« L’encinéclopédie », l’ouvrage tant attendu depuis plusieurs années de Paul Vecchiali, est sorti fin 2010 en deux volumes aux éditons de l’œil. A noter que si vous êtes dans les premiers acheteurs de ces livres, il y a eu une regrettable erreur dans la chaîne de l’édition, 22 cinéastes ont disparu ainsi au final, de André Berthomieu à Paul Féjos. Aussi un « tiré-à-part » a été édité en réparation, pour l’obtenir – il est gratuit pour l’achat des autres volumes – vous pouvez vous rapprocher de votre libraire ou de l’éditeur. C’est unne somme impressionnante de 1740 pages qui nous propose un voyage inédit sur le cinéma français, partial et foisonnant. On connaît l’attachement de ce cinéaste pour le cinéma français des années 30, il l’évoquait en 2007 dans son livre « Les frontières de l’aube ». Entendu sur France Culture, dans l’excellente émission de Laurent Goumarre, le Rendez-vous, c’est un ouvrage dont l’auteur souhaiterait qu’il soit titré lors d’une réédition « Exhaustif et partisan » et qui doit être « picoré », manière de l’appréhender idéale, tant il est vrai qu’il est impressionnant de richesses. De tels livres, ouvrages d’un seul homme restent rares, à l’instar d’un Jacques Lourcelles et son dictionnaire ou d’un Hervé Dumont et son « Antiquité au cinéma ». Il y a cependant la participation d’Italo Manzi dans des recherches biographiques, décidemment indispensable car il collabore aussi bien aux ouvrages d’Armel de Lorme et de Christophe Bier, ouvrages qui concilient passion et érudition. L’idée est donc de reprendre l’intégralité de la filmographie des cinéastes ayant œuvré dans les années 30 et de les accompagner jusqu’à la fin de leur carrière. Il y a fait ici une œuvre salutaire, car il y avait une véritable carence critique sur cet aspect du cinéma, qui nous est pourtant, avec le cinéma américain, le plus familier mais au final très méconnu. Un parti-pris qui égratigne la politique des auteurs chère aux « Cahiers du cinéma », dédiée surtout au cinéma américain. Le ton est volontiers polémique et souvent inattendu, manière par exemple de mieux apprécier au final le parcours d’un André Berthomieu que les films d’Henri-Georges Clouzot. On est bien sûr en droit d’être en désaccord, mais il est passionnant de lire un avis contraire comme pour l’édifiant « Le défroqué » de Léo Joannon, salué comme ici chez d’œuvre, alors que certains classiques sont malmenés, on pense bien entendu au quatuor Jean Renoir, Sacha Guitry, Clouzot donc et Marcel Pagnol. Force est de constater que l’on peut être souvent d’accord, tel sur le parcours après-guerre d’une Michèle Morgan, on jubile de lire des jugements qui vont inévitablement faire grincer des dents. C’est aussi une manière de faire un bilan de notre cinéma, contre la politique des auteurs, obligatoirement imposée depuis des années. Il y a un système de notation correspondant à l’accueil de l’époque, confronté à un plus personnel de son auteur allant du pique ou du cœur. Un hommage privilégié est fait aux acteurs, on se régale de voir ainsi fêtés les fameux excentriques du cinéma français tel Jean Tissier souvent loué – à raison car c’est un acteur génial – ou la frêle Gabrielle Fontan. Il a un soin à relater les prestations de ce type de comédien, le générique des films est complet et l’on retrouve nombre d’informations inédites et de petits rôles complétant les fameux dictionnaires de Raymond Chirat. Il salue des comédiens venant du music-hall ou sans formation – on connaît son amour de Danielle Darrieux – apportant un sang frais dans un style de jeu souvent guindé, stéréotypé, voire formaté. Vecchiali donne des coups de griffes assez inattendus – Philippe Noiret, Bernard Blier (1) ou Michel Piccoli -. On y retrouve des cinéastes oubliés ou méconnus comme René Guissart, voire totalement inconnus comme Georges Pallu, Jacques Constant, Jean Hémard (sic) ou Louis Valerey, des parcours salués pour des auteurs parfois mésestimés comme pour Raymond Bernard, Carlo Rim, Henri Decoin, Julien Duvivier et Jean Grémillon en passant par d’honnêtes artisans, comme Jean-Paul Le Chanois, Roger Richebé, Maurice Cloche, ou populaires Christian-Jaque, Emile Couzinet. On peut le trouver parfois un peu sévère, comme pour un Willy Rozier, Jean Dréville ou Luis Buñuel surtout, mais force est de constater qu’il donne envie de voir les films. La réhabilitation et la réflexion sur certains films donne matière à de riches débats… On aimerait voir par exemple les invisibles « La vie parisienne » (Christian-Jaque, 1977) ou « Gloria » (1976) dernier film d’Autant-Lara, jugé souvent mauvais alors qu’il est devenu invisible. « Les patates » souvent diffusé par contre, est ainsi réévalué. Les nanars (2) sont aussi à la fête. Outre les Français, les cinéastes étrangers de passage en France sont aussi salués de Max Ophuls, Luis Buñuel, parfois pour un film seulement, comme on le sait pour Billy Wilder et Fritz Lang, on y retrouve même Raoul Walsh ou Robert Wiene. Une manière de saluer la richesse qu’ils apportaient à notre cinématographie et de répondre à l’ineffable tandem Bardèche et Brasillach qui déclaraient « On ne s’étonnera pas, après cela, que le cinéma français perdît peu à peu tout caractère national et que ses œuvres les plus connues, entre 1936 et 1940 ressortent à une esthétique morbide, analogue à celle qui avait sévi sur l’Allemagne d’après-guerre ». (Cité dans l’ouvrage « Tendres ennemis, cent ans de cinéma entre la France et l’Allemagne » (L’Harmattan, 1991). Donc un ouvrage obligatoire qui va accompagner salutairement la vision d’un film comme le livre de Jacques Lourcelles toujours ou les « 50 ans du cinéma américain » de Coursodon et Tavernier, réflexe vite acquis. Grinchons un peu… La diffusion de ces films sont limités, rares sont les diffusions en DVD – il y a l’éditeur René Château, mais si beaucoup de films des années 30 étaient diffusés en VHS, ils sont très rares en DVD. Reste la diffusion à la télévision, on peut déplorer qu’ils ne se bousculent pas au portillon sur les chaînes câblées. Si Patrick Brion privilégie les raretés, voir son cycle « Monstres sacrés » actuellement sur France 3, on constate l’inévitable diffusion à l’avance sur France 2 du mélodrame « Le voile bleu », annoncé pourtant à 1h15 ! Refrain connu quand on tente de programmer un enregistrement… Nous devons être beaucoup de cinéphiles à l’avoir donc sans le début… Souhaitons donc que les responsables de cinémathèque, ayants-droits et éditeurs, s’emparent de ce travail pour mieux diffuser et valoriser les films.
(1) Armel de Lorme le malmène également dans son « ceux de chez eux ou le cinéma de Sacha Guitry » (2) Nanar, terme dont la paternité on l’apprend ici, vient de Vecchiali, venant d’un « terme de couture qui désigne un article qui a mal vieilli »
Paul Vecchiali source Télérama
Paul Vecchiali a bien voulu répondre à quelques petites questions, je le remercie de sa disponibilité et de son amabilité.
Vous avez travaillé dix ans sur votre dictionnaire, et de manière intensive sur deux ans et demi comment avez-vous procédé ?
J’ai d’abord voulu faire le travail du deuil parce que je pensais arrêter de tourner après de douloureuses mésaventures. Pour cela, j’ai désiré me replonger dans les films de mon enfance par l’intermédiaire, dans un premier temps, des cassettes René Château. Puis, revoyant ces films, j’ai pensé qu’il était temps de ressusciter cette mémoire en train de se perdre. Et j’ai cherché partout les films que je n’avais pas vus ou revus depuis trop longtemps. Ensuite, je faisais passer les cassettes jusqu’à 6/7 fois pour être suffisamment argumenté et aussi pour repérer les petits rôles qui avaient échappé à Raymond Chirat dont le travail de recensement a été primordial pour moi.
On est impressionné par le nombre de films que vous avez vus, comment avez-vous eu accès à ces films, outre les échanges avec la cinémathèque de Toulouse par exemple.
Porto-Vecchio, Grenoble et, surtout, Montréal dont la Cinémathèque possède des trésors. Aussi les Archives du Film mais, les ayants-droit m’ont posé problème alors que je travaillais aussi pour eux…
Votre style est volontiers polémique et il est toujours argumenté. Pierre Murat dans « Le masque et la plume » sur France Inter, disait qu’après la parution de votre entretien dans « Télérama » il a reçu beaucoup de courriers. Quelles en sont les retombées pour vous personnellement ?
Je reçois pas mal de mails ou de coups de fil : quelquefois pour me signaler des erreurs, ce qui me ravit. J’espère être plus précis encore pour la réédition.
Votre livre est aussi un travail et un appel pour les ayants-droits, on sait que certains films sont souvent bloqués, comme « La fête à Henriette » que Patrick Brion n’a pu diffuser dans son ciné-club sur France 3. Quels rapports avez-vous avec eux, et quels sont les retours ?
Aucun rapport, je viens d’en parler. Je ne les comprends pas !
Comment peut on expliquer que le cinéma français fut une terre d’accueil pour nombre de cinéastes étrangers et quelle fut leur influence sur notre cinéma hexagonal ?
Je ne crois qu’il y ait eu influence mais plutôt échanges. C’est bien comme ça.
Il y a-t-il des films que vous avez adoré, et sur lesquels votre avis à changé, avec le temps ?
Certes, LE CARROSSE D’OR de Renoir est un exemple mais aussi GIBRALTAR de Ozep ou L’ARGENT de Billon. Plein d’autres, en revanche en sens inverse.
Depuis votre enfance et la vision de « Gaspard de Besse », certains films ont-ils disparu, quelle est la restauration sur ces films, et il y a-t-il des films définitivement perdus ?
Je ne saurais comment vous répondre sinon en vous signalant que la Paramount a brûlé les négatifs de quelques films de René Guissart que j’estime. Donc oui, il y a des films définitivement perdus mais des copies peuvent encore circuler : on dit que la Cinémathèque de Moscou aurait en masse de ces copies-là.
Certaines personnes vous reprochent votre exhaustivité, alors qu’elle donne un grand intérêt à votre dictionnaire » ?
Je trouve incongrue l’idée de faire des choix !!!! Certains films que vous auriez souhaité voir étudiés aux dépens d’autres ? Mais les autres alors ? Faire un choix, c’eut été être élitiste, ce que je m’interdis de faire.
La subjectivité doit se doubler d’exhaustivité. Et si, par endroits, je parle de films ou de cinéastes qui n’ont rien à voir avec ceux recensés, c’est pour qu’on puisse avoir une idée de cette subjectivité, d’en connaître certains repères. Cela me paraissait simplement de l’honnêteté.
On connaît l’influence de ce cinéma français sur votre œuvre pouvez-vous l’évoquer ?
La première chose qui me vient à l’esprit c’est l’électrochoc de COEUR DE LILAS (Litvak) où Gabin, qui devrait aller cogner André Luguet, se met à chanter LA MÔME CAOUTCHOUC. Sur le moment, je n’avais pas réalisé ce que j’ai compris bien plus tard. La chanson dialectise une situation et, si elle n’a rien à voir avec elle, la façon dont on la chante peut être le reflet du sentiment du personnage. C’est de là que vient FEMMES FEMMES par exemple. Mais l’essentiel est ailleurs : le goût des personnages bien construits, donc des acteurs loyaux et pleins d’humour à la fois… (la danse d’ Harry Baur dans LES CINQ GENTLEMEN MAUDITS). Enfin savoir que les sentiments ne viennent pas du néant, qu’ils correspondent à une époque bien définie, donc à la politique de l’instant. Résultat : il est inutile de débattre de la politique, de faire des films militants, il suffit, comme Grémillon ou Demy, de traiter des sentiments de la façon la plus participative, sans filtre, d’y croire si vous voulez. Cela suffit amplement. Comme j’ai rarement fait des films où le social n’était pas en jeu, je me suis contenté, à ma manière, de travailler sur les personnages sans « corset ».
Vous avez tourné plusieurs films, depuis la comédie noire « A vot’bon cœur », nous avons pu lire quelques informations sur les « Cahiers du cinéma » de l’été dernier, pouvez-vous nous en parler, et nous dire si nous pourront les voir prochainement ?
J’ai fait dans l’ordre + SI @FF., BAREBACK (présentés dans pas mal de festivals) puis quatre films de ma pentalogie HUMEURS ET RUMEURS, …ET TREMBLE D’ÊTRE HEUREUX, ÊTRE OU NE PAS ÊTRE, LES GENS D’EN BAS et je prépare le dernier volet, peut-être pour cette année. RETOUR À MAYERLING. Je pense qu’on les verra en DVDS ou dans des rétros ou dans des festivals. Je ne me préoccupe plus des sorties en salles : trop cher et inutile.