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NUMÉRO ZÉRO

Poursuite du cycle Jean Eustache à l’Utopia de Bordeaux. « Numéro zéro » ne fut connu longtemps que sous une version courte, avant sa redécouverte lors de sa sortie en 2003, grâce au soutien du réalisateur Pedro Costa. Mireille Amiel évoquait déjà ce film, à l’occasion du suicide de Jean Eustache en 1981 dans « Cinéma 81 » N° 276 : « …Mes préférences vont vers « Mes petites amoureuses » et « Numéro zéro », un document parfaitement inédit réalisé en 1971 et donc une partie est parue à la TV (3ème chaîne) sous le titre « Odette Robert », dans la série « Les grands-mères », en juillet 180. Le document initial durait 2 heures et demi, la TV sut le ramener à cinquante minutes et seule l’extrême pauvreté d’Eustache à ce moment-là lui fit accepter cette mutilation. Peut-être est-ce parce que ces deux films sont, plus que les autres, des clefs pour comprendre Eustache. Peut-être à cause du mélange ahurissant de douceur et de cruauté qui était l’une des constituantes de l’auteur, ou encore parce que son côté « féminin » s’y révèle dans des portraits de femmes qui ne doivent rien aux modes, mais disent tout sur la condition féminine. Peut-être encore parce qu’avec une assurance tranquille, qui confine à l’héroïsme quand on sait à quel point le public risque de ne pas suivre, le ton, l’écriture de ces films étaient personnels, plus que non conformistes, « non conformes » (…) « Numéro zéro » a été tourné avec une équipe de trois personnes, une seule caméra, les seuls arrêts (la longueur du film est exactement celle du tournage) étant les temps nécessaires pour recharger la pellicule. J’ai eu le privilège de le voir en son entier. Je faisais alors partie de la commission d’aide aux courts métrages et un fonctionnaire plus qu’intelligent du CNC avait trouvé cette façon illégale mais très morale d’aider Jean Eustache : tronçonner (théoriquement) ce film en plusieurs métrages. Odette Robert, la grand-mère d’Eustache était au moment du tournage, vieille, aveugle, impotente. Elle possédait cette bonté qui confine au génie qui fait qu’une vieille paysanne de Pessac presque illettrée pouvait comprendre parfaitement ce petit-fils plus que parisien (encore que nous nous souvenions tous de la vois d’Eustache et de ce reste d’accent), plus que cinéaste, beaucoup plus que « marginal ». Eustache avait posé sa caméra devant elle, après une introduction où on la voyait dans la rue avec son arrière-petit-fils, et lui avait tout simplement demandé de raconter sa vie, comme tous les petits enfants l’on fait. Dans l’extrême attention donnée à cette femme, dans d’imperceptibles mouvement s de caméra, dans cet aveu complet d’amour, dans cette volonté de nous forcer à voir et à et à entendre (volonté aux trois quarts déjouée par les jeux économiques), Eustache était là. Il ne filmait, m’a-t-il dit un jour dans un entretien, « que par nécessité ». C’est vrai pour lui, à l’évidence. Vrai et, si l’on peut bien réfléchir, très simple ». Cette critique avait parlait avec brio, d’un film qui n’émergea que quelques années plus tard, on devine qu’une diffusion tardive au mois de juillet, n’avait peut-être pas eu un écho très favorable. C’est donc des années plus tard que l’on peut redécouvrir ce film et la lecture de l’analyse de Mireille Amiel nous éclaire parfaitement sur l’importance de ce film dans l’œuvre de Jean Eustache.

Odette Robert

Difficile de prendre la parole après elle, mais ce témoignage a une grâce unique, et est indispensable à l’approche de l’œuvre de ce grand cinéaste. Le film en noir et blanc, commence donc par un plan muet d’Odette Robert faisant ses courses avec son arrière petit-fils Boris, futur cinéaste des « Arpenteurs de Montmartre », sorti en 1992. Le film commence ensuite presque en temps réel, avec les contraintes des fins de bobines, entrecoupées par les claps, contraignant le réalisateur et son chef opérateur Philippe Théaudière, qui intervient parfois, à interrompre le flux verbal du témoignage de la touchante grand-mère d’Eustache. L’idée est simple, faire parler l’aïeule de sa vie, de ses souvenirs, de ses grands drames. Elle a alors 71 ans, elle est usée par la vie et n’attend plus rien de la vie. Mais elle garde une chaleur dans une voix monocorde, et nous montre une véritable générosité. Elle fut recueillie par son petit fils, qu’il avait invité à la rejoindre à Paris, dans son appartement de la rue Mollet, après une vie de labeur, pensant qu’elle avait bien mérité d’avoir un peu de quiétude et qu’elle pourrait s’occuper du jeune Boris. Eustache profite de la complicité qu’il a avec elle, en reprenant le fil des habituelles conversations, pour ainsi fixer cette mémoire dans la pellicule. Il souhaite ainsi revenir à une innocence, un numéro zéro donc, après « Les mauvaises fréquentations », « Le père Noël a les yeux bleus » et la première version de « La rosière de Pessac », un retour salutaire à ses origines. Eustache laisse sa grand-mère libre de toute expression, même si la vie parfois reprend le dessus comme avec un coup de fil d’un producteur hollandais, qui souhaite acheter pour le diffuser « Le père Noël… ». Le réalisateur, un peu sur la défensive au départ, sentait qu’il y a aurait cette bonne nouvelle. On le découvre en creux, écoutant religieusement Odette, tout en sirotant un whisky ou mouillant nerveusement son cigare. On découvre son accent girondin qu’il semble retrouver tout naturellement, dont parlait Mireille Amiel. Jamais on ne verra son visage, mais on s’approchera tout de même de cet artiste unique, tout en voyant les prémices de son œuvre future… La vieille dame, presque aveugle, son visage mangé par des lunettes noires, cachant ses problèmes de vue, ne dédaigne pas les petits plaisirs de la vie, coupant le whisky de son petit fils avec des glaçons ou fumant force cigarettes. Volontiers « mordante », elle a une ironie douce amère sur toutes les épreuves vécues, la perte de trois fils – sa fille étant la mère de Jean -, la dureté d’une vie paysanne au début du siècle, des problèmes de santé, les avanies causés par sa belle-mère, une marâtre cruelle l’obligeait à garder toujours les mêmes couverts par peur de la tuberculose sans oublier un mari volage – ahurissante évocation du récit de la syphilis qu’il avait contracté. Elle avance pourtant dans sa vie, subit souvent, se bat parfois, elle mord enfant son institutrice, l’une des rares personnes qui fut généreuse avec elle, et se bat comme une charretière avec l’une des maîtresse de son époux.  On traverse ce siècle avec elle, elle ne se plaint pas malgré une vie rude, elle souligne toujours les côtés positifs de sa grand-mère paternelle basque qui lui racontait des histoires – elle aimait lire, ce qui était rare alors dans ce milieu -. Si l’attention peut baisser parfois, on oubli le noir et blanc granuleux et une pénombre protectrice, pour découvrir l’intimité entre ces deux êtres, qui s’aiment et s’épaulent malgré la différence de génération. C’est aussi un portrait de la condition féminine du siècle dernier, baigné dans une belle tendresse. La grand-mère demande au chef opérateur si elle a été bien, ce dernier lui répond « Juste géniale ». Ce film indispensable, nous montre encore une fois la richesse de l’œuvre ce grand cinéaste, hélas pour nous trop tôt disparu.

LA MAMAN ET LA PUTAIN

Un des plus beaux films du monde. Ce film – de chevet – reste un choc indélébile… avec l’incongruité de ne l’avoir jamais vu en salles avant une rétrospective « Jean Eustache » à l’Utopia de Bordeaux. C’est en 1988,  que j’avais découvert ce film, dans le ciné-club de Claude-Jean Philippe sur Antenne 2, dans un temps révolu où l’on pouvait se forger une cinéphilie dans les chaînes du service public. La VHS aidant, j’ai eu très vite une intimité avec ce film depuis presque 20 berges déjà. C’est le genre d’œuvre que vous glissez dans votre magnétoscope, pensant en regarder les premiers plans les soirs de grand spleen, avant de vous faire happer, malgré une durée inusitée de 3h40. De voir le film en salle avec une amie qui le découvrait, malgré une copie fatiguée, me prouvait le charme inégalé de ce chef d’œuvre. Mais quand un film vous touche véritablement, c’est là qu’il est difficile de faire partager ses émotions, handicapé de plus par la banalité habituelle des ses appréciations. Mais le film a une aura unique, a marqué beaucoup de cinéastes de Marion Vernoux à Christophe Honoré, Catherine Breillat faisant répéter le monologue de Françoise Lebrun à ses actrices, ou Lucas Belvaux rendant hommage au film avec le clin d’œil amusant des retrouvailles Léaud-Lebrun dans « Pour rire ». C’est le portrait de trois personnages à la dérive. Jean-Pierre Léaud démontre ici combien c’est un immense comédien, sans évoquer le mimétisme qu’il pouvait avoir avec ses metteurs en scène, on finit par voir l’incarnation supposée de Jean Eustache, cinéaste hors norme et de l’intime. Léaud campe un dandy beau parleur, grandiloquent et nostalgique, narcissique mais touchant. Il règne en maître dans l’univers très délimité de « Saint-Germain », essayant de parfaire son discours désinvolte sur le monde, tout en agaçant, histoire d’oublier et de ne pas se complaire avec sa souffrance profonde. Il finit dans ce rôle d’Alexandre par se révéler en définitive vulnérable derrières ses aphorismes du quotidien, comme né à la mauvaise époque. Il vient de se faire larguer une jeune femme sage – Isabelle Weingarten, échappée de « Quatre nuits d’un rêveur », à la fausseté toute bressonienne -. Il rejoint sa « vieille maîtresse » – La « Maman » -, Marie, une femme de trente ans qui a une boutique de vêtements –  Bernadette Lafont rayonnante de sensualité et de gravité dans son plus grand rôle. A la terrasse d’un café il rencontre Véronika – « La putain », une infirmière volage – Françoise Lebrun joue une éblouissante femme libre et perdue, dans l’un des personnages les plus beaux du cinéma -. « Elle émeut dans ses contradictions,  son fameux monologue reste dans toutes les mémoires.

Françoise Lebrun, Jean-Pierre Léaud & Bernadette Lafont

L’histoire est difficilement racontable, mais il est passionnant de suivre l’évolution de ces personnages, Eustache décrivant leurs douleurs masquées par une fuite en avant, grâce aux vertus de la conversation et de l’alcool, avec la précision d’un entomologiste. Jean Eustache est un metteur en scène singulier et au-delà de l’ambiance « du café de flore » et des « deux magots », des brasseries où l’on peut occuper son temps sans grand frais. C’est le portrait d’une certaine époque, de la liberté des années 70, c’est un des documents les plus précieux sur cette époque. Il y a ici un hommage aux déclassés, marginaux, aux paumés du petits matins comme le chantait Jacques Brel, à l’instar des deux amis d’Alexandre, joué par Jacques Renard – futur cinéaste -, qui nous donne une prestation étonnante en copain dandy et sarcastique et Jean-Noël Pick, irrésistible en homme maladroit tendance pré-Houellebecquien,  Mais il touche à l’universalité des rapports amoureux. Le texte est magnifique – il est disponible aux éditions du Cahier du cinéma -, très écrit, se servant du langage du quotidien – « Un maximum de conneries en un minimum de temps » déclare Véronika en utilisant pléthore de « Merdique », tout le scénario à lui seul est une oeuvre d’art. Il fut mis en scène au théâtre par Jean-Louis Martinelli avec Charles Berling et Anouk Grinberg. Le cinéaste digère tout, de la chanson populaire – Damia, Edith Piaf -, d’un certain snobisme, de ses références – Léaud faisant son lit comme Jean-Claude Brialy dans « Une femme est une femme » ou l’œuvre de Robert Bresson -, à l’air du temps, de Jean-Paul Sartre et sa demi-bouteille, Pierre Bellemarre et Guy Lux portant « Leurs conneries sur leurs visages » au prédicateur du petit matin à la radio. Eustache met ici sa « peau sur la table », en nous livrant son intimité – les personnages du film ont existés dans la vie, la femme ayant inspiré celui de Marie c’est d’ailleurs suicidé durant le tournage, sans fausses pudeurs, puisant dans sa vie avec grandeur. La photographie sèche de Pierre Lomme est absolument splendide, captant l’ambiance libre des années 70. Une génération y est peinte avec lucidité. Un éloge de la fausseté – « le faux c’est l’au-delà » pour mieux rejoindre la vérité. Trop peut-être, voir la manière dont Eustache parle des cinéastes comme des oisifs se gargarisant de leurs oeuvres. Eustache ne s’épargne aucunement avec son portrait d’Antoine – évocation du graffiti par Véronika dans les toilettes : « Saute narcisse ! « . Un film somme au-delà de tout éloges. Verra t-on un jour ce film en DVD, histoire de faire perdurer sa magie tel un phare dans la nuit ? Il est l’un de ces films, illustrant une des répliques d’Alexandre : « Les films apprennent à vivre ». Eustache disait à Marcel Martin dans « Écran 73 » N°17 : « …Le film juge les spectateurs autant qu’il peut être jugé par eux ».

CHACUN SON CINÉMA

Mais pourquoi la chaîne Arte flirte avec le n’importe quoi. A Bordeaux c’est assez comique, il n’y a pas de choix pour obtenir une version originale, et les films sont tous diffusés en 16/9ème, si vous avez une télévision normale, vous perdez, format 4/3 oblige, au moins un quart de l’image. Toutes suggestions concernant cette regrettable chaîne est donc bienvenue… Cette chaîne, comme Canal+ a diffusé cependant le film commémoratif du 60ème anniversaire du festival de Cannes – quoi de + normal puisqu’il n’y en eu que 58, si on ne compte pas le clash de 1968 ! -. Ce film « Chacun son cinéma ou ce petit coup de cœur quand la lumière s’éteint et que le film commence » (ouf) en est le titre complet, je me suis empressé de rajouter le titre exact sur IMDB. L’idée n’est pas neuve, demander comme avec « Lumière et compagnie » en 1995, pour le centième anniversaire du 7ème art, a des réalisateurs prestigieux de faire des petits courts. Le thème est la salle de cinéma, et la durée va de 3 à 5 minutes. C’est forcément inégal, mais c’est un exercice de style assez stimulant. Un DVD est sorti également avec en bonus les versions longues des films de Alejandro Gonzales Iñarittu, Michael Cimino et de Hou Hsiao Hsien. Le film est dédié à Federico Fellini. Petit panorama des sketches…

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La conférence de presse à Cannes 200, Roman Polanski s’apprête à réagir aux propos des journalistes…

# Cinéma d’été, réalisé par Raymond Depardon, son et production : Claudine Nogaret, montage de François Gedidier, assisté d’Esther Frey, mixage de Christophe Vingtrinier, étalonnage d’Aude Humblet : Sensations d’un soir d’été dans un cinéma d’Alexandrie. Attachant.

# Une belle journée, écrit, monté et réalisé par Takeshi Kitano, avec Kitano lui même – sous le nom de Beat Takeshi et Moro Morooka. Un homme dans une campagne désertique demande le tarif fermier (!) pour assister à la diffusion de « Kids Returns », mais le projectionniste kitanesques doit se débattre avec la vétusté de son matériel. Amusant.

# Trois minutes, réalisé par Théo Angelopoulos, images d’Andréas Sinanos, son de Laurent Poirier, décors de Valérie Valero, montage de Yannis Tsitsopoulos, musique d’Eleni Tsitsopoulos, musique d’Eleni Karaïndrou, directeur de production d’Éric Vassard, avec Jeanne Moreau. Ce sketche dure 3 minutes. Une femme – Jeanne Moreau touchante – se rend dans un cinéma désert. Il y a des mannequins habillés avec des cirés jaunes et des parapluies à l’entrée – Angélopoulos s’amuse en s’auto-citant (?) dans ses évocations d’une Grèce sous la pluie -. En contrechamp, on retrouve Marcello (Mastroianni), dans des images tirées de « L’apiculteur » d’Angélopoulos également. Jeanne Moreau donne ensuite un beau moment d’émotion en reprenant un texte de « La nuit » de Michelangelo Antonioni.

# Dans le noir, écrit et réalisé par Andréi Konchalovsky’’, avec Yola Sanko, Juris Laucinsh, Amexéï Grishine, Daria Gratcheva, images de Maria Solovieva, décors de Lioubov Skorina et Edouard Skorina, son de Vassili Filatov, montage d’Olga Grinshpoun, direction de production d’Evgeny Stepanov, assistant mise en scène : Dimitri Kroutchkov. : Une salle quasi-déserte une ouvreuse s’apprête à assister à la projection du « 8 et demi » de Fellini, mais les plombs sautes, il y a bien un couple de spectateurs mais qui ne pensent qu’à faire l’amour. L’ouvreuse malgré toutes ces déboires, est elle bien disponible pour voir ce grand film. Un petit côté désabusé compensé par l’espoir que les chefs d’œuvres perdureront.

# Diaro di uno spettatore (Journal d’un spectateur), réalisé par Nanni Moretti : Nanni Moretti évoque ses souvenirs de spectateurs en visitant plusieurs salles de cinéma. On retrouve son style avec ce monologue mordant et l’humour dans ses évocations de souvenir de cinéphiles, avec son fils et sa mère, passant allégrement de « Matrix 2 » à « Rocky Balboa », irrésistible.

# The Electric Princess Picture House, réalisé par Hou Hsiao Hsien : Un militaire accompagne une mère enceinte et ses deux petites filles devant un cinéma. On retrouve la vie de la cité devant de la salle, avec ses vendeurs à la sauvette. Nostalgie sensible d’un souvenir d’enfance d’une salle de cinéma disparue avec une image finale fantômatique du « Mouchette » de Bresson.

# Dans l’obscurité, réalisé par Jean-Pierre et Luc Dardenne, avec Émilie Dequenne et Jérémie Segard, photo d’Alain Marcoen, cadre de Benoît Dervaux, son de Benoît de Clerk, mixage de Thomas Gauder, costumes de Monic Parelle, décors d’Igor Gabriel, montage de Marie-Hélène Dozo, production d’Olivier Bronckart : Un petit voleur profite de l’émotion d’une spectatrice pour voler dans son sac. Second hommage à Robert Bresson avec un extrait sonore d’Au hasard Balthazar, et jolie petite pirouette finale.

# World cinéma, réalisé par Joel et Ethan Coen, avec Josh Brolin, Grant Heslov, Brooke Smith, caméra : Steve Lubensky. Un cow-boy rentre dans un cinéma d’arts et essais qui propose « La règle du jeu » et « Climats ». Il finit par aller voir ce dernier, convaincu par un employé passionné. L’incongruité d’un américain moyen du moins d’aspect – il cache en fait une ambigüité – qui finit par être touché par un film. Un hommage à l’universalité du cinéma.

# Anna, écrit et réalisé par Alejandro Gonzales Iñarittu, avec Luisa Williams dans le rôle d’Anna, images d’Emmanuel Lubezki : Un homme accompagne Anna, une jeune aveugle, à assister à la projection du « Mépris » de Godard, en lui détaillant certains plans. Elle est submergée par l’émotion par la force de la bande son du film. Joli moment tendre et émouvant.

# En regardant le film, réalisé par ZHANG Yimou, avec Wang Liang (Le jeune garçon), LI Man (La jeune fille), LU Yulai (Le projectionniste), scénario de Zou Jingzhi, ZHANG Yimou, prises de vues de Zhao Xiaoding, Son de TAO Jing, assistant réalisateur de LIU Guonan, Montage : CHENG Long : Les préparatifs en plein d’un petit cinéma itinérant dans un petit village vu à travers les yeux d’un enfant. Touchant et charmant.

# Le Dibbouk de Haïfa, réalisé par Amos Gitaï. Parallèle entre un cinéma de Varsovie 1936, et un autre de Haïfa, 70 ans plus tard. Un exercice de style brillant, montrant un lieu privilégié et vivant rattrapé par l’histoire.

# Lady the bug (Lady insecte)  de Jane Campion, avec Erica Englert (The bug), Clayton Jacobson (The man), et le voix de Geneviève Lemon, Marney McQueen, Clayton Jacobson. Produit par Christopher Gill, prises de vues de Greig Fraser, montage d’Alexandre de Franceschi, musique de Mark Brodshaw, direction artistique d’Andrew Short et Rebecca Cohen, cistyle de Gabrueka Cylesova et Jo Woodcroft. Une femme insecte énerve passablement un employé d’un cinéma. Ce sketche est dédié aux deux gentleman de Cannes Gilles Jacob et Pierre Rissient, mais me semble un peu anecdotique devant l’improbable prestation d’Erica Englert, créatrice de la bestiole.

# Artaud double life, réalisé par Atom Egoyan, images de Nick de Pencler, assisté d’Ono Weeda, musique de Mychael Danna, montage de Susan Shipton, assisté de Marc Roussel, son de Steven Munro. échanges de SMS de spectateurs dans des cinéma proposant « Vivre sa vie », « The adjuster » et « La passion de Jeanne D’Arc ». Le père Egoyan s’auto-cite se mettant sur le même plan que Godard ou Dreyer, et en plus encourage la désagréable habitude du portable allumé surlumineux dans une salle de cinéma. Reste qu’il trouve le moyen d’être brillant en opposant les images, malgré un certain manque d’originalité – le visage d’Anna Karina avec celui de Falconetti -, tout en rendant hommage à Antonin Artaud, on est loin des « Histoires du cinéma » de Godard.

# Sputnik – Esittää (Valimo – La fonderie), d’Aki Kaurismäki, avec Matti Hyvönen, Arto Malmberg, Tarmo Nyholm, Jukka Rautiainen, Jukka Salmi : Le style Kaurismakien, reconnaissable entre mille, des ouvriers d’une fonderie vont voir une sorte de cinéclub des petits films Lumière avec « La sortie de l’usine Lumière à Lyon 1895 », sous fond de musique rock. Galerie de trognes et ébauche d’une idée de révolte par le cinéma contre un monde difficile ?

# Recrudescence, d’Olivier Assayas, avec Deniz Gamze Ergüven, George Babluani et Lionel Dray, reste du générique difficilement lisible : Un petit couple amoureux bouffeur de pop-corn rentre dans le multiplex de l’UGC des halles, est suivi par un voleur… Même principe que le film des Dardenne, impressions parisienne et petit twist final difficilement cernable.

# 47 ans après, de Youssef Chahine, image de Ramzis Marzouk, montage de Ghada Ezzeldin, son et mixage de Mustafa Aly, avec Yossra El Lozy, Karim Kassel : Évocation du silence à Cannes autour de la sélection du second film de Chahine avant de recevoir des mains d’Isabelle Adjani, le prix du 50ème anniversaire pour son l’ensemble de son œuvre, pour son humanité, son courage et sa clémence. Les deux jeunes acteurs du débuts du film, sont mal dirigés. Le reste provient d’images d’archives cannoise de 1997. Auto-célébration de Youssef Chahine par lui même, mais message d’espoir aux débutants. Gentiment vain.

# It’s a dream (C’est un rêve), de Tasi Ming Liang, avec Lee Kang Sheng, Chay Yiok Khuan, Pearlly Chua, Norman Atun, Lee Yi Cheng. Une voix off raconte un rêve où il voit son père jeune et sa mère âgée, avant de se souvenir de l’amour du cinéma de sa grand-mère. Rêverie autour des écrans nostalgiques.

# Occupations, de Lars Von Trier, avec Jacques Frantz et Lars Von Trier : Un homme – Frantz – à la fois critique et homme d’affaires, s’ennuie ferme à la vision de… « Manderlay ». Il se met à parler avec son voisin – Lars Von Trier -. Exercice iconoclaste d’autodérision et excellente prestation de Jacques Frantz jouant en anglais.

# Le don, dialogue d’un cinéphile aveugle avec sa nièce anthropologue, de Raoul Ruiz, avec Michael Lonsdale et Miriam Heard : Retrouvaille avec Michael Lonsdale, plus de 20 ans après « L’évadé du pont de l’Alma ». On retrouve le côté conteur du cinéaste, avec les souvenirs d’un aveugle, qui avait apportait une caméra dans un petit village du Chili. Onirique dans un climat fantastique.

# Cinéma de Boulevard, de Claude Lelouch, avec Audrey Dana et Zinedine Soualem. Lelouch raconte la rencontre de ses parents dans un cinéma d’avant-guerre pour voir « Top hat » avec Fred Astaire et Ginger Rogers. Le cinéma sera un refuge ensuite pour le cinéaste durant la seconde guerre mondiale et lui montrera sa vocation avec « Quand passent les cigognes ». Sa mère reverra plus tard Fred Astaire et Ginger Rogers sur un écran, mais aux côtés de son fils pour la remise de l’oscar d’  « Un homme et une femme ». Sans surprise mais plaisant.

# First Kiss (Premier baiser), réalisé par Gus Van Sant, avec Paul Parson (The projectionnist) et Viva Las Vegas (sic) (The sunbather) : un jeune projectionniste est fasciné par l’image d’une jeune femme au bord de la mer. Quand « La rose pourpre du Caïre » rencontre « Le lagon bleu ». Mouais… Il y a des jours où l’on se demande pourquoi Gus Van Sant a « La carte »…

# Cinéma érotique, réalisé par Roman Polanski, avec Jean-Claude Dreyfus, Edith Le Merdy, Michel Vuillermoz, Sara Forestier, Denis Podalydès. Un couple (Édith Le Merdy et Jean-Claude Dreyfus) dans un cinéma, entendent des cris de jouissance lors d’une séquence de film érotique. Fortement gênés par de ce vil onaniste – Michel Vuillermoz -, ils appellent l’ouvreuse – Sara Forestier enlaidie -, qui devant la situation va vers son directeur – Denys Podalydès -. Enfin un peu d’humour, l’œuvre est drôlatique, même si la « chute » est prévisible.

# No translation needed – Sans traduction, réalisé par Michael Cimino, avec Juliana Muñoz (+ vocaliste) et Yves Courbert, montage de Gabriel Reed, cinématographie de Francis Grumman, producteur associé de Calantha Mansfield, produit par Joann Carelli, musique de Son Mayor.  Un cinéaste fortement agité – Yves Courbet -, réalise un clip en DVD d’une chanteuse  sud-américaine sensuelle – Juliana Muñoz – Autodérision – « Tu te prends pour « Miguel » Cimino ! » -, rythme et humour, efficace.

# At the Suicide of the Last Jew in the World in the Last Cinema in the World  (Le suicide du dernier juif du monde dans le dernier cinema du monde), réalisé par David Cronenberg, avec David Cronenberg et les voix de Jesse Collins et Gina Clayton, avec la collaboration de Brandon Cronenberg, Carlyn Zeifman, John Bannister, Deirdre Bowen, Howard Shore, et … Deluxe, Toronto : Deux journalistes de « MBT Auto Bio Cam », commente le suicide en direct d’un juif hongrois dans la dernière salle du cinéma du monde. L’un des meilleurs sketches du film, avec un seul plan séquence joué par Cronenberg lui-même. Une réflexion salutaire sur l’avenir du

cinéma.

# I travelled 9000 km to give it to you (J’ai fait 9000 km), réalisé par Wong Kar Wai, écrit par Wong Kar Wai et William Chang, avec Fan Chih Wei, Frani Chang et Yui Ling : Caresse érotiques d’un couple lors de la projection d’Alphaville de Godard. On retrouve la virtuosité furtive et habituelle, limite chichiteuse, du metteur en scène.

# Where is Romeo (Où est mon Roméo ?), par Abbas Kiarostami, avec Nikoo Kheradmand, Laleh Eskandari, Fatemeh Motamedaria, etc… : Visages de femmes voilées pleurant lors de la diffusion de « Roméo et Juliette ». La simplicité de la mise en scène transcende l’émotion. Le film remercie Mme Nikoo

Kheradmand.

# The last dating show (La séance du dernier rendez-vous), de Billie August, avec Frank Hyam, Kristian Ibler, Casper Christensen, Peter Hesse Overgaard, Anne-Marie Louise Curry, etc… – générique peu lisible -. Un jeune danois a une invitation pour une femme voilée. Il lui traduit le en anglais car elle ne parle pas danois, ce qui énerve trois spectateurs : Très joli film pour l’académique Billie August, il semble que le format court lui sied beaucoup avec cette ode à la tolérance.

# Maladresse, écrit et réalisé par Elia Suleimann, avec Elia Suleiman, Leonid Alexeienko, Rami Abdu Hanna, Ehad Assal, Raja Dbayeh, Maria Villa Rebolo, Anton Shalhat, Rashad Deek, Ala Harbaji, Abeb Zoubi. Un metteur en scène – Elia Suleiman keatonien – vient présenter dans un pays de l’Est, son film. Mais la projection de son film s’avère catastrophique. Épisode très drôle proche des petits maîtres du burlesque américain. Nous recevons ici de bonnes nouvelles de ce cinéaste trop rare.

# Rencontre unique, écrit et réalisé par Manoel de Oliveria, avec Michel Piccoli (Nicolas Khrouchtchev), Duarte d’Almedia (Le pape Jean XXIII), Antoine Chappey (Le secrétaire de Krouchtchev), photographie ; Francisco de Oliveira, assisté de Mathieu Giombini, costumes de Fabio Perrone, Semira Suspene, Truquages de Stéphane Mitonneau, montage de Valérie Loiseleleux : Retour au muet et aux sources pour de Oliveira, où la rencontre improbable, sur une musique d’Erik Satie, de  Krouchtchev avec le camarade pape Jean XXIII.

# Miguel Pereira, Brésil… à 8944 km de Cannes, réalisé par Walter Salles, avec Castanha et Caju, assistant réalisateur : Georges Moura, images de Mauro Pinheiro Jr, montage de Livia Serpa, son de Leandro Lima… : Joutes musicales devant un cinéma diffusant « Les 400 coups », galvanisant.

# War in peace (Guerre en temps de paix), réalisé par Wim Wenders : Kabalo au cœur du fleuve Congo, octobre 2006, première année de paix après un siècle de colonisation, après 30ans de dictatures, 10 ans de guerre, 5 millions de morts, des enfants regardent « La chute du faucon noir » devant une salle télé aménagée en cinéma de fortune. Wenders signe ici l’un des meilleurs épisodes du film, montrant des enfants traumatisés par la guerre fascinés et déroutés par le film de Ridley Scott.

# Au village, de Chen Kaige, images de Zhao Xiaoshi, direction artistique de Lui Quing :  1977 : Des enfants organisent une petite projection d’un film de Charlot, à l’extérieur dans un hiver glacial, en pédalant sur des vélos, pour faire fonctionner leur petit matériel. 2007 : Un aveugle entre dans une salle de cinéma. Troisième court sur le thème de la cécité. Poétique, charmant et ludique.

# Happy ending, un père et fils hésite sur le film à voir dans une salle d’attente, ce qui énerve passablement un spectateur. Mordant, dialogue brillant – le père présente Adolf Hitler comme vendeur de patates sur Barking Road ! – Loach égratigne en passant le cinéma de divertissement de masses.

# Épilogue : Extraits du film de René Clair « Le silence est d’or », avec la fameuse réplique de Maurice Chevalier : « Vous aimez quand ça finit bien Mademoiselle ».

CLERKS II

img514/7284/clerks2fn0.jpg En aparté, dernier salut à un vieux cabot institutionnel qui nous parle une dernière fois, 5 minutes – douche comprise ? -, je ne sais pas si c’est l’effet de la lecture du prompteur ou les affres de la maladie, mais j’ai crû voir un zombie d’un film de Romero mâtiné de Louis XV. On peut lui préférer le génial Robert Hirsch nous livrant un formidable numéro lundi soir à la cérémonie des Molières avec un grand sens de l’autodérision et du panache. Pour rester dans une certaine inanité , j’ai vu « Clerks 2 » avec un vague bon souvenir du premier opus, « Clerks, les employés modèles », film fauché en noir et blanc. Nous étions 2 dans la salle, et j’avais l’appréhension morose de m’attendre à voir exploité à l’envi de filon de ses employés minables – après  « Clerks, The cartoons », la série TV)- .  La vulgarité est à la mode, citons Jean-Marie Bigard et son célèbre poil de cul dans la savonnette, il fallait le voir un jour chez Michel Denisot, louer que son anus soit érogène pour finir par demander à la belle Valeria Golino s’il peut se caresser quand elle parle… Il finit légitimement par grossir la longue liste des souteneurs de Nicolas S. N’est pas Rabelais qui veut, faire frémir nos zygomatiques avec quelques énôôôrmités n’est pas donné à tout le monde. Il faut un sacré talent pour nous amuser avec ces matières, mais bonne surprise c’est le cas ici avec ce film de Kevin Smith. On le retrouve donc douze ans qui joue avec nos « nerds » Dante Hicks – Brian O’Halloran, la trentaine fatiguée – et Randall Graves – Jeff Anderson, et son sempiternel petit côté potache -, travaillant désormais dans la restauration rapide, Randal ayant oublié d’éteindre la cafetière et ayant mis le feu à son magasin. Dante doit se marier avec une femme aisée, et veut quitter le fast-food.

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Rosario Dawson & Brian O’Halloran

Randal appréhende de se retrouver seul, et se console en faisant du jeune cuistot du lieu son souffre-douleur, ce qui est d’autant plus aisé que ce dernier est fan des « Transformers ».  Dante a lui des affinités, avec la gérante du restaurant, la belle Becky – Charmantissime Rosario Dawson, venant du vivier Rodriguez-Tarantino, dans un rôle plus sage qu’à l’accoutumé-. Jay et Silent Bob – Jason Mewes et Smith himself -, zonards dealers qui viennent de purger une peine de prison, retrouvent leurs marquent en végétant devant le restaurant. Kevin Smith joue avec bonheur avec la vacuité de son scénario, pour preuve il y a même une apparition de Ben Affleck – du latin « affligere » -. La modestie du traitement finit par donner un résultat assez plaisant. Dans un jeu « tarantinien » d’éloge de la sous-culture, il continue à nous amuser, les fans de « La guerre des étoiles », devant composer désormais avec ceux du « Seigneur des anneaux ». Randal, éternel « adulescent »,  finit par accuser une sorte de « coup de vieux », comme dans la scène où il est humilié par le décalé Jason Lee. Il se paie même le luxe de flirter avec la mièvrerie. Mais les personnages évoluent, trouvant une gravité inattendue avec la maturité, la manifestation d’une jovialité permanente finit par lasser place à une inquiétude sourde à l’avenir. Mais le mauvais goût assumé de situations vraiment scabreuses est ici assez réjouissant, on retrouve avec plaisir la scène culte de Jay, rejouant la célèbre danse de Ted Levine dans « Le silence des agneaux ».  Au final, même si curieusement il y a un conformisme inattendu, c’est une bonne surprise, surtout en comparaison avec le tout venant des comédies françaises actuelles. A défaut d’originalité, ce recyclage se révèle assez réjouissant. Le film est un peu à l’image de la scène ahurissante avec l’âne, « c’est dégoûtant, mais on ne peut pas s’empêcher de regarder ».

TRÈS BIEN MERCI

img148/8024/trsbiennl5.jpg Alex et Béatrice – Gilbert Melki et Sandrine Kiberlain – sont un couple sans histoires et sans enfants. Ils plient un peu l’échine face aux agressions du quotidien. Elle conduit un taxi, rongeant son frein quand ses clients lui font des caprices selon le bon principe du client qui est roi – dont Camille Japy, irrésistible ici, mais c’est normal on n’est pas ici chez Eric-Emmanuel Schmitt…-. Lui est un expert comptable sous pression permanente de son patron – Christophe Odent, excellent en chéfaillon méprisant -. Il défend mollement son collègue Landier – trop rare Olivier Cruveiller qui incarne un sympathique combinard – qui en tant que représentant gruge sur la note de frais, et est de ce fait le candidat idéal pour un licenciement. Quelques signes avants coureurs de son avant coureur, finissent par surgir chez Alex, notamment quand il se laisse à fumer en cachette dans les toilettes et finit par être verbalisé dans le métro pour sortir son indispensable cibiche. Un soir Alex s’arrête devant un banal contrôle d’identité fait par la police sur un jeune couple. Il regarde cette action et finit par sa seule présence par énerver les représentants de la loi, ce fait anodin finit par atteindre des proportions inattendues. Après une nuit au poste assez rude, il réclame le commissaire des lieux, qui reste tragiquement absent. Il va atterrir sans rien comprendre dans un hôpital psychiatrique, les policiers ne comprenant pas que l’on puisse remettre en question la suprématie de leur autorité. Gilbert Melki, assurément l’un des plus grands comédiens du cinéma français, avec humour et une grande justesse, excelle dans ce rôle d’homme ordinaire, fatigué, résigné et sans histoire Il finit par ne plus vouloir joué le jeu des apparences, quitte à se laisser choir. Sandrine Kiberlain joue avec retenue son épouse, qui en voulant l’aider finit par l’enfoncer sans le vouloir, dans une scène d’une absurdité assez réjouissante avec Frédéric Pierrot en interne surmené qui le fait hospitaliser sans le voir. Au contraire d’un Nicolas S., candidat à la Présidence à la sortie du film, qui avait eu un lapsus intéressant « J’ai connu l’échec et j’ai dû le surmontrer » –. Alex perplexe , « sousmontre » les épreuves. Comme badaud de lui même finit par devenir le propre spectateur de sa propre détresse subie.

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Gilbert Melki

Il finit même par trouver un avantage, son hospitalisation finissant par lui donner l’occasion de souffler un peu. Difficile de ne pas évoquer Franz Kafka, d’autant plus qu’il y a dans ce film également un humour omniprésent devant l’incongruité des situations. Cette drôlerie en filigrane, finit par nous aider à supporter, une tension constante, Emmanuelle Cuau joue avec nos peurs, celle du chômage , de l’échec et d’un stress que l’on arrive plus à contenir. Elle avait montré déjà beaucoup de talents avec son « Circuit Carole » sorti en 1995 avec Laurence Côte et Bulle Ogier. Sur un ton intimiste, elle analyse avec finesse les mécanismes de notre société. En prenant le parti-pris du réalisme, on est amené à réfléchir sur son propre sort, la manière dont une vie peut changer si on finit par ne plus respecter les « cases » qui nous sont réservées dans notre société. On finit par réfléchir sur son égoïsme, ses capacités à être rassurés avec ses petits enfermements balisés. Il y a un ici un constat amer, sur la manière d’être démuni que l’on peut avoir devant les autorités ou les notables, à l’image du grand moment d’humour noir, où une psychiatre incarnée avec autorité par Catherine Ferran, où son personnage explique comment Alex a tenté de se suicider en se jetant au travers d’une fenêtre fermée, alors qu’il est victime d’un accident. Le film laisse des avis assez tranchés, entre ceux touchés par ce film et ceux franchement agacés par son traitement. Les films qui respirent l’air du temps ne sont pas si nombreux dans le cinéma français. Souhaitons que ce film ne soit pas un avant goût de nos 5 prochaines années, si on voit ce film à l’aune de la victoire d’une droite qui se veut autoritaire. A l’instar d’Annie Cordy, notre icône politique de la droite décomplexée pourrait bien chanter à notre petit valeureux peuple franchouille – mais l’idée politique chagrine qui s’offre en concurrence l’ordre juste et le drapeau français est gratinée également – : « Tu m’as voulu(uuu)e – Tu m’as eu(uuu)e – Tu m’as choisi(iii)e – C’est tant pi(iii)s… ». En attendant on peut toujours se consoler avec ce film salutaire, nous offrant une réflexion à contre courant du climat ambiant.

LES BALLETS ÉCARLATES

6ème salve des films de Jean-Pierre Mocky en DVD, disponible depuis le 25 avril dernier. Loin d’êtres des fonds de tiroirs, ces films montrent l’originalité du cinéaste, qui n’est finalement jamais où on l’attend. Mon préféré de cette série reste « Chut ! » (1971), avec le génial Jacques Dufilho, charge féroce sur le petit monde des épargnants, mais le film est hélas disponible dans la version courte, faite pour la sortie VHS sous le titre « Mocky s’moque N°1 » – « Mocky s’moque N°2 » étant « Les rois des bricoleurs » (1976), c’est également cette version courte, sans générique (!) qui figure dans le DVD du film- . On retrouve aussi « Les vierges » (1962), évocation de la première expérience sexuelle de 5 jeunes femmes , « Divine enfant » (1989), amusant film pour enfant, « Noir comme le souvenir » (1994), film d’atmosphère, et « Le mari de Léon » (192) excellente adaptation de l’œuvre de Frédéric Dard. Cerise sur le gâteau, il y a deux films inédits en salle, tournés en 2004, la même année que « Grabuge » : « Touristes ? oh yes ! » – j’y reviendrai – et « Les Ballets écarlates ». Petit rappel avant de m’arrêter sur ce dernier, l’article de ce blog sur Les couilles en or, est en fait un poisson d’avril. Le film est bien entendu invisible, difficile de vérifier si c’est une affabulation mockienne… « Les ballets écarlates », co-écrit par le fidèle Alain Moury, est l’un des films les plus noirs de l’œuvre du cinéaste. Difficile de comprendre le système Mocky, sur la distribution de ses films. Malgré son omniprésence sur les écrans TV – il fallait le voir insulter injustement Philippe Torreton dans la soirée électorale proposée par M6 -, il rechigne à financer la publicité autour de la sortie de ses films. La raison évoquée pour que « Les ballets écarlates » soit resté inédit trois ans est … la censure ! Il évoque dans son dernier ouvrage « Mocky s’affiche » (Éditions Christian Pirot, 2007), « Film censuré, médias muets ». Pour DVDrama il évoquait plus longuement ce film – le lire dans son intégralité ici : « Il a été interdit par la censure, ce qui est rare de nos jours. Il devait sortir à l’époque où on brûlait des bagnoles. J’en ai profité pour aller voir Renaud Donnedieu de Vabres en lui disant: «moi, si vous me faîtes chier, avec mon copain du Monde, on va faire un scandale dans le journal». (…) Au départ donc, ils l’ont interdit; ensuite, ils l’ont autorisé après ma visite et les chantages. (…) Ce film, je l’ai fait en souvenir de cette petite fille. J’ai pensé que tout le monde serait ému. En plus, j’ai donné l’argent aux enfants. (…) Et là-dessus, on me l’interdit. Pathé qui sont mes amis l’avaient inscrit dans leur convention de septembre dernier et il a été resucré. Il y a une sorte de cabale. (…) Alors, finalement, Pathé l’a acheté en dvd mais n’a pas pu le présenter en officieux. (…). Pour vous donner une idée, il y avait un festival du film noir à Besançon il y a trois mois. L’organisateur qui est un jeune comme vous avait vu le film, le trouvait excellent et ne comprenait pas pourquoi il était refusé. Donc il l’a pris dans son festival. J’arrive à Besançon il y a quelques mois. Je présente le film à 20h30. La salle était bourrée, les gens ont applaudi à la fin et ne sont pas sortis pour assister au débat. (…) Le lendemain, un journaliste de L’Est républicain fait un article sur moi et? pas un mot du film! (…) J’ai déjà eu des problèmes avec mes anciens films comme Snobs qui était interdit en Afrique noire et La cité de l’indicible peur qui a été mutilé. Tout ça, ça ne me choque pas. Mais là, vraiment, c’est clair qu’il y a une obstruction totale, comme si personne ne voulait en parler. (…) ». Je vous laisse juge…

Patricia Barzyk & Jean-Pierre Mocky

Quoi qu’il en soit le film est désormais visible, Mocky le présente dans un bonus comme un mélo. L’histoire dans une petite ville province, un rabatteur – Alain Fourès – achète à un père alcoolique et désœuvré – François Toumarkine dans la monstruosité -, la présence de sa fille – Hortense Belhôte – et de son très jeune fils Éric – Florian Junique -, pour assister à une « partie fine » pour des pédophiles. Ces pervers immondes sont en fait des notables « respectables ». Mais Éric arrive à s’enfuir. Il est recueilli par Violaine, qui vit près d’un bois – Patricia Barzyk dans la conviction -, femme d’un garde-forestier. Elle vit seule depuis l’hospitalisation de son mari, devenu fou de douleur depuis la disparition de leur petit Guillaume… Le film, il faut bien le dire laisse dans un état nauséeux. Sans le raconter, disons qu’il a une morale discutable, proche d’un film récent, le contestable  « Contre-enquête » de Franck Mancuso -, idées que l’on retrouvait souvent dans le cinéma des années 70. Mocky montre sa défiance aussi bien pour les politiques que les instutions. renâcle avec beaucoup d’amertume sur ses personnages. Les exécutants sont pitoyables, comme les personnages joués par Alain Fourès  sinistre homme de main ou Michel Bertay, qui incarne un tueur déchu obligé pour vivre d’exécuter les basses œuvres. Les élites d’une province étriquée incarnés par  Dominique Zardi odieux voyeur ou Christian Chauvaud en redoutable manipulateur, n’œuvre que pour leur bon plaisir. Si Violaine trouve des aides vengeresses, Jean Abeillé conseiller désabusé sitant Freud, Nadia Vasil sœur d’un politique indigné et Mocky lui même qui incarne Mathieu, un armurier opportuniste. Le film malgré ses faibles moyens est assez prenant, Mocky film la ville de Vienne de manière insolite et le chef opérateur Edmond Richard connaît son métier. Signalons la musique de Vladimir Cosma, qui comme à l’accoutumée, recycle allégrement ses anciennes musiques. On attend par exemple dans un restaurant chinois, la musique du « Banzaï » de Claude Zidi ! Ce qui constitue un curieux décalage dans ce film très âpre. Le film met vraiment mal à l’aise, l’organisation d’un dispositif mettant en scène des enfants dont l’innocence va être pervertie pour les fantasmes monstrueux d’hommes mûrs est particulièrement éprouvant. Je préfère le Mocky satiriste à celui vindicatif du film, mais le sujet ne le prédisposait pas à l’exercer. Après « Le témoin » (1978) et « Noir comme le souvenir », il évoque une nouvelle fois la pédophilie mais en radicalisant son propos. J’avais crée une fiche pour ce film sur IMDB, qui sera actualisée sous peu.

LE CANDIDAT

Bon on digère un peu le traumatisme du 21 avril 2002 avec les résultats d’hier soir, avec la petite satisfaction de voir l’échec – relatif – d’un vieux cabotin d’extrême droite qui a peut être mené son combat de trop. « Le candidat », premier film de Niels Arestrup tombe donc à point nommé, même si son auteur de défend d’avoir voulu coller avec l’actualité dans ce projet vieux de 4 ans. Michel Dedieu – non n’insistez pas je ne ferai pas de jeu de mots ! -, est un homme politique influent dans un pays que l’on arrive pas définir. Il est incarné par un Yvan Attal formidable de justesse, montrant avec sobriété les états d’âmes de son personnage. Il remplace au débotté, aux élections présidentielles, le candidat titulaire, obligé de se retirer pour des raisons de santé. Il s’isole dans son luxueux château, pour préparer le débat télévisé du second tour, avec une équipe de spécialistes, faisant partie des apparatchiks de son parti. L’équipe a fort à faire, car Dedieu a une image négative et austère auprès de l’opinion publique.  Eric Carson son opposant  – Thierry Hancisse dans une excellente composition – est lui beaucoup plus convivial et à l’aise dans ce joyeux monde, il est le favori dans les sondages… Michel s’applique à bien faire, mais doit également gérer son couple qui bat de l’aile, une crise internationale qui se prépare, et la suffisance de la petite équipe qui l’entoure. Le chef du parti – Niels Arestrup en personne qui « brando-ise » – avec brio, semble surveiller tout ce petit monde avec condescendance. L’atmosphère est lourde, cette réunion est la dernière chance de Michel d’éviter le désastre. Même s’il y a une distanciation, dans cette observation de ces petits arrangements avec la politique, on finit inévitablement par faire des recoupements avec notre campagne électorale actuelle. Ainsi le staff de Michel Dedieu donne comme excuse de l’absence du candidat dans un important meeting… un retard de son avion. Ce qui, rétrospectivement ne manque pas que piquant, quand Nicolas S, invoque cette raison pour annuler la visite d’un quartier lyonnais, alors qu’il était attendu par des manifestants hostiles à sa venue. L’ineffable Renaud Bertrand avait d’ailleurs déclaré : « Est-ce qu’on voulait y aller? La réponse est non parce qu’on n’a pas vocation à mettre en valeur la gauche et l’extrême gauche qui n’attendaient que ça“. Source : NouvelObs.com. Le film privilégie l’épure en se servant des liens parfois étroits entre politique et théâtre – Jean-François Balmer et Jacques Weber rejouant actuellement avec succès les débats télévisés entre Valery Giscard d’Estaing et François Mitterrand -« .

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Yvan Attal

On suit le destin presque désincarné de Michel, au bord de l’épuisement. Le film montre avec subtilité, la manière de corriger ses insuffisance – ce qui ne manque pas de sel quand on voit l’importance de l’image dans cette campagne -. Le candidat est ici déshumanisé, modelé pour coller au mieux avec l’idée d’un grand homme d’état. Le protocole est éprouvant, une nouvelle venue est même sérieusement réprimandée car elle donne son avis, qui est d’ailleurs plein de bon sens. Arestrup nous montre des politiques coupés du monde, qui vivent en microcosmes, s’épient, attendent le moindre signe de faiblesse pour affirmer une autorité qui n’est qu’un leurre. Le metteur en scène s’entoure de comédiens remarquable, pour incarner cette équipe peu sympathique. Yvan Attal impressionne dans son incarnation subtile d’un angoissé, dans sa manière de portraitisé les doutes et les réactions de son personnage pour évoluer selon sa conscience. Autour de lui, outre Thierry Hancisse, deux autres sociétaires de la Comédie Française excelle, la trop rare Clotilde Bayser en conseillère désabusée et Guillaume Galllienne monstrueux d’arrogance. Laurent Grévill, en homme fidèle à son parti, Isabelle Le Nouvel en nouvelle venue fragile, devant subir l’arrogance des autres, Cyril Couton – révélé chez Stéphane Brizé – est amusant en rédacteur de discours, toujours affamé. Luc Thuillier en chauffeur énigmatique et Sophie Broustal en femme bafouée sont au diapason. L’actrice italienne Stefania Rocca joue la femme de Michel avec les failles de son personnages, faisant exister son personnage dans l’effacement et le prodigieux Maurice Bénichou nous livre une composition remarquable en mentor charismatique. Sans viser au réalisme – on suit le film sans trop réfléchir aux invraisemblance du scénario – autour du personnage d’Alain Doutey, excellent d’ailleurs ici, c’est normal on n’est pas ici chez Eric-Emmanuel Schmitt -, la vision distanciée du petit monde politique amène à la réflexion. L’écueil de la caricature et du « tous pourri » est ici plutôt évité, pour voir la manipulation générale, dans ce petit jeu des apparence. Arestrup ayant signé le scénario seul, le résultat final est assez convaincant. La manière de voir comment des individus peuvent abandonner ce en quoi il croient pour suivre une sorte d’intérêt général lénifiant me semble probante. L’idée de privilégier l’arrière-plan, l’anti-spectaculaire, la préparation aux meetings et au débats, nous donne une idée de correspondre parfaitement à l’envers du décors. Niels Arestrup a donc réussi son entrée dans la mise en scène, en nous livrant l’acuité de son regard. C’est une proposition de cinéma salutaire dans ce monde charmant en évolution sur les coulisses d’un monde qui nous échappe.

EL CUSTODIO

img339/5765/elcustodiosz0.jpg « El custodio – Le garde du corps » nous donne une nouvelle fois une bonne nouvelle du cinéma argentin, nous consolant un peu de la mort de leur cinéaste les plus doués Fabian Bielinsky. Ce film « una historia minima » pour détourner le titre d’un film de Carlos Sorin, narre le quotidien de Rubén, monolithique garde du corps du ministre de la Planification. Il officie son métier d’une manière morne, se raccrochant à des petits rituels d’approches et de surveillance. Il n’a que des rapports distants avec son supérieur qui l’ignore superbement, sauf quand il humilie parfois de manière peut être inconsciente – confère la scène du dessin avec les invités français, d’une violence inouïe… mais ordinaire -. Le cinéaste Rodrigo Moreno livre une mise en scène remarquable pour un premier film. C’est grâce au festival de Sundance qui l’a honoré du prix du meilleur scénario d’Amérique Latine qu’il a réussi à tourner son film. Il dresse un constat amer sur le poids des classes sociales. Le comédien argentin Julio Chávez est absolument remarquable dans le rôle du garde du corps, il a d’ailleurs reçu depuis l’ours d’argent du meilleur acteur au festival de Berlin, pour « El Otro ». Comme encombré par son corps massif, qui est aussi son instrument de travail, il nous fait comprendre son personnage.  Il nous permet de suivre son itinéraire et son intimité, et de sa manière froide de ne plus rester installé dans la résignation. Il est prodigieux dans le rôle de cet homme fondu dans le décors, contenant ses émotions. Le film laisse deviner qu’il avait tout pourtant pour réussir, mais on ne connaît pas les raisons de son échec à vivre autrement que la situation qu’il subit désormais. Il semble se contenter de la routine, de faire partie du décorum de l’entourage du ministre. Souffrant d’une grande solitude, il reste cependant à l’affût, déformation professionnelle oblige, de la vie qui lui semble extérieure.

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Julio Chávez

Rodrigo Moreno a un sens aiguë de l’observation, traquant l’insolite qui peut surgir à tout moment de bureaux aseptisés et impersonnels tout en verre. Rubén semble avoir des difficultés à meubler la vacuité de son quotidien, entre l’ennui qui continue dans son petit appartement. Moreno fait aussi un portrait implacable de la société argentine, montrant le désarroi des petites gens, une révolte sourde qui est près à exploser à tout moment. Il montre aussi les difficultés de la majorité de la population, à l’instar d’une vieille mère déambulant dans l’appartement de sa fille qui se prostitue, offrant un peu de réconfort à Rubèn. Tel un veilleur, Rubén observe de manière froide les vaines agitations politiques, ne pouvant que contenir son dépit, des désillusions sur un monde qui vit de compromissions. Il respecte des codes et des convenances admises de manière implicite, mais ces habitudes rassurantes finalement ne montre que la limite d’une soumission à notre société, renvoyant à nous à réfléchir lui-même sur son propre sort. Il y a dans ce film une manière assez inédite de faire coexister deux mondes, du premier plan sécurisé et en surveillance perpétuelle, et à l’arrière plan, l’exhibition manifeste des arcanes du pouvoir. De ces micros événements, il finit pourtant par naître une grande tension dramatique dans l’expression de l’indicible. A signaler la photographie magnifique signée Alvarez. On reste constamment attentif du sort de Rubèn, qui doit anticiper, toujours toute menace extérieure. De ce fait, il est pour nous une sorte de passeur, entre deux mondes. Il ne trouve d’ailleurs plus aucun réconfort dans aucun d’entre eux. « El custodio » est une proposition de cinéma admirable, annonçant la naissance d’un grand cinéaste, qui en partant d’un état des lieux de la vie en Argentine, finit par toucher à des thèmes universels sur la condition humaine et nous livre mine de rien à notre propre reflet.

ANNA M.

  Avant-première à l’UGC-Cité-Ciné Bordeaux, le 27 mars dernier du film de Michel Spinosa, en sa présence et celle toujours aussi chaleureuse d’Isabelle Carré. Anna – Isabelle Carré saisissante -, vit avec sa mère joué par Geneviève Mnich, toute en subtilité dans un personnage retenant ses émotions. Pour la petite histoire elle qui fut aussi sa partenaire au théâtre -. Elle restaure avec minutie les vieux livres de la Bibliothèque nationale. Un soir de désespoir, elle se jette sous les roues d’une voiture. Hospitalisée, elle est soignée par le docteur Zanevsky. Ce dernier est joué par le toujours impeccable Gilbert Melki dans un rôle voisin de celui qu’il tenait dans « Ca brûle », étonnant film de Claire Simon -. Elle focalise totalement son attention sur lui, malgré la distance qu’il installe en tant que soignant… Michel Spinosa a mis 5 ans à réussir à faire ce film. Il voulait raconter une histoire d’amour fou, dont le modèle était « L’histoire d’Adèle H » – voir l’allusion dans le titre -. Le scénario ne laisse rien au hasard, la narration est au service du personnage d’Anna, de son évolution et dans l’élaboration contruite de sa pathologie – voir l’évocation du « Cantique des cantiques ». On rentre dans son mode de pensée, ses priorités – les personnages de son entourage existent surtout selon qu’ils peuvent la servir dans son délire psychologique. Les personnages secondaires sont donc souvent dans l’ellipse, comme Anne Consigny probante en épouse dépassée par les événements, Samir Guesmi irrésistible en réceptionniste d’hôtel – grand moment d’humour, Eric Savin en papa de fillettes – elles sont dans des situations parfois fortes, mais sont restée dans l’amusement pour les jouer -, Francis Renaud en paumé ou Gaëlle Bona en bonne copine attentive -. Le personnage joué par Melki, est une victime désabusée, souffrant de la manipulation d’Anna et réduit au silence par les circonstances – voir le personnage dubitatif de l’inspecteur joué par le toujours étonnant Pascal Bongard. Il dresse le constat du problème de l’érotomanie – difficilement curable dit-il -, mais en évitant le côté clinique. La grande idée est d’avoir pris ici, d’avoir pris Isabelle Carré pour incarner Anna. Elle apporte une grande empathie à son personnage, même quand il est difficilement défendable. Le personnage joué par Catherine Deneuve dans le génial « Répulsion » de Polanski, était vu par exemple, au travers d’un prisme assez froid. Michel Spinoza assume ses nombreuses références cinématographiques et picturales, mais en ajoutant une observation baroque… On évite les roublardises de ce type de scénario, se limitant souvent qu’à une vaine manipulation du public en vu d’un twist final, les exemples sont légions, y compris dans le cinéma français – citons « A la folie… pas du tout » de Laetitia Colombani, avec déjà Isabelle Carré dans un rôle secondaire – .

Isabelle Carré

Le film génère une grande tension, un attachement qui bascule à une aversion pour l’héroïne du film… Le public riait parfois, d’un rire défensif, ce qui a valu quelques discussions avec le réalisateur, l’atmosphère du film pesait visiblement sur le public. Isabelle Carré, vive et toujours souriante, discute très volontiers avec le public, j’ai eu le plaisir de l’entendre sur sa rencontre avec Alain Resnais, qu’elle évoque avec chaleur. Elle le décrit comme secret, mais aussi très bavard, mais aussi à l’affut de tout – voir son grand intérêt sur les séries américaines -. Elle parle aussi de ses partenaires avec bonheur et reconnaissance, elle n’oublie pas de saluer Pierre Arditi, qu’il l’avait réconforté par téléphone à ses début, quand elle fut refusée par un casting à ses débuts. C’était passionnant de l’entendre parler de son travail, elle n’est d’ailleurs pas très tendre avec elle-même – elle était déçue par son jeu, lors du monologue de l’hôpital aux yeux rougis, elle se trouvait peu crédible alors que le public trouve la scène saisissante. Elle évoquait les méthodes de travail opposées d’Alain Resnais – qui privilégie les répétitions -, et de Michel Spinosa, qui préférait la spontaneité. Elle s’est donc nourrie d’œuvres musicales, littéraires ou cinématographique. Elle dit joliment que préparer son rôle, c’est comme répondre à une invitation à diner en venant avec un présent. Elle dit avoir été bluffé par le culot d’Ingrid Thulin dans l’un des chefs d’œuvres d’Ingrid Bergman « Le silence », où elle pratique l’onanisme, elle a d’ailleurs une scène similaire d’une même force. Elle qui se définit volontiers comme étant un G.O. – gentil organisateur – sur les tournages. Mais elle est resté dans l’isolement sur le tournage pour trouver les émotions du personnage. C’était un régal de l’entendre, de converser librement avec elle, toujours plus enthousiaste envers les autres qu’elle-même, et d’évoquer avec d’autres le tournage de « La reine blanche » ou du superbe « La femme défendue ». Je ressort un cliché déjà bien usé sur ce blog, mais elle est véritablement « Le stradivarius » du cinéma français – même pas foutu d’être original, je sais… -. Michel Spinosa confirme son talent – il avait signé un « Emmene-moi » claustrophobique révelant Karin Viard. Et Isabelle Carré, nous montre un nouvel aspect de son grand talent et de l’intensité de son jeu, régalant de sa grande gentillesse – c’est la troisième fois que je la rencontre et elle est toujours aussi agréable – . « Anna M. » est un film angoissant, minutieusement mis en scène, et une exploration probante d’une âme meutrie, teinté d’un romantisme noir.

ZONE LIBRE

« Zone libre » est le premier long-métrage de cinéma du comédien Christophe Malavoy, après avoir réalisé deux téléfilms « La ville dont le prince est un enfant » d’après Henry de Montherlant  en 1997, et « Ceux qui aiment ne meurent jamais  » en 2004, adaptation de son récit, hommage à son grand-père mort dans les tranchées lors de la première guerre mondiale. Il a choisi d’adapter la pièce éponyme de Jean-Claude Grumberg, dont la finesse et la justesse nous touchent toujours. Mais loin d’être une simple captation, la mise en scène fait sentir le climat singulier de la guerre dans nous faire ressentir une reconstitution factice, en prenant soin de nous donner une empathie avec ses personnages malgré leurs défauts comme le personnage de Maury, qui n’agit pas par simple altruisme. Maury, c’est Jean-Paul Roussillon, qui après « Mischka » de Jean-François Stévenin et son excellente interprétation dans « Rois et reines », d’Arnaud Desplechin – il fallait le voir se débarrasser des fâcheux l’agressant dans son épicerie – retrouve un rôle à la mesure de son talent, qu’il avait déjà joué au théâtre en 1990 dans une mise en scène de Maurice Bénichou, et qui lui avait valu le « Molière » du meilleur second rôle. Il campe, un paysan bourru qui va recueillir une famille juive, en fuite lors de la seconde guerre mondiale, et qui ne semble pas trop s’entendre avec sa bru qui attend le retour de son mari – saluons Mathilde Seigner, qui se font avec le reste de la distribution, sans jouer le statut de vedette auquel elle pourrait prétendre -. Il y a Simon – forcément formidable Lionel Abelanski, dont j’avais déjà salué le grand talent ici, ayant du mal à maîtriser son inquiétude, mais se révélant courageux -, sa femme Léa –Olga Grumberg, propre fille de Jean-Claude Grumberg, tout en nuances -, la belle-sœur Mauricette, enceinte – Elisa Tovati, absolument charmante -, le neveu Henri dit Riri, un tantinet remuant, – Frédéric Papalia, faux airs d’Alain Cohen, dans « Le vieil homme et l’enfant » et la mère des deux femmes, Mme Schwartz, aïeule qui ne parle que yiddish. Dans le rôle de cette dernière, on retrouve l’étonnante Tsilla Chelton, dont le personnage tient à rester coquet malgré la diversité. Elle compose un personnage haut en couleur, tout en jouant une langue qu’elle ne connaissait pas.

Lionel Abelanski & Jean-Paul Roussillon

Le petit groupe a donc réussi à regagner un coin de la Charente dans la « Zone Libre », appellation ironique pour définir le sud de la France, non occupé par les Allemands, mais dirigée par le gouvernement de Vichy. Le petit groupe tente de subsister, réconforté par la présence de Maury. La promiscuité développe des tensions entre la petite famille, le manque de sommeil aidant. Mais ils tentent de garder le moral. Ils s’amusent parfois d’un rien comme le personnage de Lionel Abelanski, faisant un numéro irrésistible à la « Chaplin », ou comme dans la mémorable partie de domino entre Jean-Paul Roussillon et Tsilla Chelton, tout en gouaille, Mme Schwartz étant mauvaise joueuse. L’accusation de mise en scène « téléfilmique » de certains critiques me semble particulièrement injuste. S’il y a sans doute un manque de moyens, le film privilégie l’aspect intimiste de ce drame, comme dans cette cabane qui devient refuge alors qu’elle n’offre aucun confort. Le soin apporté aux détails que la petite famille a pour reprendre ses affaires nécessaires en cas de fuite, lors des visites de la milice ou gendarme, me semble très juste. Notons la présence d’un « Rondo Hatton », comédien de forte corpulence dont je n’ai pas retenu le nom en milicien français inquiétant. Les petits rôles sont aussi très justes, comme Philippe Fretun, incarnant Apfelbaum, tailleur qui survit en faisant de la couture. La nature parfois hostile et un hiver rigoureux sont rendu avec beaucoup de finesse. Il capte la lumière magnifique de la Charente, pour nous sensibiliser au fil des saisons avec cette campagne tranquille. Le texte de Jean-Claude Grumberg, avec son humour habituel, est admirable, il évite les poncifs de ce type d’œuvre, montrant aussi le chaos de cette époque, en nous faisant perdre de vue l’un des personnages, ce qui semble coller au réalisme le plus juste. Un film authentique, drôle et poignant et d’actualité avec les cérémonies rendant hommage aux « justes » français, qui convient de recommander vivement. Christophe Malavoy dont on connaît la justesse comme comédien, se révèle un véritable cinéaste.

Article sur le tournage de « Zone libre » : LE FIGARO

Fuyant l’Occupation, une famille juive est accueillie en Charente par des paysans. Une confrontation qui «donne lieu à des situations cocasses, décalées», explique Christophe Malavoy. (Photo Moune Jamet.)

CINEMA – Pour sa première réalisation, il a choisi une pièce de Jean-Claude Grumberg qui avait été créée au Théâtre de la Colline
Christophe Malavoy tourne en «Zone libre» Par Marie-Noëlle Tranchant 28/04/2005

Dans un coin de campagne du Sud-Ouest, du côté d’Angoulême, une famille juive se retrouve après s’être séparée pour franchir la ligne de démarcation. Il y a Simon (Lionel Abelanski) et sa femme Lea (Olga Grumberg), sa belle-mère, Mme Schwartz (Tsilla Chelton), sa belle-soeur enceinte (Elisa Tovati), un neveu de onze ans. Ils vont être accueillis par un vieux paysan (Jean-Paul Roussillon) et sa bru (Mathilde Seigner) et trouver refuge auprès d’eux jusqu’à la Libération.

Pour sa première mise en scène de cinéma, Christophe Malavoy porte à l’écran la pièce de Jean-Claude Grumberg Zone libre. Un sujet qui lui a été proposé à la suite de sa collaboration avec Arte pour La ville dont le prince est un enfant. Le voilà au temps de la Seconde Guerre mondiale, après avoir évoqué la première dans son roman Parmi tant d’autres.

«Ce n’était pas voulu, dit l’acteur-réalisateur. Mais les guerres ont un intérêt dramatique parce que ce sont des moments où les gens se révèlent. Une grande partie de ma famille a fait de la Résistance très tôt, certains ont été arrêtés et déportés, à Mauthausen, à Ravensbrück. Même si on n’en parlait pas, notre éducation a été façonnée par leurs personnalités. Ce film est une façon pour moi de leur rendre hommage.»

Malavoy, qui tient aux rôles secondaires (pour lesquels il a engagé des acteurs de la région), a étoffé la pièce de quelques personnages inédits, et le travail d’écriture s’est fait en toute complicité avec Grumberg, qui signe les dialogues, très proches de la pièce. «C’est un de nos meilleurs auteurs, dans la lignée de Pagnol, de Spaak, de Jeanson, dit Christophe Malavoy. La confrontation entre les arrivants citadins et le monde rural donne lieu à des situations cocasses, décalées, et en même temps ancrées dans la vie quotidienne. C’est une comédie au coeur du drame. Grumberg a un regard ironique et acerbe, et il est d’une drôlerie incroyable quand il peint cette famille juive, avec ses excès et ses défauts.» Imaginez la rencontre de Tsilla Chelton, qui ne parle que yiddish, avec Mathilde Seigner, paysanne de Charente. «Elle a cette franchise et cette beauté des filles de la campagne, toujours à l’ouvrage, immédiatement dévouées.»

Zone libre est presque un huis clos, si ce n’est qu’on y voit passer les saisons, qu’on y vit au rythme de la terre : Malavoy attend maintenant le mois de juin pour terminer son tournage avec les feuillages d’été qui accompagnent la Libération. «Tout le film baigne dans la nature, dit Christophe Malavoy, et c’est un bonheur pour moi de filmer son aspect immuable, malgré les événements, les tragédies. Je trouve qu’elle nous enseigne beaucoup de choses, à travers le cycle des saisons, les animaux, les valeurs simples de la terre.» Des choses qui lui sont familières : il a passé son enfance dans la région, du côté de Confolens.

«Je n’éprouve pas la nostalgie du passé, dit-il, mais un plaisir certain à me situer de nouveau dans ce monde rural. C’est plein de sensations que j’ai tenté de reproduire. Un film doit faire naître des sensations très physiques, comme si les images passaient sous l’épiderme.»

Mais, surtout, Zone libre, selon lui, parle «sans message et sans discours» de «ces gens obscurs qui ont simplement agi avec coeur en accueillant les autres. On a fait des films sur des résistants, ou des collaborateurs, mais on a peu vu à l’écran de personnages comme Maury, qui se comporte simplement selon le bon sens paysan, avec cette beauté d’âme austère, sans pathos. Il fait son travail d’homme, voilà tout. Pas besoin d’appartenir à un parti ou à une confession. Ils ont été nombreux à agir ainsi, et c’est une chose à ne pas oublier, parce qu’elle garde toute son actualité.»