Second portrait après Nicole Régnaut, d’Armel de Lorme, Marie-France, une artiste hors norme, qu’il serait vain de réduire au rang de phénomène à l’instar d’un Marc-Olivier Fogiel la recevant dans son talk-show. Une version précédente figure dans l’indispensable « @ide-mémoire ».
Photo copyright Pierre & Gilles
MARIE FRANCE (de Paris)
Par Armel de Lorme
Le mot « égérie » semble avoir été inventé pour elle, qui a su inspirer pêle-mêle, en quelques 35 ans de carrière, Marguerite Duras – « impossible de ne pas être troublé(e) par elle, les hommes comme les femmes » – et André Téchiné, Fernando Arrabal et A(do)lfo Arrieta, Jacques Robiolles et Jean-Marie Rivière, Alain Pacadis et Marc’O, Charles Matton et Frédéric Botton, Jacques Duvall et Jay Alanski, Pierre & Gilles et les membres du groupe rock Bijou… (liste non exhaustive !). Mi-pétroleuse, mi-femme-enfant, tour à tour meneuse de revue, chanteuse, performeuse, et même modèle à ses moments perdus, Marie France (Garcia) n’en est pas moins une comédienne assez unique en son genre, capable de glisser sans transition – juchée sur ses escarpins Christian Louboutin – de l’univers intello-chic d’une Sophie Perez (Détail sur la marche arrière, Théâtre National de Chaillot, janvier 2001) aux comédies hip-hop d’une Blanca Li passée de l’autre côté de la caméra (Le Défi, 2000). Rappel : Marie France a vu le jour à Oran, sous le signe du Verseau, en l’an de grâce 1946 (plus exactement le 9 février). Quelques années après avoir quitté, comme beaucoup d’autres, son Algérie natale, elle découvre le Paris interlope des Sixties naissantes, et là où ses contemporaines transitent par les bancs du Cours Simon ou du Conservatoire, fait ses classes à l’École des Femmes, véritable vivier transgenre dont sortiront notamment Cobra (futur modèle et amour impossible du romancier Severo Sarduy), la sculpturale Gaëtane Gaël et la future reine de la nuit (et chroniqueuse télé ) Galia Salimo. Présente sur scène, entre deux passages à l’Alcazar de Jean-Marie Rivière, dans des créations underground (Maggy Moon, Jean-Louis Jorge, l’Olympic, 1972 ; La Barre, Geneviève Hervé, le Nashville, 1975) ou résolument durassiennes (Le Navire Night, Théâtre Édouard-VII, 1979) tout au long des années 70, c’est grâce au subversif Arrieta qu’elle effectue, après une ou deux semi-figurations (Les Chemins de Katmandou, André Cayatte, 1969), ses véritables débuts à l’écran. Protagoniste des cultissimes Intrigues de Sylvia Couski (1972-1974) aux côtés d’Howard Vernon, de Michèle Moretti et de quelques non-professionnels (parmi lesquels ses amis, Gaëtane Gaël, Hélène Hazera et Michel Cressole), celle qu’on surnomme à l’époque « l’Impératrice des Gazolines » se voit très vite confier d’autres rôles plus ou moins importants par des cinéastes « à la marge », tels qu’Arrabal (J’irai comme un cheval fou, 1973), Jacques Robiolles (Le Jardin des Hespérides, 1974), Joaquin Noessi-Lledo (Le Sujet ou le Secrétaire aux mille et un tiroirs, id.) et surtout le peintre Charles Matton, qui lui fait reprendre à l’écran, dans Spermula (1975), le rôle de clone de Marilyn Monroe qu’elle promène, de théâtres en cabarets, depuis le début des Seventies. Vers la même époque, dans un registre moins révolutionnaire (donc moins confidentiel), André Téchiné fait appel à elle pour interpréter, à l’écran, la chanson par lui écrite du film Barocco (1976), qu’elle reprend quasi systématiquement, depuis, à la fin de ses récitals. Scène culte et queer, s’il en est, dans la filmographie du cinéaste, que celle montrant Marie France, dietrichienne en diable, susurrer On se voit se voir… devant une Hélène Surgère séduite et attendrie, un Gérard Depardieu conquis sans effort apparent et une Isabelle Adjani déversant à gros bouillon larmes et rimmel dans sa flûte à champagne (parce que, oui, l’eau, bon, ça va cinq minutes). D’autres prennent la relève dès le milieu de la décennie suivante : Gérard Mordillat, d’abord, sous la direction duquel elle roule de formidables patins à un Francis Perrin tout émoustillé, ce qui se comprend (Billy-Ze-Kick, 1985), Josiane Balasko, ensuite, rencontrée par l’intermédiaire de Coluche, qui fait d’elle la plus savoureuse des pensionnaires du bistrot à putes tenu par Dora Doll dans Les Keufs (1987). Toi, ma chérie, tu t’es pris une porte assenne-t’elle, mutine et enjôleuse, après avoir examiné sous toutes les coutures le cocard de circonstance arboré par sa partenaire (et réalisatrice) au bar de Madame Lou : grand moment de glamour à la sauce bitchy ! La même année, Téchiné lui redemande de chanter, cette fois entourée d’une demi-douzaine de boys, dans une séquence mi-glamour, mi-torride, des Innocents (1987) visiblement conçue spécialement pour elle. Plus discrète – cinématographiquement parlant – à partir des années 90, qu’elle consacre essentiellement aux planches, aux récitals chantés et à l’enregistrement d’albums (l’un avec le chanteur britannique Marc Almond, l’autre avec le guitariste Yan Péchin), elle n’en reprend pas moins le chemin des studios à l’aube du nouveau millénaire, tour à tour tapineuse adorablement vulgaire chez Gabriel Aghion (Belle Maman, 1998) et grande bourgeoise – une première (!) – courant les boutiques de prêt-à-porter de luxe chez Blanca Li (Le Défi, 2000). Le temps a beau passer, Marie France, qui a, entre temps repris son véritable patronyme en hommage à une autre Oranaise célèbre, Nicole Garcia, et publié une autobiographie aussi pertinente que réjouissante (Elle était une fois, X-Trême/Denoël, 2003), n’a rien perdu de sa blondeur, de sa verve, de son sex-appeal et, surtout, de la sensibilité extrême qui la caractérise depuis ses débuts. Tous les espoirs restent donc permis à celle qui, confiant à la fin des années 90 rêver de travailler sous la direction de Chéreau, Almódovar et Bob Wilson, vient d’être mise en scène par Philippe Decouflé (Paris secret, Printemps de Bourges, 2005) et de publier un premier best of agrémenté de chansons inédites portant la griffe de Frédéric Botton – autant dire du cousu main. En attendant le prochain film, la prochaine pièce ou le prochain happening (voire les trois… ), Marie France s’apprête à investir, du 15 au 17 juin, la scène du Théâtre de l’Archipel (larchipel.net) pour une série de concerts mêlant chic, classe et rock and roll – prolongement logique d’un Trianon à guichets fermés en février dernier. Bel été en perspective ! Armel de Lorme
1969 : Les Chemins de Katmandou (André Cayatte). 1972 : Les Intrigues de Sylvia Couski (Adolfo Arrieta). 1973 : J’irai comme un cheval fou (Fernando Arrabal). 1974 : Le Jardin des Hespérides (Jacques Robiolles). Le Sujet ou le Secrétaire aux mille et un tiroirs (Joaquin Noessi/Joaquin Lledo). 1975 : Spermula (Charles Matton). 1976 : Barocco (André Téchiné ). 1985 : Billy-Ze-Kick (Gérard Mordillat). 1987 : Cinématon #949 (Gérard Courant, CM). Les Innocents (André Téchiné ). Les Keufs (Josiane Balasko). 1991 : La Gamine (Hervé Palud). 1993 : Une expérience d’hypnose télévisuelle (Gaspar Noé, CM). 1998 : Belle Maman (Gabriel Aghion). 2000 : Le Défi (Blanca Li).
Marie France (ou toute autre comédienne homonyme) serait en outre apparue dans le long métrage d’Éric Barbier, Toreros (1998), cette information n’ayant pu être vérifiée sur copie à l’heure où cet article est mis en ligne.
Addenda du 01/09/2006 :
Notre ami et collaborateur zélé Armel de Lorme est heureux de nous annoncer le lancement du site www.aide-memoire.org et de son « frère jumeau musical », au titre encore classé confidentiel, pour début octobre. Au sommaire des premiers numéros sont d’ores et prévues, comme autant de mises en bouche, la mise en ligne de galeries photos, les échos de tournages en cours et quelques exclus relatives à l’@ide-Mémoire : Encyclopédie des Comédiens Volume 2, toujours en phase rédactionnelle et dont la sortie est reportée au début 2007. Armel en profite pour rappeler que la sublime Marie France donne rendez-vous à son public du Trianon et de l’Archipel sur la scène du théâtre Le Méry, le 15 septembre à 20 heures. Tous les compléments d’infos requis sont accessibles via les liens suivants :
www.lalalala.org (la formidable et classieuse revue virtuelle pop, music-hall et chanson française de Didier Dahon et Jérôme Reybaud), lire l’article suivant : Marie-France au théâtre Le Méry.
Salut !
Juste un petit détail ! Elle l’a dit elle même en parlant de son nom d’emprunt : « Mon prénom, c’est Marie et mon nom de famille, c’est FRANCE, comme le pays qui m’a accueilli et que j’aime pardessus tout ; je ne suis donc pas qu’un prénom » (ce sont, de mémoire, à peu prêt, ses propres mots, donc « Marie-(avec-un-trait-d’union)-France, c’est pas bon !).
En tout cas, merci d’avoir évoqué Marie FRANCE, artiste intemporelle que j’apprécie beaucoup.
Bien amicalement,
Chris.