Je lambine, je lambine… Vu en avant-première il y a un mois environ à l’UGC-Cité ciné Bordeaux “Quatre étoiles”, en présence de son réalisateur Christian Vincent, José Garcia et Isabelle Carré. Christian Vincent est un habile metteur en scène, toujours soucieux de retrouver un contexte social, son dernier film sur les familles recomposées “Les enfants” a même lancé une mode sur ce sujet. On l’associe souvent au Nord ou à l’intime, on ne peut que louer sa manière de faire un film contre le précédent. Une vieille dame à l’agonie – Renée Le Calm épatante – peste contre tout le monde à la lecture de son testament devant son notaire. C’est France dite Franssou – Isabelle Carré, rousse en hommage à Shirley MacLaine, absolument radieuse – qui va hériter de 50 000 euros. Elle décide de les dilapider sur la “Côte d’Azur”, trouvant que la somme n’est pas suffisamment importante. Elle quitte donc son ami Marc, un peu lourdaud – Michel Vuillermoz, un comédien que l’on a toujours plaisir à retrouver, excellent en raconteur de blagues stupides -. Franssou tombe sur un aigrefin aux abois, nomme Stéphane La Chesnaye – hommage à “La règle du jeu” -. Il est prêt à tout pour acquitter une dette de jeu – saluons Luis Rego en messager circonspect -, sans faire trop de vague, la “Côte d’Azur” étant un peu trop petite comme terrain de chasse. Franssou, qui se révèle une charmante roublardise, s’amuse avec lui, c’est un escroc hâbleur, séduisant et convaincant, le genre avec lequel vous êtes « cuits » s’il pose la main sur vous – Costa-Gavras comparait José Garcia à Jack Lemmon dans le “Couperet” avec lequel il a travaillé, on peut en faire de même avec celui des comédies de Billy Wilder, son rythme dans la comédie est fascinant. Ils ont un rapport chien et chat, et elle rencontre sa prochaine victime à l’escroquerie un ex-pilote de courses. Christian Vincent en tournant au « Carlton » lieu qui réveille bien des souvenirs cinéphiliques – impossible de ne pas penser à “La main au collet” d’Hitchcock. On n’est pas loin de la “screwball comedy”, l’ami Pierrot/Orloff cite d’ailleurs dans sa critique et avec justesse le formidable « Haute Pègre » de Lubitsch – référence assumée par Vincent -, notamment. Le scénario est vivant, intelligent, très bien écrit par Olivier Dazat – l’étude sur les tics de langages, par exemple -.
Tout ici est soigné, de l’image, la musique et le mécanisme d’horlogerie d’un Jean-Paul Rappeneau – cinéaste que j’aime beaucoup -. Aux côtés de ce couple épatant, on retrouve un François Cluzet en grande forme, en champion de courses automobile esseulé et maladroit, cherchant des mots… qu’il ne connaît pas. Christian Vincent avait eu déjà un projet non abouti avec Cluzet, il lui donne l’occasion de montrer son grand registre – son personnage passe par plusieurs étables -. Il y est parfaitement réjouissant, il faut le voir évaluer la place où ranger ses rolls dans le garage que lui fait visiter José Garcia, c’est un grand moment de burlesque, pour passer avec habileté du ridicule au touchant, il est définitivement un de nos plus grands comédiens. Le tandem Carré-Garcia fonctionne parfaitement dans un ton vachard, pas aimable, et ils font naître une tension érotique. Le reste de la distribution est formidable – outre ceux cités précédemment -, notamment Jean-Paul Bonnaire et sa scène de tourteau – je vais lui rendre hommage très bientôt -, Guilaine Londez et Mar Sodupe en bonnes copines, ou Philippe Manesse échappé du café de la gare assez inquiétant. Hautement appréciable en ces périodes de comédies formatées signées – Francis Veber, Lisa Azuelos -, voire fumistes – la liste est trop fastidieuse -. La soirée d’après film était excellente, de l’évocation de la rencontre José Garcia-Isabelle Carré – deux petits rôles dans un ascenseur dans “Romuald et Juliette” et de leurs retrouvailles dans “La mort du chinois”, de l’évolution du jeu d’Isabelle Carré, par Christian Vincent, avec lequel elle avait travaillé sur “Beau fixe” – il la voyait comme la plus sérieuse du groupe, un vrai petit soldat. C’était un régal de les complimenter personnellement ensuite, Isabelle Carré charmante et réservée qui dit recevoir vos compliments comme des vitamines, José Garcia parlant formidablement de son travail, et la cinéphilie de Christian Vincent. Un régal. Tant mieux car en ce moment on risque l’overdose de comédies.

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Avant-première du film “Les aiguilles rouges” à l’UGC Cité-Ciné, en présence de son metteur en scène, Jean-François Davy, Jules Sitruk, Damien Jouillerot, Jonathan Demurger et Pierre Derenne. Le film vient de sortir ce mercredi. Il était intéressant de rencontrer son réalisateur après débat, enthousiaste, qui a beaucoup de projets après son retour à la réalisation – son dernier film “traditionnel” est “Ca va faire mal” une comédie de 1982. Il a un parcours atypique dans le cinéma français, répondant à des commandes plutôt que de rester sans projets. On luit doit un drame, son premier film “L’attentat” (1966) sur un jeune homme fasciné sur les attentats de l’O.A.S. inédit, mais que l’on peut voir en DVD pour un prix dérisoire chez Cdiscount, une des rares réussites dans le fantastique français “Le seuil du vide” (1971), une comédie nonsensique écrite avec Jean-Claude Carrière “Chaussette-suprise” (1978) – avec déjà Rufus, Bernadette Lafont et Bernard Haller -et bien sûr des films érotiques, il vient de terminé un coffret DVD le 21/06/2006 riche en bonus, avec au programme des films : “Exhibition 1 et 2”, “Exhibition”, “Plainte contre X”, “Prostitution” + “Change pas de main” de Paul Vecchiali, “Exhibition” étant à la base un documentaire sur le tournage de ce dernier. Producteur avisé – les films de Jean-Daniel Pollet notamment, il était également responsable de l’admirable collection vidéo “Les films de ma vie”. Ce film-ci, tourné en 2005, aurait pût être son premier film, c’est un projet de longue date. Il retrace sa propre histoire – Le jeune comédien Jonathan Demurger – assez falot d’ailleurs – joue son rôle. Il se replonge dans les années 60, racontant un petit groupe de scouts égarés dans une montagne des Alpes – les images sont admirables – après avoir suivi un ordre imbécile du chef des scouts. “Les aiguilles rouges”, sont celles qui servent à crever les ampoules de nos jeunes marcheurs. 
Accueil assez froid de la part de beaucoup pour ce “Silent Hill”, ce qui peut surprendre. En effet en ces périodes de canulars insipides – tendance “Blair Witch”, il faut bien le dire l’un des films les plus pitoyables de l’histoire du cinéma -, films ricanant – tendance “Scream”, remakes ou innombrables séquelles en tous genres ou des films confrontant des créatures d’autres films – tendance “Freddy contre Sœur Emmanuelle” ou je ne sais plus quoi -, on retrouve enfin ici un plaisir de spectateur. Mais “Silent Hill” vaut le détour, même si vous ne connaissez pas le jeu video Konami, comme mézigue, où si vous avez été échaudé par des adaptations comme “Super Mario Bros” – qui vaut son pesant de cacahuètes avec Bob Hoskins et Dennis Hopper – et autres “jojolivitcheries tomberedienne-residentevilisées”. Christophe Gans, dont “Le pacte des loups” me semble être à réévaluer – son tort était de vouloir trop en mettre -, part donc inévitablement faire un blockbuster pour les Etats-Unis, après avoir fait l’effort louable de vouloir rester en France. L’homme a donc du talent, et il parle en plus magnifiquement du cinéma. L’histoire proche de celle d’Orphée est pourtant conventionnelle, mais Gans ne s’embarrasse pas dans de vaines scènes explicatives et rentre directement dans le cœur du sujet. La jeune Sharon rêve d’une ville fantôme, Silent Hill. Sa mère, Rose – Radha Mitchell, dont le jeu nerveux convient au rôle – décide pour exorciser son mal étrange, de l’accompagner sur place au grand dam de son mari – minéral Sean Bean -. Mais la ville minière, semble avoir sa propre dimension, elle a été détruite il y a trente ans par un gigantesque incendie, et elle continue d’ailleurs à brûler. Inévitablement Rose perd sa fille, part à sa recherche flanquée par une fliquette qui fait preuve d’empathie et d’énergie – étonnante Laurie Holden -. Un univers peuplé par des ténèbres s’ouvre aux deux femmes…
Qu’est-il arrivé à Francis Girod, lui qui avait du mordant à ses débuts… Il continue pourtant à faire des films, alors que nombre de cinéastes de sa génération sont cloisonnés à la télévision. Ces derniers films, “Délit mineur” (1993), “Passage à l’acte” (1995), “Terminale” (1997), “Mauvais genre” (2001) – malgré l’excellente prestation de Robinson Stévenin pour ce dernier -, laissent un souvenir assez vague, un poil qualité France, solides comédiens et histoires pas très inventives. Le producteur Humbert Balsan – “Mon cow-boy” comme disait Yolande Moreau à la cérémonie des Césars -, s’est suicidé durant le tournage, on imagine aisément le malaise qu’il devait y avoir durant le tournage. Francis Girod – qui apparaît d’ailleurs non crédité en cinéaste -, adapte à nouveau un polar, utilise les fantasmes d’une Suisse riche en compromission, dans une vague historiette dans le monde du journalisme et de l’agro-alimentaire. L’idée bateau de l’amnésie, thème usé jusqu’à la corde dans bien des films de séries B et autres polars de la “Série Noire”, est une manière assez artificielle de manipuler le spectateur, avec ses fausses pistes habituelles, et une réflexion sur la grande complexité de notre ami le cerveau – qui n’en fait qu’à ça tête -. Le réalisateur tente de disséquer une amitié ambiguë entre un Antoine de Caunes, assez subtil dans le rôle principal et Jean-Pierre Lorit, excellent dans l’ambivalence, que l’on n’avait plus vu curieusement sur grand écran depuis “Une affaire de goût” en 2000. Julien Rossi, un journaliste, se réveille du coma après une agression la nuit de la Saint-Sylvestre. Son médecin – l’ineffable Aurélien Recoing – lui explique qu’il a une amnésie totale de ses 60 derniers jours. Les bouleversements dans sa vie durant ses périodes sont évidemment nombreux tant dans sa vie affective – il a une nouvelle compagne jouée par Martina Gedecq, qui porte très bien la fourrure -, que professionnelle – il a démissionné de son journal -. Son ami de toujours Lucas Jäger – Jean-Pierre Lorit, donc -, semble lui dissimuler beaucoup d’éléments… 
D’avoir entendu un excellent entretien sur Michael Lonsdale, lundi 24 avril dernier sur “France culture”, m’a redonné l’envie de retrouver “Une sale histoire” moyen-métrage de 50mn tourné en 1978 par Jean Eustache. Le film végétait sur une cassette VHS fatiguée enregistrée lors d’un passage sur Arte il y a une dizaine d’années. Si les films de Jean Eustache passent en cinémathèque, on peut déplorer qu’ils n’existent pas en DVD, qui serait un support idéal pour ce poète maudit, qui n’a jamais respecté la durée normale d’un film passant des 3h40 de la “Maman à la putain” à la durée de courts-métrages. D’avoir vu, outre les deux titres cités “Le père Noël a les yeux bleus”, court tourné en parallèle du Masculin-Féminin de Godard, en utilisant la pellicule du film, presque en contrebandier et “Mes petites amoureuses”, restent comme une marque au fer rouge, de ce dandy lucide et désespéré. Michael Lonsdale parlait avec chaleur du tournage d’une “Sale histoire”, il témoignait d’ailleurs il y a peu sur Eustache dans “Le Monde” du 1 avril 2006 : « Quand il m’a demandé de faire ça, j’ai été totalement emballé. Cette histoire du voyeur est à moitié inventée, je pense, par son ami et scénariste Jean-Noël Picq. Parce que c’est quand même complètement invraisemblable qu’il y ait en bas d’une porte, dans les toilettes, un trou qui permette de voir le sexe des dames sans qu’on soit les cheveux dans la pisse ou je ne sais pas quoi ». Le résultant est étonnant, en fait c’est une histoire de Jean-Noël Picq, psychologue réputé – il jouait l’ami de Jean-Pierre Léaud qui s’achetait une veste trop large dans “La maman…”. En fait c’est une de ses histoires, qu’il semble avoir peaufiné au film, un récit sur une perversité échappée de l’univers de Sade ou de Georges Bataille, d’un homme qui s’installe dans un café, et qui profite régulièrement de la cabine téléphonique au sous-sol. Un jour il entend “et pourtant il est jeune celui là”, ce qui lui fait comprendre le rituel voyeuristes de quelques paumés qui par un trou judicieusement placé dans les toilettes des femmes, ont une vision directe sur le sexe féminin… Selon le narrateur le café semble même avoir été construit autour du trou !
On assiste donc à la naissance d’un genre inédit, une parodie – ou détournement ce à quoi Jean Dujardin semble tenir -, d’une parodie – involontaire certes mais parodie quand même – ! Car il faut avoir vu les OSS 117, venu de l’imagination du romancier Jean Bruce, Hubert Bonisseur de La Bath, ce James Bond du pauvre, dans des films comme “OSS 117 se déchaîne”, “Banco à Bangkok pour OSS 117”, “Furia à Bahia pour OSS 117”, “Atout cœur à Tokyo pour OSS 117”, et “Pas de roses pour OSS 117”, signés par André Hunebelle ou Michel Boisrond, qui passaient généralement très souvent les après-midi de jours fériés, et qui sont désormais disponibles dans un coffret DVD kitschissime. Ces films très agréables à regarder, avec la patine du temps surtout. Ils confinent un peu avec le ridicule des figures imposées des romans d’espionnages, et qui sont ici formidablement dynamitée ici, Michel Hazanavicius, en détournant les codes. Les originaux au cinéma valaient déjà leur pesant de cacahuètes, il fallait voir dans “Banco à Bangkok pour OSS 117”, les images tournées sur les lieux mêmes, suivies par d’autres tournées dans l’arrière pays niçois ! Michel Hazanavicius, auteur de “Mes amis”, qui laisse le souvenir d’une brillante distribution, joue avec les clichés avec maîtrise, entre les transparences d’usages et un bel hommage au Technicolor. Il serait vain d’éventer et de dévoiler toutes les idées du film, promises, à l’image du running gag, sur le Président René Coty, le second président de la IVe République, excusez du peu de 1953 à 1958, promis à passer dans la postérité selon OSS 117 ! Il faut saluer l’écriture de Jean-François Halain, connu pour être l’auteur de la meilleure période des “Guignols” sur Canal+, – g(l)accionisées, depuis hélas -, et de “Grosland”. Il trouve dans cette évocation de l’Égypte des années 50, outre le comique des situations, une matière pour se livrer à une charge contre la France sclérosée des années 50. Donc après Ivan Desny, Kerwin Marthews, l’ineffable Frederick Stafford, John Gavin et Luc Mérenda, c’est Jean Dujardin qui s’y colle. C’est un cliché, mais il a la même stature que le Jean-Paul Belmondo de “L’homme de Rio” et du “Magnifique”, et il nous livre ici une formidable performance.