« … On aime les seconds rôles parce qu’ils nous ressemblent. Plus que les héros eux-mêmes, auxquels on aimerait ressembler, et qui dont donc plutôt des projections idéales. Par essence, le second rôle figure l’homme de la rue, le stylise, le personnalise, lui donne relief et singularité, mais ne le sublime pas. L’identification du spectateur opère donc de manière plus directe et plus immédiate – à la rigueur si le trait est trop rude ou trop peu flatteur, décidera-t-on d’y reconnaître son voisin de palier… » (Jacques Valot et Gilles Grandmaire « Stars deuxième », Édilig, 1989). Si on retrouve dans l’édition anglo-saxonne, plusieurs livres consacrés aux « heavies », « seconds couteaux », ou comédiens de seconds plan, on ne pouvait jusqu’à présent retrouver concernant les français quatre livres exemplaires, mais malheureusement épuisés – « Les excentriques du cinéma français » d’Olivier Barrot et Raymond Chirat, portraits de 250 comédiens, et livre de chevet pour moi, déclencheur d’un grand amour pour ce type de  comédiens, heureusement réédité dans « Noir & Blanc » (Flammarion, 2000), « Les grands seconds rôles du cinéma français » par Jacques Mazeau et Didier Thouart (Pac, 1984), « Stars deuxième » cité en exergue, « Le dictionnaire des comédiens français disparus » d’Yvan Foucart (Éditions Grand Angle, 2000), mine d’informations, largement reprises partout et dont on peut lire quelques portraits inédites dans www.lesgensducinema.com, en attendant une prochaine réédition. Par un hasard salutaire, deux livres sur ce sujet viennent de sortir en ce début d’année, comblant un manque évident, et proprement enthousiasmants.  

Christophe Bier avait fait une brillante chronique, il y a quinze jours, dans « Mauvais genre » sur France Culture, concernant L’aide-mémoire, encyclopédie des comédiens français et francophones de cinéma, théâtre et télévision, sous la direction d’Armel de Lorme, avec des textes de Christophe Bier, Raymond Chirat, Armel de Lorme, Tgabory Fernatos, Italo Manzi, Alain Petit et Jean Pieuchot. Ce brillant volume 1, nous permet enfin de retrouver et de découvrir, outre les vedettes d’hier et d’aujourd’hui – Jean Marais, Danielle Darrieux, Sacha Guitry, Marcel Herrand, Anouk Aimée, Jean-Paul Rouve, etc… -nombre de comédiens à la carrière régulière ou chaotiques, cantonnés dans des rôles d’officiers allemands, emplois ancillaires, gouailleurs, silhouettes, etc…. Ce livre est une mine d’informations, d’érudition, de sérieux, réalisés par des chercheurs passionnés et non par des compilateurs myopes qui se dépêchent à recopier des erreurs, suite à une lecture hâtive du site IMDB. L’auteur Armel de Lorme – il a signé un remarquable bonus hélas tronqué dans le DVD de « Mon oncle » -en signalant d’ailleurs quelques petits malins, vendant au prix fort des filmos parus dans des bonus DVD, simples copiés-collés ne faisant même pas la distinction avec la télé – je vois d’où ça vient, je retrouvé d’ailleurs quelques téléfilms des années 70 que j’avais mis sur IMDB, ce qui m’amusait beaucoup d’ailleurs -. J’ai découvert ainsi avoir colporté des erreurs récurrentes, en confondant Jacqueline Chambord avec Judith Magre, – elle se nommait Simone Chambord, à ses débuts -. Les auteurs tordent le cou aux erreurs habituelles, sachant bien que comme disait Bertrand Tavernier, rien n’est plus « menteur qu’un générique » ! Les rôles coupés au montage final sont signalés ici. On apprend que certains comédiens identifiés par Raymond Chirat à la sortie des films, ont proprement disparus dans les copies que nous pouvons voir, à l’exemple de Rudy Lenoir absent des « Portes de la nuit » dont « il manque une vingtaine de minutes par rapport à la durée d’origine » !

On se régale à retrouver les acteurs fétiches de Jean-Pierre Mocky – Jean-Claude Rémoleux, Jean Abeillé, Gaby Agoston, Rudy Lenoir, Antoine Mayor le « Rondo Hatton » français  -, les personnages hantant les films de Jacques Tati, et choisis avec minutie- Nicole Régnault, faisant un come-back tardif dans « Brice de Nice » ! -, Rémoleux à nouveau, Louis Jojot, Jean-Pierre Zola, Nicolas Bataille, Betty Schneider, Yvonne Claudie, Lucien Frégis, Edouard Francomme -, de destins tragiques – Pascale Ogier, Jean-Marc Tennberg -, des cascadeurs-comédiens – André Cagnard, Guy Delorme, Michel Berreur -, stars de cinéma bis – Véronique Vendell, Sabine Sun -, de comédiens truculents jouant les utilités dans les comédies françaises, souvent avec Louis de Funès – France Rumilly, Micheline Bourday, Max Montavon -, retrouver les excentriques du cinéma français chers à Chirat – Marcel Pérès, Jean Ozenne, Gabrielle Fontan, Jean Témerson, Aimos, Marguerite Pierry, Édouard Delmont, Alfred Adam -, et le retour des excentriques du cinéma français, pour la génération suivante – Georges Adet, Jacques Rispal, Jean Ozenne, Charlotte Barbier-Krauss, la sympathique Madeleine Barbulée, Florence Blot, nombre de comédiens attachants –Gabriel Jabbour, Darling Légitimus, la grand-mère de Pascal, Marc Mazza, Michel Peyrelon dont je déplorais, ici même,  le silence à sa mort, etc…- , les actrices fétiches de Paul Vecchiali – l’incroyable Paulette Bouvet, mère de Jean-Christophe, Germaine de France, Denise Farchy -, des sympathiques « Madeleine » : Bouchez, Cheminat, Clervanne, Damien, Marie, femmes menues, que l’on confond parfois -, de femmes confinées dans des emplois acariâtres ou autoritaires – Helena Manson, Marianne Borgo, Jeanne Herviale -, des comédiens souvent sous-utilisés – Jacques Herlin, Edith Scob, Catherine Lachens -, de destins « avant-garde et grands voyageurs » – Kiki de Montparnasse, Gina Manès, Florence Marly, Conchita Montenegro, Reggie Nalder, Enrique de Rivero, et Howard Vernon, avec cerise sur le gâteau une interview « long-drink » très mordante de ce dernier -, et de beaux hommage aux disparus récents, certains évoqués ici-même – Suzanne Flon, Maurice Baquet, Henri Génès, Paul Le Person, Pierre Trabaud, etc… -.

Ces visages vous les connaissez tous, sans pouvoir toujours les identifier. Cet une magnifique hommage pour ces comédiens, éternels non crédités, où figurant au générique de fin, que l’on ne peut désormais même plus lire dans un passage télé tant il est minuscule, tronqué ou passant à la vitesse « grand V ». Même si le cinéma d’hier et d’aujourd’hui ne vous intéresse que modérément, c’est aussi l’occasion de retrouver des destins tragiques, romanesques, singuliers, une masse d’informations inédites, vous saurez par exemple à quel occasion Jean Abeillé a été le dernier partenaire de Brigitte Bardot. Difficile de citer tous le monde, tellement ce livre est foisonnant, vous pouvez retrouver la table des matières via le forum de Dvdclassik. Personnellement je rêvais pouvoir avoir un livre tel que celui-ci dans ma bibliothèque, sans trop y croire d’ailleurs, c’est fait désormais. Il sera un compagnon idéal, à portée de main c’est obligatoire, lors de vos visionnages de films câblés, du patrimoine sur France 3 ou des DVD, quel meilleur hommage à « Mon oncle » peut-on trouver à ce livre. Les filmos sont en plus d’une exhaustivité inédite, difficile de les prendre en défauts, j’ai cherché une erreur pour ne trouver qu’une coquille confondant Bernard Lavalette avec Bernard Lajarrige, et encore pour une scène coupée au montage dans « Violette Nozière » de Chabrol, c’est dire si je suis vicelard, mais il n’y a rien à faire, c’est du sérieux. Entre cohérence éditoriale, une passion pour sauvegarder la mémoire du cinéma français, ce livre est sans forfanterie aucune, un absolu régal. Il n’y a peu d’échos hélas des médias, car c’est un livre auto-édité, mais vous pouvez avoir des renseignements pour l’obtenir via l’adresse aide-memoire@club-internet.net. Pour un livre qui fait du bien, surtout quand on voit la liste des disparus de l’année défiler de manière subliminale dans la cérémonie des Césars, et encore avec des coquilles, François pour Françoise Vatel, c’est pathétique. Heureusement il reste quelques amoureux enflammés.

  

Sorti du même moule, mais sans filmographies, c’est un peu dommage, pour rappel, il convient également d’acquérir « Caractères, moindres lumières à Hollywood » (Éditions Grasset, 2006), de Philippe Garnier, que les lecteurs de « Libération » connaissent bien. Ce sont des hommages flamboyants aux « characters actors », de la confrérie de la redingote – Eric Blore , Francklin Pangborn -, Edward Everett Horton, figurant en couverture, des visages singuliers du formidable « En quatrième vitesse », film culte de Robert Aldrich, « de Nick Dennis « Va Va Voum » à « Albert Dekker », d’individualités fracassantes de Simone Simon – évoquée aussi dans « l’@ide-mémoire -, mais aussi Frank Morgan, Arthur Kennedy, Thema Ritter, une sorte de Pauline Carton américaine, Eugene Pallette, une joyeuse rondeur, Edmond O’Brien, Jack Elam, présenté comme « L’homme qui a dit merde à Hollywood », Walter Brennan, etc…,  à l’ultime caractère Timothy Carey déjà évoqué dans le site « Retour à Yuma », formidable gueule passant de l’œuvre de Stanley Kubrick à John Cassavetes. A noter pour les éditeurs que l’ami Jean-Louis Sauger, a déjà un dictionnaire sur le même mode, qui ne demande qu’à être publié. Philippe Garnier, dresse ici un superbe hommage aux acteurs de « composition » de l’âge d’or du cinéma hollywoodien, souvent cantonnés dans des rôles stéréotypes, contraints à suivre l’exigence des studios, mais donnant aussi un suppléments d’âme à des figures imposées.   Deux hommages magnifiques aux sans-grade ! Il y a d’ailleurs deux cahiers photos centraux, permettant d’identifier, J’en ai découvert beaucoup ainsi. 

 

  

Je profite de cette chronique, pour présenter le premier roman d’un autre grand amoureux des seconds rôles, leur vouant un culte, c’est Jean-Marcel Erre pour son livre « Prenez soin du chien ». Avec un sens aigu de l’observation, on retrouve tout un voisinage assez déjanté autour d’un écrivain pour la radio Max Corneloup. C’est à la fois un solide polar, un livre inventif et haletant, habité par des personnages hauts en couleurs, et par un humour ravageur. On peut d’ailleurs s’amuser à distribuer les rôles avec nos amis seconds rôles. Hautement recommandable, aux éditions Buchet-Chastel.