Avant-première lundi 5 février, à l’UGC-Cité Ciné Bordeaux, du film d’Olivier Dahan, « La môme » en présence de Marion Cotillard et Pascal Greggory. Les plus avisés étaient ceux qui avaient réservé tôt, les deux plus grandes salles du lieu, étant archi-comble, et plusieurs spectateurs se sont vus refuser l’entrée. Il est vrai que l’attente était forte, et les 7 minutes du film diffusées dans l’émission « + Clair »  étaient du meilleur présage. On ressort du film le ventre noué par l’émotion, l’accueil du public fut d’une chaleur exceptionnel avec une longue standing ovation ce qui était le minimum vu la reconnaissance du public. Jetons un voile pudique sur « Édith et Marcel », réalisé en 1982, avec Évelyne Bouix dans le rôle d’Édith Piaf – mais il est vrai que la mort de Patrick Dewaere avait obligé son réalisateur Claude Lelouch de rajouter d’autres histoires satellites -, mais nos amis masochistes se régaleront car il est rediffusé sur France 2 ce mardi… 13 ! – ce qui devrait convenir à son superstitieux réalisateur -. Il y eut un autre film, en 1973, « Piaf » réalisé par Guy Casaril, avec Brigitte Ariel, mais le film semble être rarement diffusé. Si vous entendez à Bordeaux, un couillon qui s’englue dans des digressions interminables quand il prend la parole, ne cherchez plus c’est moi… J’ai sorti mon petit compliment, étant d’autant plus reconnaissant qu’elle avait traversé de manière lumineuse un tragique nanar, avec le monolithique Russel Crowe, et le comédien français qui visiblement tente n’importe quoi pour avoir sa page dans le site « Nanarland », c’est Didier Bourdon, dans « Une grande année » de Ridley Scott en petite forme. J’ai donc débité l’observation suivante. J’avais vu, il y a peu, un drôle de petit film, « Étoiles sans lumière », amusant petit film avec Edith Piaf, son protégé Yves Montand – période « Les portes de la nuit » donc pas vraiment inspiré -, Serge Reggiani et Jules Berry. Loin d’être déshonorant on retrouvait une Edith Piaf, avec une aura incroyable, un côté espiègle, loin des dernières images que l’on pouvait avoir de la chanteuse réaliste, tout de noir vêtu. Je l’ai retrouvé incroyablement dans ce film d’Olivier Dahan, et Marion Cotillard, je ne l’ai pas vue. Sa performance est proprement sidérante. Attitudes, gestes, regards : on est à plusieurs reprises saisi par l’intensité de son jeu. Elle transcende le maquillage, de par sa manière de se tenir, d’arriver à nous figurer les 1m47 de la célèbre interprète. A aucun moment, par un détail du grimage, ou de son jeu, on songe à chercher une trace de son travail. C’est une évidence absolue, Marion Cotillard fait plus qu’incarner Piaf, elle EST Piaf. Qu’elle figure sa prime jeunesse, ou son corps meurtri de vieillarde, alors qu’elle n’avait que 47 ans, elle a trouvé le charisme de son personnage, ses petits côtés cyclothymiques, passant avec fulgurance dans la gamme des émotions de son personnage.

Marion Cotillard

Même les plus jeunes spectateurs méconnaissant le parcours de la « Môme » étaient sensibles par l’incroyable performance de la comédienne. Interrogée sur son travail, Marion Cotillard a brillamment répondu, loin de répéter les postures et le phrasé, elle a préféré s’immerger dans la vie de Piaf, pour mieux restituer son personnage au moment du tournage. Elle racontait avoir eu du mal à se détacher du personnage, elle citait le témoignage de l’excellent Thierry Frémont, qui témoignait à la télévision, sur les mimiques qui lui revenait de son personnage de Francis Heaulmes, elle s’apprêtait alors de partir sur le tournage à Prague et confiait qu’elle avait ainsi appréhendé cette difficulté. Avec beaucoup de subtilité, elle témoignait des scènes tournées dans l’Olympia, avec quelques familiers de la chanteuse, venu la retrouver. Elle nous racontait sa petite défiance au départ, alors que son metteur en scène ne voyait qu’elle dans ce rôle. Elle probante jusque dans les scènes de play-back – « casse-gueules » par excellence -, elle nous fait retrouver l’univers et la force de son personnage. C’est du grand art, on ne voit personne d’autre désormais pour rééditer cet exploit. Olivier Dahan qui avait déjà montré qu’il avait un univers, mais peut être un manque d’ « affect » dans ses films, le plus intéressant me semblant être « La vie promise » avec Isabelle Huppert. Il était difficile d’évoquer l’incroyable vie, le metteur en scène a supprimé 100 pages de son scénario. Il évite les morceaux de bravoures, à la Lelouch, pour aller dans l’émotion, le récit d’une femme qui brûle sa vie, certes, mais vit pour son art.  On la découvre de son enfance meurtrie à son agonie, il y a deux nombreuses scènes touchées par la grâce comme celle où sur une plage elle répond à une journaliste, ou ses rencontres avec ses grandes chansons, comme sa manière de revenir à la vie par celles de Charles Dumont ou Michel Emmer. Le réalisateur fait des allers-retours entre les différents moments de la vie d’Edith Piaf, évoquant son parcours comme des rêves dans un sommeil agité, pour mieux entrer dans la psychologie de son héroïne. Prenons l’exemple de l’annonce de Marcel Cerdan, qui nous avait valu un formidable moment d’un grotesque achevé chez Lelouch, Edith Piaf prépare le petit déjeuner pour son amant, étonnée de voir les mines pathétiques de son entourage, elle occulte son absence pour être percutée par la terrible vérité de la découverte de sa mort  dans le crash de son avion. S’il respecte les grandes lignes de sa vie, c’est aussi pour privilégier certains aspects méconnus, – il pioche dans son répertoire avec quelques-uns unes de ses chansons moins célèbres.

Marion Cotillard & Pascal Greggory

Il évoque ainsi dans un article de journal Paul Meurisse, ou Yves Montand dans une conversation, sans tomber dans l’écueil d’une sorte de musée Grévin mobile, ne nous donnant qu’une apparition de Marlene Dietrich campée avec conviction par Caroline Sihol. Au-delà de l’incroyable performance de Marion Cotillard, il y a une formidable distribution, de Sylvie Testud en Mômone garçonne, amie jalouse d’Édith, Emmanuelle Seigner dans le rôle d’une prostituée maternelle – seul personnage inventé selon Pascal Greggory -, Marc Barbé dans le rôle de Raymond Asso – pour la petite histoire, il était le frère du comédien Pierre Asso -, parolier Pygmalion, Jean-Paul Rouve en père bourru et contorsionniste, Marie-Armelle Deguy dans le rôle de Marguerite Monnot, la fidèle pianiste, Jean-Pierre Martins – qui a fait un régime draconien – nous fait oublier la prestation de Marcel Cerdan junior, chez Lelouch, André Penvern en jovial Jacques Canetti ou Jean-Paul Muel en débonnaire Bruno Coquatrix, sans oublier Catherine Allégret et Clotilde Coureau en figures maternelles revêches. Même Gérard Depardieu en Louis Leplée, l’homme qui donna sa chance – et son nom – à la « Môme », a l’air d’y croire, et est – pour une fois – au meilleur de sa forme. Nous avions la chance aussi d’avoir le témoignage de Pascal Greggory, prodigieux dans son rôle de Louis Barrier. Il joue le manager qui supporte tous les caprices de la star, mais que l’on devine amoureux transi. Dans son silence respectueux, comme dans son côté respectueux son talent éclate avec justesse. Il avouait être content d’avoir à jouer pour une fois un personnage positif. Il avait déjà eu Olivier Dahan comme réalisateur pour « La vie promise » et au courant du projet a demandé à y figurer. Il a parlé également de son travail de comédien, de sa manière de se servir de ses émotions et son vécu, et paraphrasant Samuel Beckett, il disait que tout le monde en fait né acteur, mais seuls quelques-uns uns le restent.  Les « biopics » ne donnent que très rarement de bons films, le résultat est formidable. Sans le jeu de Marion Cotillard ce film était une pure réussite, grâce à elle c’est un joyau. Un film inoubliable, à voir absolument.