Le théâtre, c’est du présent.
Le cinéma, c’est du passé.
Au théâtre, les acteurs jouent.
Au cinéma, ils ont joué.
Au théâtre, vient le public.
Au cinéma, entre la foule.
Au théâtre, c’est le dessin.
Le cinéma n’en est encore qu’à la lithographie.
Le théâtre, c’est positif.
La pellicule est négative !
(Sacha Guitry en 1942)
Comme le rappelait Guillaume Gallienne dans le beau documentaire de Serge Le Perron, « Sacha Guitry et le cinéma », Guitry n’aura eu de cesse que de médire ce média, le traitant de « théâtre en conserve » ou de « refuge des incapables ». Ce fut donc une histoire singulière, il ne fut consacré grand cinéaste que par la nouvelle vague notamment par François Truffaut et Jacques Rivette. Armel de Lorme a eu la bonne idée de sortir le quatrième volume de « L’@ide-mémoire » – et deuxième volume consacré aux acteurs – aux interprètes au cinéma de Guitry, voir le bon de commande. Il avait déjà en 1993 rédigé une filmographie exhaustive de « Monsieur Môa », dans un très sérieux ouvrage « Sacha Guitry cinéaste » paru aux éditions Yellow Now, un régal de détails notamment pour les seconds rôles présents dans les distributions pléthoriques de ses films historiques. Cet ouvrage paru à l’occasion d’une rétrospective de ses films au festival de Locarno mériterait une réédition. Ce livre en collaboration avec Raymond Chirat – notre « maître » – à tous, et Italo Manzi, prend pour départ d’évoquer156 interprètes du maître, et de dérouler leurs parcours du plus âgé Anthony Gildès à la plus jeune Odile Rodin. Une occasion de revenir sur une œuvre foisonnante, mise en valeur comme le dit justement de Lorme, par des remakes récents assez décevants.
Avec ce premier volume – un second devrait suivre au premier semestre -, c’est une mine d’informations, à l’instar du « Tout Guitry » de Jacques Lorcey paru chez Séguier en 2007. Sont évoqués notamment la garde rapprochée de Guity, avec Pauline Carton et Jeanne Fusier-Gir (chapitre titré « les deux font la paire ! ) et ses épouses, Charlotte Lysès, Yvonne Printemps, Jacqueline Delubac, Geneviève Guitry et Lana Marconi. On retrouve aussi les débutants promis à un bel avenir (Jean Poiret et Michel Serrault, Magali Noël, Sophie Desmarets, Howard Vernon, Brigitte Bardot). Les vedettes Jean Marais, Arletty, Danielle Darrieux, Michel Simon côtoient les excentriques du cinéma français chers à Chirat et Barrot (Les « 9 célibataires » d’Aimos à Sinoël , Jean Tissier, Albert Duvaleix, Jacques Baumer, Pierre Bertin ,etc…). Certains comédiens de la Comédie Française figuraient aussi dans cette catégorie (Pierre Bertin, André Brunot, Georges Chamarat, Aimé Clariond, Jean Debucourt, Maurice Escande, Roger Gaillard, Jean Hervé, Denis d’Inès, Robert Manuel, Louis Seigner, Jean Weber). On retrouve des artistes méconnus (Jacques Berlioz, Siren Adjemova, Marie Sabouret, Roland Bourdin, Anne Carrère, Catherine Érard), ou parfois par trop mésestimés (Louis Arbessier, Claude Nollier, Janine Darcey, Maurice Teynac, Mona Goya, Sanson Fainsilber – très apprécié d’Alain Resnais -, Maurice Lagrenée, etc…). Une minutie et une exhaustivité vraiment impressionnante, à l’exemple de la comédienne Martine Alexis, repérée dans « Si Versailles m’était conté » grâce à l’arrêt sur image ! Au final cet ouvrage rappelle que ce génie avait une véritable admiration et amour envers les artistes, au contraire d’un Charlie Chaplin qui eut du mal à travailler avec de grands artistes et qui utilisa Buster Keaton d’une manière assez détestable dans « Les feux de la rampe ». Beaucoup de portraits, de découvertes, d’anecdotes pour cette somme de travail considérable, éclairage sur le cinéma français au travers de l’œuvre de Guitry. Même s’ils ne font que passer dans son univers, la présence de ces comédiens est toujours justifiée, on s’amusera des détails, même s’ils devaient comme Françoise Arnoul dans « Napoléon », finir sur la table de montage. Pour revenir à Raymond Chirat le livre « Noir et blanc » écrit en collaboration avec Olivier Barrot ressort sous le titre « Ciné-club : portraits, carrières et destins de 250 acteurs du cinéma français, 1930-1960 », aux éditions Flammarion, sans nouveautés hélas, mais il est indispensable car il reprend les portraits des « excentriques du cinéma français » et « inoubliables » pour ceux qui n’ont pas ces deux précieux ouvrages dans leur bibliothèque. Une impression de recyclage assez curieuse mais l’ouvrage est précieux quelle que soit sa forme.
On lira en parallèle et avec intérêt au sujet de Guitry « L’encinéclopédie » de Paul Vecchiali, analyse acerbe de cet artiste, je reviendrai sur ce formidable dictionnaire en deux volumes. Un début d’année très riche pour les amateurs de dictionnaires pour rappel le Dictionnaire des films français érotiques et pornographiques 16 et 35 mm sous la direction de Christophe Bier est en toujours en souscription ici.
Armel de Lorme continue aussi avec son site en ligne, loin des habituels recycleurs pompeurs qui sévissent en ce moment sur le web, avec des hommages aux disparus récents (Paulette Bouvet, Charles Charras, Niko Papatakis, Bernard-Pierre Donnadieu, Robert Destain, Georges Staquet, Maria Schneider, Janine Souchon, la kulte Tura Satana). On y retrouvera aussi d’autres portraits comme Yann Gonzales et Sylvie Joly ou Jean Grémillon, et des extraits de son livre sur Guitry (André Lefaur, Betty Stockfeld, Jacqueline Delubac, Claude Dauphin). Louons donc ce chercheur infatigable qui continue une histoire du cinéma parfois iconoclaste – voir sa manière d’égratigner certains artistes -, exhaustif – les filmos complètes feront la joie des monomaniaques qui se dépêcheront de tout rajouter dans wikipédia sans en citer l’auteur bien entendu comme pour le volume 1 –.