Avant-première hier soir à l’UGC Cité-Ciné du dernier film d’Albert Dupontel – enfin depuis « Le créateur » qui n’avait hélas pas rencontré son public -. Temps de chien, tout le monde arrive trempé mais impatient. Et l’on entend des tambourinements violent contre une porte suivis d’un couinement charmant et des cris vindicatifs. Tiens l’artiste inaugure une nouvelle manière de présentation ? non c’est un spectateur joyeusement ivre, mais pas encore dans le coma, qui s’était retrouvé … »enfermé dehors » pour avoir voulu griller une cigarette. La réalité dépassant « l’affliction » ce forcené bavard a manifesté sa présence d’une sonorité allumée, comme tombé du film… En discutant avec une des charmantes employées du lieu qui avait accompagné Albert Dupontel, elle me confit la passion qui caractérise le personnage, son énergie, sa volonté de rencontrer le public ce qui augurait déjà une excellente soirée, ponctuée par les délires de l’autre énervé qui très inspiré surchargeait allégrement la bande-son avec l’aide de sa compagne dans le même ton, histoire de ne pas rompre l’harmonie du grotesque de l’ensemble. Moins désabusé que ces deux derniers films dont le cultissime « Bernie », Albert Dupontel fait un constat de notre société avant de faire voler en éclats les conventions. Un clochard qui trouve un costume d’un gardien de la paix qui s’est suicidé nu dans la nuit. Le sans-abri Roland, – euphémisme d’usage – pense simplement rendre le costume à l’entrée d’un bureau moderne. Il est évidemment chassé par un malpropre, et finit dans une ellipse par enfiler le costume. Suit un grand moment burlesque où sa démarche change avec cet habit qui fait le moine, quand d’hésitant, il finit par acquérir une certaine autorité. De sa morne vie que n’égayent que quelques tubes de colles sniffées qui lui fait voir la vie en rose, Roland s’improvise redresseur de tord, tombe amoureux de Marie – Claude Perron formidable, ancienne actrice de X qui travaille dans son sex-shop et qui veut récupérer la garde de sa petite fille prénommé coquelicot. Cette dernière est retenue par ses beaux-parents thénardien qui en ont la garde – Roland Bertin et Hélène Vincent malmenés avec bonheur -, mais la jeune mère trouve pourtant de l’extérieur des berceuses rock’n’roll pour sa fille qu’elle ne peut rejoindre. L’esprit un tantinet confus de Roland, suite aux divagations rances d’un policier qui soliloque – Serge Riaboukine étonnant – fait un amalgame entre le désarroi de Marie et les invectives contre un PDG véreux – Nicolas Marié qui déclare Roland (de mémoire) « Ce sont des gens comme moi qui ont inventé l’amour à des gens comme vous pour qu’ils se tiennent tranquilles » -. Le personnage puissant finit cependant par retrouver une dignité dans le déboulonnage…. La folie finit par atteindre toutes les couches de la société, d’une cours des miracles composée d’une humanité meurtrie et dominée par une Yolande Moreau d’anthologie et le petit monde des financiers. Il ne faut pas trop dévoiler de ce film riche en trouvailles, nous redonnant des émotions enfantines d’une montagne russe d’une foire hétéroclite et une rage salvatrice de notre société.
Albert Dupontel & Claude Perron
Sans être écrasé par les hommages, disons qu’Albert Dupontel retrouve la magie de l’âge d’or des splasticks américains – on songe évidemment à Harold Lloyd et Charlie Chaplin -, tout en développant une réalisation chiadée et très inventive. C’était passionnant d’écouter le réalisateur parler de son travail, dans une belle générosité, de sa rencontre avec le chef opérateur Benoît Debie, habitué à guetter la grisaille dans sa Belgique natale et des cascades époustouflantes réglées par Jean-Louis Airola, trop soucieux de poser des cartons pour un metteur en scène exigeant, n’hésitant pas à payer de sa personne. Le film a eu quelques difficultés à être monté – Dupontel expliquait avoir un temps pensé aux sirènes hollywoodiennes avant de se figurer qu’il aurait des difficultés à trouver une intégrité artistique. Foisonnant, le film très élaboré et pensé – un story-board de plusieurs kilos était évoqué -, est une réussite. Bien que très planifié Albert Dupontel a laissé ses comédiens s’exprimer – citant un énervement improvisé de Yolande Moreau -, et de saluer ses amis venus souvent pour ne pas être payés aux services du film – la distribution est hallucinante -. Il parlait aussi d’une fraternité artistique, donnant quelques astuces économiques comme Jan Kounen donnant un conseil de mime pour figurer la scène le plus juste possibles. Les comédiens s’en donnent à cœur joie comme Terry Jones ex Dieu dans « Le créateur » et déchu ici en clochard a traversé la Manche et a ramener Terry Gilliam dans ses bagages pour une saisissante apparition, la « disparition » de Robert de Niro dans « Brazil » est reprise ici pour un bel hommage. Il y a une galerie superbe, il faudrait tous les citer, du singulier (et Belge) Bouli Lanners SDF perdu dans ses identités, Bruno Lochet et Philippe Duquesne deschienisés, Gilles Gaston-Dreyfus hilarant en hospitalisé muet, Philippe Uchan et Patrick Ligardes en financiers roublards, Jackie Berroyer en client pervers, Yves Pignot en épicier antipathique, Gustave Kervern en flic stupide, Pascal Ternisien en juge cauteleux, Dominique Bettenfeld en sergent énervé…, que du bonheur. Le débat a était dans la même mouvance que le film, tant Albert Dupontel était soucieux de faire partager son enthousiasme. Dans un débit de paroles précis et très riche, on a reçu une telle quantité d’information que l’on pouvait hélas déplorer ne pas avoir un magnétophone. A noter qu’Albert Dupontel à un blog : Le blog d’Albert, très riche en informations, je lui disais mon ravissement d’avoir lu sa réponse sur une question que je lui avais posé sur Paul Le Person décédé l’an dernier. Car il est soucieux de partager son enthousiasme avec le public plutôt que de se perdre dans une télévision d’une médiocrité confondante. Car c’est bien la générosité qui éclate quand on retrouve ce comédien si subtil passant de Michel Deville à Gaspar Noé, pour retrouver « sa came » comme réalisateur dans un univers si singulier. A voir absolument à partir du 5 avril, et ne pas manquer pour une fois que l’on a un talent aussi original.