Youssef Chahine par Olivier Roller

Annonce de la mort du grand cinéaste égyptien Youssef Chahine, on savait qu’il était dans le coma depuis juin dernier des suites d’une hémorragie cérébrale. Il donne l’un de ses premiers grands rôles à Omar Sharif, avec  « Le démon du désert », où il incarne un bédouin révolutionnaire, dans « Ciel d’enfer » où il est un ingénieur agronome soucieux du sort des paysans et « Les eaux noires » où il est un jeune marin pris dans la tourmente d’une grève de dockers. Très vite il connaît une consécration internationale de par son côté pourfendeur des intégrismes et des travers de ses compatriotes. Il sera découvert de manière non chronologique en France, Georges Sadoul écrivait que c’était le meilleur cinéaste de sa génération. Jean-Marie Sabatier saluait deux de ses oeuvres « mineures » sorties en 1973, des films musicaux, »C’est toi mon amour » : « …Mais au delà des stéréotypes et des conventions du genre, on y décèle (outre une maîtrise technique assez rare dans le cynéma égypitien de 1956), un certain ton, un regard critique sur la société patriarcale, sur la séduction de l’argent, et un humour bien arabe principalement basé sur l’antithèse… » et « Le vendeur de bagues » : « …car c’est non seulement une comédie musicale du niveau des grands crus hollywoodiens, mais c’est aussi un spectacle de goût qui concilie avec sensiblité un genre occidental et une tradition arabe ». Dans « Gare centrale », il interprète lui même un homme souffreteux ayant pour univers la gare du Caire, où il vivote en vendant des journaux. Pour son malheur il tombe amoureux d’une beauté locale. Au travers du constat de la misère en Egypte, il défend dans ce film les miséreux et les marginaux. Il continue dans la fresque historique « Saladin », et son combat sur les chrétiens, « Un jour sur le Nil » dans le cadre de la construction du barrage d’Assouan, « La terre » narrant les problèmes de récoltants de cotons face à la sécheresse, il reste toujours très attaché à son pays. « Le moineau » est une évocation de la guerre des six jours et parle de la corruption de hauts fonctionnaires. Il se livre ensuite à un récit nostalgique de son enfance avec « Alexandrie, Pourquoi ? ». Sa forte personnalité – ses colères sur les tournages furent célèbres -, lui valurent quelques griefs de la part de critiques qui décrièrent son orgueil, nous valurent pourtant de grands films. Il n’hésitait pas à l’utiliser à l’écran comme dans « Alexandrie toujours et pourquoi », où il se mettait en scène sans s’épargner et avec une bonne dose de dérision. Il renoue avec les grandes fresques avec « Adieu Bonaparte », sur la campagne d’Egypte de Napoléon – campé par Patrice Chéreau –  avec Michel Piccoli en général s’attachant à de jeunes Egyptiens. Il donne son plus grand rôle à Dalida dans « le sixième jour », poignant mélodrame, portrait d’une femme soumise dans les années 40, face à une épidémie de choléra. Il retrouvera ensuite Piccoli dans « L’émigré » se déroulant 3000 ans avant Jésus-Christ, film qui connu des problèmes de censure de par son regard corrosif sur la religion. « Le destin » est une évocation du poète Averroes. « L’autre » montre les différences de classe au travers du portrait d’une jeune journaliste venant d’un milieu modeste. « Silence… on tourne » est une critique jubilatoire du milieu du cinéma, au travers des caprices d’une cantatrice. Il reçoit en 1997 le prix du 50ème festival de Cannes pour l’ensemble de son œuvre. Il participe ensuite à des films à sketchs notamment avec « Chacun son cinéma » et dans « 11,09,01 »» ce dernier ayant connu quelques polémiques, car il surprit par la virulence de son propos. Sa faculté d’allier le cinéma populaire et le film social, la comédie musicale et un regard lucide sur ses contemporains, l’humanisme et la farce, en fit l’un des cinéastes les plus originaux. Son mordant et sa parfaite connaissance du français en font une figure familière pour les cinéphiles français. Christian Bosséno lui avait consacré un ouvrage en 1985, « Youssef Chahine l’alexandrin » (CinémAction N° 33).

 

Filmographie : Comme réalisateur, scénariste : 1950  Baba Amin – 1951  Ibn el Nil (Le fils du Nil) – 1952  Al-Muharrij al-kabir (Le grand bouffon) – Sayedat al-Qitar (La dame du train)  – 1953  Nissae bila regal (Femmes sans hommes) – 1954  Siraa Fil-Wadi (Ciel d’ enfer) – Shaytan al-Sahra (Le démon du désert) – 1956  Wadda’ tou houbbak (Adieu mon amour) – Sira fil-Mina (Les eaux noires) – Inta habibi (C’est toi mon amour) – 1957  Bab el hadid (Gare centrale) (+ interprétation) – 1958  Jamila / Jamila al-Jazairiyya – 1959  Hubb lel-abad (À toi pour toujours) – 1960  Bein edeik – 1961  Rajul fi hayati (Un homme dans ma vie) – Nida all’ushsaq (L’ appel des amants)1963  El Naser Salah el Dine (Saladin) (+ production) – 1964  Fagr Yom gedid (L’aube d’un jour nouveau) (+ interprétation) – An-Nil oual hayat (Un jour, le Nil) –  1965  Biya el-Khawatim (Le vendeur de bagues) – 1966  Rimal min Dhahab (Sables d’ or) – 1967 Eid al-Mairoun (CM) – 1968  Al ard (La terre) – 1970  Al-Ikhtiyar (Le choix) – Salwa (CM) – 1972  Al- Asfour (Le moineau) (+ production) – 1973  Al-Intilaq (CM) – 1975  Awdat al  ibn al dal (Le retour du fils prodigue) – 1977  Askndrie, lie ? (Alexandrie pourquoi ?) (+ production) – 1982  Hadduta Misriyya (La mémoire) (+ production) – 1984  Adieu Bonaparte / Weda’an Bonapart – 1986  Al-Yawm al-Sadis (Le sixième jour) (+ interprétation) – 1990  Iskanderija, kaman oue kaman (Alexandrie, encore et toujours) (+ interprétation) – 1991  El-Kahira menawara bi ahlaha (Le Caire raconté par Chahine) (CM) –  1994  Al-Mohager (L’ émigré) – 1995  Lumière et Compagnie (un sketch) – 1996  Al massir (Le destin) – 1997  Lumières sur un massacre : Ce n’ est qu’ un pas (CM) – 10 films contre 100 millions de mines (CM) – 1998  L’ autre – 2000  Skoot hansawwar (Silence… on tourne) – 2002  11’09″01 September 11 (Onze minutes, neuf secondes, une image), skech « Egypt » (CM) – 2003  Alexandrie… New York – 2006  Chacun son cinéma ou ce petit coup au coeur quand la lumière s’éteint et que le film commence, sketch « 47 ans après » (CM) – 2007  Heya fawda (Chaos). Comme interprète seulement : 1985  Chéreau, l’ envers du théâtre (Arnaud Sélignac, documentaire) – Cinématon N° 133 (Gérard Courant, CM) – 1989  L’ après Octobre (Merzak Allouache, documentaire) – 2003  Épreuves d’ artistes (Gilles Jacob, documentaire) – 2004  Les mondes de Chahine (Anne Andreu, documentaire TV) – 2005  There is no direction (Sarah Bertrand, documentaire) – 2006  Humbert Balsan, producteur rebelle (Anne Andreu, documentaire TV) – Ouija (Khaled Youssef). Comme producteur seulement : 1977  Al-Saqqa mat (Salah Abou Seif) – 1979  Shafika we Metwali (Chafika et Metwal) (Aly Badrakhan) – 1988 Sarikat sayfeya (Vol d’ été) (Yousry Nasrallah).