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LES ARAIGNÉES DE LA NUIT

La désormais régulière sortie de l’œuvre de Jean-Pierre Mocky en DVD est aussi l’occasion de découvrir ses films les plus méconnus. Ces derniers temps, ses films sortent uniquement dans son cinéma « Le Brady », ou restent inédits comme « Touristes, oh yes » film « tatiesque » et muet sur un groupe de touristes hollandais. Le réalisateur finissait plus par être connu par ses coups de gueules et ses provocations que par ses films propres. J’ai ainsi le souvenir de lui signant son livre « Mister Flash » dans le Virgin de Bordeaux, et déclarant que les pédophiles ont pour raison première de vouloir, par cette perversion vouloir, éviter d’être contaminer par le sida ! On aimerait pouvoir tordre le coup à sa réputation de bâcler ses films. Elle n’est finalement que très peu fondée, s’il tourne vite, il soigne quand même ses effets. Il aime bien, on le sait, tirer à boulets rouges sur les institutions. Prenons comme exemple le film « Les araignées de la nuit » diffusé en 2002 et toujours inédit à télévision. Il prend pour cible le financement des hommes politiques en campagne électorale, avec une sorte de pré-science, vu les mauvaises surprises au premier tour en 2002 -. Dans le film des 5 candidats à la Présidence – du nombre de 5, « Dugland, Dupont, Durand, Dubois,… » -, aucun ne se distingue véritablement pour gagner les élections. Un mystérieux groupuscule « Les araignées de la nuit », tente d’en supprimer certains par la force… Certes les coutures sont un peu lâches, on a vite fait de deviner par la voix et la silhouette de qui se cache derrière le masque à gaz de la mystérieuse araignée, chef de cette organisation maffieuse. Le film souffre d’un manque de moyens évidents, de par sa post-synchronisation un peu schématique. Reste que Mocky a un incroyable talent pour installer un climat, trouver des lieux de tournages originaux, et dénonce à sa manière, même si c’est un peu à l’emporte-pièce le cynisme ambiant. Le scénario tient plutôt la route, il est cosigné par l’excellent André Ruellan. On suit donc ce jeu de massacre avec un plaisir évident. Il y a bien sûr de nombreuses invraisemblances, comme les membres de la société secrète ont même un tatouage d’araignée comme signe de distinction, ce qui n’est pas idéal, convenons-en pour rester discret.  

Jean-Pierre Mocky & Patricia Barzyk

Mocky puise dans l’esthétique de la série B, avec un plaisir renouvelé et une certaine désinvolture. On retrouve aussi avec plaisir le Mocky Circus, qui hélas s’amenuise un peu avec les années, malgré de nouveaux venus – Jackie Berroyer pour une simple apparition en légiste en grève, Rodolphe Pauly azimuté, Ludovic Schoendoerffer en journaliste, etc… -. Les habitués se livrent à des numéros réjouissants, d’Hervé Pauchon, tueur débrouillard et bondissant, Dominique Zardi, homme politique suffisant et coiffé d’une improbable perruque, Michel Bertay politicard infatué de lui-même, François Toumarkine excellent en policier cauteleux et corrompu, Jean Abeillé en préfet de police indolent, les étonnantes Nadia Vasil et Evelyne Harter, en respectivement femme et sœur possessives d’hommes politiques, Maurice Vallier, perdu de vu ces derniers temps en homme blasé, etc… Mocky lui-même se réserve le rôle principal dans un registre proche d’ « Un linceul n’a pas de poches », en électron libre revanchard, il réserve à son actuelle compagne Patricia Barzyk, un rôle complexe d’où se dégage son charme habituel. Les bonus sont hélas de plus en plus léger, deux entretiens assez mal sonorisé avec Patricia Barzyk et Mocky lui-même. Mais on peut retrouver une curiosité, avec, assurément, la bande-annonce la plus cheap de tous les temps… Sur une image vidéo de mauvaise qualité on retrouve la course de fond de quelques candidats… nus. Le film étant mal distribué, Mocky l’a donc élaboré avec les moyens du bord. Même sur le mode mineur, Mocky reste Mocky et déploie souvent des trésors d’inventions, même avec un tout petit budget. Saluons encore une fois, son mordant, sa drôlerie, son irrévérence et son originalité constantes.

PARIS, JE T’AIME

Saluons la bonne idée de Tristan Carné, dans cette production de Claudie Ossard, de reprendre le principe du film à sketches de « Paris vu par » (signés par Chabrol, Jean , Jean-Luc Godard, Jean Rouch, Éric Rohmer et Jean-Daniel Pollet) qui avait déjà fait objet d’un remake en 1984, « Paris vu par… vingt ans après » signé par certains dignes héritiers de la nouvelle vague (Garrel, Mitterrand, Akerman, etc.  L’idée intéressante était cette fois de privilégier le regard de cinéastes étranges, histoire de vérifier si notre réputation de peuple inhospitalier et arrogant pouvait ce vérifier par le biais de la fiction. Les réalisateurs ont eu comme contrainte, un temps très court de tournage – 2 jours et deux nuits – et une durée de 5 minutes. Le résultat est forcément inégal comme tout film à sketches, mais après l’épouvantable meringue de Luc Besson sur la ville Lumière on ne craint plus rien… L’idée initiale étant de faire un épisode par arrondissement, soit 20 au total. C’est évidemment les réalisateurs les moins connus qui voient leur résultat rester sur la table de montage – Christoffer Boe – « Le 8 à 8 d’Angelina Jolie » avec Jonathan Zaccaï, Camille Japy et Éric Poulain, et celui de Raphaël Nadjari dont il subsiste quelques plans avec Eric Caravaca à la fin du film. On engage le yes man habituel de Gérard Depardieu, le tâcheron Frédéric Auburtin pour « créer une fluidité dans le récit » (sic), c’est dommage de ne pas voir ces deux courts ne prennent que 10 minutes sacrifiés ainsi sur l’autel de la rentabilité, il est évident que la production a pensé uniquement au nombre de séances. Le projet a été mouvementé, le tournage ayant commencé en 2002 avec l’épisode signé Tom Tykwer, avec Nathalie Portman, pas le meilleur du film d’ailleurs. Le parti pris d’éviter la carte postale – les frères Coen tournant dans le métro, Walter Salles utilisant Paris et sa banlieue comme une ville anonyme – est plaisant, tout comme celle de retrouver un Paris méconnu. Le film commence agréablement par le segment de Bruno Podalydès, « Montmartre »,  rendant hommage à Pierre Étaix avec l’idée de l’automobiliste qui n’arrive pas à se garder dans le XIIIème, avant qu’il ne rencontre une jeune femme qui a un malaise.

Au petit jeu des préférences évidemment subjectives, on s’amuse à retrouver l’univers de Sylvain Chomet, dans « Tour Eiffel » avec un fabuleux duo de – cons – de mimes joués par Paul Putner et Yolande Moreau. Gurinder Chadha dans « Quais de Seine » retrace une jolie rencontre amoureuse entre une jeune femme voilée –Leïla Bekhti – et un jeune homme flanqué de copains lourdinguissimes avec beaucoup de subtilité et nous livre une ôde à la tolérance.  Steve Buscemi dans « Tuileries », en touriste en goguette agressé par un couple de jeunes marginaux et le moufflet farceur  de Frankie  Pain dans l’épisode des frères Coen, Wes Craven fait un bilan du couple dans le cimetière du « Père Lachaise » avec Rufus Sewell et Emily Mortimer et Olivier Assayas avec « Quartier des enfants rouges », confirme son style brillant avec le brillant exercice de style autour de Maggie Gyllenhaal, comédienne souffrant de solitude, qui cherche à se droguer. Mais le meilleur – et de loin – est celui d’Alexander Payne – composant Oscar Wilde dans l’épisode cravenien -, avec « Quatorzième arrondissement », un portrait d’une postière américaine – Margot Martindale émouvante -, tout émue de faire du tourisme et de se retrouver devant la tombe de Jean-Paul Sartre .et… Simone Bolivar ! qui va vivre un instant unique, assise sur un banc dans un grand parc. Le reste est plus convenu… L’ineffable tandem Depardieu-Auburtin filme platement et ratent « Quartier Latin » ou les retrouvailles Gena Rowlands – qui signe le scénario de cet épisode – et Ben Gazzara, on s’émeut cependant sur ces deux acteurs mythiques. L’hommage aux films de vampire – avec une apparition de Wes Craven – malgré la belle présence d’Olga Kurylenko et le prolifique Elijah Wood – est assez vaine. Nobuhiro Suwa rate superbement sa cible dans « Place des Victoires », un tableau mystique avec Juliette Binoche qui semble se complaire dans les rôles spirituels, on se demande où le metteur en scène veut en venir avant d’être interloqué de voir Willem Dafoe en cow-boy fantasmé. Christophe Doyle avec « Porte de Choisy », tente un délire musical en utilisant la singulière personnalité de Li Xin de manière un peu vaine, mais on se réjouit à voir Barbet Schroeder comme acteur qui semble visiblement s’amuser. Le duo Fanny Ardant-Bob Hoskins dans « Pigalle » manque de flamme dans l’épisode signé Richard LaGravenese. Isabel Coixet, avec « Bastille »,  déçoit dans une sorte de conte moral avec Sergio Castellito et Miranda Richardson. Gus Van Sant avec « Le Marais » ne se renouvelle guère. Certains tentent cependant de sortir du lot comme Olivier Schmitz, avec la belle Aïssa Maïga, ou Alfonso Cuarón dans « Parc Monceau » faisant un plan séquence avec Nick Nolte et Ludivine Sagnier et  Walter Salles, dans « Loin du 16ème » – en suivant la journée d’une jeune baby-sitter – joué par la lumineuse Catalina Sandino Moreno,  révélation de « Marie pleine de grâce » – sont les seuls à faire un constat social et nous rappellent que Paris est une ville qui loge surtout des privilégiés. Le film se révèle assez plaisant, bien que pas très original. C’est l’occasion – à moindre frais – de réunir quelques talents. Le film a fait aussi l’objet d’un album, dont l’intérêt m’échappe un peu. Le film a le mérite de vouloir montrer un Paris différent, cosmopolite et multiple,  qui a déjà donné bien d’émotions cinéphiliques.

BLED NUMBER ONE

 Ce film fait suite à « Wesh Wesh, qu’est ce qui se passe » (2001), qui se passait dans une banlieue française . On retrouve Rabah Ameur-Zaïmeche, à la fois comme interprète et comme réalisateur. On découvre une ville algérienne par un long travelling, puis par le regard de Kamel. A la suite de la double peine, il est y renvoyé de France après avoir purgé une peine de prison, sans que l’on sache trop pour quelle raison. Kamel est joué par le réalisateur comme dans son film précédent. C’est à la fois un chant d’amour et d’incompréhension pour son pays – les montagnes du Nord-Est de l’Algérie -. Il y a une lucidité sans jugement moral sur son propre pays d’origine, que l’on ne comprendrait plus après avoir trop longtemps séjourné en France. Sans parler de désamour, il se retrouve un peu décalé, arrivant difficilement à se faire comprendre même si ces voisins parlent français. Il se voit contraint de rester sur place. Il observe l’évolution de son pays natal et la stagnation d’un pays qui finit par le dérouter. Les contradictions de l’Algérie, sont ici dépeintes avec subtilité. Il prend soin de styliser certains problèmes, appelant certains personnages, que l’on identifie aisément comme fanatiques religieux, des desperados. Le pays est tiraillé entre tradition – saisissant abattage ritualisé d’un taureau -, évolution technologique, avec la présence de la parabole, drogues douces ou des violences conjugales. L’Algérie est montrée de manière charnelle, loin des clichés, la joie de vivre éclate dans les fêtes locales, pour mieux oublier les problèmes existants. Tout n’est pas véritablement démontré, Rabah Ameur-Zaïmeche, ne se donne pas le meilleur rôle, il est plus en retrait, accompagne notre regard. Il privilégie deux personnages, Louisa et Bouzid. Louisa – Meriem Serba, touchante – est une jeune femme, qui ne rêve que de chanter – elle finira par l’exaucer de manière inattendue -. Elle est en froid avec son mari – Ramzy Bedia, sans Éric Judor, excellent rajoutant une note d’humour à un personnage assez déplaisant, conclusion séparons les comiques ! -.

Rabah Ameur-Zaïmeche & Meriem Serbah

Ce dernier souhaite la revoir pour retrouver son enfant à n’importe quel prix. Kamel va se rapprocher avec  elle, trop sensible pour survire sans heurts dans cette société. Son frère, Bouzid, homme jovial et attachant – Abel Jafri, 36 orthographes sur IMDB, comédien dont le visage nous est familier -, est à la fois victime et bourreau, humilié par les desperados, le torturant avec une mise en scène macabre. Il va faire une crise d’autorité contre sa sœur en réponse avec cette confrontation avec la haine. Kamel cherche à s’intégrer, s’adapter à un rythme beaucoup plus calme, s’évertuer à ne pas subir en se laissant aller à la tranquillité apparente des lieux, quitte à se réfugier dans son imagination à l’instar des apparitions oniriques de Rudolphe Burger, jouant de la musique en haut d’une colline. Entre sérénité et tourmente, le cinéaste trouve la distance juste, en utilisant des éléments avec lesquels il a un affect particulier, à l’image de l’impressionnante liste de personnes portant le nom d’Ameur-Zaïmeche, figurant au générique… Le film pose la question en fait universelle, de la manière de se retrouver face à ses racines, quand la vie ou un choix personnel fait perdre de vue vos premières sensations d’enfant. La violence sou jacente d’une société ancrée dans un certain traditionalisme, mais aussi en quête de liberté, est habile. Les dangers du communautarisme, ou de l’autodéfense – des milices se créant pour empêcher l’entrée des islamistes – sont montrés comme une sorte de replis sur soi, en réponse à un monde compliqué et incontrôlable. L’oppression n’est jamais très loin en contradiction avec des paysages apaisés. La haine semble sourde mais permanente. L’humanité de se retrouve finalement chez les laissés pour compte, voire la description d’un hôpital psychiatrique où une des internées déclare – c’est une scène improvisée – « Les fous sont dehors ! ». La lumière de l’Algérie, montre la beauté des décors sublime, il y a ici un sens aigu de l’observation, loin des sentiers battus, le résultat est remarquable, d’autant plus admirable si l’on songe aux difficultés de ces 6 semaines de tournage. Il y a un mélange amour-peur-haine, sur ce pays dépourvu de pathos, qui donne à ce film un regard singulier et cohérent privilégiant la dimension humaine. Il nous force d’aller au-delà de nos petits clichés.

LA PLUS BELLE SOIRÉE DE MA VIE

 « Charles Vanel a quatre-vingts ans, Michel Simon soixante-dix-huit, Pierre Brasseur soixante-huit et moi soixante-dix. Je calcule que nous totalisons près de trois cents ans à nous quatre, et qu’en nous mettant les uns au bout des autres, on pourrait assister à la mort de Molière dans « Le malade imaginaire », en 1673. » Claude Dauphin, « Les derniers trombones » (Éditions Jean-Claude Simoën, 1979). Ce livre est le récit d’un tournage à Brunico, de 1972, celui de « La plus belle soirée de ma vie / La più bella serata della mia vit », diffusé tardivement en France en mars 1979. La plume de Claude Dauphin est alerte, mordante, riches en anecdotes, imaginez les quatre trombones – les Italiens nomment ainsi nos « Monstres sacrés » -, face à Alberto Sordi, endeuillé par la mort de sa sœur qu’il adorait, entre le calme habituel de Charles Vanel, et les délires du couple Simon-Brasseur. Il raconte également la triste de mort de Pierre Brasseur, sur le tournage même, il ne lui manquait juste à tourner que la scène du cauchemar. C’est un livre formidable, sans doute épuisé, mais l’un des meilleurs témoignages de tournage de film. Le film réalisé par Ettore Scola qui est actuellement diffusé sur TPS sous le titre « La panne », est à voir absolument. C’est la livre adaptation de la nouvelle de Friedrich Dürrenmatt « La panne » . L’adaptation est habile, le co-scénariste en étant Sergio Amedéi. Moins tragique que le roman, et baignant dans un climat fantastique, le film élude le suicide du personnage principal, qui se pend pris de remord. C’est ici Alfredo Rossi campé par un magistral Alberto Sordi, j’ai privilégié la version italienne pour goûter la richesse de son jeu. Curieusement retrouver les quatre comédiens français doublés en Italien, gêne assez peu, on se prend au jeu de découvrir ses chimères. Rossi se fait appeler abusivement Dottore, une tradition italienne donnant ce titre ronflant aux gens important. Dès les premières scènes, on découvre sa veulerie, râlant dans un embouteillage. Il est en Suisse pour aller chercher quelques fonds secrets  – la somme est évaluée au poids ! -, qu’il va chercher dans une épicerie de façade. Mais la banque est fermée, il va suivre une blonde sculpturale habillée en motarde, comme un ange noir échappé de chez Jean Cocteau. Il la course dans sa rutilante et ronflante voiture rouge, avant de se retrouver mystérieusement en panne. Il se retrouve dans un château, celui du comte de La Brunetière – très émouvant, on voit en lui « La mort au travail » comme disait – encore lui – Cocteau.

 C’est un hôte très sympathique, il présente à Alberto, ses quatre compagnons deux juges à la retraite comme lui, Zorn et Lutz – Michel Simon, jubilatoire et en très grande forme et Charles Vanel impassible comme à l’accoutumé -. Un ancien greffier les accompagne, appétit d’autruche et mémoire d’éléphant – Claude Dauphin qui ne démérite pas de ses illustres partenaires. Alberto cherche à partir, mais il découvre une grande et belle blonde – Janet Agren, vedette des seventies -. Il accepte d’entre dans le délire des quatre hommes, qui adorent pour tromper l’ennui refaire les grands procès de Jeanne D’Arc à Philippe Pétain. Mais ils préfèrent avoir un personnage vivant, et décident de jouer à le très exubérant italien. Un repas somptueux et très arrosé, est le cadre de ce procès, Alberto est moyennement rassuré car il y a en plus Pilet, un serviteur muet, patibulaire… et ancien bourreau. Le jeu est féroce, d’autant plus que Rossi vient d’un milieu modeste, et compense la grande érudition de ses hôtes, avec une vivacité de chaque instant. De La Brunetière, joue l’avocat de la défense, et est absolument désolé car l’Italien, un arriviste forcené, trouve normal sa réussite, qui provient de quelques combines avec les Américains, dans l’immédiate après-guerre. Assez odieux, combinard, il est la cible de choix pour ces magistrats, d’autant plus que la personne dont il occupe la place est mort d’une crise cardiaque. La folie du film, son déroulement est habilement mis en scène par Ettore Scola qui digère ainsi le cabotinage de ses comédiens. L’idée de confronter l’un des plus grands acteurs italiens, Sordi est absolument incroyable ici, ne ménage pas son image, et finit par devenir attachant de part la modestie de ses origines, face au cynisme de notables qui se livrent à un petit jeu cruel. Tout ici est drôlatique, de Sordi dormant dans le petit lit de Napoléon – les nobles dormaient assis pour avoir meilleure peau – aux altercations passionnées de Brasseur et Simon. C’est un jeu de massacre irrésistible, le fruste face aux raffinés, montre aussi la situation économique de l’Italie d’alors. Ce grand moment de cinéma, nous démontre à nouveau l’âge d’or du cinéma italien de ces années là, difficile de retrouver une équivalence désormais.

HOOLIGANS

 Vendredi c’est Panini ! le compte à rebours de la coupe du monde a commencé. Certains vont souffrir, si vous avez comme moi une case non irriguée du cerveau ne vous permettant pas de goûter aux charmes du football. Comment surmonter une incompréhension totale pour suivre quelques pérégrinations de milliardaires en short ou des commentaires passionnés qui vous laissent absolument de marbre ? Les dérives du football sont nombreuses, la haine étant souvent un moteur pour les passionnés, un exutoire montrant les pires dérives racistes – cris de singes sur certains joueurs jusqu’à l’imitation du Zyklon B -. Le parti pris est ici de découvrir ce petit monde hooliganiste, au travers du regard de Matt Buckner, un jeune américain – Elijah Wood, qui est excellent dans l’évolution de son personnage – . Il nous convie à suivre son regard extérieur face à des supporters anglais, avant d’y adhérer sans réserves. Il se retrouve en Angleterre pour retrouver sa sœur, car il vient d’être renvoyé de l’université d’Harvard où il devait achever des études de journalisme. Il s’est montrait complaisant en acceptant d’être désigné comme dealer de drogues, en échange de quelques argents, en endossant la responsabilité d’un jeune fils à papa, dont le père a une grande influence. Dépité, il se retrouve en Europe, il n’a pas informé son père grand reporter, constamment absent, qu’il ne peut joindre que par répondeur. Il trouve refuge chez sa sœur – Claire Forlani, incarnation de la sagesse -, bourgeoisement installée, elle vit désormais avec son mari et son enfant. Matt y rencontre Pete Dunham, le frère de son beau-frère – Charlie Hunnam, apportant un charisme certain -. Cette rencontre est assez tumultueuse, mais Pete finit par le prendre en sympathie. Batailleur et violent, il lui fait rencontrer sa bande de hooligans dont il est le leader. Ces membres finissent par l’accepter hormis Bovver qui voit d’un sale œil cette nouvelle recrue. Ce dernier est interprété par Leo Gregory, étonnant acteur ayant une forte présence, avec un physique tourmenté à la Klaus Kinski, nous livrant un curieux mélange de sensibilité et de sauvagerie. Matt remplit de rage suite à l’injustice dont il est victime, finit par trouver avec eux un expiatoire à sa lâcheté, en se faisant une place dans chez eux. Le groupe est haineux, raciste – optique abandonnée très vite dans le film cependant -. Même s’ils réfutent l’appellation de gang, ils se livrent à des bagarres sanglantes contre d’autres groupes en se désinhibant allégrement à la bière. Lexi Alexander, une cinéaste allemande, montre donc l’utra-violence de ces fanatiques.

Elle tord le cou à certains clichés, ils ne sont pas forcément des laissés pour compte d’une société économique impitoyable, ils sont nombreux à avoir une situation, et certains viennent de milieux aisés. Mais ils se trouvent dans cette bande, une famille, une communauté, une raison de vivre, une solidarité ancrée dans un solide camaraderie.  Ce ne sont pas forcément des skinheads ou des jeunes, on retrouve le portrait terrifiant d’un homme plus mature – c’est le grand méchant du film – dans un groupe adverse, qui vit mal sa responsabilité de la mort de son fils, tué dans une rixe. Le film a le mérite de vouloir nous faire comprendre le mode de fonctionnement de ces groupes attachés à un chauvinisme exacerbé, c’est assez méritoire car il y a finalement assez peu d’exemples cinématographiques – « À mort l’arbitre » (Jean-Pierre Mocky, 1983), notamment -. Reste une ambiguïté, notamment sur le personnage joué par Charlie Hunnam, qui trouve une sorte de rédemption, par sa droiture, dans une sorte de code de l’honneur – ne pas frapper un homme à terre, ne pas s’en prendre aux à des personnes vulnérables -. Il y a une empathie avec le petit groupe de Pete, de par la sympathie avec ses interprètes ce qui finit par nuire à la portée du film. Reste une évidente aisance à filmer la violence, le chaos, à camper une atmosphère ou à décortiquer les petits rites de ces extrémistes, des chants quasi guerriers. On peut comprendre que la distance à trouver peut être difficile quand on souhaite analyser les phénomènes autour de la folie autour du ballon rond. La violence dépeinte ici me semble être un peu trop picturale, à l’instar des ralentis, montrant une sublimation de la volonté de vouloir en découdre, avec l’adversaire, mais il y a un intérêt documentaire au film. On retrouve aussi le choc des mentalités, des revirements des personnages – le beau-frère de Matt, qui essaie de résonner son frère cadet, qu’il ne comprend que trop bien -. Il y a une ritualisation ici de la violence, pour accéder, ou tout au moins avoir des repères, au monde assagi des adultes. Si le film n’évite pas quelques écueils et une certaine complaisance, il a le mérite de vouloir démontrer la barbarie humaine prête à ressortir quand il y a une émulation de groupe. Le choix de vouloir comprendre les personnages, même s’il est parfois maladroit, plutôt que de les juger, est finalement assez honorable. Au moins un film qui vous donne du grain à moudre dans votre abomination footbalistique.

MARIE-ANTOINETTE

 Évidemment, si vous avez vu comme moi le « Marie-Antoinette », made in – qualité – France, de Jean Delannoy (1955), avec Michèle Morgan dans le rôle titre qui semblait sortir d’une lobotomie, vous ne craignez pas le pire quand vous entrez voir cette nouvelle version. Sofia Coppola se révèle en trois films, être la cinéaste de l’insatisfaction, regard blasé de ceux dont la découverte d’une ville comme Tokyo laissent de marbre – « Lost in translation » (2004) -. C’est une vision pas très aimable des choses, à contre-courant, et on finit pourtant par s’attacher à ses personnages – Kirsten Dunst, Bill Murray, pour ses deux premiers films -. On droit donc ici à la quasi-intégralité de la famille Coppola, le cousin Jason Schwartzman, pourtant très inspiré chez Wes Anderson, qui nous livre un Louis XVI apathique, le père Francis comme producteur exécutif, et même le frère Roman – qui prouve comme réalisateur du sinistre CQ en 2001, que le talent n’est pas forcément héréditaire -, comme réalisateur de seconde équipes. Sofia Coppola, c’est un petit peu le syndrome de la pôôôvre petite fille riche, blasée le gendre, mais il serait stupide de ne pas reconnaître son grand talent comme cinéaste en raison de son pedigree écrasant. On pouvait craindre la vision d’une Marie-Antoinette – Kristen Dunst à nouveau naïve et désinvolte –parishiltonisée, car le film est non conventionel, on retrouve des anachronismes assumés à l’instar de fameuse paire de « Converse » mauve ! Mais comme disait Dumas « Il est permis de violer l’histoire à condition de lui faire un bel enfant. », bon, ici il a une drôle de bouille, mais au moins il tient sur ses jambes. La reconstitution peine un peu, nous ne sommes ni dans la subtilité d’un Milos Forman, ni dans les délires baroques d’un Ken Russel – une des références de la cinéaste, de même que… David Hamilton ! -. La reconstitution est assez stylisée, elle utilise au mieux le talent de la costumière Milena Canonero – son travail dans le « Barry Lindon » de Kubrick était prodigieux, qui a superbement mélangé les époques et les influences. Reste qu’elle est habile à traduire pour traduire, le déracinement, les rites très lourd de la court, menés par une Judy Davis – d’origine… australienne -,surprenante comtesse de Noailles. Le ridicule de ces cérémonies d’initiations est bien traduit. La théâtralité d’un protocole étouffant est habilement mise en scène, de la manière pour Marie-Antoinette de devoir se défaire de son vécu autrichien dans un passage symbolique entre deux frontières, à la manière d’une transfuge dans un film d’espionnage. Mais la réalisatrice semble ensuite trop confiante de son art, elle laisse les redites s’installer, c’est un peu le portrait d’une Madame Bovary qui pourrait assumer ses fantasmes, mais qui continuerait à végéter cependant. S’il y a quelque chose que l’on puisse partager avec elle, c’est bien un certain ennui, devant quelques scènes conventionnelles bousculées cependant par quelques anachronismes et quelques fulgurances.

X, Kirsten Dunst & Judy Davis

La petite histoire dans la grande, finit par nous lasser par ses déconvenues dans le lit conjugal-royal, ses perpétuels instants de solitudes à la fenêtre, et l’émotion tenue d’un mouton dans un cadre champêtre dans ces bêêêh pâturages. Le scénario a quelques béances, et le film s’arrête de manière assez abrupte, bien avant la fuite à Varennes. Le décalage est au rendez-vous, évidemment on pouffe de retrouver le texan Rip Torn dans le rôle de Louis XV – populaire pour avoir joué le chef des « Men in black », choisi après le refus d’un certain Alain Delon, dont l’exigence/arrogance bien connue ne l’amènent qu’à tourner des films promis à devenir des chefs d’œuvres genre « Astérix contre les J.O. » -. La distribution hétérogène est assez curieuse, Asia Argento est une improbable Mme du Barry, et si Marianne Faithfull, Steve Coogan et Guillaume Gallienne arrive à dépasser les stéréotypes, plusieurs de nos frenchies ne doivent se contenter de faire de la figuration intelligente – Mathieu Amalric, très drôle dans la scène du bal costumé, Jean-Christophe Bouvet en Duc de Choiseul, Carlo Brandt, André Oumansky,et même une habituée du clan Coppola, Aurore Clément, etc…- L’Autrichienne « autruchienne » est un personnage prétexte, évidemment qui n’en finit pas de s’appesantir sur ses petits malheurs, quand même plus important que cette ville populace qui ne pense qu’à manger – même si sa fameuse phrase  – jamais prononcée par elle en vérité – donnée ici à décharge « Qu’ils mangent alors de la brioche » ne repose que sur de la pure invention. Reste que le peuple est montré comme un cohorte de gueux furieux, on ne sait finalement si Sofia Coppola veut montrer son éloignement et son isolement face à la vraie vie. Il est donc difficile de compatir sur cette Marie-Antoinette là, perdue dans un Versailles carburant à la frivolité, et que les pâtisseries omniprésentes transforment en bonbonnière géante. Bref au travers de ce personnage, Sofia Coppola nous livre simplement une œuvre autobiographique, la B.O. glam-rock certes efficaces, très eighties n’est qu’une explication de texte surlignée. Versailles-Hollywood : même combat, mais en assumant son côté nombriliste, elle nous livre finalement un parti pris intéressant, c’est donc une excellente idée de vouloir traduire un intimisme des affres de l’adolescence, par un gigantisme démesuré. Loin d’être inintéressant, ce film troisième d’une trilogie des désarrois d’une jeune femme sur les apprentissages de la vie, traduit peut-être les limites d’une cinéaste. On observera donc son évolution avec intérêt. Ce n’est ni le chef d’œuvre annoncé, ni le désastre décrié, un curieux film plus profond que l’on pourrait bien le croire.

VOLVER

 Nouvelle ode charnel à la mère pour Pedro Almodóvar après « Tout sur ma mère », au travers de quatre générations de femmes d’une même famille. On connaît son goût pour dynamiter le mélo, et les télé-novellas qu’appréciais d’ailleurs sa propre mère. Même si le film laisse poindre un petit essoufflement de même que pour « La mauvaise éducation », un manque de tension dans l’histoire, il montre cependant la grande constance du talent de son réalisateur. Truculentes, combatives, luttant contre le machisme de leurs hommes, elles sont solidaires entre elle. Les malheurs semblent glisser sur elles, comme le pluie sur les plumes d’un canard. Les quartiers populaires bigarrés, sont décris avec beaucoup de chaleur et d’humanité, de même sur le voisinage, de la voisine allant chercher le pain, de la lutte constante contre les petites avanies du quotidien, comme dans les grands drames, ou les traumatismes les plus cruels, pour la vieille tante de Pénélope Cruz, cette dernière campant Raimonda, étant le chef de ce petit clan. Dans un quartier de populaire d’une petite ville de la Manche, Raimonda mène une vie assez morne, avec un mari d’une beaufitude assumée. Elle est mère d’une adolescente, est très liée avec sa sœur Sole, coiffeuse à domicile – Lola Dueñas – depuis la mort de ses parents dans un tragique incendie, elle va traverser une période de crise, entre ceux qui partent, et… ceux qui reviennent.  Le film commence superbement par le ballet des femmes, nettoyant les tombes, pour la Toussaint, retraçant ainsi l’intimité qu’elles ont avec la mort, d’où la presque normalité de retrouver un personnage revenu de chez les morts. Le vent incessant et malicieux, semble être un signe avant coureur de changements, installant un climat onirique. Si le scénario est original – le prix du meilleur scénario à Cannes semble assez excessif malgré son côté tortueux, mais ne semble que traduire la déception, sur la mine boudeuse d’Almodóvar de ne pas avoir la palme d’or -.

Lola Dueñas & Blanca Portillo

Mais l’empathie avec les personnages est très présente, baigné d’un humour noir bienvenu, tout comme la manière de montrer, comment la vie prend le dessus sur l’adversité, à la manière inopinée pour Raimonda de rouvrir un restaurant pour une équipe de tournage – un voisin ayant laissé les clés – . Toutes les comédiennes sont prodigieuses, le jury du festival de Cannes a eu donc l’idée judicieuse de les récompenser toutes. Saluons Pénélope Cruz – même si sa chanson en play-back ne soit vraiment pas probante -, qui est une excellente comédienne quand elle ne se perd pas dans des sucreries américaines ou les navetons europacorpiens, rappelons qu’elle était formidable en femme blessée dans le beau film de Sergio Castellito « A corps perdus » -. Le film marque les retrouvailles avec Carmen Maura, surprenante de retenue, Docteur Pierrot et Mister Orloff, dit dans son blog judicieusement qu’elle n’est pas indigne de la Anna Magnani dans le « Bellissima » de Visconti qu’elle regarde sur un écran télé, elle a beaucoup de scènes touchantes comme celle où sa fille Sole, lui redonne des « couleurs » par une teinture, superbe idée, cette dernière étant formidablement joué par Lola Dueñas, déjà formidable dans « Mar adentro ». La jeune Yohana Cobo est touchante, Chus Leamprave – actrice fétiche du réalisateur sur 7 films – est une attachante tante sourde, perdant un peu la tête, et Blanca Portillo, en voisine serviable, blessée, et abandonnée est d’une remarquable justesse. Elles sont filmées dans leurs splendeurs, comme dans leurs décrépitudes, avec une maestria remarquable. L’audace de ce vibrant hommage est au rendez-vous, et « Volver » malgré quelques faiblesses – très relatives par rapport au tout venant du cinéma actuel – vaut par ses superbes portraits de femmes. La femme espagnole est ainsi magnifiée, dans ses joies, son humour, ses deuils, sa sensualité, ses épreuves et une volonté énergique à surmonter les épreuves.

C.R.A.Z.Y.

 Et voici le phénomène canadien « C.R.A.Z.Y. », ce qui me laisse un peu dubitatif – c’est grave docteur ? -, une petite déception étant au rendez-vous face à un bouche à oreille presque unanimement enthousiaste. On retrouve donc une saga familiale, chère au cinéma canadien, si l’on se souvient de la famille « Les Plouffe » dans les années 80. Si le fond peut s’avérer touchant, la forme, faussement virtuose, me semble être loin de la poésie et de l’inventivité d’un Jean-Claude Lauzon si l’on pense au beau « Léolo », Jean-Marc Vallée nous servant une esbrouffe de mise en scène certes efficace, qui semble toucher beaucoup de personnes, mais m’a personnellement laissé un peu à la porte. Il me semble un peu recycler les effets modes actuels, pompant sans vergogne par exemple « Six feet under », série novatrice, en faisant visualiser les fantasmes des personnages, comme scènes de la messe, où pour tromper son ennuie Zachary s’imagine léviter au milieu des fidèles avant de faire un numéro musical au son de « Sympathy for the Devil » des Rolling Stones. Le film finit par perdre son rythme dans ces effets divers. Reste le portrait en creux de la société canadienne, sur trois décennies, est lui plutôt réussit – le scénario s’inspire de la propre vie du co-scénariste François Boulay. Le portrait de cette famille est attachant, et évite la caricature. Le personnage central est celui Zachary Beaulieu – belle révélation de Marc-André Grondin, promis à une carrière internationale -, né le 25 décembre 1960, donc déjà un peu à part, dont la sensibilité va être malmenée – il est le quatrième de 4 garçons, figures stéréotypées de rigueur : « L’intello », « le sportif »… -, et dont l’homosexualité va rebuter son père, réactionnaire bourru et psychorigide. L’évocation des années 70,  – les indispensables « pattes d’éph », notamment aidant allégrement à traverser le temps -, le charme discret du vinyle, rien ne manquant à l’appel, la reconstitution est alerte et crédible. L’étouffement ressenti dans une société catholique, ponctué par l’ennui probant d’une messe, est habilement figurée.

Michel Côté

On suit le personnage de Zach, de l’enfance à l’âge adulte, dans ses doutes, ses affres, ses traumatismes – il fait souvent pipi au lit, et sa manière de s’assumer tout en voulant garder l’estime de son père sclérosant sans se renier. Le cinéaste cède parfois à la facilité d’une B.O. représentative – c’est le travers roublard de bien des films désormais (refrain connu) -, mais de Patsy Cline, David Bowie, en passant par les Pink Floyd ou les Rolling Stones, sont judicieux pour retracer cette période. Ne manque ni les pétards, ni le touche-pipi, les rivalités et les humiliations diverses entre frères. Les tabous éclatent désormais au grand dam du père furibard, de voir son aîné sombrer dans la drogue, et les choix de Zacharie l’indigne -. Évidemment on va retrouver sur le tard, son côté attachant même dans le ridicule du paternel bourru – il massacre régulièrement les chansons de Charles Aznavour -, mais les rapports entre Zachary et lui, sa manière de vouloir attirer sa grâce quitte à renier sa personnalité profonde est très subtile. Le film évite aussi le folklore, même si on se régale à découvrir – avec sous-titres – quelques expressions locales comme « Manger des graines »,, signifiant la fellation, et les petites manies de cette famille déglinguée – irrésistible préparation par la mère des toasts… au fer à repasser -. L’interprétation est la grande force de ce film, saluons notamment Michel Côté et Danielle Proulx, – cette dernière passant son temps avec malice à vouloir calmer son petit monde turbulent -, dans le rôle des parents, Gervais et Laurianne. Mais on peut se demander si ce film, souffrant de quelques longueurs, valait cet excès d’honneur – succès historique au Québec, et 13 jutras – Les césars canadiens – du meilleur film. Reste le plaisir de retrouver un peu du cinéma québécois si mal distribué en France ces derniers temps.

LE CAIMAN

 Le film est présenté un peu vite, comme un simple pamphlet contre Silvio Berlusconi, ce qui semble dissuader les spectateurs de venir voir un film militant vu le résultat des dernières élections en Italie – petit démarrage français à déplorer -. Nanni Moretti se renouvelle sans cesse, c’est souvent moqué de lui-même dans tous ces films, critiquant ses manies ou ses craintes. S’il joue ici dans deux scènes, dans le rôle d’un comédien de comédie,  il prend ici pour porte-parole et comme figure centrale l’attachant Silvio Orlando – qui était l’hilarant pâtissier troskiste dans « Aprile » , qui est tellement bon, que l’on ait persuadé qu’il nous est très familier. Son personnage Bruno Bonomo remplaçant le double morettien « Michele Apicella », qu’il jouait habituellement, est aux antipodes du réalisateur. Il a sans grand état d’âme déjà voté pour « Il Cavaliere », a quelques idées bien arrêtées sur la société, il est loin d’être héroïque. S’il décide de produire le film d’une jeune réalisatrice – beau portrait d’une jeune femme déterminée joué avec humanité par Jasmine Trinca -, ce n’est que pour se remettre en selle, il lit le scénario en diagonale, et c’est un producteur qui lui souligne la cible pourtant bien évidente. Mais on a une empathie immédiate avec son personnage en crise, son couple est en crise avec Paola, également son interprète de films de séries – lumineuse Margherita Buy – héroïne nommée Aidra, de films de séries B devenus cultes, qu’elle fait tout pour oublier. C’est un état des lieux de l’Italie actuelle, au travers de ce personnage de producteur de films fauchés, en grande difficulté professionnelle et sentimentale, mais si les difficultés demeurent – on n’est pas dans le pays des fées de certains films français actuels -, il garde une force de vie, passant de la colère à une résignation finalement constructive. Constat lucide, une société de compromissions, de bassesses, il règle ses comptes avec le cinéma, en rappelant les prétextes fallacieux qu’utilisent certains protagonistes pour lâcher un réalisateur en crise. les personnages se demandent qu’elle est l’utilité de faire un film contre Berlusconi, qui ne s’adresserait qu’aux gens déjà convaincu. Nanni Moretti se sent proche de toute une tradition du cinéma militant tout en s’en moquant – Gian Maria Volonte est souvent cité par un personnage veule, et le réalisateur engagé Giuliano Montaldo joue le rôle d’un cinéaste travaillant sur un projet sur « Christophe Colomb » pour son propre compte -, mais aussi la richesse de ce cinéma sur trois décennie – bel hommage du bateau roulant à Federico Fellini qui avait déjà dénoncé à sa manière la télé berlusconniene dans le beau « Ginger & Fred » -. C’est donc un petit rappel sur un cinéma qui fut l’un des plus grand de l’histoire du cinéma, et qui brillait par son génie et son inventivité y compris dans son cinéma bis.

Giuliano Montaldo & Silvio Orlando

Ce film est un espoir, sur ce cinéma qui ne demande qu’à renaître – on ne retrouve plus guère que Moretti, comme grande figure de ce cinéma à Cannes par exemple -, et il salut le peuple italien, moins dupe qu’il ne semblerait à nos yeux extérieurs. Berlusconi est figuré ici de manière singulière, par lui-même d’abord, dans des plans d’archives, avec un regard qui privilégie ici le côté agressif du personnage plutôt que celui folklorique, et joué par trois comédiens, à la lecture rêvée d’un scénario, et l’incarnation par deux comédiens, par Michele Placido, personnage haut en couleurs, téléphonant sans cesse sur le plateau à la manière d’un Depardieu, s’agitant beaucoup comme un matamore, puis par Moretti lui-même, rendant compte du côté cinglant et cynique du personnage. Le film montre les contradictions de l’Italie sans démagogie, mais offre aussi de grands moments de drôleries – Silvio Orlando racontant à ses enfants des histoires horribles de l’héroïne qui a fait son succès Aidra vedette de l’ineffable « Cataracte », l’emboutissement de la voiture -. Mais le film est aussi chaleureux, montre les difficultés d’un couple, de la difficulté de « tourner la page », montre une famille déconstruite mais qui garde espoir – les deux enfants du couple sont formidables -. Il traite aussi la société italienne de ses archaïsmes à son évolution indéniable – le divorce, l’homoparentalité, l’individualisme, etc… -, avec brio et pudeur. Tous les personnages existent ici, ont une grande force, même s’ils font des choix opportunistes, ou utopistes. Le film est touché par la grâce, l’émotion comme dans le beau « La chambre du fils », et on retrouve le mordant du réalisateur, sa capacité à parler de la perte des illusions mais sans d’appesantir. Du grand art, un film à la fois citoyen et satirique mais d’une inventivité   jubilatoire et à voir absolument. C’est vraiment un des très grands films de cette année cinématographique confirmant la grande subtilité d’une œuvre déjà considérable.

THE SECRET LIFE OF WORDS

 Hanna – Sarah Poley, dans une belle interprétation à fleur de peau -, est une jeune employée modèle dans son entreprise. Elle dérange pourtant ses collègues par ses troubles de comportement et ses petites manies et son petit air désabusé. Elle ne prend jamais de vacances, rassurée dans les habitus du travail, on lui impose presque de partir en vacances. Elle en profite, par un curieux hasard, pour devenir infirmière sur une plate-forme de forage, isolée en pleine mer. Elle est au chevet de Josef, un grand brûlé – Tim Robbins mettant en valeur son texte et excellent dans la maturité -. Josef apprivoise Hanna, qui a un problème de surdité. Les sens exacerbés par une cécité ponctuelle, il décide d’apprivoiser ce petit animal sauvage, qui semble avoir subi un grand traumatisme elle aussi. Il parade pour oublier sa souffrance. C’est une étude de mœurs, produite par les frères Almodovar, montrant comment les personnages vivent avec leurs névroses. La réalisatrice Isabel Coixet, les regardent avec une certaine distance, mais une réelle compassion, ce qui nous évite un mélo larmoyant ou manipulateur. Ils avancent cependant malgré les traumatismes, une complicité amoureuse va naître entre ces deux écorchés vifs – sans mauvais jeu de mot -, elle se murant dans le mutisme, lui faisant preuve d’inventivité dans ses dialogues, allant jusqu’à un délire complet, comme l’évocation amusée du kilt de Sean Connery ! Le dialogue – flirtant parfois avec le ridicule – entre Tim Robbins et Sarah Polley, est singulier, dans ce « No man’s land » cosmopolite qui exacerbe les sentiments. Le film prend le temps dans des petits riens, d’installer un climat, et une intimité entre les personnages, il y a aussi beaucoup de subtilité dans le traitement de quelques événements contemporains et de cet huis clos sensible. Les autres personnages comme posés au milieu de nulle part, réfléchissent sur leurs blessures secrètes, et trompent un ennuie certain, en compagnie d’une oie, en jouant au basket.


Javier Camara & Sarah Polley

Le film n’est pas sans faiblesses, une voix off enfantine efficace mais déconcertante, ou certains seconds rôles qui sont à peine esquissés, sauf celui de Simon joué par un Javier Camara très en verve – c’est un des acteurs réguliers des films de Almodovar -. Simon est un  cuisinier inventif et volubile – il faut le voir préparer ses gnocchis -, qui tente de trouver un morceau de musique avec la préparation de mets exotiques -. On retrouve aussi Julie Christie, en psychiatre nordique, ne connaissant pas le secret médical, il faut bien la grâce de cette comédienne toujours aussi radieuse, pour nous faire adhérer à un personnage assez improbable. On finit par adhérer au concept, les blessures physiques étant une expression des blessures de l’âme -. La bande originale est brillante – c’est un effet mode récurrente à nombre de films en ce moment, histoire de vendre en plus la B.O. mais comment résister ici à Tom Waits – je dois confesser lui vouer un culte – ou Juliette Gréco -. On pense au Lars Von Trier de « Breaking the ways » par le décors et le traitement de l’image, et à Aki Kaurismaki pour une sorte d’humour à froid. Mais Isabel Coixet ayant un réel univers – je n’ai hélas pas vu « Ma vie sans moi » son premier long-métrage de 2003, avec déjà Sarah Polley -, se démarquant fortement du folklore espagnol cher à son producteur Almodovar, elle évite pourtant l’effet euro-pudding propre à ce type de production, A noter la grande mode des titres anglais pour des films internationaux, jugés sans doute plus vendeur par les distributeurs le titre V.O. est La Vida secreta de las palabras. Le film a connu un grand succès en Espagne et a reçu 4 goyas en récompense, comme quoi se démarquer de la culture de son pays peut être payant. Le film, conforté par son traitement intimiste, s’avère convaincant et offre une belle réflexion sur la condition humaine, avec une ironie mordante. Mais c’est peut être le type de film qui peut « laisser à la porte »-.