On devrait fêter l’inventivité d’Alain Resnais, tous les jours, tant ce metteur en scène se renouvelle constamment dans la continuité. La trop grande discrétion de l’homme, fait peut être que l’on ne lui rende pas plus souvent hommage, même s’il a reçu pour son dernier film « Cœurs », le « Lion d’argent du meilleur réalisateur » à la 63ème Mostra de Venise. Je suis dans le même cas de figure que « Pierrot » dans son excellent compte rendu dans son blog « Le journal cinéma du docteur Orloff », il est difficile de parler finalement d’un cinéaste pour lequel on voue une adoration, « Muriel ou le temps d’un retour » est par exemple pour ma pomme l’un des plus beaux films du monde. On retrouve donc le petit théâtre d’Alain Resnais, et on peut saluer sa réactivité… En effet il n’a pas réussi à terminer un projet pourtant bien avance « Le tsar se fait photographier », adaptation d’un opéra de Kurt Weill et Georg Kaiser, faute de financements. Il s’est donc rabattu sur une nouvelle adaptation de l’œuvre théâtrale très riche d’Alan Ayckbourn – après la formidable réussite du dyptique « Smoking-No-smoking » -, en confiant à un Jean-Michel Ribes très inspiré, qui transpose l’histoire dans le XIIIème arrondissement de Paris – Resnais restitue parfaitement son ambiance – l’adaptation de « Private fears in public places », en trois semaines seulement. L’adversité semble l’inspirer, les assurances doivent prévoir un cinéaste de remplacement en cas de mort d’un cinéaste jugé trop âgé – ce qui est tout de même assez sordide -. Après Cédric Klapisch, prévu en secours pour « Pas sur la bouche », Alain Resnais a choisi Bruno Podalydès. Avec malice, il lui confit la petite émission de télévision musicalo-religieuse – drolatiques scènes avec notamment l’excellent Michel Vuillermoz -, pour mieux l’intégrer dans la narration pour une amusante histoire de K7. Le résultat final est remarquable. Ce film, qui avait pour premier titre « Petites peurs partagées », qui a dû effrayer les distributeurs, capte en fait parfaitement l’air du temps, un sentiment sourd de solitude et une inquiétude à ne pas retrouver son « binôme ». Pour citer la célèbre poésie d’Aragon « cœurs légers, cœurs changeants, cœurs lourds le temps de rêver est bien court.. », le titre « Cœurs » est excellent, il montre les sentiments oppressés, l’emballement d’un amour naissant, la lassitude d’une triste condition.
Sabine Azéma & Pierre Arditi
Avec une certaine tendresse pour ses personnages, il livre un monde un peu désabusé, en nous régalant d’une mise en scène tout simplement éblouissante. S’il regarde ses personnages comme dans « Mon oncle d’Amérique », comme des animaux de laboratoires, il les isole de leur milieu, pour mieux les comprendre. Comme dans « Mélo », « Smoking-No-smoking » et “Pas sur la bouche”, la théâtralité est assumée, le factice aide à établir une étude de mœurs avec beaucoup d’humour. C’est l’histoire de 7 solitudes, 7 destins qui s’entrecroisent, il y a Lionel, un barman dans un hôtel de luxe, – Pierre Arditi, remarquable en homme désabusé -, flanqué d’un père possessif et atrabilaire – audacieuse utilisation du grand talent de Claude Rich, presque 40 ans après « Je t’aime, je t’aime » -, Thierry, un agent immobilier zélé – André Dussollier virevoltant -, s’occupant d’un couple de clients difficiles, – Nicole et Daniel dit Dan qui traversent une crise, Laura Morante rayonnante et Lambert Wilson qui fait une composition jubilatoire en ancien militaire qui se laisse vivre, fréquentant souvent le bar où travaille Lionel -. André partage sa morne existence entre sa collègue Charlotte un peu bigote et assez étrange et qui s’occupe également en bénévole du père de Lionel – Sabine Azéma, fantasque dans un rôle assez complexe – et sa sœur Gaëlle, beaucoup plus jeune que lui – Resnais s’est inspiré d’un cas réel, selon la revue « Positif », Isabelle Carré lui donne son charme habituel -. Gaëlle cherche l’âme sœur et finit par rencontrer Dan, qui tente de réorganiser son existence. La neige omniprésente – rappel du superbe « L’amour à mort », va finir par renter dans les cœurs, donnant une ambiance sourde et feutrée, les moindres sentiments sont de ce fait exarcerbés. C’est du travail d’orfèvre magnifié par son travail avec ses collaborateurs habituels – Jacques Saulnier, 15ème film ensemble – ou avec des petits nouveaux : Éric Gautier à la photographie – lire son passionnant entretien dans le dernier numéro de « Positif » – ou le musicien Mark Snow – musicien des séries américaines « Millenium » et « X-Files », Alain Resnais étant féru de séries américaines. Ce film, vu deux fois avec le même plaisir, me semble remonter nettement le niveau de cette triste année cinématographique dans le cinéma français.