Skip to main content

LA RAISON DU FAIBLE

Avant-première mercredi 12 juillet à l’UGC-Cité-Ciné Bordeaux du film « La raison du plus faible » en présence de Lucas Belvaux. Grand bonheur, car j’avais un excellent souvenir suite à sa rencontre, avec la présentation d’un de ses films de sa trilogie, « Cavale » en 2002. L’homme est disert, il évoque son travail avec modestie et ferveur. On attendait beaucoup de son dernier film, présenté en compétition à Cannes, d’autant plus qu’il avait mis la barre très haute, après la superbe réussite de ces trois derniers films « Un couple épatant », « Cavale », « Après la vie », ces trois films formant un ensemble cohérent, singulier, maîtrisé et montrant l’exigence aboutie de son réalisateur. La vision de son téléfilm sur France 3 « Nature contre Nature », nous confirmait à nouveau son grand talent de son metteur en scène depuis l’épatant « Parfois trop d’amour » réalisé en 1991. Pour la petite histoire cette oeuvre, diffusé le 3 juin dernie, l’a été deux après la Belgique, en fait France 3 attend, précisait Belvaux, les dernières limites de contrat de diffusion pour diffuser certains films. C’est une brillante comédie utopiste, où Lucas Belvaux jouait un psychanalyste s’installant dans un coin désert de la Creuse, finissant par se faire payer… en dindons et en denrées agricoles. Il s’attaque ici au fondamentaux du film noir, en se présentant comme porte-voix de ceux qui n’ont jamais la parole.  Bien dans la tradition d’un Jules Dassin ou d’un Abraham Polonsky, le réalisateur montre, en utilisant ce genre avec réalisme, un constat social, un peu amer, d’un petit groupe de personnes qui vivent à Liège. Ils sont résignés comme Jean-Pierre, paralysé sans être aigri – le Belge Patrick Descamps déjà vu dans la trilogie à l’étonnante présence, son compatriote Robert – Claude Semal, acteur belge également franc-tireur qui a une importante carrière au théâtre, également très probant -, et Patrick – Éric Cavaca discret et toujours aussi excellent -, qui n’arrive pas à trouver un emploi alors qu’il est bardé de diplômes. Tous les trois, sans emplois subsistent tant bien que mal trouvant des petits moments de joie dans un café, en jouant aux cartes avec un barfly local – truculent Théo Hebrans, qui ne joue au théâtre qu’en langue wallone, et qui campe un personnage très original, clope au bec, alors que l’acteur se savait ni jouer aux cartes et de plus n’avait jamais fumé. Patrick a une femme charmante, Carole qui s’échine dans une blanchisserie. Ils ont un enfant, et le simple fait de la grande difficulté d’acheter une mobylette, pour qu’elle ne perde pas des heures à se rendre à se travail, finit par être le catalyseur de la suite du film. Arrive Marc qui sort de prison pour braquage, il tente une approche avec ce petit groupe, et de se faire accepter pour trouver une chaleur dans cette petite communauté. Un policier jovial mais pas très fin – quoi qu’excellent professionnel… – le suit régulièrement car il est assigné à résidence, et ne cesse de lui rappeler avec une bonhomie un peu roublarde, qu’il n’y a pas de réhabilitation possible. Marc travaille dure dans une usine d’embouteillage. Lui qui a avoué ses méfaits au petit groupe, finit par donner de mauvaises idées à ces gens perdus, mais qui veulent garder une dignité, et lutter contre une résignation très prévisible. Son personnage se veut responsable, à l’image de la scène remarquable et d’une très grande force, où il dissuade le personnage de Claude Semal, en lui demandant de fermer les yeux.

Éric Caravaca, Claude Semal, Elie Belvaux, Patrick Descamps & Lucas Belvaux 

On retrouve la maîtrise habituelle de Lucas Belvaux, metteur en scène, il mélange tension dramatique et humour – les amis ont un côté « Pieds Nickelés ». L’interprétation est véritablement exceptionnelle, au service d’un texte particulièrement ciselé. Tous les personnages ont une grande noblesse dans leurs malheurs. Ils sont solidaires, à l’exemple de Robert amenant sur son dos, Jean-Pierre coincé régulièrement dans son appartement par l’habituelle panne d’ascenseur dans un lieu pourtant réservé aux handicapés, mais qui est évidemment oublié de tous. Belvaux lutte contre l’idée que certains mal aimés de la sociétés profiteraient du système et seraient assistés, raisonnement que l’on entend de plus en plus. Ils veulent s’en sortir, à l’image de Patrick, qui passe son temps dans son jardin d’ouvrier, parcelle allouée par la ville. Il ne comprend pas dans son comportement un peu machiste, hérité de son entourage, alors que le père de Carole offre à sa fille une mobylette, que sa femme ne comprenne pas qu’il se sente humilié par cette offre pourtant providentielle pour la jeune femme. Avec réalisme et chaleurs, les personnages sont décris avec chaleur. On ressent une grande empathie avec eux, et on finit par s’inquiéter quand ils ont certains desseins pour tirer un avantage d’un ferrailleur margoulin – Gilbert Melki, qui quasiment sans dialogues, tire son épingle du jeu dans cette participation amicale, dans un rôle particulièrement inquiétant -. Le film est profondément honnête avec des agissements qui ne peuvent qu’amener qu’à souffrir d’une réalité inéducable. Lucas Belvaux filme admirablement – c’est suffisamment rare pour le signaler -, le monde du travail à l’instar de son personnage qui travaille à la chaîne dans le conditionnement de bouteilles, ou avec le personnage de Natacha Régnier. Il montre la dureté absolue de ces automatismes – il a en fait filmé ces scènes en intégrant réellement le cadre du travail -. Il montre le drame que constituer un désœuvrement sans l’aide du « Tripalium », et comment le travail donne même dans sa difficulté, une assise dans l’existence. Liège est admirablement filmé, notamment dans les dernières scènes, il montre l’évolution de la société de manière engagée, il oppose l’harmonie née d’une entraide face à un mode de plus en plus brutal. Le débat d’après film était passionnant, Lucas Belvaux parlant magnifiquement de son travail. C’était curieux de reprendre une conversation avec lui, par sa grande disponibilité, et d’évoquer ces choix citoyens – rappelons que le film est produit par Agat Films, société de production de Robert Guédiguian – et artistiques, la compétition du film à Cannes, en mai dernier, mais aussi son tournage dans « Joyeux Noël » où il disait avoir compris ce que pouvait ressentir les poilus de la guerre de 14. Il continue une œuvre très cohérente et très forte avec ce film, une des grandes surprises de cette année. Le film est très riche, en situations, analyses et émotions, à conseiller vivement…

CHANGEMENT D’ADRESSE

On reprend ! Face à l’overdose de comédies françaises ces derniers temps, c’est un grand plaisir de retrouver un ton particulier, celui du cinéma d’Emmanuel Mouret, présent le 14 juin à l’avant-première de son film « Changement d’adresse » à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux. C’est un rire intelligent comme le disait Pierrot dans son blog. Présenté avec succès à la quinzaine des Réalisateurs à Cannes, ce film confirme l’originalité du travail d’Emmanuel Mouret après « Laissons Lucie Faire » et « Vénus et Fleur ». Paul – Emmanuel Mouret en personne – est un musicien provincial timide, il emménage par le hasard d’une rencontre avec la volubile Anne – Frédérique Bel -, histoire de partager les frais au vu des difficultés croissantes pour se loger à Paris et dont il devient le confident. Il tombe amoureux d’une de ses élèves, la discrète Julia, après avoir répondu à la demande de sa mère – petite participation d’Ariane Ascaride, en grande bourgeoise -. Il finit par la séduire, avant que n’intervienne Julien, homme d’affaires qui promène une certaine assurance.  La distribution est atypique et très inventive. Frédérique Bel dans un flot verbal qui serait loin d’être indigne d’un  est étonnante à des années lumière de son personnage de « La minute blonde » – un des rares exemples de drôlerie dans un Canal + sinistré -, elle se retrouvait évidemment ric Rohmer, il faut la voir « attaquer » une bouteille. Souvent cantonnée à des rôles de blondes nunuches à l’image de son désolant personnage dans le très surfait « Camping », ou son rôle de Miss France, limite figuration intelligente, dans « Un ticket dans l’espace », plus inventif que le précédent, elle prouve ici son grand talent. Fanny Valette, rivalise avec elle de charme, en jeune femme un peu renfermée, qui se cherche un peu, performance d’autant plus louable que son personnage est assez mutique au début du film, elle confirme après « La petite Jérusalem » ses capacités d’actrices, montrant les contradictions de son personnage entre maladresses et incertitudes, elle habite le film avec une très belle présence. Autre bonne surprise, c’est de retrouver Dany Brillant, séducteur frondeur qui se révèle très convaincant comme comédien après quelques apparitions sur le grand écran. Le réalisateur a eu l’idée de le choisir en le voyant dans la retransmission TV de l’élection de Miss France ! – encore elle… -.


Dans le rôle de Paul, entre tempérament fleur bleue et désenchantement, Mouret a trouvé une manière habile et décalée de camper son personnage, une silhouette, une manière de jouer avec ses vêtements. Il joue adroitement des situations, mémorable scène où il paye dans un café avec de la petite monnaie, scène digne d’un burlesque muet américain, et les mots, à l’exemple de son instrument Il un sens particulier des lieux, retrace les incertitudes de ses personnages, les hésitations et les difficultés avec la vie, le cor idéal pour quelqu’un qui trouve son corps encombrant, ce n’est jamais gratuit. On s’attache à son personnage et on a même envie de le « secouer » quand il s’efface derrière son rival amoureux. Quand j’ai évoqué le souvenir de la présence de François Truffaut comme comédien de ses films, il m’a rappelé son aphorisme, jouer dans son film, c’est la même chose que d’écrire une lettre à la main, contre taper un texte à machine si on utilise un comédien. Son jeu parfois irritant dénote pourtant d’un univers poétique. La mise en scène, bien que peu spectaculaire, est très élaborée, de la manière de mettre en valeur les hésitations et les échanges des personnages dans ce marivaudage léger. C’est amusant d’écouter les commentaires d’Emmanuel Mouret après le film, jouant de modestie, de ses origines marseillaises, avec une bonne dose d’autodérision. Il provoquait même des réactions singulières des spectateurs. Le retrouver, c’était une manière finalement de rencontrer son personnage de Paul comme tombé du film. En prenant connaissance du faible temps entre l’écriture, le tournage en début d’année et la post-production, on ne peut être qu’admiratif du résultat final. Une bouffée d’air frais fantaisiste dans le tout venant de la comédie à la franchouille, que l’on finit par ne plus trop supporter même quand on est comme moi, plutôt grand public.

AVRIL

   Avant-première, ce jeudi 1 Juin, à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux d’ « Avril » premier long-métrage du réalisateur Gérald Hustache-Mathieu, en sa présence, et celles de Sophie Quinton, Clément Sibony et de la productrice Isabelle Madelaine. Le film est une bouffée d’air frais dans le tout venant du cinéma français. Avril est une jeune novice, qui s’apprête à prononcer ses vœux dans un austère couvent. Enfant trouvée, elle avait été confiée à une petite communauté rigoriste de religieuses. Sœur Dominique – Miou-Miou remarquable, quittant une résignation subir pour se rebeller sans heurts – qui a remarqué son talent de peintre. Avril dessine dans des missels, elle blanchit les pages avant d’y faire de petits tableaux. Elle n’a connu que ce mode monacal, quasi carcéral, dominée par la personnalité de Mère Marie-Joseph. C’est l’étonnante Geneviève Casile, qui dès son premier plan où elle rattache ses cheveux, campe habilement son personnage. C’est un, mélange d’autorité, aigreur, et autoritarisme. Le petit monde du couvent semble hors du temps, malgré l’égide de son austère mère supérieure. Elles sont toutes solidaires et humaines comme Sœur Céleste, attachante vieille religieuse – Monique Mélinand faisant preuve d’émotion et d’intelligence, son réalisateur l’avait remarquée dans « Le coup de la girafe » -.  Avril doit subir un isolement de quinze jours dans une petite chapelle frigorifiante, avant de devenir « ad vitam eternam » religieuse. Sœur Dominique qui instille quelques idées de liberté – à l’image de la fleur « qui ne connaît que son verre d’eau ». Elle a une grande révélation à faire à Avril, avant qu’elle ne fasse son choix… Filmé avec un aplomb et une sensibilité rares dans notre joyeux cinéma hexagonal, plus prompt au formatage ces derniers temps que de faire preuve d’une véritable invention. Son réalisateur Gérald Hustache-Mathieu s’impose dès les premiers plans. J’avais le souvenir d’un ton original dans son court-métrage « Peau de vache », sans avoir vu son autre court « La chatte andalouse », tous deux avec Sophie Quinton récompensée à Clermont-Ferrand, avec un prix d’interprétation pour ce dernier. Elle est pour son auteur une muse, elle ici toujours aussi remarquables après ses prestations ténues dans « La nourrice » ou « Qui a tué Bambi », ou « Poids léger » où elle était la sœur de Nicolas Duvauchelle. On devrait d’ailleurs la retrouver en prostituée dans le prochain film de son réalisateur qui déclare vouloir jouer avec d’autres clichés. Avril va vouloir sortir de son couvent suite à la révélation de son aînée, sans vouloir trop déflorer l’histoire – l’avantage de voir le film en avant-première, car la bande-annonce dévoile beaucoup de l’intrigue -.

Sophie Quiton

Elle va rencontrer un jeune marchand de couleurs itinérant, affable et débrouillard – Nicolas Duvauchelle, avec un personnage plus serein qu’à l’accoutumé mais toujours aussi convaincant -, elle part en Carmargue, à la recherche de son frère jumeau, abandonné en même temps qu’elle. C’est Clément Sibony qui joue ce rôle – curiosité il est né le même jour que Sophie Quinton en juin 1976 -, toujours prompt à jouer avec son image – il était étonnant dans le téléfilm de Serge Moati, vu il y a peu sur Arte « Capitaine des ténèbres », en révolte contre Manuel Blanc. Il vit une aventure homosexuelle décomplexée avec le dynamique Jim, ludion dont la bonne humeur est communicative – Richaud Valls, vu dans quelques rôles ombrageux qui se révèle ici très étonnant, il est selon son réalisateur aussi vif que son personnage. Avril apprend à découvrir le monde, à la manière de petits pas de bébé, même si elle confit que tout va un peu trop vite pour elle… Le réalisateur capte la sensualité de ses personnages, et avec beaucoup de subtilité, montre la découverte d’Avril avec son corps avec beaucoup de finesses, à la découverte du sable, de la vivacité de l’océan – il y a des scènes vraiment magnifiques -. Le film mêle poésie – l’idée inversée de « Fellini Roma » de tableaux qui réapparaissent, beauté picturale – il y a un hommage au peintre Yves Klein avec son tableau « Anthropométrie » -, cocasserie – incroyable Claude Duty en jésuite décalé, que Gérald Hustache-Mathieu avait rencontré lors d’un festival -, ou l’histoire du chien qui conduit – je vous en laisse la surprise -.  Le film a une très grande force et cohérence, tout en jouant avec les conventions. Les spectateurs restés après débat ont constaté la grande émotion de son réalisateur, ayant une attention pour chacun et une grande ferveur à défendre son film. On ne peut que saluer l’acuité de ses choix, et du travail sur les sensations, les sons, les voix ou les lieux, où le petit jeu pour mélanger les époques – on met un peu de temps avant de savoir quand se passe l’action -. Pris par la flamme de son personnage, je n’ai donc pas eu le loisir de discuter avec Sophie Quinton, un peu fatiguée car enceinte, ou Clément Sibony pourtant tous très disponibles. La rencontre avec son metteur en scène qui ressemble à son film, complétait  un excellent visionnage. Proposé en contre-programmation contre l’overdose footesque de ce mois, la productrice énergique veut privilégier les spectatrices,. Laissez vous tenter par ce film original, il vaut que l’on prenne la peine d’entrer dans un univers attachant. Sortie prochaine le 14 juin.

QUATRE ÉTOILES

Je lambine, je lambine… Vu en avant-première il y a un mois environ à l’UGC-Cité ciné Bordeaux « Quatre étoiles », en présence de son réalisateur Christian Vincent, José Garcia et Isabelle Carré. Christian Vincent est un habile metteur en scène, toujours soucieux de retrouver un contexte social, son dernier film sur les familles recomposées « Les enfants » a même lancé une mode sur ce sujet. On l’associe souvent au Nord ou à l’intime, on ne peut que louer sa manière de faire un film contre le précédent. Une vieille dame à l’agonie – Renée Le Calm épatante – peste contre tout le monde à la lecture de son testament devant son notaire. C’est France dite Franssou – Isabelle Carré, rousse en hommage à Shirley MacLaine, absolument radieuse – qui va hériter de 50 000 euros. Elle décide de les dilapider sur la « Côte d’Azur », trouvant que la somme n’est pas suffisamment importante. Elle quitte donc son ami Marc, un peu lourdaud – Michel Vuillermoz, un comédien que l’on a toujours plaisir à retrouver, excellent en raconteur de blagues stupides -. Franssou tombe sur un aigrefin aux abois, nomme Stéphane La Chesnaye – hommage à « La règle du jeu » -. Il est prêt à tout pour acquitter une dette de jeu – saluons Luis Rego en messager circonspect -, sans faire trop de vague, la « Côte d’Azur » étant un peu trop petite comme terrain de chasse. Franssou, qui se révèle une charmante roublardise, s’amuse avec lui, c’est un escroc hâbleur, séduisant et convaincant, le genre avec lequel vous êtes « cuits » s’il pose la main sur vous – Costa-Gavras comparait José Garcia à Jack Lemmon dans le « Couperet » avec lequel il a travaillé, on peut en faire de même avec celui des comédies de Billy Wilder, son rythme dans la comédie est fascinant. Ils ont un rapport chien et chat, et elle rencontre sa prochaine victime à l’escroquerie un ex-pilote de courses. Christian Vincent en tournant au « Carlton » lieu qui réveille bien des souvenirs cinéphiliques – impossible de ne pas penser à « La main au collet » d’Hitchcock. On n’est pas loin de la « screwball comedy », l’ami Pierrot/Orloff cite d’ailleurs dans sa critique et avec justesse le formidable « Haute Pègre » de Lubitsch – référence assumée par Vincent -, notamment. Le scénario est vivant, intelligent, très bien écrit par Olivier Dazat – l’étude sur les tics de langages, par exemple -.

Tout ici est soigné, de l’image, la musique et le mécanisme d’horlogerie d’un Jean-Paul Rappeneau – cinéaste que j’aime beaucoup -. Aux côtés de ce couple épatant, on retrouve un François Cluzet en grande forme, en champion de courses automobile esseulé et maladroit, cherchant des mots… qu’il ne connaît pas. Christian Vincent avait eu déjà un projet non abouti avec Cluzet, il lui donne l’occasion de montrer son grand registre – son personnage passe par plusieurs étables -. Il y est parfaitement réjouissant, il faut le voir évaluer la place où ranger ses rolls dans le garage que lui fait  visiter José Garcia, c’est un grand moment de burlesque, pour passer avec habileté du ridicule au touchant, il est définitivement un de nos plus grands comédiens. Le tandem Carré-Garcia fonctionne parfaitement dans un ton vachard, pas aimable, et ils font naître une tension érotique. Le reste de la distribution est formidable – outre ceux cités précédemment -, notamment Jean-Paul Bonnaire et sa scène de tourteau – je vais lui rendre hommage très bientôt -, Guilaine Londez et Mar Sodupe en bonnes copines, ou Philippe Manesse échappé du café de la gare assez inquiétant. Hautement appréciable en ces périodes de comédies formatées signées – Francis Veber, Lisa Azuelos -, voire fumistes – la liste est trop fastidieuse -. La soirée d’après film était excellente, de l’évocation de la rencontre José Garcia-Isabelle Carré – deux petits rôles dans un ascenseur dans « Romuald et Juliette » et de leurs retrouvailles dans « La mort du chinois », de l’évolution du jeu d’Isabelle Carré, par Christian Vincent, avec lequel elle avait travaillé sur « Beau fixe » – il la voyait comme la plus sérieuse du groupe, un vrai petit soldat. C’était un régal de les complimenter personnellement ensuite, Isabelle Carré charmante et réservée qui dit recevoir vos compliments comme des vitamines, José Garcia parlant formidablement de son travail, et la cinéphilie de Christian Vincent. Un régal. Tant mieux car en ce moment on risque l’overdose de comédies.

LES AIGUILLES ROUGES

   Avant-première du film « Les aiguilles rouges » à l’UGC Cité-Ciné, en présence de son metteur en scène, Jean-François Davy, Jules Sitruk, Damien Jouillerot, Jonathan Demurger et Pierre Derenne. Le film vient de sortir ce mercredi. Il était intéressant de rencontrer son réalisateur après débat, enthousiaste,  qui a beaucoup de projets après son retour à la réalisation – son dernier film « traditionnel » est « Ca va faire mal » une comédie de 1982. Il  a un parcours atypique dans le cinéma français, répondant à des commandes plutôt que de rester sans projets. On luit doit un drame, son premier film « L’attentat » (1966)  sur un jeune homme fasciné sur les attentats de l’O.A.S. inédit, mais que l’on peut voir en DVD pour un prix dérisoire chez Cdiscount, une des rares réussites dans le fantastique français « Le seuil du vide » (1971), une comédie nonsensique écrite avec Jean-Claude Carrière « Chaussette-suprise » (1978) – avec déjà Rufus, Bernadette Lafont et Bernard Haller -et bien sûr des films érotiques, il vient de terminé un coffret DVD le 21/06/2006 riche en bonus, avec au programme des films : « Exhibition 1 et 2 », « Exhibition »,  « Plainte contre X »,  « Prostitution » + « Change pas de main » de Paul Vecchiali, « Exhibition » étant à la base un documentaire sur le tournage de ce dernier. Producteur avisé – les films de Jean-Daniel Pollet notamment, il était également responsable de l’admirable collection vidéo « Les films de ma vie ». Ce film-ci, tourné en 2005, aurait pût être son premier film, c’est un projet de longue date. Il retrace sa propre histoire – Le jeune comédien Jonathan Demurger – assez falot d’ailleurs – joue son rôle. Il se replonge dans les années 60, racontant un petit groupe de scouts égarés dans une montagne des Alpes – les images sont admirables – après avoir suivi un ordre imbécile du chef des scouts. « Les aiguilles rouges », sont celles qui servent à crever les ampoules de nos jeunes marcheurs.

Jean-François Davy

Le film par sa sincérité arrive à nous tenir en haleine sans ambages, recréant parfaitement des petites rivalités entre le groupe, une tension et une cruauté assez sourde. La guerre d’Algérie, est très présente en toile de fond, par les personnages des grands frères – celui du personnage de Damien Jouillerot -. Jean-François Davy a soudé le petite équipe par des répétitions, les jeunes comédiens sont très justes, mention spéciale à Damien Jouillerot – très à l’aise dans un nouveau registre celui de la colère – et Jules Sitruk – le rôle a été réécrit sur mesure pour coller à sa personnalité, subtil en lecteur assidu, un peu en retrait dans le groupe et craignant de devoir quitter son pays natal l’Algérie. L’évocation de la montage est habile, c’est lieu hostile et propre aux légendes – évocation des « dahus » -, on ressent bien l’hostilité de ces lieux si on part à l’aventure. Il y a quelques maladresses, inhérentes au fait que c’était un ancien projet, Jean-François Davy l’a produit lui même, et il devait s’imposer après presque 25 ans d’absence, un projet très personnel de longue date a parfois du mal à trouver son rythme lors de sa réalisation.  Le réalisateur a d’ailleurs retrouvé à Bordeaux, celle a qui il écrivait – les belles lettres finales sont de cette femme -, ce qui était un beau moment d’émotion. Le défilé d’acteurs confirmés – Richard Berry, Patrick Bouchitey…, seul Rufus a un rôle important en montagnard aguerri -, est plus une contribution à aider ce projets, mais il apporte peu finalement même si on a droit à la belle gouaille de Bernadette Lafont en infirmière revêche et un beau moment d’émotion de la part de Bernard Haller en grand-père de Jouillerot. Ce film d’initiation mérite que l’on s’y arrête, même s’il souffre de passer après plusieurs films sur ce sujet comme « Malabar princesse ». Jean-François Davy passionnant à écouter  – je me suis régalé à entendre son évocation du comédien Claude Melki – déborde désormais de projet, une comédie comme réalisateur – un quadragénaire voit sa compagne le quitter pour sa fille ! – et producteur « L’affaire Outeau » avec au commande Yves Boisset. Souhaitons lui bon vent !

ARTICLE : LIBÉRATION (mercredi 10 mai 2006)

Mes dates clés par Jean-François DAVY

« 1957. A 12 ans, en vue d’écrire un article de Jeunes années magazine, je me passionne pour la photographie. Techniques, chimie, tirages, je connais tout. Cela me conduit vers le cinéma, où je vois tout, sans aucun sens critique: péplums, films d’aventure, d’amour, westerns. Je rencontre Christine pour une grande amitié amoureuse épistolaire. Un baiser sur la joue dit la pureté de nos sensations érotiques. Sentiment de vivre les plus grands moments de bonheur de ma vie.

1959. En voyant les Quatre Cents Coups, premier flirt au cinéma, premier baiser sur la bouche. Je décide d’être réalisateur de films.

1960. Avec ma patrouille de scouts, nous nous perdons plusieurs jours dans le Brévent, au-dessus de Chamonix. Angoisse, danger, cela a failli très mal tourner. C’est le sujet des Aiguilles rouges, et l’occasion d’acquérir un sens des responsabilités: savoir ne pas dire oui systématiquement. En revenant, avec mes copains scouts, je tourne mon premier film en 8 mm, un polar inspiré par Maigret et Tintin, Vernay et l’affaire Vanderghen.

1966. Premier long métrage, l’Attentat. J’en épouse la comédienne principale, Dominique Erlanger.

1972. Le film de vampires que je devais tourner tombe à l’eau. Avec la même équipe d’acteurs et de techniciens, je tourne quinze jours plus tard Bananes mécaniques, une comédie paillarde, croisant deux genres à la mode: l’érotisme et les films des Charlots. Un million d’entrées. Score qu’égaleront les deux suites que je réalise: Prenez la queue comme tout le monde et Q.

1975. Exhibition, tourné en parallèle au film de Paul Vecchiali, Change pas de main, est présenté à Cannes. Il sera successivement classé Art et Essai, classé X, déclassé Art et Essai, déclassé X, reclassé Art et Essai. 3,5 millions d’entrées. En 1984, Exhibition est le premier porno programmé sur Canal +, diffusion autorisée par Mitterrand lors d’une partie de golf avec Rousselet.

1981. Jack Lang, ministre de la Culture, se livre à une chasse aux sorcières dans le milieu du cinéma porno français.

1982. Ça va faire mal, avec Ceccaldi, Menez, Guybet: un échec qui me met sur la paille.

1983. Je fabrique et j’édite ma première cassette vidéo, pour une collection de films X sous le label Prestige. J’initie en France la vente au public par correspondance, court-circuitant les vidéoclubs. Ça a marché tout de suite, et très fort: début de l’aventure de ma société Fil à Film, qui me propulse à la tête de 300 salariés.

1989. Année culminante de mon activité d’éditeur vidéo avec le lancement de la collection Les Films de ma vie et les oeuvres de Truffaut, Tati, Chaplin, Bergman, Godard, Rohmer. J’ai le sentiment que je ne pourrai plus faire mieux: il faut changer de métier.

1994. Au cours d’une randonnée en montagne, j’acquiers la conviction que je dois réaliser un film à partir de mon aventure adolescente. J’écris le scénario des Aiguilles rouges. Toutes les portes se ferment quand je veux le financer, l’Avance sur recettes, les télévisions, le CNC. Mais je rencontre Sophie, dont je tombe instantanément amoureux et que j’épouse peu après.

1998. Naissance d’Antoine et réalisation d’un rêve: acheter un appartement à Paris donnant sur la Seine.

2003. Je décide de financer les Aiguilles rouges tout seul, en prenant tous les risques et grâce au développement du DVD. Si je ne fais pas ça à 60 ans, je ne le ferais jamais.

2005. Tournage des Aiguilles rouges: mon vrai premier film? Réconciliation avec mes ambitions d’enfant.

A venir. Mon livre de souvenirs s’appellera le Cul entre deux chaises, titre qui résume mon existence, entre le film d’auteur et le cul commercial. J’éprouve un plaisir assez jubilatoire à ce que mes films soient reconnus par le regard cinéphile d’aujourd’hui. « 

LES BRIGADES DU TIGRE

   Avant-première des « Brigades du tigre » à l’UGC Cité-Ciné, le mardi 21 mars, en présence de Léa Drucker, Clovis Cornillac, Stefano Accorsi et son cinéaste Jérôme Cornuau. Le thème célèbre de Claude Bolling repris de la série originelle, et Gérard Jugnot  – très peu présent ici finalement – reprenant le rôle de François Maistre de « Faivre », dans le genre autoritaire, on est en terrain connu et il faut bien le dire ce film est une belle surprise. Pourtant l’annonce du tournage de ce film à la distribution évolutive, pouvait nous laisser de marbre, échaudés que nous étions par quelques adaptations de séries TV très populaires, flirtant avec l’accablant, signées Salomé, Pirès, Pitof ou encore Salomé – qui récidive en plus l’effronté ! -, avec des créatures voleuses d’âmes et consorts. L’annonce du nom de Cornuau à la réalisation n’engageait pas vraiment, ayant réalisé « Bouge ! » et « Folle d’elle » avec en vedette Ophélie Winter, mais c’était oublier qu’il avait signé pour la télé « Dissonance » et « Les jumeaux oubliés », qui jouissent d’une très bonne réputation. Le filon un peu épuisé des grands sujets populaires largement dévoyés, pour surtout rien en faire, ce film est une sorte de tournant, enfin on retrouve un divertissement de qualité. Les partis pris de mise en scène sont ici plus que probants, s’adaptant à chaque personnage. La série initiale, écrite par Claude Desailly et filmé avec ingéniosité par Victor Vicas, de 1974 à 1983, est agréable à voir, l’idée de la création des « brigades mobiles », inventées par Georges Clémenceau, pour lutter contre la criminalité moderne en 1907 – amusante réflexion de Guy Carlier, hier soir dans « On ne peut pas plaire à tout le monde », qui évoquait le Steevy Boulay de « On a tout essayé », qui avait demandé sans rire, si ce Clémenceau là avait un rapport avec le porte-avions !-. Mais il faut bien le dire, que malgré la complicité évidente de Jean-Paul Tribout, Jean-Claude Bouillon et Pierre Maguelon, ça a tout de même pas mal vieilli, à noter que François Maistre confiait dans le DVD de la dramatique « Nostradamus ou le prophète en son pays », détester cette série qu’il trouvait trop pro-policière. Le scénario de deux auteurs de bande-dessinée, Xavier et Fabien Nury est réaliste et d’une tonalité assez noire  mêlant, « Triple entente » « La bande à Bonnot » et « Les emprunts russes », les intrigues sont d’une complexité assez rare dans notre cinéma actuel, et livre une réflexion salutaire sur une société de compromissions d’une triste intemporalité… La reconstitution est habile, la mise en scène efficace, on rêve d’une adaptation du « Fantômas » de Souvestre et Allain sur ce modèle.  

Edouard Baer, Clovis Cornillac & Olivier Gourmet

Nos mobilards sont ici campés par Clovis Cornillac, idéal pour incarner probité et autorité en commissaire Valentin, Edouard Baer dans un rôle d’une forte noirceur, à des années-lumière du hâbleur du Pujol de la série, il a vraiment comme il le dit souvent en promotion, a joué la carte Lupin version Leblanc, avec brio, et Olivier Gourmet – même si son accent est un peu forcé, mais longue est la liste des ratages dans ce domaine, on se souvient de Pierre Fresnay dans la trilogie de Marcel Pagnol, est un Marcel Terrasson épatant, il joue avec beaucoup d’humanité ce « Colosse de Rodez ». Stefano Accorsi – choisi pour cause de co-prod -, les accompagnent. Le reste de la distribution est vraiment étonnante pour ce type de film et dénote d’une grande inventivité, de Thierry Frémont impressionnant terroriste slave, Jacques Gamblin, saisissant et complexe dans le rôle de l’anarchiste Jules Bonnot, Diane Kruger en amoureuse hitchockienne, le toujours formidable Didier Flamand en préfet de police retord, le trop rare André Marcon, en Jean Jaurés, Agnès Soral en secrétaire dévouée, Eric Prat en Bertillon facétieux, Philippe Duquesne dans un étonnant contre-emploi, Mathias Mlekuz en officiel goguenard, sans oublier Léa Drucker, mais j’y reviendrai spécialement dans la rubrique « Fragments d’un dictionnaire amoureux », car elle mérite un salut particulier. Outre une belle rencontre avec cette dernière, les spectateurs ont vérifié ici la grande modestie et la gentillesse de Clovis Cornillac. Très lucide sur l’engouement à son sujet, je saluais ses choix de passer d’un téléfilm sur Arte – « Gris blanc » de Karim Dridi, où il était étonnant dans un personnage d’ermite frustre – à des films plus populaires. Il cite souvent ses partenaires, évoque avec émotion le film de John Berry dans « Il y a maldonne » qu’il avait produit. Il répond d’ailleurs avec beaucoup de franchise, quand on lui demandait ce que pensait Jean-Claude Bouillon du film, et que le trio se sentait un peu dépossédé par cette entreprise, et Bouillon de déplorer que Valentin regarde en face son chef, où qu’une prostituée soit utilisée comme informatrice. Très honorable, le résultat final, aidé d’un budget confortable, s’avère d’une très bonne facture, à « l’ancienne », le réalisateur prépare même une version de 2h40 pour la version DVD. On veut bien regoûter à un  « Brigades du tigre 2 », dans ces conditions… Sortie ce mercredi.

JEAN-PHILIPPE

 Avant-première à l’UGC-Cité-Ciné Bordeaux du film « Jean-Philippe » en présence de Fabrice Luchini, tout épaté dite il d’être venu en jet privé pour cause d’emploi du temps surchargé. Voir Fabrice Luchini en promotion tient à la fois de la jubilation et de l’épreuve si vous avez le malheur de tenter de lui poser une question. Je me souviens de sa présentation de « Rien sur Robert » dans ce même cinéma. La femme qui partageait ma vie alors, n’avait pas pour vertu première l’exactitude. Il y avait deux salles remplies, elle finit par me retrouver et en voulant me rejoindre et passe allégrement devant le sieur Luchini, sans le voir, qui s’apprêtait de faire son entrée. Coupé dans son élan, il fallait voir son air proche de la poule découvrant un fer à repasser. Résultat il avait un peu perdu le fil, il est un peu resté interdit, avec de fuser dans tous les sens. Ce jeudi soir après une entrée triomphale, il nous livre son numéro survolté et ingérable habituel, chante avec un fan de Johnny à la voix rauque, qui l’appelle « M. Prechini » !, et répond comme il souhaite aux questions des spectateurs, évitant consciencieusement de parler de lui. J’en ai d’ailleurs fait les frais, me plantant allégrement et lamentablement à la fois – il vous coupe pour interroger une autre personne en même temps. Résultat j’ai réussi à être suffisamment traumatisé pour arrêter de prendre la parole en public durant le siècle à venir. On sent bien la volonté luchinienne de tout contrôler – il insistait énormément pour que l’équipe présente passe un disque -. Il s’auto parodie un tantinet – déclarant à tout instant « c’est énôôôrme ! », et brocarde Johnny Hallyday, quand ce dernier lui parle de « ta Fontaine » en évoquant « La Fontaine », tout en le défendant contre les sarcasmes habituels – il n’est pas à une contradiction près -. Bref le numéro est rodé, plaisant, élaboré, bien que visiblement fatigué ce soir là, il s’est dépassé, nous livrant un jubilatoire numéro. On sent bien sans vouloir faire de la psychologie de comptoir, son besoin d’être aimé. Et le film alors, et bien il est à la hauteur de sa brillante idée, sur le modèle bien connu des amateurs de fantastique, l’uchronie. Si vous avez échappé à une promo intensive, c’est l’histoire de Fabrice, un cadre moyen – Luchini en fan survolté -, peu accorte avec sa secrétaire – Christine Paolini, dans la résignation -, vit une vie tranquille. Mais il a une dévotion dévorante pour Johnny Hallyday, qui est presque pour lui une raison de vivre. Il a une pièce au grenier, véritable lieu de culte dédié à son idole. Il délaisse sa femme – Guilaine Londez toujours énergique – et sa fille – Élodie Bollée punkette compréhensive -, pour cette passion.

Carlo Nell, le retour… & Fabrice Luchini

Un choc de trop un soir de cuite avec un voisin râleur et il bascule dans une dimension où Johnny n’existe pas – ni Rocky Balboa, curieux univers tout de même… -… Il part à la recherche des « Jean-Philippe Smet », le vrai nom de Johnny connu de tous, y compris ses homonymes – dont Éric Averlant amusant -, histoire de voir s’il existe toujours sans avoir connu son statut de star…Je vous laisse découvrir la suite, car il y a des trouvailles probantes, des évocations émouvante et pudique de la carrière de Johnny, et quelques cameos amusants dont un des comédiens crédités sous le nom de Bernard Frédéric au générique qui est une amusante citation d’un film récent à succès. Luchini se déchaîne comme un beau diable dans un rôle écrit sur mesure, on n’ose imaginer le film sans lui tant il porte le film. Mais la véritable surprise vient de Johnny en personne qui trouve ici son meilleur rôle finalement. En campant un Jean-Philippe Smet, propriétaire d’un bowling, qui a laissé sa place de vedette à un certain Chris Summer demeuré inconnu dans notre dimension. S’il parfois assez juste dans des rôles proche de son personnage chez Laëtitia Masson et ou chez Godard, il n’avait jusqu’ici – même chez Godard, Patrice Leconte ou Costa-Gavras – dans « Conseil de famille » où il avait déjà Luchini comme partenaire – me semble-t’il – trouvé un personnage ou il pouvait exprimer auto-dérision ou une humanité. Le duo Luchini-Hallyday, aux antipodes l’un de l’autre fonctionne parfaitement. Dans le rôle de Summer, Antoine Duléry nous livre une réjouissante composition, vedette suffisante et revancharde, il est en plus parfaitement crédible, rajoutant à son personnage une bonne dose d’humour. Si certains rôles sont assez sacrifiés – Caroline Cellier en mme Smet et Barbara Shulz n’ont pas grand chose à ce mettre sous la dent -, on s’amuse à retrouver des comédiens singuliers comme Carlo Nell – perdu de vue depuis longtemps – en pilier de bistrot barbu, François Toumarkine, l’un des chouchous de ce blog en clochard compatissant, Jackie Berroyer avec des postiches improbables est un professeur décalé, Christian Pereira en collègue goguenard. Je n’ai pas reconnu Lisa Lamétrie pourtant crédité au générique – rôle coupé au montage -. Il convient de saluer Laurent Tuel et sa mise en scène, après le singulier « Rocher d’Acapulco » et le mésestimé  » Un jeux d’enfants », il arrive à installer un climat assez angoissant et nous régaler d’un humour de qualité. La signature de « Fidélité » à la production est un réél gage de qualité encore une fois ici.

AURORE

 La position d’un spectateur est délicate quand il ne parvient pas à adhérer au propos d’un film, et que le metteur en scène, ici Nils Tavernier vient avec ferveur, un peu sur la défensive, défendre ce film, comme ce vendredi soir 24 mars à l’UGC-Cité Ciné Bordeaux. Je suis resté, hélas, à la porte de cet univers onirique, peut être déconcerté de ne pas retrouver la force du « Peau d’âne » de Jacques Demy ou celui de l’univers de Jean Cocteau. On ne peut cependant que louer la liberté de ce réalisateur, d’avoir réussi à faire ce qu’il avait voulu, ce qui risque, il en est bien conscient, de ne plus se reproduire. Le film est pourtant original, et Nils Tavernier a montré avec ses documentaires une acuité particulière au monde, une innovation constante – les images de synthèse pour « L’odyssée de la vie » (2006) sur France 2, des témoignages rejoués par des comédiens pour préserver l’intégrité d’anonymes qui parlent librement de leurs vies sexuelles – »Désir et sexualité » (2004) sur France 3. Le film vaut par la prestation de Margaux Chatelier rayonnante princesse Aurore, qui concilie grâce, dextérité – beau ballet spectaculaire sur des pointes, quand elle veut montrer son amour à un peintre – Nicolas Le Riche, excellent danseur mais piètre acteur -. La jeune danseuse était présente également ce soir là, elle est originaire de la Gironde, il fallait voir son radieux sourire, que l’on sent contenu durant tout le film. François Berléand – pressenti tout d’abord pour jouer le conseiller – donne de l’épaisseur à son personnage de roi défait et désargenté et Carole Bouquet avec son port altier nous fait croire sans difficulté qu’elle a été une brillante danseuse et digne. Thibaut de Montalembert fait par contre ce qu’il peut avec son personnage caricatural du conseiller du roi, fourbe sans panache. Mais Monique Chaumette en gardienne des souvenirs, nous ramenant à l’un des meilleurs films de Tavernier père « La passion Béatrice », est émouvante.

Carole Bouquet, Anthony Munoz & François Berléand

Les scènes de danses sont remarquables, parfois sensuelles, grâce à la chorégraphie originale de grands noms de la danse comme la mythique Carolyn Carlson, qui a adoubé le choix de Margaux Chatelier et la musique de Carolin Petit qui est remarquable. Mais le tout installe une petite distance si on n’est pas initié à cet art, il faut dire que le scénario est assez terne, malgré l’intervention de Jean Cosmos, dans ce royaume où la danse est bannie. Si à voir Nils Tavernier, on ressent sa pudeur – il chuchote volontiers les indications aux comédiens, il a un parcours d’acteur assez étonnant chez son père ou Catherine Breillat pour comprendre les comédiens -. Exigent et précis, il était un peu chagriné par les plaisanteries habituelles de François Berléand sur le tournage – arborant un panneau P.S.G. sur son dos et faisant rire la belle Margaux dans des scènes dramatiques -, le comédien a compris le climat que voulait installer le réalisateur. Il a bien sûr râlé devant l’effort des contraintes de son costume de roi – 25 kilos + 3 de couronne !  – et une chaleur accablante, mais a finit par être séduit par les scènes dansées. Tout comme un technicien, présent sur le plateau et roulant un peu les mécaniques, certaines personnes verseront une petite larme, il y avait des témoignages sensibles du public pour le confirmer. On voudrait aussi adhérer sans réserves avec le projet ouaté, risqué, naïf – sans sombrer dans la guimauve – et singulier de Nils Tavernier,  son intégrité à défendre son film, vraiment original… Mais cette tentative déçoit plus qu’elle ne séduit, c’est très dommage….

CABARET PARADIS

Avant-première hier à l’UGC Cité Ciné Bordeaux du premier film de Corinne et Gilles Benizio. Amusé par les teasers du film, où devant une caméra en morceaux, ils figurent deux apprentis réalisateurs maladroits, on attendait de voir le résultat final. Avec un peu d’appréhension cependant, car les comédiens qui ont un univers très fort sur les planches n’arrivent parfois à retranscrire leur univers au cinéma. Raymond Devos avait raté son film « La raison du plus fou » réalisé avec François Reichenbach, Fernand Raynaud a sombré dans le tout venant du nanar et Alain de la Morandais, comique bouffon onaniste n’a même pas fait de films. Hors ils signent une comédie très réussie, trouvant le moyen d’imposer une singularité immédiate. Ils reprennent les personnages biens connus de Shirley et Dino. Shirley et son cousin Dino sont des forains, et font des numéros de singe furieux qui font fuir le public. Une prénommée Maryline – Franckie Pain, actrice fétiche de Gaspar Noé et Jean-Pierre Mocky, à la personnalité fracassante – qui les emploie, chasse le couple à coup de fusil, quand ils parent pour Paris pour recevoir un héritage. Ils reçoivent d’un oncle obscur, la propriété d’un cabaret assez ringard avec un couple d’italien – dont Vittoria Scognamiglio irrésistible en tenue affriolante -, vedettes blasées. Un caïd local voisin – Riton Liebman saisissant dans un contre-emploi, il fallait oser le voir en chef de gang suffisant et violent -, flanqué de deux hommes de main frappés de stupidités – Michel Vuillermoz drôlissime et bas du front et Christian Heck survolté – réclame les dettes de jeu de l’oncle défunt. Voulant récupérer le lieu, ils vont rivaliser de duplicité violentes, font partir les Italiens, mais le couple se découvrent une passion en voulant faire vivre le lieu. Avec les employés présents, Pakita – Maaïke Jansen désopilante en dresseuses de chien alcoolique -, le barman russe – Serge Riaboukine jubilatoire s’improvisant lanceurs de couteaux -, la secrétaire dévouée – Agathe Natanson -, un trapéziste spectaculaire – Gérard Fasoli – et Gabriel, un intendant lunaire – excellente révélation mais je n’ai hélas pas retenu le rom du comédien -…ils improvisent des numéros de spectacles vivants maladroits mais singuliers qui amènent un nouveau public…

Maaïke Jansen & Serge Riaboukine

En dépit de quelques rares maladresses, le film trouve son envol, nous donnant même deux morceaux d’anthologie – la boîte et la chanson de l’infirmière -. Autour d’eux une troupe enthousiaste les accompagnent, certains étant des fidèles de leur univers ou des compagnons de longue date, et les petits nouveaux –Serge Riaboukine et Riton Liebman, citons également Ériq Ebouaney en commissaire de police – étaient ravis de cette rencontre. Ils rendent un hommage très vibrant au music-hall, soigné – Jeanne Lapoirie est à la photo -. Le plaisir a été dédoublé pour les avoirs retrouvés après le film. Un peu déboussolés de se déplacer – c’est la première semaine de promotion -, sans avoir à faire un spectacle, ils nous ont régalés d’un échange complice et narquois et de sympathiques vacheries domestiques. Ils étaient tellement volubiles qu’un intervenant a déclaré « J’en ai oublié ma question, ça fait dix minutes que j’attends ! ». Leur film a été réfléchi et construit, ils citaient en exemple « Le pigeon » mythique film de Mario Monicelli décortiqué sur la forme. Car ce sont de grands cinéphiles, ils citent volontiers Laurel & Hardy, Jacques Tati, Pierre Étaix, Franck Capra et grand Totò – dont Gilles Benizio connaît tous les films par un ami italien -. Intarissable, lucides et amoureux, et qui ont comme Albert Dupontel une énorme générosité pour le public, ils nous prouvent que la comédie française est probante quand on sort du produit manufacturé ou de consommation – inutile de redéfinir le niveau actuel -. Rendez-vous à partir du 12 avril prochain.

ENFERMÉS DEHORS

 Avant-première hier soir à l’UGC Cité-Ciné du dernier film d’Albert Dupontel – enfin depuis « Le créateur » qui n’avait hélas pas rencontré son public -. Temps de chien, tout le monde arrive trempé mais impatient. Et l’on entend des tambourinements violent contre une porte suivis d’un couinement charmant et des cris vindicatifs. Tiens l’artiste inaugure une nouvelle manière de présentation ? non c’est un spectateur joyeusement ivre, mais pas encore dans le coma, qui s’était retrouvé … »enfermé dehors » pour avoir voulu griller une cigarette. La réalité dépassant « l’affliction » ce forcené bavard a manifesté sa présence d’une sonorité allumée, comme tombé du film… En discutant avec une des charmantes employées du lieu qui avait accompagné Albert Dupontel, elle me confit la passion qui caractérise le personnage, son énergie, sa volonté de rencontrer le public ce qui augurait déjà une excellente soirée, ponctuée par les délires de l’autre énervé qui très inspiré surchargeait allégrement la bande-son avec l’aide de sa compagne dans le même ton, histoire de ne pas rompre l’harmonie du grotesque de l’ensemble. Moins désabusé que ces deux derniers films dont le cultissime « Bernie », Albert Dupontel fait un constat de notre société avant de faire voler en éclats les conventions. Un clochard qui trouve un costume d’un gardien de la paix  qui s’est suicidé nu dans la nuit. Le sans-abri Roland, – euphémisme d’usage – pense simplement rendre le costume à l’entrée d’un bureau moderne. Il est évidemment chassé par un malpropre, et finit dans une ellipse par enfiler le costume. Suit un grand moment burlesque où sa démarche change avec cet habit qui fait le moine, quand d’hésitant, il finit par acquérir une certaine autorité. De sa morne vie que n’égayent que quelques tubes de colles sniffées qui lui fait voir la vie en rose, Roland s’improvise redresseur de tord, tombe amoureux de Marie – Claude Perron formidable,  ancienne actrice de X qui travaille dans son sex-shop et qui veut récupérer la garde de sa petite fille prénommé coquelicot. Cette dernière est retenue par ses beaux-parents thénardien qui en ont la garde – Roland Bertin et Hélène Vincent malmenés avec bonheur -, mais la jeune mère trouve pourtant de l’extérieur  des berceuses rock’n’roll pour sa fille qu’elle ne peut rejoindre. L’esprit un tantinet confus de Roland, suite aux divagations rances d’un policier qui soliloque – Serge Riaboukine étonnant – fait un amalgame entre le désarroi de Marie et les invectives contre un PDG véreux – Nicolas Marié qui déclare  Roland (de mémoire) « Ce sont des gens comme moi qui ont inventé l’amour à des gens comme vous pour qu’ils se tiennent tranquilles » -. Le personnage puissant finit cependant par retrouver une dignité dans le déboulonnage…. La folie finit par atteindre toutes les couches de la société, d’une cours des miracles composée d’une humanité meurtrie et dominée par une Yolande Moreau d’anthologie et le petit monde des financiers. Il ne faut pas trop dévoiler de ce film riche en trouvailles, nous redonnant des émotions enfantines d’une montagne russe d’une foire hétéroclite et une rage salvatrice de notre société.

Albert Dupontel & Claude Perron

Sans être écrasé par les hommages, disons qu’Albert Dupontel retrouve la magie de l’âge d’or des splasticks américains – on songe évidemment à Harold Lloyd et Charlie Chaplin -, tout en développant une réalisation chiadée et très inventive. C’était passionnant d’écouter le réalisateur parler de son travail, dans une belle générosité, de sa rencontre avec le chef opérateur Benoît Debie, habitué à guetter la grisaille dans sa Belgique natale et des cascades époustouflantes réglées par Jean-Louis Airola, trop soucieux de poser des cartons pour un metteur en scène exigeant, n’hésitant pas à payer de sa personne. Le film a eu quelques difficultés à être monté – Dupontel expliquait avoir un temps pensé aux sirènes hollywoodiennes avant de se figurer qu’il aurait des difficultés à trouver une intégrité artistique. Foisonnant, le film très élaboré et pensé – un story-board de plusieurs kilos était évoqué -, est une réussite. Bien que très planifié Albert Dupontel a laissé ses comédiens s’exprimer – citant un énervement improvisé de Yolande Moreau -, et de saluer ses amis venus souvent pour ne pas être payés aux services du film – la distribution est hallucinante -. Il parlait aussi d’une fraternité artistique, donnant quelques astuces économiques comme Jan Kounen donnant un conseil de mime pour figurer la scène le plus juste possibles. Les comédiens s’en donnent à cœur joie  comme Terry Jones ex Dieu dans « Le créateur » et déchu ici en clochard a traversé la Manche et a ramener Terry Gilliam dans ses bagages pour une saisissante apparition, la « disparition » de Robert de Niro dans « Brazil » est reprise ici pour un bel hommage. Il y a une galerie superbe, il faudrait tous les citer, du singulier (et Belge) Bouli Lanners SDF perdu dans ses identités, Bruno Lochet et Philippe Duquesne deschienisés, Gilles Gaston-Dreyfus hilarant en hospitalisé muet, Philippe Uchan et Patrick Ligardes en financiers roublards, Jackie Berroyer en client pervers, Yves Pignot en épicier antipathique, Gustave Kervern en flic stupide, Pascal Ternisien en juge cauteleux, Dominique Bettenfeld en sergent énervé…, que du bonheur. Le débat a était dans la même mouvance que le film, tant Albert Dupontel était soucieux de faire partager son enthousiasme. Dans un débit de paroles précis et très riche, on a reçu  une telle quantité d’information que l’on pouvait hélas déplorer ne pas avoir un magnétophone. A noter qu’Albert Dupontel à un blog : Le blog d’Albert, très riche en informations, je lui disais mon ravissement d’avoir lu sa réponse sur une question que je lui avais posé sur Paul Le Person décédé l’an dernier. Car il est soucieux de partager son enthousiasme avec le public plutôt que de se perdre dans une télévision d’une médiocrité confondante. Car c’est bien la générosité qui éclate quand on retrouve ce comédien si subtil passant de Michel Deville à Gaspar Noé, pour retrouver « sa came » comme réalisateur dans un univers si singulier. A voir absolument à partir du 5 avril, et ne pas manquer pour une fois que l’on a un talent aussi original.