Jean-Claude Rémoleux dans « Litan »
1er avril 2010, une salle du Conservatoire régional de l’image de Nancy a été baptisée du nom de Jean-Claude Rémoleux « cet acteur singulier et sympathique au crâne chauve et à l’élocution particulière » (1), et là ce n’est pas du tout un poisson… Un groupe facebook fut même créé à l’occasion. Ce premier anniversaire est donc l’occasion de rendre hommage à une individualité fracassante. Beaucoup de personnes lui vouent un culte mérité, de Christophe Bier qui fit plusieurs hommages vibrant sur France Culture dans « Mauvais genres », au dessinateur Lefred Thouron en passant par Kafka-Francis Kuntz, grolandais bien connu. Depuis 25 ans, il existe une association « Marinella » – la chanson que fredonnait Rémoleux dans « La grande lessive », qui a pour but de promouvoir sa mémoire, il existe même un T-shirt à son effigie. Rémoleux crève l’écran à la moindre de ses apparitions, souvent en ahuri ahurissant, à la prononciation assez approximative. Flirtant avec l’inaudible, il est souvent adepte des onomatopées, et se révèle volontiers lymphatique. Armel de Lorme en fit son portrait dans son Aide-mémoire, volume 1, également disponible sur le web , qui en fit le portrait depuis sa première véritable apparition dans « Mon oncle ». Il faut le voir en égrillard spectateur d’une boîte de nuit qui participe à un groupe qui s’émoustille plus à la lecture d’une revue érotique qu’au spectacle vivant dans « Strip-tease », en élève dissipé d’un cours d’anglais, picoleur et égrillard dans « Bande à part », le candidat d’un jeu TV lunaire dans « Sans mobile apparent », ancien combattant hésitant dans « Na ! », ouvriers jumeaux le temps d’une apparition gag dans « Les Gaspard », ou notable balourd dans « Ils sont grands ces petits ». La découverte récente du DVD du formidable téléfilm de Jean L’Hôte « Confessions d’un enfant de chœur », nous permet de le voir encore plus délirant qu’à l’accoutumée en fou peignant les meubles en vert des gens dès qu’ils ont le dos tourné. Trois rencontres firent de lui un acteur ou non acteur c’est selon… culte ! Orson Welles tout d’abord qui lui confie avec Raoul Delfosse le rôle de l’un des bourreaux « radioactifs » d’Anthony Perkins dans « Le procès ». Pascal Aubier raconte la rocambolesque rencontre avec le grand metteur en scène dans son beau livre, voir citations jointes. Mocky lui donne une belle place dans ses films, l’affublant souvent de tenues l’engonçant dans des imperméables ou des cirés. Dans « La grande frousse ou la cité de la peur » (1964), il est un villageois sous cellophane, pilier de bar apeuré et inculte. Dans « La bourse et la vie » (1965), il est l’un des trois frères Robinhoude, comparses de Jean Poiret, du trio il se révèle le plus dubitatif devant des pérégrinations rocambolesques. Sa manière de dire « Mais alors, nous sommes tous de la Bourboule » est un absolu régal. A trois reprises, il fut avec Marcel Pérès, un des policiers adjoints de Francis Blanche. Il est l’auxiliaire ricaneur de Pérès dans « Un drôle de paroissien » (1963), en planque dans une église il lui lance la phrase culte «Comme dirait l’Évêque : ça pince, Monseigneur ! ». Il n’est pas très dégourdi dans « Les compagnons de la marguerite » (1966), plus prompt à trouver des graines afin d’attirer et manger les pigeons du quartier, plutôt que de mener des enquêtes. Dans « La grande lessive » (1968), le trio est toujours malmené, à la poursuite de Bourvil, chantonnant donc à longueur de temps « Marinella », de manière plus qu’essoufflée. Le duo est tellement grotesque, qu’il finira par se faire arrêter par un gendarme, ils sont pris pour des satyres, lors d’une poursuite sur les toits, après une pose voyeuriste. Il excelle aussi dans « L’étalon » (1969), il faut le voir en député, débarquer d’un bus avec une improbable moumoute, grosse lunettes et en faisant le V de la victoire, puis cueillant des fleurs, il nous amène dans les hautes sphères du surréalisme. Affligé de son habituel défaut d’élocution, il préfère s’exprimer avec des bruits de bouche, et quand il s’exprime enfin avec une infinie tristesse, il se définit en député muet. Il est un improbable cuistot et amateur de mouches et d’omelette à la banane (c’est un concept) ayant des rapports ambigus avec Jacques Dufilho dans le grinçant « Chut ! » (1971). En petit épargnant craintif, il trouve dans ce film l’un de ses meilleurs rôles, se rapprochant dangereusement de l’absurde en fermant des portes imaginaires… Il est un metteur en scène caractériel-mou dans « Un linceul n’a pas de poches » (1974), lunettes sur le front, dirigeant Sylvia Kristel, quelque peu anticonformiste, il souhaite une rencontre clandestine de nuit entre Jeanne D’Arc et le Roi d’Angleterre ! Dans « L’ibis rouge » (1975), il est de nouveau cuistot souffre-douleur de Jean Le Poulain et adepte du bras d’honneur. Il est un ouvrier rustre et musicien amateur quelque peu dissonant dans « Le roi des bricoleurs » (1976). Dans le « Témoin » (1978) il est doublé !, et en éboueur, indique sa route à Alberto Sordi. On le retrouve aussi en villageois inquiétant dans « Litan, la cité des spectres verts » (1981), comprenant le curieux patois d’une femme interrogée par Roger Lumont, et observateur muet et fantomatique d’un village pris dans un vent de folie. La troisième belle rencontre est celle avec Pascal Aubier, le temps de deux films. Dans « Valparaiso, Valparaiso » (1970), il est le compère de Laszlo Sabo, ne pensant qu’à s’empiffrer et harcelant Alain Cuny en mettant un joyeux désordre. Il trouve son rôle le plus touchant dans « Le chant du départ » (1975), où il est l’un des membres d’une pension de famille, formant au final, une sorte de club des esseulés, qui ne trouvent pas leur place dans la société de consommation déjà envahissante des années 70. Il y est ouvreur d’un cinéma érotique ou de série Z, s’ennuyant de ces tâches répétitives. Exténué, il se couche tout habillé sur son lit dans un décor spartiate, n’ayant pour seul loisir que de contempler l’ampoule au plafond. Pour la première fois, il se dégage de sa composition, une humanité autre que burlesque. Si l’homme était profondément humain selon son cousin Olivier Thirion (1), on ne sait s’il se rendit compte de son extraordinaire singularité, la comédie franchouille ne voulut d’ailleurs pas de lui. L’homme, lui, fut sans histoire et vivait avec sa mère. Si l’une de mes devises est celle de Groucho Marx « Jamais je ne voudrais faire partie d’un club qui accepterait de m’avoir pour membre », s’il y a bien un groupe dont je voudrais faire partie c’est bien celui de « Marinella »…
Bibliographie : (1) « Le dernier grand rôle de Jean-Claude Rémoleux » par Benoît Gaudibert, « L’Est républicain » du 1/04/2010 ; Armel de Lorme »L’@ide-Mémoire — Volume 1 ». 2006. ; Yvan Foucart: Dictionnaire des comédiens français disparus, Mormoiron : Éditions cinéma, 2008 ; Serge Regourd « Les seconds rôles du cinéma français » (Éditions Archimbaud Klincksieck, 2010). Remerciements à Pascal Aubier et Christophe Bier (voir également le commentaire de ce dernier).
Jean-Claude Rémoleux dans « Le chant du départ »
Filmographie: établie avec Christophe Bier et Armel de Lorme : 1954 La Reine Margot (Jean Dréville, figuration) – 1955 Gervaise (René Clément, figuration) – Mémoires d’un flic (Pierre Foucaud, figuration) – Les Carnets du major Thompson (Preston Sturges) – Le secret de soeur Angèle (Léo Joannon) – The ambassador’s daughter (La fille de l’ambassadeur) (Norman Krasna, figuration non confirmée) – 1956 Fric-frac en dentelles (Guillaume Radot) – Le salaire du péché (Denys de La Patellière, figuration) – 1958 Mon oncle (Jacques Tati) – Le gentleman d’Epsom / Les grands seigneurs (Gilles Grangier, figuration non confirmée) – The trial (Le procès) (Orson Welles) – Strip-tease (Jacques Poitrenaud) – 1963 Un drôle de paroissien (Jean-Pierre Mocky) – Carambolages (Marcel Bluwal) – Faites sauter la banque (Jean Girault, figuration) – 1964 Bande à part (Jean-Luc Godard) – La grande frousse ou la cité de la peur (Jean-Pierre Mocky) – 1965 La bourse et la vie (Jean-Pierre Mocky) – 1966 Les compagnons de la marguerite (Jean-Pierre Mocky) – 1968 La grande lessive ! (Jean-Pierre Mocky) – 1969 L’étalon (Jean-Pierre Mocky) – 1970 Valparaiso, Valparaiso (Pascal Aubier) – 1971 Chut ! (Jean-Pierre Mocky) – Sans mobile apparent (Philippe Labro) – 1972 Na ! (Jacques Martin) – 1973 Les gaspards (Pierre Tchernia) – 1974 Dupont Lajoie (Yves Boisset) – Un linceul n’a pas de poches (Jean-Pierre Mocky) – 1975 L’ibis rouge (Jean-Pierre Mocky) – Le chant du départ (Pascal Aubier) – Les oeufs brouillés (Joël Santoni, figuration) – 1976 Le roi des bricoleurs (Jean-Pierre Mocky) – 1978 Ils sont grands, ces petits (Joël Santoni) – Le témoin (Jean-Pierre Mocky) – 1981 Litan, la cité des spectres verts (Jean-Pierre Mocky). Télévision (notamment) : 1963 Le chevalier de Maison Rouge (Claude Barma, mini-série) – 1964 Six personnages en quête d’auteur (Jean L’Hôte) – Le théâtre de la jeunesse : Le matelot de nulle part (Marcel Cravenne) – Une fille dans la montagne (Roger Leenhardt) – 1976 Confessions d’un enfant de choeur (Jean L’Hôte) – 1979 Le violon du diable (Roger Viry-Babel, MM) – 1983 : Lettre d’un cinéaste : le mystère Mocky (Jean-Pierre Mocky, CM, diffusé dans le cadre de « Cinéma Cinémas » sur Antenne 2). Non datés : En votre âme et conscience (figuration dans plusieurs épisodes) – Les raisins verts .
Jean-Claude Rémoleux « en vert et contre tout » (petit clin d’œil à la « Maman et la putain ») dans « Les confessions d’un enfant de chœur »
Addenda : JEAN-CLAUDE RÉMOLEUX VU PAR… :
PASCAL AUBIER :
» …La moindre silhouette dans ce film [Le procès] était un miracle d’invention, je percevais la jubilation qui avait présidé au choix des comédiens, et c’est comme ça que je me suis entiché de Jean-Claude Rémoleux. Dans « Le Procès », c’est un des deux tueurs qui suivent K, et qui à la fin l’entraînent dans le trou et se passent le couteau. Il avait ce visage étonnant, une espèce d’éléphant de mer à lunettes, avec ce strabisme… Je me disais que c’était extraordinaire d’avoir eu le nez de trouver quelqu’un comme ça. Quelques années plus tard, j’ai rencontré Marc Maurette, l’assistant de Welles sur le Procès, il m’a raconté comment Rémoleux avait été engagé. Pendant la préparation du film à Billancourt, Welles s’était fait installer une table et des chaises près de l’entrée dans la cour, il se faisait apporter des bouteilles de Bourgogne blanc et fumait son cigare. Un jour, il voit passer une ribambelle de machinos qui portaient des praticables, des pièces de décors, etc. Après le passage du dixième, un onzième surgit un peu en retard, un énorme gros mec à lunettes qui ne portait que trois planches ; d’un seul coup elles se croisent entre elles, il se prend le pied dedans avec une maladresse ahurissante, et boum, il se retrouve sur le cul… Welles se retourne alors vers Maurette et lui dit : « Maurette, je veux ce type dans le film ! ». De là, Rémoleux a eu une espère de carrière, dans « Bande à part », au fond de la classe, c’est lui qui fait mine de mettre la main au cul de la prof d’anglais. Et puis on l’a surtout vu dans les films de Mocky. Et dans les miens. Il était parfait. C’est triste qu’il soit mort si vite. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il n’a jamais compris ce qui lui était arrivé, il n’a pas compris qu’évidemment, il avait été choisi d’abord par Welles à cause de ce qu’il était. Il me disait : « Tu sais, moi, j’ai trois amis, Orson, Jean-Pierre et toi. » [« Les mémoires de Gascogne » par Pascal Aubier (Éditions Sybarite – Yellow Now, 1996).]
JEAN-PIERRE MOCKY :
« Jean-Claude Rémoleux, l’ami maousse. «A mes débuts comme acteur, j’ai tourné avec des grands seconds rôles, Pierre Larquey ou Saturnin Fabre, et j’ai toujours regretté que des trognes comme eux aient disparu des écrans. Il faut dire qu’aujourd’hui, les acteurs de premier plan n’ont pas le charisme d’un Jules Berry ou d’un Raimu : vu leurs physiques plutôt banals, un second rôle très typé risquerait de leur voler la vedette. Rémoleux, à la base, n’était pas un acteur. Il venait d’une famille très riche, actionnaire de Prisunic. C’était un type très important, mais complètement fou. Je l’ai repéré sur le plateau du Procès d’Orson Welles en 1962, où il jouait un flic. Un gros qui m’a heurté comme un ours en baragouinant… et que j’ai immédiatement engagé pour Un drôle de paroissien. Je l’ai utilisé dans 12 films, toujours comme un mastodonte ahuri : on dirait un phoque ! Même son enterrement s’est terminé par un gag : les croque-morts ont glissé sur le sol gelé et son cercueil est tombé à l’eau.» (Libération du 14/05/2004)
OLIVIER ASSAYAS :
« Tout de suite reconnaissable à sa large silhouette, son crâne chauve et sa myopie qui parfois semblait l’envelopper tout entier, il ne pouvait manquer de frapper par son improbable filet de voix, sa diction zozotante et hallucinée. Policier maladroit, écorchant « Marinella » comme en état de stupeur dans « La grande lessive », un des frères Robinhoude dans « La bourse et la vie » où il gémissait lamentablement sur sa banqueroute « Nous avons cru à une affaire mirobolante » , député Lacassagne dans « L’étalon » où son aphonie l’empêchait de s’exprimer à la tribune (« Ve fuis un député muet » ), on n’aurait pas fini d’énumérer les apparitions mémorables de Jean-Claude Rémoleux qui était bien sûr devenu un signe de reconnaissance, de complicité parmi le clan apparemment de plus en plus large des inconditionnels de Mocky. On l’a vu chez Welles, dans « Le procès », on l’a vu chez Godard dans « Bande à part » mais Rémoleux ne fut jamais acteur. Personnage de cinéma aussi bien à la ville qu’à l’écran il demeurera toujours irréductible à un rôle ou à plus forte raison à un emploi. Entier, monolithique, il était ce qu’il jouait sans distance, sans recul. En cela le rôle devenait Rémoleux et non l’inverse. On a ironisé sur Rémoleux. On a vu en lui un canular. C’est tout le contraire, non acteur Rémoleux était un être humain traversant le cinéma et l’émotion qu’on ne pouvait manquer d’éprouver en le retrouvant d’un film à l’autre était à la mesure de l’impossibilité théorique rationnelle de sa présence. Il était toujours là contre tout. Olivier Assayas ( Cahiers du Cinéma N°369 Mars 85 )
Digressions : Restons avec Jean-Pierre Mocky, alors qu’il diffuse dans son nouveau cinéma « Le Despérado » trois de ses films, « Les insomniaques », « Crédit pour tous » et le délirant « Dossier Toroto »… Le 1 er avril 2007, je faisais un poisson d’avril qui ne brillait pas par sa subtilité avec le compte-rendu d’un improbable visionnage des « Couilles en or » de Jean-Pierre Mocky, ici-même, dont je suis assez surpris de voir qu’il est parfois pris au premier degré, pour rappel c’est bien un canular.