Avant-première le lundi 23 octobre, du premier long-métrage de Gabriel Le Bonin, en sa présence, celle de la productrice Alexandra Lederman et du comédien Grégory Dérangère. Le film commence sur des images d’archives, d’une grande force, comme intactes et préservées par le temps. Des grands traumatisés de la première guerre mondiale, sont filmés par les psychiatres soignants de l’armée. Ils sont secoués de tics, et montrés nus pour bien montrer que leurs attitudes ne proviennent pas de blessures physiques. Intervient ensuite le personnage d’Antonin, qui alterne cinq gestes de manière obsessionnelle. Antonin est joué par Grégory Dérangère, et il passe aisément le test impitoyable de jouer ses scènes après des archives à fort pouvoir émotionnel. C’est au travers de son regard que l’on va suite les conséquences de la guerre. Il est un colombier, un peu en retrait face aux atrocités des étrangers, mais vite rattrapé par les dures réalités. Il ne trouve de consolation qu’à retrouver l’accorte Madeleine Oberstein – la trop rare Anouk Grinberg, une humanité blessée et un charme fou -, infirmière blessée par la vie, qui doit faire au mieux dans un hôpital de fortune dirigé cyniquement par le professeur Lantier – impressionnant Niels Arestrup -. Il termine pourtant, très traumatisé dans le service du professeur Labrousse – Aurélien Recoing égal à lui-même -, pionnier de la psychiatrie, qui cherche à décoder ses tics nerveux, et refaire surgir l’homme derrière la souffrance, quitte à lui faire revivre des moments limites. Grande est la satisfaction de découvrir un film sans rien connaître de son sujet, et de découvrir une indéniable maîtrise de mise en scène. Le film doit le jour grâce à la ferveur de la productrice Alexandra Lederman, qui séduite par le talent de Gabriel Le Bomin, en ayant vu ses courts-métrages, a souhaité développer un sujet avec lui. La recherche et la documentation, font de ce film, une œuvre originale, d’une grande probité, il est vrai que le metteur en scène avait pour modèle le méconnu « Les hommes contre » de Francesco Rosi – film assez rare, bien que parfois diffusé par Patrick Brion -. La genèse du film, n’a pas été simple, les divers partenaires télévisuels et les maisons de productions furent particulièrement rétive devant ce sujet. C’est donc dans une économie de moyens – difficilement visible tant le film est réussi -, et l’enthousiasme de ses divers participants, que ce film a réussit à voir le jour. Les scènes de guerres sont ici véristes, loin des aspects carton-pâtes de certains films français récents. La vision des tranchées est saisissante, on se souviendra longtemps du lieutenant poussant ses troupes au casse-pipe – formidable Pascal Demolon -, quitte à fustiger les siens.
Grégori Dérangère & Anouk Grinberg
Chaque scène a sa cohérence, le réalisateur décortiquant habilement les mécanismes de l’armée à l’instar du grand comédien Yann Collette, figurant un capitaine pris en contradiction entre ses devoirs de meneurs, et l’absurdité de la guerre. Collette avec son histoire amène une authenticité, une force considérable, et une bel analyse des combats à mener, il a une mission à tenir, il passe outre de ses états d’âmes. On passe aisément des moments douloureux, des choix à tenir, l’ennemi n’étant pas forcément l’Allemand, à l’exemple de la belle scène avec Laure Duthilleul et Richard Sammel. Tout manichéisme est évité avec intelligence. L’émotion est présente, des mains qui se frôlent entre Madeleine et Antonin, ont une sensualité exacerbée. Le débat fut passionnant, Gabriel Le Bonin, parlant admirablement de son travail, de son regard sur la guerre, de ses recherches. Avec une grande force de conviction, il a réussi à faire tenir des propos louangeurs de la part de hauts-militaires présents – il n’y a rien à en dire, venir au cinéma avec la légion d’honneur, ça le fait !, quitte à faire déguerpir quelques pécores venus malencontreusement s’installer à côté d’eux. Il est vrai que de voir un premier film aussi abouti devient extrêmement rare. C’était plaisant de découvrir aussi l’énergie de sa productrice – une jeune femme au lumineux regard -, voulant retrouver la force de films comme « Midnight express » et « Voyage au bout de l’enfer ». Autre force du film, l’interprétation de Grégori Dérangère, qui dégage une grande force, sans que l’on sente aucunement un effort de composition. Il est conscient que c’est un rôle payant, l’Antonin d’avant le traumatisme n’étant pas le même homme en 1919, mais il transcende son personnage. Il a dû commencer par les scènes de l’hôpital – il se mettait en retrait de ses partenaires -, avant de jouer les scènes intimes avec Anouk Grinberg, avant de finir sur les scènes de carnages. Ce comédien est véritablement l’un des meilleurs comédiens actuels, comme le confirme sa superbe incarnation d’un paysan secret, mouvance Gabin première manière dans « Le passager de l’été ». Il reste formidablement modeste, attribuant tous les mérites à son metteur en scène, alors qu’il incarne un homme blessé à la perfection, avec beaucoup de vérisme et de force. Le film ne devant pas avoir beaucoup de couvertures médiatiques, vu son petit budget, il est important de ne pas le rater. Contribuons donc à un « bouche-à-oreille » enthousiaste, car on ne voit que très peu de films de cette qualité. Vous ne le regretterez pas. Sortie le 8 novembre.