Bernard Noël

Quelles traces laissent un comédien mort trop tot ? Pour l’avoir admiré son panache, son visage un peu inquiet, dans Vidocq, un chef d’oeuvre télé de Marcel Bluwal, on peut se poser la question. C’était légitime que Claude Brasseur le remplace après sa maladie, car il y a des accents du père, Pierre Brasseur, chez lui. Le cinéma ne semble pas l’avoir trop gâté, un cow-boy dans « Fernand Cow-Boy » aux côtés de Fernand Raynaud, l’ami de Maurice Ronet dans « Feu follet », etc… Mais on peut apprécier son jeu sur le DVD de « Gaspard des Montagnes » (Jean-Pierre Decourt, 1965), où l’on ressentait sa sensibilité et sa fougue. Il aurait compté énormément, si le destin ne l’avait jugé autrement.

Je reprends la consultation d’anciens Téléramas à la principale bibliothéque de mon lieu d’habitation – Ils sont disponibles depuis 1972 -, histoire d’alimenter la base de données du site IMDB en téléfilms, alors nommées dramatiques, histoire de continuer à sauvegarder une mémoire. D’ailleurs si vous avez des fiches Télé, à me suggérer, je peux les rentrer sur la base. En ce moment, parcourant le premier semestre 1983, je tombe sur un hommage de Claude Rich, à l’occasion de la rediffusion de  « La mégère apprivoisée » adaptation de 1964 de Pierre Badel, avec Geneviève Fontanel, Bernard Noël y joue « Petrucchio ». Claude Rich qui a une plume magnifique fut ami et partenaire de Bernard Noël, dans la pièce « Victor et les enfants du pouvoir », je ne résiste pas à vous restituer ce texte :

Quelques mois avant sa mort, nous étions descendus dans le Midi. Tous ses amis devinaient l’issue fatale, lui seul voulait l’ignorer.

Il aimait tellement la vie que la mort n’était pas dans son programme.

Un soir, nous étions étendus sur la terrasse de l’hôtel qui donnait sur la campagne de St-Tropez. Notre radio était branchée sur Alger. Et avec le soleil qui se couchait, nous écoutions les voix qui venaient de la Méditeranée. A travers les monts du Maghreb nous revenaient nos héros de l’enfance ! Mermoz, St-Exupery, Charles de Foucauld. Ces chants lancinants qui berçaient sa souffrance le faisait délirer, et rêver de traversées qu’il n’avait pas faites.

Et aussi, peut-être d’un Dieu, si proche et pourtant si différent de celui de son enfance qu’il avait oublié, délaissé – à cause de la frénésie qui nous entraîne de rôles en rôles, vers des personnages auxquels on donne sa vie, son coeur et qui après s’en vont si vite, en nous laissant démuni – Jusqu’au suivant.

Frénésie qui vous laisse si peu de temps à vivre. Si peu de temps pour vivre.

Ce soir-là, il pensait qu’il faudrait savoir s’arrêter, et partir sur le dos d’un nuage pour réapprendre à vivre.

C’est difficile de s’arrêter quand on entend quelque part en soi l’horloge qui marque les heures !

Combien de rêves sont restés inachevés chez Bernard ? Personne autant que lui n’était si plein de passions de désirs et d’amour !

Sa fougue était provebiale ! Un jour, il montait à cheval dans « La mégère apprivoisée ». Ce n’était pas un cheval très discipliné. Quand on a dit « action » il a couru vers son canasson. Et son désir et sa fougue étaient si grands qu’il a dépassé le cheval et qu’il c’est retrouvé le cul sur l’herbe…

Tout était trop petit pour Bernard ! les canassons, le monde, la vie. Bernard était grand. Il n’était pas fait pour un univers où les hommes mesurent un mètre soixante.

Claude Rich, article « Bernard Noël, si peu de temps pour vivre » Télérama N°1742 du 04/06/1983.

Note du 1 septembre 2006 : Vient de paraître un excellent livre à son sujet « Bernard Noël, prince et Brigand de Comédie » (Patrice Ducher, Éditions Pascal, 2006), mine d’informations sur ce formidable comédien.