Serge Regourd, disait de lui dans son indispensable « Acteurs de caractères – Les « méconnus » du cinéma français » (Éditions Gremese) paru cette année dans son portrait pages 87-88 :

« [Serge] Davri est certainement le plus extravagant, le plus loufoque, et le plus méconnu de tous les acteurs de caractère ayant laissé une trace dans l’histoire du cinéma français malgré le petit nombre de films tournés ».

Yvan Foucart nous fait l’amitié de nous confier l’un des ses portraits inédits de son « Dictionnaire des comédiens disparus ». Davri est décédé en début d’année dans la plus parfaite discrétion. Un chaleureux merci à Yvan pour ce bel hommage. On retrouvera également son hommage à Maurice Nasil sur l’Encinémathèque.

Hommage à Serge Davri par Yvan Foucart

Sa vie est un vrai roman… non loin de celle d’un Falstaff. Ce personnage, pour certains, bizarre, original, voire misanthrope, si ce n’est atrabilaire,  nous a quitté cette année dans une indifférence quasi totale, ignoré des médias.

D’origine géorgienne, pupille de la nation, Davri vit le jour à la maternité de l’Assistance publique du quartier Croulebarbe à Paris d’un père qui le reconnaîtra un peu plus tard. Joseph, le père émigré dont il hérita quelques traits, combattit pour la France et se plaisait à dire qu’il avait été élevé en compagnie d’un autre Joseph, Vissarionovitch Djougachvili, lequel devint beaucoup plus célèbre sous le nom écourté de Staline (!).

Serge, très jeune, avec Jacques Fabbri comme condisciple, suivit les cours d’art dramatique dispensés au Vieux-Colombier qu’il délaissa très vite, avouant ne pas « trop aimer » le théâtre. Il bifurqua vers le music-hall et le chant, chanteur de charme à ses débuts (eh oui !), il fut en tournée avec Edith Piaf et sortit quelques 45 tours chez « Vogue ». Il étonna aussi pour ses imitations à la perfection du phrasé bien particulier de Saturnin Fabre, de même qu’en créateur d’attractions, notamment en casseur d’assiettes ! Il passa sur les scènes parisiennes de l’Alhambra, dans pratiquement tous les cabarets de Pigalle et de Montparnasse, tels « L’Amiral » aux côtés de Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, « Tonton », « L’ange bleu », « Le Paradis latin », « Aux trois baudets » auprès de Jean Yanne, de même qu’à « L’Alcazar » qu’il quitta après un désaccord avec Dick Price, le chorégraphe et directeur qui venait de succéder à Jean-Marie Rivière, le  fondateur.

On le vit aussi à l’Alcazar de Marseille et fit partie de plusieurs tournées en Belgique (« L’Ancienne Belgique »), en Allemagne, à Tanger, jusqu’à Las Vegas, etc. Ce n’est qu’à 39 ans qu’il débuta vraiment au cinéma avec « La môme aux boutons » dont la vedette ne fut autre que Lucette Raillat, la créatrice de la chanson (1954). Une vingtaine de films suivirent dont « Tirez sur le pianiste » de François Truffaut qui signait là sa première réalisation. Serge incarnait le gérant de bistrot qu’Aznavour, vengeur sans pitié, n’hésita pas à abattre. Deux ans après, le même réalisateur, mais cette fois uniquement pour le scénario, confia la mise en scène à Claude de Givray lequel rappela Serge pour vêtir l’uniforme du colonel Chamerlot, celui-là même qui n’aimait pas les planqués de « Tire au flanc ». Entretemps, Jean Dewever, l’ancien assistant de Jacques Becker, le dirigea dans son premier long métrage « Les honneurs de la guerre », une évocation de la fin de l’occupation allemande dans les marais poitevins, un très beau film, hélas mal accueilli et maudit par la censure « galonnée » de l’époque.

Bien que pressenti, Truffaut (toujours lui !), écarté par les pontes de la Nouvelle Vague, en l’occurrence par Rohmer, producteur du film, cèda la mise en scène à J-L. Godard lequel enrôla Serge comme carrossier automobile au caractère plutôt rugueux surtout vis-à-vis de Johanna Shimkus, pour son sketch « Montparnasse – Levallois » du collectif 16 mm « Paris vu par… « .

José Giovanni, quant à lui, en fait un receleur liégeois au sobriquet bien approprié de « balafré » pour son « Un aller simple » avant qu’il aille rejoindre les malfrats marseillais de « Borsalino and co » et de s’égarer par la suite dans des « Sexuellement vôtre » ou « Le rallye des joyeuses », immense programme qui n’eut aucune chance aux Césars.

Début 1980, on perd sa trace professionnelle, mais non son mariage avec Colette, une jolie blonde, ancienne danseuse, sa cadette de treize ans, avec laquelle il se retira dans un petit village de la Creuse, non loin de Guéret. Ils reviendront en banlieue parisienne, se sépareront, et Serge, seul, complètement isolé, un peu plus bourru, la tête un peu défaillante y décédera en absence de ressources. En dehors du mariage, il reconnut un fils, Bruno, décédé au début des années 90 avec lequel il ne s’attendait guère.

Sa vie est un vrai roman, avons-nous dit. C’est peu dire de cet excellent comédien, provocateur à tout bout de champ, fabulateur avec délectation, cabot dans toute sa splendeur, roi du burlesque, unique dans ses pirouettes d’Arlequin… aujourd’hui déjà oublié, reposant  au nouveau cimetière si proche de son HLM.

© Yvan Foucart (Dictionnaire des comédiens français disparus)                                                                                                      

Dans "Tirez sur le pianiste"

Dans « Tirez sur le pianiste »

Filmographie

  • 1956 Le cas du docteur Laurent (Jean-Paul Le Chanois)
  • 1958
    • La môme aux boutons (Georges Lautner)
    • Rapt au deuxième bureau (Jean Stelli)
    • Minute Papillon (Jean Lefevre)
  • 1959
    • Tirez sur le pianiste (Claude de Givray et François Truffaut)
    • La dragée haute (Jean Kerchner)
  • 1960
    • Les honneurs de la guerre (Jean Dewever)
    • Dans l’eau qui fait des bulles (Maurice Delbez)
  • 1961
    • Tire au flanc (Claude de Givray et François Truffaut)
    • Les livreurs (Jean Girault)
  • 1962 Une grosse tête (Claude de Givray)
  • 1964
    • Requiem pour un caïd (Maurice Cloche)
    • Les Gorilles (Jean Girault)
    • Les Pieds Nickelés (Jean –Claude Chambron)
  • 1965 Paris vu par… sketch « Montparnasse et Levallois, court métrage (Jean-Luc Godard)
  • 1969 La honte de la famille (Richard Balducci)
  • 1970
    • Doucement les basses (Jacques Deray)
    • Un aller simple (José Giovanni)
  • 1971 La grande maffia (Philippe Clair)
  • 1974
    • Borsalino and co (Jacques Deray)
    • Le rallye des joyeuses (Serge Korber)
    • Sexuellement vôtre (Max Pécas)

Télévision

  • 1967  Salle 8 (Jean Dewever, série)
  • 1969 Les oiseaux rares (Jean Dewever, série)
  • 1971 Yvette (Jean-Pierre Marchand)
  • 1974 Le cas Adam et Eve (Serge Witta)
  • 1977 Cinéma 16 : L’amuseur (Bruno Gantillon)
  • 1980 Médecins de nuit : Légitime défense (Bruno Gantillon)