate Dickie

Elle arrive à trouver dans le quotidien un regard singulier. Elle remarque une grande tendresse chez les gens qui étouffent leurs maux, même dans les actes sexuels dépeints avec crudité. Le film baigne dans une étrange lumière automnale, et elle va s’attarder sur le sort des gens, la souffrance qui ne se montre pas. Les scènes d’un quotidien laborieux, Tous les personnages ont une grande dignité, même le collègue de Katie, un homme marié qui fait l’amour avec elle sans aucun romantisme dans une camionnette. Le film est prenant, oppressant parfois, comme si une menace sourde planait sur Glasgow. La ville est un des personnages à part entière du film, il faut souligner une attention particulière aux sons, aux petits riens que l’on ne prend plus le temps de regarder. Les gens cherchent à fuir un certain déterminisme, comme le personnage de Clyde – excellent interprétation de Tony Curan -, qui amène une grande subtilité dans un rôle très fort que je vous laisse découvrir. La très poignante Kate Dickie, fait passer une gamme de sentiments avec beaucoup de tenue. Sa manière « borderline » de survire à des blessures terribles, ne sont que des signes de détresse qu’elle refuse de montrer aux autres. Il y a de beaux personnages comme le personnage du beau-père privé d’un élément pour son travail du deuil et le petit couple vivotant, faisant parfois des petits griefs et se consolant avec un petit chien, et même la silhouette d’une jeune femme qui hésiter à entrer dans un immeuble. Le film très intense est une belle révélation, pour l’avoir découvert vierge de toutes informations. Le talent et la grande maîtrise d’Andrea Arnold est à suivre assurément.

LES FILMS QUI RENDENT SCROGNEUGNEU : MADAME IRMA

« Madame Irma », vu en novembre en avant-première à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux de en présence de Yves Fajnberg, Didier Bourdon et Pascal Légitimus. Ce film a reçu le grand prix du festival de Sarlat, ce qui est finalement le seul gag marrant de cette histoire… Deux cas de figures à envisager, ou bien les délibérations découlent d’une soirée particulièrement arrosée, tendance flirt avec le coma éthylique, ou bien c’est typique d’un courant d’humour en Dordogne, qui bien que natif du sud-ouest m’échappe un peu. L’histoire, Francis, un cadre supérieur, quadragénaire pétant plus haut que son cul, vit avec une jeune femme, Inès -Arly Jover, un joli minois qui fronce sourcils, rescapée du cornichonesque « Empire des loups », si elle a du talent, elle devra en faire preuve dans l’avenir -. Il dépend d’un siège social aux États-Unis, et hélas pour lui, il perd son emploi, suite à une restructuration. Désemparé, il nous rejoue une parodie de « L’emploi du temps » de Laurent Cantet. Lâche, il refuse de dire la vérité à sa jeune femme, qui voit comme vénale. Par hasard, il va voir une voyante dans une roulotte – Julie Ferrier, jubilatoire et qui nous livre une excellente composition, nous sortant un peu de notre torpeur -. Il voit en cette activité une manne très lucrative. Aidé de son ami de toujours, Ludovic, un généraliste blasé, il décide de se déguiser en voyante façon Mme Doubtfire. Il s’installe dans une caravane, s’attifant comme Michèle Alliot-Marie et attend les gogos. Bon, le Bourdon cavalier seul pouvait être drôle, que celui lui qui n’a jamais rit à son rôle de psychopathe dans « La machine » de François Dupeyron me jette la première pierre.

Jean-Pierre Lazzerini & Didier Bourdon, le charme discret des sanisettes

Il semble simplement ici souffrir d’un manque patent d’inspiration, à l’entendre roder le pas lourd près du public pour entendre le résultat – il rit, il faut bien le dire, se forçant un peu, il est venu pour ça -. Il y a une anxiété chez lui visible, mais le résultat même s’il se veut soigné – Yves Fajnberg, comme réalisateur, auteur de l’honnête Vive la vie. Il y a aussi soin dans la distribution de seconds rôles, comme souvent chez Bourdon, mais ils sont tous sous utilisés, de l’étonnant Jacques Herlin, acteur à la filmographie particulièrement brillante – en veuf éploré, Jean-Pierre Lazzerini – pas gâté d’ailleurs – et Farida Ouchani en cafetiers un peu rustres, Claire Nadeau en ex-femme désabusée – elle semble avoir fait toutes ses scènes le même jour, Gérard Caillaud, qui amène un peu de fantaisie dans son éloge du boulon, ou Jo Prestia, déjà évoqué ici, dont il ne se sert que de son incroyable présence – il faut entendre les réactions du public quand il paraît -. Le tout est curieusement assez misogyne, mollasson, aussi épais que la silhouette du comédien désormais. La rencontre avec l’équipe du film fut à l’image du film… Le trio se déclarant dévouer au public, n’a pas daigné lui laisser poser des questions, et a ensuite filé à l’anglaise… Le commentaire d’après débat fut de courte durée, ils ont juste évoqué l’idée originale – sic – apportée par le scénariste Frédéric Petitjean, avant de surligner le côté social et ancré dans la réalité du film – re-sic ! -. Pascal Légitimus s’est mis ensuite à dénigrer allégrement sur Catherine Mouchet, qui semble vivre dans « son monde » et jouer seule. Elle n’a pas dû lui plaire, à notre Pascal, jalousant en public son ami Didier d’avoir choisi comme femme une gravure de mode. Pourtant sa singularité est parfaitement bienvenue dans ce film franchouillard. Pas de mention « Coin du nanar », car il n’y a pas de grand plaisir narquois pris ici tant l’entreprise est pataude.. Au final, on repart avec la désagréable impression de voir deux artistes qui dilapident allégrement leur capital de sympathie. Et de se lamenter – overdose de comédies -, sur l’état actuel du cinéma de divertissement.

LE COIN DU NANAR : RACHEL S’EN VA-T-EN GUERRE

Retour aux sources, pour Paul Verhoeven, qui avec son vieux complice le scénariste néerlandais Gérard Speteman, retourne en Hollande pour un projet vieux de 20 ans, avec ce « Black Book », « Zwartboek », en V.O.. Évidemment, il était difficile d’attendre de la subtilité de la part de ce cinéaste, mais on pouvait le penser perverti par le système hollywoodien. De par le souvenir de ses premiers films provocateurs et mordants, on pouvait espérer au moins une œuvre plus personnelle. Le film est certes divertissant, le bougre a du métier et il arrive à nous tenir en haleine dans le style « Bécassine chez les Nazis ». On ne peut pas dire qu’il innove beaucoup, on pouvait retrouver le portrait d’une femme, prête à tout pour survivre dans l’adversité – dans « La chair et le sang » en 1985, où l’admirable Jennifer Jason Leigh bataillait avec les horreurs du XVIe siècle. Surprise, le cocktail gore, sexe et religion est ici sérieusement aseptisé. Le film est malgré tout aidé par le charisme de sa jeune interprète Carice van Houten. Elle joue Rachel Stein, jeune et séduisante chanteuse juive, voulant regagner avec sa famille, la partie de la Hollande libérée. Après bien des rebondissements, elle finit par rejoindre la Résistance et finit par infiltrer la Gestapo, occupé par un officier allemand Müntze – Sebastian Koch, traînant sa lassitude en nazillon repenti – qu’elle va séduire. Mais un effrayant officier SS, qu’elle a croisé dans de tragiques circonstance,s règne dans ce lieu par sa cruauté –  Waldemar Kobus au moins aussi drôle que Francis Blanche en Papa Schülz dans « Babette s’en va-t-en guerre » -. Rien ne lui sera épargné dans les épreuves… Il faut l’entendre dire « Tout cela ne cessera donc jamais ? » – allusion aux 2h25 de film ? -. La moralité du film est plus que douteuse, ne servant qu’à de vains retournements de scénarios, un officier nazi pouvant se révéler particulièrement sympathique.

Carice van Houten & Waldemar Kobus

Les notions de bien et de mal sont ici caricaturées et ne servent qu’à de redoutables effets de scénarios rocambolesques avec une musique de fond façon potage. Le petit jeu prévisible des faux-semblants est exploité à l’envi, et donne un effet d’un éloge flagrant de l’opportunisme. Verhoeven multiplie les fausses audaces, confinant au grotesque, comme la teinture de poils pubiens pour la jeune chanteuse histoire de faire plus aryenne ! Ces personnages sont des pantins ballottés par les événements, ces aliens insectes ou ces femmes fatales d’opérette pouvaient être plus crédibles, c’est dire. Les interprètes sont assez jouissifs dans le ridicule, comme Thom Hoffman, médecin résistant, Christian Berkel en général SS déterminé ou Derek de Lint en père possessif et résistant. Ce curieux mélange de mièvrerie, d’esbroufe, de bons sentiments et d’atrocités finit par avoir son petit effet rigolo. Le pire est que le réalisateur, se dit s’inspirer de faits réels, on se demande quel est le matériel de départ devant tant d’invraisemblances et de roublardises. Le film prend une vérité historique, un dixième de la population juive survivra au Pays-Bas, pour aboutir à une BD caricaturale, ce qui me semble vraiment malsain. Ce qui est difficilement compréhensible c’est un certain accueil critique favorable, sans créer de polémiques ce qui est assez décourageant. Heureusement que les chroniqueurs du « Masque et la plume », sur France Inter,  ont hier allégrement assassiné ce film, car je finissais par douter de ma santé mentale. Pierre Murat a finement comparé ce film avec « La chatte » d’Henri Decoin, film des années 50 avec Françoise Arnoul. C’est le même type d’histoire d’espionnage durant l’occupation, mais ce film ne se voulait qu’un honnête divertissement. Amateurs de nanars cultes, précipitez-vous ! Il est curieux que ce metteur en scène, avouant ses compromis avec le cinéma américain finisse par faire pire dans son pays d’origine. Le baquet de merde du film finit par être une métaphore assez juste de cette oeuvrette grotesque et boursouflée.

COEURS

  On devrait fêter l’inventivité d’Alain Resnais, tous les jours, tant ce metteur en scène se renouvelle constamment dans la continuité. La trop grande discrétion de l’homme, fait peut être que l’on ne lui rende pas plus souvent hommage, même s’il a reçu pour son dernier film « Cœurs », le « Lion d’argent du meilleur réalisateur » à la 63ème Mostra de Venise. Je suis dans le même cas de figure que « Pierrot » dans son excellent compte rendu dans son blog « Le journal cinéma du docteur Orloff », il est difficile de parler finalement d’un cinéaste pour lequel on voue une adoration, « Muriel ou le temps d’un retour » est par exemple pour ma pomme l’un des plus beaux films du monde. On retrouve donc le petit théâtre d’Alain Resnais, et on peut saluer sa réactivité… En effet il n’a pas réussi à terminer un projet pourtant bien avance « Le tsar se fait photographier », adaptation d’un opéra de Kurt Weill et Georg Kaiser, faute de financements. Il s’est donc rabattu sur une nouvelle adaptation de l’œuvre théâtrale très riche d’Alan Ayckbourn – après la formidable réussite du dyptique « Smoking-No-smoking » -, en confiant à un Jean-Michel Ribes très inspiré, qui transpose l’histoire dans le XIIIème arrondissement de Paris – Resnais restitue parfaitement son ambiance – l’adaptation de « Private fears in public places », en trois semaines seulement. L’adversité semble l’inspirer, les assurances doivent prévoir un cinéaste de remplacement en cas de mort d’un cinéaste jugé trop âgé – ce qui est tout de même assez sordide -. Après Cédric Klapisch, prévu en secours pour « Pas sur la bouche », Alain Resnais a choisi Bruno Podalydès. Avec malice, il lui confit la petite émission de télévision musicalo-religieuse – drolatiques scènes avec notamment l’excellent Michel Vuillermoz -, pour mieux l’intégrer dans la narration pour une amusante histoire de K7. Le résultat final est remarquable. Ce film, qui avait pour premier titre « Petites peurs partagées », qui a dû effrayer les distributeurs, capte en fait parfaitement l’air du temps, un sentiment sourd de solitude et une inquiétude à ne pas retrouver son « binôme ». Pour citer la célèbre poésie d’Aragon « cœurs légers, cœurs changeants, cœurs lourds le temps de rêver est bien court.. », le titre « Cœurs » est excellent, il montre les sentiments oppressés, l’emballement d’un amour naissant, la lassitude d’une triste condition.

Sabine Azéma & Pierre Arditi

Avec une certaine tendresse pour ses personnages, il livre un monde un peu désabusé, en nous régalant d’une mise en scène tout simplement éblouissante. S’il regarde ses personnages comme dans « Mon oncle d’Amérique », comme des animaux de laboratoires, il les isole de leur milieu, pour mieux les comprendre. Comme dans « Mélo », « Smoking-No-smoking » et “Pas sur la bouche”, la théâtralité est assumée, le factice aide à établir une étude de mœurs avec beaucoup d’humour. C’est l’histoire de 7 solitudes, 7 destins qui s’entrecroisent, il y a Lionel, un barman dans un hôtel de luxe,  – Pierre Arditi, remarquable en homme désabusé -, flanqué d’un père possessif et atrabilaire  – audacieuse utilisation du grand talent de Claude Rich, presque 40 ans après « Je t’aime, je t’aime » -, Thierry, un agent immobilier zélé – André Dussollier virevoltant -, s’occupant d’un couple de clients difficiles, – Nicole et Daniel dit Dan qui traversent une crise, Laura Morante rayonnante et Lambert Wilson qui fait une composition jubilatoire en ancien militaire qui se laisse vivre, fréquentant souvent le bar où travaille Lionel -. André partage sa morne existence entre sa collègue Charlotte un peu bigote et assez étrange et qui s’occupe également en bénévole du père de Lionel – Sabine Azéma, fantasque dans un rôle assez complexe – et sa sœur Gaëlle, beaucoup plus jeune que lui – Resnais s’est inspiré d’un cas réel, selon la revue « Positif », Isabelle Carré lui donne son charme habituel -. Gaëlle cherche l’âme sœur et finit par rencontrer Dan, qui tente de réorganiser son existence. La neige omniprésente – rappel du superbe « L’amour à mort », va finir par renter dans les cœurs, donnant une ambiance sourde et feutrée, les moindres sentiments sont de ce fait exarcerbés. C’est du travail d’orfèvre magnifié par son travail avec ses collaborateurs habituels – Jacques Saulnier, 15ème film ensemble – ou avec des petits nouveaux : Éric Gautier à la photographie – lire son passionnant entretien dans le dernier numéro de « Positif » – ou le musicien Mark Snow – musicien des séries américaines « Millenium » et « X-Files », Alain Resnais étant féru de séries américaines. Ce film, vu deux fois avec le même plaisir, me semble remonter nettement le niveau de cette triste année cinématographique dans le cinéma français.