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VOYAGE AU BOUT DE L’ENNUI : CASHBACK

« Il faut bien convenir que, Freud ou pas Freud, une grande œuvre nous plaît ou nous émeut parce qu’elle touche en nous un complexe inconscient », disait Gaston Bachelard. Mais que dire quand ce fichu « complexe inconscient » (je sais, la culture, moins on en a, plus on l’étale…), ne vous raconte rien quand vous assistez à un curieux cocktail de prétention et de puérilités potaches ? J’ai traversé un petit bout de vie, sans trop de certitudes, mais je croyais au  moins s’avoir ce que c’était l’ennui. C’était avant de voir « Cashback », film inter(minable), qui tient de l’épreuve, tant rien, mais vraiment rien n’accrochait mon esprit (enfin ce qu’il en reste). Le tâcheron, un certain Sean Ellis, anglais au physique d’ado attardé, est un photographe de mode, qui a travaillé au cinéma – pas besoin de lire son pedigree pour le savoir, son « savoir-faire » s’étale suffisamment sur l’écran pour le deviner –. L’histoire semble venir d’un de ses vieux devoirs d’école, nouvelle fantastique laborieuse où l’on rêve de geler les choses, ou alors le zigue est resté bloqué dans son adolescence. Il a juste développé un court-métrage qu’il avait déjà fait, en prime, il existe une version longue du film heureusement restée au placard. Quelque part, il a réussi à  retransmettre l’impression de l’interminable traversée du tunnel au sortir de l’adolescence. Car à l’instar de son personnage, un jeune étudiant aux Beaux-arts – Sean Biggerstaff, tête de minaud, échappé des versions filmées des « Harry Potter » -, il arrive à transformer les minutes en siècles ! Le personnage a, en effet, trouvé le moyen d’arrêter le temps, en employant une touche pause mentale, glaçant l’instant présent. Il illustre cette idée en vous sidérant de vacuités. Ce qui est curieux, c’est la subjectivité de l’ennui, le film semble plaire, mais rien à faire de reste hermétique. Il a même reçu  le prix CICAE au Festival du Film International de San Sebastian en 2006, – c’est un festival sous acide ? -, alors qu’à tout casser, il devait tout rafler aux « Razzy award », catégorie films lamentable.

Emilia Fox, nouveau, le film interactif, où comment s’ennuyer en même temps que les personnages…

L’histoire tiendrait sur un timbre-poste, Ben se fait plaquer par sa copine Suzy qui lui hurle dessus au ralenti – pépère Ellis est tellement content de sa trouvaille, qu’il nous la ressert dans la dernière partie du film… (pardon de ce salmigondis).. Devenu insomniaque – il ne dort plus du tout d’ailleurs, heureusement pour lui, un des spectateurs, ronflait ferme, je n’ai pas eu cette chance, j’ai dû mal à dormir dans les lieux publics -. Ben s’emmerde – et nous avec…-, il décide de travailler dans le supermarché du coin, régi par un chauve suffisant, échappé d’un film de Luc Besson tant il flirte avec le vide abyssal – c’est qu’il est doué le Besson, il a quand même transformé Mia Farrow en zombie dans son « dernier » avatar de cinéaste -. Deux post-ados s’amusent en faisant des farces d’une rare stupidité, Ben s’attache à l’une des caissières la sensible Sharon – Emilia Fox, la seule du lot à ne pas avoir l’air d’une endive -. Oui je sais, c’est méchant pour les endives, je vous recommande un site endive.net http://www.endive.net/, pour vérifier ma mauvaise foi évidente. Bon  Ben, libidineux, c’est de son âge, arrête le temps et peint nues, les clientes de la supérette. L’érotisme de David Hamilton est du niveau d’un Antonioni, en comparaison de la vision de Ellis – hélas est là -, qui se paie le luxe de n’avoir strictement aucune inventivité. Pour meubler l’ennui, j’ai donc tenté de trouver au moins une belle idée, un beau plan, un truc qui ne me pas regretter ma soirée. C’est vrai quand on tombe dans l’ineptie la plus totale, comme chez Josée Dayan ou dans la campagne électorale actuelle d’une grande tenue, le ricaneur finit toujours par tomber sur quelque chose. J’ai fini par trouver, le personnage du gérant chauve, a des pellicules sur sa veste ! et mon esprit tortueux se met en branle, est-ce volontaire, l’acteur a t’il mit un blouson d’un autre en dernière minute, bref c’est une énigme et au moins ça meuble. On trouvait François Truffaut injuste quand il disait : « On peut se demander s’il n’y a pas incompatibilté entre le mot cinéma et le mot Angleterre », on sait désormais qu’au moins sur ce film cette déclaration toniturante colle parfaitement.

MON MEILLEUR AMI

Est-ce un effet post blues d’avoir traversé les inévitables fêtes de fin d’années sans trop d’ambages, mais « Mon meilleur ami » dernier avatar de Patrice Leconte est une excellente surprise. Cette comédie teintée d’amertume évite la mièvrerie. Je dois confesser avoir un peu décroché de ses derniers films – depuis « Ridicule » en fait. Le cinéaste inventif du « Mari de la coiffeuse »  me semblait s’être un peu dévoyé, pour avoir signé trop de pubs sans doute, dans un glacis général. Les bronzés 3 finissait par nous décourager à son propos, d’autant plus que la polémique à son sujet à propos des critiques semblait l’avoir affecté. L’histoire sans être très originale, on finit par traîner les pieds après avoir vu la bande-annonce, surtout que Daniel Auteuil semblait sérieusement faire avoir mon d’exigences ces derniers temps – jetons un voile pudique sur « Son Napoléon et moi » pantalonnade assez sinistre – . Mais on retrouve une écriture assez ciselée, grâce à Jérôme Tonnerre on peut le supposer. François Coste – Daniel Auteuil, probant -, un marchand d’art qui ne laisse que peu de place à ses émotions, après un enterrement, discute avec son associée, Catherine – lumineuse Julie Gayet, dont on apprécie toujours la subtilité de son jeu – et des amis, sur le nombre de présents à ses propres funérailles. L’homme étant assez antipathique, il fait le pari stupide avec elle de trouver en 10 jours son meilleur ami. Un vase grec de grand prix, que convoite un producteur de TV déterminé – Henri Garcin, épatant – est l’enjeu de son pari. Il délaisse comme à l’accoutumée sa maîtresse discrète – Elizabeth Bourgine que l’on a plaisir à revoir – et sa fille, qui refuse de soigner son asthme – Julie Durand, la révélation du film « Du poil sous les roses » -.

Daniel Auteuil & Julie Gayet

Malgré son tempérament affairiste est ombrageux, il finit par se lier avec un chauffeur de taxi loquace et un peu cuistre féru de culture – Dany Boon, qui impressionne par son jeu, entre drôlerie et émotion, définitivement un grand comédien -. On se laisse très vite prendre par l’histoire, inversant la célèbre phrase de Jean Cocteau « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». Patrice Leconte garde le cap, il est même admirable de voir comment il fait naître une tension, avec l’utilisation casse-gueule d’une célèbre personnalité de TF1, dans une partie du film – la polémique sur le fait que TF1 soit co-producteur du film me semble assez vaine – Il y a un soin particulier aux  – seconds rôles, habitués ou non de l’œuvre  du cinéaste, ce qui se perd un peu dans les comédies actuelles de Jacques Mathou et Marie Pillet touchants en  parents attentifs de Bruno , Jacques Spiesser en marchand d’art cinglant, Anne Le Ny et Pierre Aussedat en sélectionneurs perplexes, Marie Mergey en veuve blessée, Andrée Damant en passagère bretonne et alerte, Philippe du Janerand irrésistible « ami d’enfance » marié à Fabienne Chaudat, Etienne Draber en orateur, le désormais incontournable Eric Naggar – présent de plus en plus sur les écrans, en bigleux timide, soit un grand nombre de nom à rajouter à la fiche d’IMDB du film. Pour faire allusion aux sinistres « Bronzés 3 » , félicitons-nous de voir que Patrice Leconte ait retrouvé sa petite flamme.

RED ROAD

« Red Road », prix du jury à Cannes est le type de film qu’il faut se précipiter de voir, car il aura très vite disparu de l’affiche, ne vous laissant pas le temps de le conseiller. Sans trop vouloir déflorer l’histoire. Jackie – très attachante Kate Dickie, faux airs de Marilyne Canto –  travaille la nuit pour une société de vidéosurveillance dans un triste quartier de Glasgow. Rapidement on la devine meurtrie par la vie, assez désabusée et tel un ange gardien elle veille sur la petite communauté. Elle prend très à cœur son métier, sans voyeurisme, et prend le temps de regarder les petites beautés de la vie comme deux promeneurs avec leurs chiens qui se rencontrent. Mais elle doit être vigilente car derrière ce calme apparent peut advenir un drame, comme une jeune femme qui se fait agresser par des jeunes filles apparamment tranquilles. Elle trouve dans son travail une sorte de réconfort – avec évidemment tous les problèmes que peut poser ce dispositif de 1984, car elle a le pouvoir d’influer sur la vie des gens -. Mais un jour elle va se focaliser sur un homme qu’elle semble reconnaître, et tout peut alors basculer…. C’est le premier long-métrage de la réalisatrice Andrea Arnold, qui avait remporté l’oscar du meilleur court-métrage en prises réelles en 2005 avec « Wasp ». L’entreprise très originale est le premier des trois films développés au « Sundance Screenwriters Lab », dans le cadre du projet Advence Party, en 2005. Le principe en était de raconter et faire trois films autour de l’utilisation des 9 mêmes personnages par 3 metteurs en scène différents (source le site sur Le festival de Cannes). Le regard qu’Andrea Arnold porte sur le monde est très prenant, proche d’un Mike Leigh. Si elle affronte la dure réalité anglaise sans fioritures, il n’y a pas  pour autant de misérabilisme. Il y a un parti pris naturaliste, qu’elle transcende en flirtant parfois avec le fantastique – les cris des renards au lointain -.

Kate Dickie

Elle arrive à trouver dans le quotidien un regard singulier. Elle remarque une grande tendresse chez les gens qui étouffent leurs maux, même dans les actes sexuels dépeints avec crudité. Le film baigne dans une étrange lumière automnale, et elle va s’attarder sur le sort des gens, la souffrance qui ne se montre pas. Les scènes d’un quotidien laborieux, Tous les personnages ont une grande dignité, même le collègue de Katie, un homme marié qui fait l’amour avec elle sans aucun romantisme dans une camionnette. Le film est prenant, oppressant parfois, comme si une menace sourde planait sur Glasgow. La ville est un des personnages à part entière du film, il faut souligner une attention particulière aux sons, aux petits riens que l’on ne prend plus le temps de regarder. Les gens cherchent à fuir un certain déterminisme, comme le personnage de Clyde – excellent interprétation de Tony Curan -, qui amène une grande subtilité dans un rôle très fort que je vous laisse découvrir. La très poignante Kate Dickie, fait passer une gamme de sentiments avec beaucoup de tenue. Sa manière « borderline » de survire à des blessures terribles, ne sont que des signes de détresse qu’elle refuse de montrer aux autres. Il y a de beaux personnages comme le personnage du beau-père privé d’un élément pour son travail du deuil et le petit couple vivotant, faisant parfois des petits griefs et se consolant avec un petit chien, et même la silhouette d’une jeune femme qui hésiter à entrer dans un immeuble. Le film très intense est une belle révélation, pour l’avoir découvert vierge de toutes informations. Le talent et la grande maîtrise d’Andrea Arnold est à suivre assurément.

LE COIN DU NANAR : RACHEL S’EN VA-T-EN GUERRE

Retour aux sources, pour Paul Verhoeven, qui avec son vieux complice le scénariste néerlandais Gérard Speteman, retourne en Hollande pour un projet vieux de 20 ans, avec ce « Black Book », « Zwartboek », en V.O.. Évidemment, il était difficile d’attendre de la subtilité de la part de ce cinéaste, mais on pouvait le penser perverti par le système hollywoodien. De par le souvenir de ses premiers films provocateurs et mordants, on pouvait espérer au moins une œuvre plus personnelle. Le film est certes divertissant, le bougre a du métier et il arrive à nous tenir en haleine dans le style « Bécassine chez les Nazis ». On ne peut pas dire qu’il innove beaucoup, on pouvait retrouver le portrait d’une femme, prête à tout pour survivre dans l’adversité – dans « La chair et le sang » en 1985, où l’admirable Jennifer Jason Leigh bataillait avec les horreurs du XVIe siècle. Surprise, le cocktail gore, sexe et religion est ici sérieusement aseptisé. Le film est malgré tout aidé par le charisme de sa jeune interprète Carice van Houten. Elle joue Rachel Stein, jeune et séduisante chanteuse juive, voulant regagner avec sa famille, la partie de la Hollande libérée. Après bien des rebondissements, elle finit par rejoindre la Résistance et finit par infiltrer la Gestapo, occupé par un officier allemand Müntze – Sebastian Koch, traînant sa lassitude en nazillon repenti – qu’elle va séduire. Mais un effrayant officier SS, qu’elle a croisé dans de tragiques circonstance,s règne dans ce lieu par sa cruauté –  Waldemar Kobus au moins aussi drôle que Francis Blanche en Papa Schülz dans « Babette s’en va-t-en guerre » -. Rien ne lui sera épargné dans les épreuves… Il faut l’entendre dire « Tout cela ne cessera donc jamais ? » – allusion aux 2h25 de film ? -. La moralité du film est plus que douteuse, ne servant qu’à de vains retournements de scénarios, un officier nazi pouvant se révéler particulièrement sympathique.

Carice van Houten & Waldemar Kobus

Les notions de bien et de mal sont ici caricaturées et ne servent qu’à de redoutables effets de scénarios rocambolesques avec une musique de fond façon potage. Le petit jeu prévisible des faux-semblants est exploité à l’envi, et donne un effet d’un éloge flagrant de l’opportunisme. Verhoeven multiplie les fausses audaces, confinant au grotesque, comme la teinture de poils pubiens pour la jeune chanteuse histoire de faire plus aryenne ! Ces personnages sont des pantins ballottés par les événements, ces aliens insectes ou ces femmes fatales d’opérette pouvaient être plus crédibles, c’est dire. Les interprètes sont assez jouissifs dans le ridicule, comme Thom Hoffman, médecin résistant, Christian Berkel en général SS déterminé ou Derek de Lint en père possessif et résistant. Ce curieux mélange de mièvrerie, d’esbroufe, de bons sentiments et d’atrocités finit par avoir son petit effet rigolo. Le pire est que le réalisateur, se dit s’inspirer de faits réels, on se demande quel est le matériel de départ devant tant d’invraisemblances et de roublardises. Le film prend une vérité historique, un dixième de la population juive survivra au Pays-Bas, pour aboutir à une BD caricaturale, ce qui me semble vraiment malsain. Ce qui est difficilement compréhensible c’est un certain accueil critique favorable, sans créer de polémiques ce qui est assez décourageant. Heureusement que les chroniqueurs du « Masque et la plume », sur France Inter,  ont hier allégrement assassiné ce film, car je finissais par douter de ma santé mentale. Pierre Murat a finement comparé ce film avec « La chatte » d’Henri Decoin, film des années 50 avec Françoise Arnoul. C’est le même type d’histoire d’espionnage durant l’occupation, mais ce film ne se voulait qu’un honnête divertissement. Amateurs de nanars cultes, précipitez-vous ! Il est curieux que ce metteur en scène, avouant ses compromis avec le cinéma américain finisse par faire pire dans son pays d’origine. Le baquet de merde du film finit par être une métaphore assez juste de cette oeuvrette grotesque et boursouflée.

COEURS

  On devrait fêter l’inventivité d’Alain Resnais, tous les jours, tant ce metteur en scène se renouvelle constamment dans la continuité. La trop grande discrétion de l’homme, fait peut être que l’on ne lui rende pas plus souvent hommage, même s’il a reçu pour son dernier film « Cœurs », le « Lion d’argent du meilleur réalisateur » à la 63ème Mostra de Venise. Je suis dans le même cas de figure que « Pierrot » dans son excellent compte rendu dans son blog « Le journal cinéma du docteur Orloff », il est difficile de parler finalement d’un cinéaste pour lequel on voue une adoration, « Muriel ou le temps d’un retour » est par exemple pour ma pomme l’un des plus beaux films du monde. On retrouve donc le petit théâtre d’Alain Resnais, et on peut saluer sa réactivité… En effet il n’a pas réussi à terminer un projet pourtant bien avance « Le tsar se fait photographier », adaptation d’un opéra de Kurt Weill et Georg Kaiser, faute de financements. Il s’est donc rabattu sur une nouvelle adaptation de l’œuvre théâtrale très riche d’Alan Ayckbourn – après la formidable réussite du dyptique « Smoking-No-smoking » -, en confiant à un Jean-Michel Ribes très inspiré, qui transpose l’histoire dans le XIIIème arrondissement de Paris – Resnais restitue parfaitement son ambiance – l’adaptation de « Private fears in public places », en trois semaines seulement. L’adversité semble l’inspirer, les assurances doivent prévoir un cinéaste de remplacement en cas de mort d’un cinéaste jugé trop âgé – ce qui est tout de même assez sordide -. Après Cédric Klapisch, prévu en secours pour « Pas sur la bouche », Alain Resnais a choisi Bruno Podalydès. Avec malice, il lui confit la petite émission de télévision musicalo-religieuse – drolatiques scènes avec notamment l’excellent Michel Vuillermoz -, pour mieux l’intégrer dans la narration pour une amusante histoire de K7. Le résultat final est remarquable. Ce film, qui avait pour premier titre « Petites peurs partagées », qui a dû effrayer les distributeurs, capte en fait parfaitement l’air du temps, un sentiment sourd de solitude et une inquiétude à ne pas retrouver son « binôme ». Pour citer la célèbre poésie d’Aragon « cœurs légers, cœurs changeants, cœurs lourds le temps de rêver est bien court.. », le titre « Cœurs » est excellent, il montre les sentiments oppressés, l’emballement d’un amour naissant, la lassitude d’une triste condition.

Sabine Azéma & Pierre Arditi

Avec une certaine tendresse pour ses personnages, il livre un monde un peu désabusé, en nous régalant d’une mise en scène tout simplement éblouissante. S’il regarde ses personnages comme dans « Mon oncle d’Amérique », comme des animaux de laboratoires, il les isole de leur milieu, pour mieux les comprendre. Comme dans « Mélo », « Smoking-No-smoking » et “Pas sur la bouche”, la théâtralité est assumée, le factice aide à établir une étude de mœurs avec beaucoup d’humour. C’est l’histoire de 7 solitudes, 7 destins qui s’entrecroisent, il y a Lionel, un barman dans un hôtel de luxe,  – Pierre Arditi, remarquable en homme désabusé -, flanqué d’un père possessif et atrabilaire  – audacieuse utilisation du grand talent de Claude Rich, presque 40 ans après « Je t’aime, je t’aime » -, Thierry, un agent immobilier zélé – André Dussollier virevoltant -, s’occupant d’un couple de clients difficiles, – Nicole et Daniel dit Dan qui traversent une crise, Laura Morante rayonnante et Lambert Wilson qui fait une composition jubilatoire en ancien militaire qui se laisse vivre, fréquentant souvent le bar où travaille Lionel -. André partage sa morne existence entre sa collègue Charlotte un peu bigote et assez étrange et qui s’occupe également en bénévole du père de Lionel – Sabine Azéma, fantasque dans un rôle assez complexe – et sa sœur Gaëlle, beaucoup plus jeune que lui – Resnais s’est inspiré d’un cas réel, selon la revue « Positif », Isabelle Carré lui donne son charme habituel -. Gaëlle cherche l’âme sœur et finit par rencontrer Dan, qui tente de réorganiser son existence. La neige omniprésente – rappel du superbe « L’amour à mort », va finir par renter dans les cœurs, donnant une ambiance sourde et feutrée, les moindres sentiments sont de ce fait exarcerbés. C’est du travail d’orfèvre magnifié par son travail avec ses collaborateurs habituels – Jacques Saulnier, 15ème film ensemble – ou avec des petits nouveaux : Éric Gautier à la photographie – lire son passionnant entretien dans le dernier numéro de « Positif » – ou le musicien Mark Snow – musicien des séries américaines « Millenium » et « X-Files », Alain Resnais étant féru de séries américaines. Ce film, vu deux fois avec le même plaisir, me semble remonter nettement le niveau de cette triste année cinématographique dans le cinéma français.

LIBERO

Qui pouvait penser un jour en voyant Kim Rossi-Stuart dans le film de Michelangelo Antonioni dans « Par-delà les nuages » en 1985, où il paraissait comme une gravure de mode bien fade, qu’il s’avèrerait plus de 10 ans plus tard, un réalisateur aussi subtil avec son premier « Anche libero va bene », en V.O.. Il est vrai que l’on avait put noter une maturité dans son jeu d’acteur, dans « Romenzo criminale » (Michele Placido, 2005) et surtout « Les clés de la maison » (Gianni Amelio, 2004) , où il se découvrait un père tardif d’un petit handicapé. On attendait donc son film, en raison des échos favorables de la présentation du film, dans le cadre de la « Quinzaine des réalisateurs à Cannes ». Il avait d’ailleurs obtenu le prix de la CICAE, association rassemblant des exploitants de salles « Art et Essai européennes ». Il joue ici Renato, le père un peu dépassé de Tommi, enfant de 11 ans et de sa grande sœur Viola. Pour son premier film, il ne devait pas jouer ce rôle, mais il a finalement emplacé un comédien défaillant au pied-lever. La mère les a abandonnés assez rapidement.  Complètement irresponsable, elle préfère suivre sa vie volage. Le trio subsiste face aux difficultés financières du père. Il est un petit caméraman assez impulsif, qui tente de s’installer à son compte. Mais il a du mal à trouver des contrats, car il est trop entier pour accepter les compromissions – voir la mémorable scène du chameau lors d’un tournage d’une publicité -. Ils arrivent à un petit équilibre, malgré l’absence de l’amour d’une mère, le fils – formidable Alessandro Morace doté d’une belle sensibilité et trouvé par le réalisateur dans son école -, très mature pour son âge, se forge son propre univers. Il s’approprie le toit de son immeuble comme terrain de jeu. Tommi poursuit ses études sans trop d’enthousiasme .Il finit par s’attacher à un jeune retardé plus âgé arrivé dans sa classe, mutique et presque autiste. S’il hésite à s’asseoir avec ce nouvel arrivant, il finit par s’en faire un allier. Renato a pour son fils, de grandes ambitions, il l’encourage à devenir un champion de natation, alors que ce dernier préfèrerait jouer au foot. Même si Viola, a des petits jeux sexuels assez inquiétants pour son âge, cette famille décomposée est unie, malgré l’autorité du père, et de sa colère rentrée qui ne demande qu’à sortir, comme la gifle qu’il donne à son fils pour le punir d’avoir traité sa sœur de pute. Mais la mère, en femme désinvolte et  blessée revient et demande à se faire accepter par le trio malgré son attitude indigne. Le père demande à ses enfants de voter pour autoriser son retour, et bien évidemment l’équilibre précaire qu’il y avait chez lui est fortement remis en question…

Kim Rossi Stuart, Marta Nobil & Alessandro Morace

Rarement au cinéma, on aura vu une telle acuité sur le monde de l’enfance, décrit avec autant de justesse par Kim Rossi Stuart. Il montre la vulnérabilité, la fragilité et un monde évoluant très vite, dans la lignée d’un Luigi Comencini, avec lequel ce film est très justement comparé par quelques critiques. Au petit jeu un peu stérile des références, on pense également à la maîtrise de Nanni Moretti – et pas seulement en raison de la barbe de Kim Rossi Stuart, lui donnant une allure toute  « Morettienne ». Il est vrai que  la co-scénariste du film, est Linda Ferri qui avait signé également « La chambre du fils ». Le titre est révélateur de l’attente d’un père au bord de la démission, pour son fils, le terme. « Libero », signifie un poste de défenseur au football, ce qui est une belle métaphore pour le jeune Tommi. Kim Rossi Stuart est avec les jeunes comédiens, formidable, impressionnant de rage et de révolte face à un monde qui ne lui fait pas de cadeau. Au bord de la détresse, il tient cependant par l’amour de ses enfants, en père imparfait il reste particulièrement touchant dans son exigence et dans la tendresse qu’il peut avoir quand il retrouve le sourire en voulant s’amuser avec eux. Ils sont prêts à traverser les épreuves futures, par une osmose réelle. Le cinéma italien continue à nous réserver quelques surprises, ce film étant révélateur de la santé de leur cinéma d’auteur, tout en continuant une grande tradition d’écoute sociale. En privilégiant le regard d’un enfant, Kim Rossi Stuart, qui se révèle un metteur en scène inspiré, nous livre un portrait prenant, sans concession et assez âpre, de la société italienne et de la place à tenir au sein d’une famille monoparentale. Le réalisateur préfère distiller l’émotion par petites touches, plutôt que de jouer la carte du mélo, en nous montrant par exemple, une lettre de la mère repentante mouillée de larmes. Mais derrière une dureté apparente, il y a une grande pudeur, l’histoire n’est pas dénuée d’espoir. Une formidable réussite ! Mais gros bémol hélas pour l’aigri de base qui se met au final à râler, Kim Rossi Stuart est beau… et en plus talentueux… il n’y a aucune justice en ce bas monde !

MÉMOIRES DE NOS PÈRES

C’est finalement nos seniors comme Woody Allen avec « Scoop » et Clint Eastwood avec ce film, qui nous donnent en ce moment de bonnes nouvelles du cinéma américain particulièrement ennuyeux et poussif en ce moment : « Les fous du rois », « Le Daliah noir », sans oublier « The last kiss » laborieux et inutile remake de « L’utimo baccio » de Gabriele Muccino, pourtant signé Paul Haggis, scénariste également « La mémoire de nos pères ». Pour faire comme tout le monde je reprends le bon vieil adage du beau film de John Ford « L’homme qui tua Liberty Valance » :  » …quand la légende dépasse la réalité imprimez la légende », le film va voir au-delà de cette image. Ce film particulièrement critique envers les États Unis, nous montre la notion toute relative de l’héroïsme, trois survivants sont montés au pinacle, à l’issue d’une des plus sanglantes batailles de la guerre du Pacifique. Il est adapté d’un livre que l’on dit remarquable de James Bradley et Ron Powers, qui vont voir au-delà de la légende. Au cinquième jour de l’historique bataille d’Iwo Jima, cinq Marines et un infirmier de la Navy hissent, dans un élan patriotique, le drapeau américain au sommet du Mont Suribachi, arraché aux Japonais. L’image de ces hommes unis marque rapidement les esprits, mais certains élites veulent récupérer ce drapeau en souvenir. Un photographe souhaite immortaliser cet instant, et refais la photo avec quelques soldats présents le falot John « Doc » Bradley, l’Amérindien Ira Hayes, effacé, ne voulant pas faire la photo pris par ses scrupules et le sympathique René Gagnon. Ils vont devenir des symboles et de retour aux États-Unis vont sillonner le continent, à grand renfort de propagande, ils permettent ainsi de récolter de nombreux bons… Mais ils vivent cet état de gloire comme une imposture, notamment Ira Hayes repris par ses démons. Ils vont traverser un complexe du survivant et se questionner sur ces petits arrangements avec la vérité. La mise en scène de Clint Eastwood est simplement admirable, ces combats font évidemment penser par une certaine crudité et à un grand réalisme à « Il faut sauver le soldat Ryan » de Steven Spielberg, ici co-producteur du film. On ne fait qu’entrevoir l’ennemi, ou parfois leurs corps, certains s’étant suicidés à la grenade pour échapper à un massacre.

Adam Beach, Ryan Philippe & Jesse Bradford

On attend onc avec impatience la suite du diptyque avec « Lettres d’Iwo Jima », également réalisé par Eastwood, contrepoint qui devrait être passionnant, la bataille sera vue par la partie adverse japonaise. L’interprétation est ici remarquable, car elle ne correspond pas à l’imagerie traditionnelle du héros, comme Ryan Philip, Jesse Bradford ou Adam Beach, vivant mal ses origines indiennes face au racisme ambiant. Seul Barry Pepper – remarquable dans « Trois enterrements » figure un combattant hors-norme, il choisit d’aller au casse-pipe alors qu’il pouvait comme officier rester dans une zone protégée. Eastwood prend des interprètes dont on est familier, sans être des vedettes – Paul Walker, Jamie Bell, etc… -. Les scènes de guerres sont saisissantes, la cruauté de la guerre. Les soldats sont déconsidérés, à l’image tragique du soldat qui tombe d’un navire de guerre, en route pour l’île d’Iwo. Les officiels ne s’arrêteront pas pour le repêcher… Même si on peut parfois être déstabilisé par la construction du scénario un peu alambiquée, par certains aller-retour passés-présent, critique toute relative devant le brio de la mise en scène, son réalisateur apporte aisément l’adhésion. Mais il nous montre aussi l’angoisse des soldats, avant le débarquement. Le retour de nos trois soldats est dépeint avec un réalisme teinté d’amertume, ils doivent servir de modèles par ceux qui exploitent des légendes pour de basses vues politiciennes. La scène du dessert, un sorbet miniaturisant la célèbre photo, sur lequel on verse du coulis de fraises est d’une grande force, mais aussi suscite un grand malaise, l’absurdité de la guerre continuant avec la banalité du quotidien, et de l’exploitation de l’image de manière outrancière. Le scénario brillant, ne laisse pas les autres personnages en retrait, comme les mères admirables. Elles sont utilisées, elles aussi, même si elles gardent une grande dignité, comme celle qui reconnaît la silhouette de son fils pris en photo dont le nom ne passera pas dans la postérité malgré ses grands mérites. Après le petit miracle de « Million dollar baby » en 2004, Clint Eastwood continue à s’inscrire comme l’un des grands maîtres du cinéma mondial. Il rend hommage aux soldats, tout en livrant un portrait sans concession d’une Amérique, qui a de curieuses résonances avec notre société contemporaine.

BAMAKO

« Bamako » ,présenté hors compétition au Festival de Cannes en mai 2006 en sélection officielle, est un film atypique. Le cinéaste Abderrahmane Sissako à l’idée de faire le procès populaire de la « Banque mondiale » et du « Fond monétaire international », dans une cours de son propre petit village malien. C’est une poignée de représentants de la société civile africaine, qui a engagé cette procédure. Ce huis-clos en plein air, est une belle idée, prendre un axe local pour toucher à l’universel. Un haut-parleur diffuse les actes du procès aux villageois, et le désintérêt de certains d’entre eux compose est montré comme une critique de la passivité de certains de ses concitoyens, qui se soumettent à l’ordre établi. Le ton est accusateur pour nos sociétés, mais il est aussi fortement autocritique. C’est la belle Aïssa Maïga, qui ponctue le film, en danseuse de bal. Son couple avec son mari traversant une crise, le procès l’indiffère un peu. Dans le village, la vie continue, certains souffrent, s’aiment, s’occupent des enfants et des animaux. La vie propre continue malgré le procès. Les intervenants se succèdent sans manichéismes, des véritables avocats jouent leurs propres rôles, comme Roland Rappaport avocat de la défense flirtant avec le ridicule – il faut le voir essayer d’improbables lunettes noires, proposées par un vendeur à la sauvette. Ces personnalités, comme l’avocate sénégalaise Aïssata Tall Fal, jouent le jeu avec une grande ferveur, forts de leurs éloquences acquises avec l’expérience. Les personnages qui témoignent sont touchants, d’une grande dignité, comme ce griot qui se met à chanter dans sa langue, alors qu’on lui refuse tout témoignage – moment d’une très grande force -, ou une femme très courageuse qui témoigne de son vécu.

Le résultat est poignant, nous montrant toute la souffrance de l’Afrique acculée par une dette astronomique. Les secteurs de la santé et de l’éducation sont donc sacrifiés. A l’heure d’une médiatisation assez ambiguë avec des vedettes internationale de Brad Pitt à Madonna, le metteur en scène nous montre le grand dénuement d’une Afrique qui survit dans une grande indifférence. Tout le protocole d’un procès est respecté à la lettre. Un avocat blanc peut détenir la vérité quand il défend le continent africain, alors que sont montrés ici certains noirs dans la compromission, à l’instar de ce portier qui se laisse aisément soudoyer par un journaliste. Il nous montre l’importance de la culture africaine, sa grande sagesse, sa capacité à se révolter, et à subsister malgré la misère. Les scènes de plaidoiries sont les plus fortes, alternant avec des scènes oniriques ou du quotidien. Seule la scène du western africain, proposé à la télévision, est ici un peu déplacée, mais on peut s’amuser à l’incongruité de voir Dany Glover – co-producteur du film -, ou Elia Suleiman, original cinéaste du film « intervention divine« . L’humour est constant, la critique assurée. Le décalage est grand entre une Afrique ancestrale et contemplative, et cet hypothétique procès où finalement les puissants sont pour une foi dépossédés d’une arrogance cynique. L’image d’une Afrique debout, se révèle très forte malgré une situation alarmante, et dépeinte sans didactisme et sans moralise. Cette rêverie réaliste se révèle passionnante, et plus mordante qu’un film uniquement  documentaire. C’est assurément l’un des films les plus libres, originaux et les plus forts de cette rentrée maussade. Abderrahmane Sissako montre, avec une grande acuité, que l’on peut concilier l’engagement militant avec l’exigence artistique, le tout avec intelligence.

UNE VIE DIFFICILE

Il y a des films que l’on désire voir ardemment, et que l’on finit par découvrir tardivement. L’occasion était trop belle pour ne pas aller voir « Una vita difficile / Une vie difficile » de Dino Risi, datant de 1961, et sauf erreur étant sorti tardivement en France en 1976. Il est encore à l’affiche de l’Utopia de Bordeaux au moins jusqu’au 14 novembre, dans une copie parfaitement restaurée. C’est un petit bijou en noir et blanc,  dans la filmographie pourtant brillante de Dino Risi, qualifié justement par les critiques de « moraliste acerbe ». On découvre le destin de Silvio Magnozzi – Alberto Sordi dans l’un de ses meilleurs rôles – qui s’occupe d’un journal clandestin dans l’Italie de 1944. Surpris par une attaque des Allemands, il doit fuir et se réfugie dans une petite auberge. Sa propriétaire, une femme mûre particulièrement déplaisante refuse de l’accueillir. Il manque de se faire arrêter par les occupants, mais il doit son salut avec une intervention inattendue d’une belle jeune femme, fille de l’aubergiste Elena Pavinato – éblouissante Léa Massari -. Il file ensuite le parfait amour dans un vieux moulin, avant de l’abandonner pour rejoindre les partisans, pris par le remord de ne pas continuer à faire son devoir. La guerre terminée, il devient un journaliste dans un petit journal d’opposition qui le rémunère très mal. Emporté, il prend prétexte d’un article de son ami Franco Simonini – Franco Fabrizi, figure sympathique du cinéma italien -, pour aller rejoindre Elena et voir ce qu’elle est devenue… Il y a une maestria dans ce film, porté par l’incroyable composition d’Alberto Sordi, au sommet de son art. Il excelle dans un personnage complexe, à la fois révolté et veule, naïf et cynique, il n’hésite pas à aller au bout de son personnage. Même si son personnage est odieux, il finit par devenir touchant. A ses côtés Léa Massari, rayonne, elle doit supporter les humiliations de Silvio qui la rabaisse, en lui disant qu’elle n’a pas de culture, et plus tard, aura des réactions particulièrement odieuses sous l’emprise de la boisson.

Léa Massari & Alberto Sordi

Il faut voir sa réaction quand il apprend qu’elle tombe enceinte, il lui reproche de ne pas avoir fait attention, car pour lui il faut qu’une femme travaille pour subvenir à son avenir. Mais le film n’est pas dénué d’espoir, car Silvio est un rebelle. Il a le choix de se laisser corrompre ou non quand il dévoile un scandale financier. S’il se compromet, il n’aura plus aucun souci d’avenir, même il préfère garder sa dignité. Il est tiraillé entre le désir de sa femme et de sa belle-mère, cette dernière voulant le voir retourner au village au volant d’une belle voiture, ce qu’il finira par faire de manière détournée. Il se bat pour imposer son roman, impubliable s’il ne passe pas entre les ciseaux de la censure. Dino Risi nous propose une radiographie mordante de la société italienne d’après guerre, il est impitoyable avec le fameux miracle économique italien, qui ne profite qu’aux margoulins de tous poils. Il égratigne aussi son propre milieu, à l’instar des apparitions grotesques de Vittorio Gassman, Silvana Mangano et Alessandro Blassetti qui tourne un péplum. Il y a un petit côté chaplinesque chez ce couple, à l’exemple de la scène d’anthologie, un beau sommet de grotesque. En effet des royalistes les invitent à manger… pour ne pas être 13 à tables. Affamés, n’arrivant pas à manger tous les jours, Silvio et Elena ne veulent que manger, alors que la famille richissime appréhende les résultats sur un référendum concernant le futur système d’anthologie. Tout ici est admirable, de la scène de Silvio devant un jury, après avoir repris tardivement des études d’architectes, des petits matins blêmes le lendemain d’une nuit dans un night-club, ou une hilarante scène d’enterrement. Ce film est d’une richesse inouïe, le regard de Dino Risi étant à la fois lucide sur son temps, et tendre sur ce couple bancal mais amoureux. On peut aisément parler de chef d’œuvre avec ce film.

THE QUEEN

Un certain dimanche 31 août 1997, la princesse Diana succombe à un accident de voiture survenu sous le pont de l’Alma. La popularité de cette personnalité est si importante, que la planète entière se met à la pleurer. Tony Blair- Michael Sheen – qui jouit d’une grande popularité, depuis sa récente élection comme « prime minister », pressent le phénomène. Il ne gardera pourtant pas cette clairvoyance durant toute sa carrière et le réalisateur nous le fait remarquer avec beaucoup de justesse. Elizabeth II, la reine – Helen Mirren -, confinée dans son château de Balmoral en Écosse, n’appréciait guère le comportement de Diana Spencer. Aussi elle préfère garder le silence, ne se rendant pas comte dans son isolement de l’ampleur de ce mouvement, ce qui choque les Britanniques. Tony Blair, après une prise de contact assez froide, finit par vouloir la convaincre. Dans ce rôle Michael Sheen, avait déjà expérimenté dans un téléfilm « The deal » en 2003, signé pour la télévision par Frears également, le comédien excelle dans un registre matois et arriviste. Son conseiller de communication lui conseille de célébrer cette icône iconoclaste naissante en qualifiant de « Princesse du peuple ». Il conforte ainsi sa côte médiatique. Cette radiographie de la société anglaise, signée Stephen Frears, dans cet épiphonème qui a suivi ce deuil tragique, est ici faite avec beaucoup de mordant. Mais ce n’est pas une satire, il y a réellement un effort de compréhension de découvrir la véritable personnalité de ceux cachés derrière les arcanes du pouvoir et des rites d’un autre âge et d’une rigueur inouïe. La royauté pouvant présenter pour nous un anachronisme pesant, on finit pourtant par ressentir l’attachement des Anglais envers elle. Le scénario de Peter Morgan est particulièrement brillant – il a reçu d’ailleurs l’Osella du scénario lors de la 63ème Mostra de Venise -, même s’il cède parfois à une symbolique un peu lourde, – l’anecdote du cerf, décidément très en vogue en ce moment -. Il montre brillamment l’inconstance de l’opinion publique, et la manipulation roublarde des médias. Évidemment, ça ne manque pas de sel quand on connaît la position actuelle de Tony Blair, dont l’image est désirlaus ternie pour les Anglais. Le Premier ministre est égratigné avec justesse quand la reine mère – Sylvia Syms – évoque son célèbre sourire du « chat du Cheshire » de Lewis Carroll. l faut voir la colère de cette dernière, quand elle voit que la cérémonie funèbre préparée à son intention, finit par servir pour celle qu’elle déteste. Tout ce petit monde est personnifié, avec un réel bonheur, dans ce petit jeu des convenances, James Cromwell – inoubliable interprète de « Six feet under », et américain type – est réjouissant en Prince Philip, réactionnaire à souhait.

Michael Sheen & Helen Mirren

Mais il faut s’attarder sur l’extraordinaire composition, tout en nuances d’Helen Mirren, dans le rôle d’Elizabeth II – elle a reçu la coupe Volpi toujours à Venise. Elle incarne avec beaucoup de justesse le destin exceptionnel de cette reine. Il suffit de faire la comparaison avec traitement poudré et compassé de Golda Meir et Ben Gourion, joués respectivement par Tovah Feldshuh et Ian Holm dans « O Jérusalem », pour souligner ici les mérites de ce film. Helen Mirren trouve l’essence de son personnage, en lui donnant une grande complexité, une noblesse de port, et nous faisant comprendre ce personnage à priori peu discernable à nos yeux.  Il y a une formidable empathie avec son personnage, dont la grande noblesse est la sauvegarde de son sens du devoir. Elle s’humanise malgré les travers d’une hypocrisie construite. Elle est même touchante quand elle finit par voler des moments de liberté au protocole de sécurité, au volant de son vieux véhicule. Tony Blair et elle, s’observe sans vouloir faire trop de concessions, Cherie Blair s’amusant en plus de ce protocole désuet autour de cette souveraine – Helen McCrory d’une drôlerie superbe -. Ils finissent par s’apprécier finalement, dans une idée de partager des intérêts communs. Ils baisseront la garde devant une situation qui les dépasse, Blair finissant même par la défendre la monarque devant son état major, en maugréant après de l’inconstance la princesse Diana, statufiée par l’opinion comme une sainte laïque. Il faut saluer l’audace de vouloir évoquer la vie privée des grands de ce monde, même si on du mal à retrouver le Prince Charles dans l’incarnation d’Alex Jennings, et d’imaginer avec un vérisme certain ce qui se cache derrière la comédie du pouvoir. Frears prouve que l’on peut être vachard, tout en étant respectueux finalement. On est très loin de la grosse farce que l’on pouvait attendre dans le traitement de ce sujet. Stephen Frears de film en film, continue à se renouveler, garde son acuité au monde, aussi bien dans une grosse machinerie américaine que dans un petit budget se passant en Irlande. Derrière le travail de reconstitution minutieux, il arrive à nous faire comprendre ce que représente cette monarchie, pourtant ruineuse, pour les Anglais, ce qui n’est pas une petite affaire. La mise en scène est enjouée, et il arrive, cas extrêmement rare, à faire parfaitement coexister des images d’archives – celles de Lady Di -, et le jeu de comédiens. Il est étonnant de voir que ce réalisateur avec Mme Henderson présente, nous propose deux des meilleurs films de l’année et continue avec une belle constance de nous montrer son grand talent. God Save the Frears !