François Toumarkine « soigné » par Jean-Pierre Mocky pour « Les ballets écarlates »

Je tente une nouvelle rubrique, sorte de laboratoire pour une série de portraits concernant des nouveaux « excentriques du cinéma français » selon l’expression heureuse d’Olivier Barrot et Raymond Chirat. Le titre « Fragments d’un dictionnaire amoureux » provient des « Cahiers du cinéma » à l’occasion d’un numéro spécial Acteurs.

François Toumarkine :

Ce Deschiens émérite fait souvent preuve de grandeur, de drôlerie, tout en pouvant changer de registre en une fraction de seconde. Outre les diffusions télévisées de ces programmes devenus cultissimes, il participe sur les planches aux spectacles de Jérôme Deschamps & Macha Makeïeff (« Les précieuses ridicules », « Le lapin chasseur », Molière du meilleur spectacle comique 1989). Il entre très vite dans le « Mocky circus » .  Dans l’un des ses premiers rôles, dans « Litan ou la cité des spectres verts », il amène un climat burlesque à un rôle particulièrement inquiétant de loubard au couteau, courant comme un dératé après Marie-José Nat. Il est aussi un clochard slave qui dissuade Michel Serrault de se suicider dans « Bonsoir » de Jean-Pierre Mocky. On l’imagine aisément transfuge d’un film des années 30, marqué par un certain « réalisme politique ». C’est l’humanité qui se dégage le plus dans son jeu, tel son personnage de Manu, un poil simplet dans « La discrète » aux côtés de Fabrice Luchini. Il est le souffre-douleur de Serge Riaboukine, un de ses rôles le plus touchant.  Il retrouve Luchini, dans « Jean-Philippe » en 2006, où il campe un clochard compatissant, qui réconforte le personnage de Fabrice, bouleversé de se retrouver dans une dimension fantastique. Ce dernier est d’ailleurs trop pris par son problème, pour être en empathie avec la misère de son compagnon d’infortune. Dans le supplément DVD de « Grégoire Moulin contre l’humanité » (film à réévaluer absolument), il est un badaud toisant Artus de Penguern, déguisé en Adolf Hitler. Il reconnaît son personnage en le prenant pour une vague célébrité TV, suit un dialogue de sourd surréaliste.

Il est à l’aise dans la drôlerie ou le picaresque (« Saint-Germain ou la négociation »), il devient l’instrument tragique du destin en frère de Line Renaud dans le superbe « Suzie Berton » en doux dingue qui ne vit que pour les sorties avec sa sœur pour aller voir les films de « Bruce Lee », un rôle proche du personnage de Radek du roman de Georges Simenon « La tête d’un homme ». En 2004, on le retrouve digne du cinéma expressionniste muet allemand dans « Rois et reine » où dans le rôle d’un infirmier nommé « Prospero » il forme un tandem étonnant avec son comparse au patronyme shakespearien également : Caliban, joué par Miglen Mirtchev, ce qui semble présager une  » tempête sous crâne », alors qu’ils viennent chercher Mathieu Amalric, en vue de l’hospitaliser dans un asile psychiatrique. Il est censé rassurer son patient, mais en une fraction de secondes, son regard halluciné développe une hystérie inattendue. Blessé par Amalric, il fulmine dans son coin, refusant de lui prêter son portable, pour finalement assister à une séance d’enregistrement avec un regard protecteur. S’il impressionne par sa haute stature, 1m84, il se révèle souvent touchant. C’est l’exemple typique du comédien, qui fait « mouche » à la moindre des ses apparitions. Il est irrésistible dans « Les ambitieux » de Catherine Corsini, quand il défonce la porte de toilettes, où se retrouve enfermé Éric Caravaca, pris de panique en raison de sa claustrophobie. Il faut voir Toumarkine s’acquitter de cette tâche en râlant, tout en disant « ce n’est pas parce que je suis gros, que je suis Ben Hur !… » Il reste fidèle à l’univers Mockyien, des « Ballets écarlates » où il compose un père immonde qui vend son fils à un pédophile à la série « Myster Mocky présente » à la télévision sur « 13ème rue ». Dans « Tellement proches » il est l’archétype du voisin hargneux dérangé par une fête juive, mais le bougre finit tout de même par s’humaniser et y participer. François Toumarkine est un des comédiens français les plus attachants.

Filmographie : 1981  Litan, la cité des spectres verts (Jean-Pierre Mocky) – Elle voit des nains partout (Jean-Claude Sussfeld) – 1982  Le polar (Jacques Bral) – Le petite bande (Michel Deville)  –  À mort l’arbitre (Jean-Pierre Mocky) – 1985  Le pactole (Jean-Pierre Mocky) – La machine à découdre (Jean-Pierre Mocky) – 1986  Lévy et Goliath (Gérard Oury) – 1987  Vent de panique (Bernard Stora) – Meutres (+ réalisation, CM) –  1988  Le crime d’Antoine (Marc Rivière) – Une nuit à l’assemblée nationale (Jean-Pierre Mocky) – Drôle d’endroit pour une rencontre (François Dupeyron) –  Un père et passe (Sébastien Grall) –  1989  J’aurais jamais dû croiser son regard (Jean-Marc Longval) –  1990  La discrète (Christian Vincent) – Toto le héros (Jaco Van Dormael) – 1991  Cauchemar blanc (Mathieu Kassovitz, CM) – Mocky Story (Jean-Pierre Mocky) –  1992  Un été sans histoires (Philippe Harel, moyen-métrage) – Métisse (Mathieu Kassovitz) –  Zoé la boxeuse (Karim Dridi, CM) – Carlota (Joseph Morder, CM) – Le mari de Léon (Jean-Pierre Mocky) – Cible émouvante (Pierre Salvadori) – 1993  La vengeance d’une blonde (Jeannot Szwarc) – Loin des barbares (Liria Bégeja) – Le péril jeune (Cédric Klapisch) – Dressing room (Jean-Pierre Pozzi, CM) –  Regarde les hommes tomber (Jacques Audiard) –  1994  La haine (Peter Kassovitz) –  1995  Black Dju, vos papiers (Pol Cruchten) –  Le cri de la soie (Yvon Marciano) –  Paul et Virginie ou la clef du paradis (Maurice Cora Arama, CM)  –  Hercule et Sherlock (Jeannot Szwarc) –  La belle verte (Coline Serreau) – Le nez au vent / La nuit des cerfs-volants (Dominique Guerrier, CM) – 1996  Demain, dès l’aube (Stéphane Subiela, CM) – 1997  La mort du chinois (Jean-Louis Benoît) –  2000  Grégoire Moulin contre l’humanité (Artus de Penguern) – 2001  Sexy boy (Stéphane Kanzandjian) – Les araignées de la nuit (Jean-Pierre Mocky) – Monsieur Ibrahim et les fleurs du coran (François Dupeyron) – 2003  Conflit de canards (Paul Saintillan,court-métrage) –  2004  Rois et reine (Arnaud Desplechin) – Les amants réguliers (Philippe Garrel) – Touristes ? oh yes ! (Jean-Pierre Mocky) – Les ballets écarlates (Jean-Pierre Mocky) – Grabuge (Jean-Pierre Mocky) 2005  Cauchemar du promeneur solitaire (Paul Saintillan, CM) – Ces jours heureux (Éric Tolédano & Olivier Nakache) – Jean Philippe (Laurent Tuel) – 2006  Les ambitieux (Catherine Corsini) – Molière (Laurent Tirard) – 2007  Le perroquet bleu (Jacques Rozier, inédit) – 2008  Ich Bombe (David Klein, CM) – Tellement proches (Éric Toledano & Olivier Nakache) – Rumeurs, commérages, on dit que (Ingrid Lanzenberg, CM) – Bas-fonds (Isild Le Besco) – 2009  Célulloïd gangster (Hugo Pivois, CM) – Une semaine sur deux (et la moité des vacances scolaires) (Ivan Calderac) – 2010  Crédit pour tous (Jean-Pierre Mocky) – 2012  Le dernier rôle de Jacques Serres (Francois Goetghebeur et Nicolas Lebrun, CM).

Voxographie  : 2008  La véritable histoire du chat botté (Pascal Hérold, Jérôme Deschamps & Macha Makeïeff).

Télévision (notamment) : 1992  L’affaire Deschamps (Philippe Lallemant, documentaire) – 1994  Ferbac : Le carnaval des ténèbres (Sylvain Madigan) – 1995  Julie Lescaut : Recours en grâce (Joyce Buñuel) – 1996  Les cinq dernières minutes : Le quincailler amoureux (Jean Marboeuf) – 1997  Entre terre et mer (Hervé Baslé) – 1998  Marie Fransson : Un silence si lourd (Jean-Pierre Prévost) – 1999  P.J : Tango (Gérard Vergez) – Marie Fransson : Positif (Jean-Pierre Vergne) – 2000  Marie Fransson : S’il vous plaît (Christian Spiero) – Un flic nommé Lecoeur : Dans le béton (Alain Tasma) – 2001  Marie Fransson : Bonne chance, maman (Christiane Spiero) – 2003  Saint Germain ou la négociation (Gérard Corbiau) – 2004  Suzie Berton (Bernard Stora) – 2005  Allons petits enfants (Thierry Binisti) – La légende vraie de la Tour Eiffel (Simon Brook) – 2007  Rendez-moi justice (Denys Granier-Deferre) – Myster Mocky présente : Cellule insonorisée (Jean-Pierre Mocky) – 2009  Les petits meurtres d’Agatha Christie : Les meutres ABC (Éric Woreth) – Kaamelott – Livre VI (Alexandre Astier) – Le Bruno Vaigasse show (Gaël Malry) – Au siècle de Maupassant – Contes et nouvelles du XIXème siècle : L’affaire Blaireau (Jacques Santamaria) – Colère (Jean-Pierre Mocky) – 2012  La croisière : Les bons parents (Pascal Lahmani).