Le film est présenté un peu vite, comme un simple pamphlet contre Silvio Berlusconi, ce qui semble dissuader les spectateurs de venir voir un film militant vu le résultat des dernières élections en Italie – petit démarrage français à déplorer -. Nanni Moretti se renouvelle sans cesse, c’est souvent moqué de lui-même dans tous ces films, critiquant ses manies ou ses craintes. S’il joue ici dans deux scènes, dans le rôle d’un comédien de comédie, il prend ici pour porte-parole et comme figure centrale l’attachant Silvio Orlando – qui était l’hilarant pâtissier troskiste dans « Aprile » – , qui est tellement bon, que l’on ait persuadé qu’il nous est très familier. Son personnage Bruno Bonomo remplaçant le double morettien « Michele Apicella », qu’il jouait habituellement, est aux antipodes du réalisateur. Il a sans grand état d’âme déjà voté pour « Il Cavaliere », a quelques idées bien arrêtées sur la société, il est loin d’être héroïque. S’il décide de produire le film d’une jeune réalisatrice – beau portrait d’une jeune femme déterminée joué avec humanité par Jasmine Trinca -, ce n’est que pour se remettre en selle, il lit le scénario en diagonale, et c’est un producteur qui lui souligne la cible pourtant bien évidente. Mais on a une empathie immédiate avec son personnage en crise, son couple est en crise avec Paola, également son interprète de films de séries – lumineuse Margherita Buy – héroïne nommée Aidra, de films de séries B devenus cultes, qu’elle fait tout pour oublier. C’est un état des lieux de l’Italie actuelle, au travers de ce personnage de producteur de films fauchés, en grande difficulté professionnelle et sentimentale, mais si les difficultés demeurent – on n’est pas dans le pays des fées de certains films français actuels -, il garde une force de vie, passant de la colère à une résignation finalement constructive. Constat lucide, une société de compromissions, de bassesses, il règle ses comptes avec le cinéma, en rappelant les prétextes fallacieux qu’utilisent certains protagonistes pour lâcher un réalisateur en crise. les personnages se demandent qu’elle est l’utilité de faire un film contre Berlusconi, qui ne s’adresserait qu’aux gens déjà convaincu. Nanni Moretti se sent proche de toute une tradition du cinéma militant tout en s’en moquant – Gian Maria Volonte est souvent cité par un personnage veule, et le réalisateur engagé Giuliano Montaldo joue le rôle d’un cinéaste travaillant sur un projet sur « Christophe Colomb » pour son propre compte -, mais aussi la richesse de ce cinéma sur trois décennie – bel hommage du bateau roulant à Federico Fellini qui avait déjà dénoncé à sa manière la télé berlusconniene dans le beau « Ginger & Fred » -. C’est donc un petit rappel sur un cinéma qui fut l’un des plus grand de l’histoire du cinéma, et qui brillait par son génie et son inventivité y compris dans son cinéma bis.
Giuliano Montaldo & Silvio Orlando
Ce film est un espoir, sur ce cinéma qui ne demande qu’à renaître – on ne retrouve plus guère que Moretti, comme grande figure de ce cinéma à Cannes par exemple -, et il salut le peuple italien, moins dupe qu’il ne semblerait à nos yeux extérieurs. Berlusconi est figuré ici de manière singulière, par lui-même d’abord, dans des plans d’archives, avec un regard qui privilégie ici le côté agressif du personnage plutôt que celui folklorique, et joué par trois comédiens, à la lecture rêvée d’un scénario, et l’incarnation par deux comédiens, par Michele Placido, personnage haut en couleurs, téléphonant sans cesse sur le plateau à la manière d’un Depardieu, s’agitant beaucoup comme un matamore, puis par Moretti lui-même, rendant compte du côté cinglant et cynique du personnage. Le film montre les contradictions de l’Italie sans démagogie, mais offre aussi de grands moments de drôleries – Silvio Orlando racontant à ses enfants des histoires horribles de l’héroïne qui a fait son succès Aidra vedette de l’ineffable « Cataracte », l’emboutissement de la voiture -. Mais le film est aussi chaleureux, montre les difficultés d’un couple, de la difficulté de « tourner la page », montre une famille déconstruite mais qui garde espoir – les deux enfants du couple sont formidables -. Il traite aussi la société italienne de ses archaïsmes à son évolution indéniable – le divorce, l’homoparentalité, l’individualisme, etc… -, avec brio et pudeur. Tous les personnages existent ici, ont une grande force, même s’ils font des choix opportunistes, ou utopistes. Le film est touché par la grâce, l’émotion comme dans le beau « La chambre du fils », et on retrouve le mordant du réalisateur, sa capacité à parler de la perte des illusions mais sans d’appesantir. Du grand art, un film à la fois citoyen et satirique mais d’une inventivité jubilatoire et à voir absolument. C’est vraiment un des très grands films de cette année cinématographique confirmant la grande subtilité d’une œuvre déjà considérable.