img339/5765/elcustodiosz0.jpg « El custodio – Le garde du corps » nous donne une nouvelle fois une bonne nouvelle du cinéma argentin, nous consolant un peu de la mort de leur cinéaste les plus doués Fabian Bielinsky. Ce film « una historia minima » pour détourner le titre d’un film de Carlos Sorin, narre le quotidien de Rubén, monolithique garde du corps du ministre de la Planification. Il officie son métier d’une manière morne, se raccrochant à des petits rituels d’approches et de surveillance. Il n’a que des rapports distants avec son supérieur qui l’ignore superbement, sauf quand il humilie parfois de manière peut être inconsciente – confère la scène du dessin avec les invités français, d’une violence inouïe… mais ordinaire -. Le cinéaste Rodrigo Moreno livre une mise en scène remarquable pour un premier film. C’est grâce au festival de Sundance qui l’a honoré du prix du meilleur scénario d’Amérique Latine qu’il a réussi à tourner son film. Il dresse un constat amer sur le poids des classes sociales. Le comédien argentin Julio Chávez est absolument remarquable dans le rôle du garde du corps, il a d’ailleurs reçu depuis l’ours d’argent du meilleur acteur au festival de Berlin, pour « El Otro ». Comme encombré par son corps massif, qui est aussi son instrument de travail, il nous fait comprendre son personnage.  Il nous permet de suivre son itinéraire et son intimité, et de sa manière froide de ne plus rester installé dans la résignation. Il est prodigieux dans le rôle de cet homme fondu dans le décors, contenant ses émotions. Le film laisse deviner qu’il avait tout pourtant pour réussir, mais on ne connaît pas les raisons de son échec à vivre autrement que la situation qu’il subit désormais. Il semble se contenter de la routine, de faire partie du décorum de l’entourage du ministre. Souffrant d’une grande solitude, il reste cependant à l’affût, déformation professionnelle oblige, de la vie qui lui semble extérieure.

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Julio Chávez

Rodrigo Moreno a un sens aiguë de l’observation, traquant l’insolite qui peut surgir à tout moment de bureaux aseptisés et impersonnels tout en verre. Rubén semble avoir des difficultés à meubler la vacuité de son quotidien, entre l’ennui qui continue dans son petit appartement. Moreno fait aussi un portrait implacable de la société argentine, montrant le désarroi des petites gens, une révolte sourde qui est près à exploser à tout moment. Il montre aussi les difficultés de la majorité de la population, à l’instar d’une vieille mère déambulant dans l’appartement de sa fille qui se prostitue, offrant un peu de réconfort à Rubèn. Tel un veilleur, Rubén observe de manière froide les vaines agitations politiques, ne pouvant que contenir son dépit, des désillusions sur un monde qui vit de compromissions. Il respecte des codes et des convenances admises de manière implicite, mais ces habitudes rassurantes finalement ne montre que la limite d’une soumission à notre société, renvoyant à nous à réfléchir lui-même sur son propre sort. Il y a dans ce film une manière assez inédite de faire coexister deux mondes, du premier plan sécurisé et en surveillance perpétuelle, et à l’arrière plan, l’exhibition manifeste des arcanes du pouvoir. De ces micros événements, il finit pourtant par naître une grande tension dramatique dans l’expression de l’indicible. A signaler la photographie magnifique signée Alvarez. On reste constamment attentif du sort de Rubèn, qui doit anticiper, toujours toute menace extérieure. De ce fait, il est pour nous une sorte de passeur, entre deux mondes. Il ne trouve d’ailleurs plus aucun réconfort dans aucun d’entre eux. « El custodio » est une proposition de cinéma admirable, annonçant la naissance d’un grand cinéaste, qui en partant d’un état des lieux de la vie en Argentine, finit par toucher à des thèmes universels sur la condition humaine et nous livre mine de rien à notre propre reflet.