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La mort de Robert Wise, réalisateur éclectrique de « West Side Story » par Thomas Sotinel (16/09/2005)

C’est à Saint-Sébastien, à la veille de l’ouverture du Festival de cinéma, que l’on a appris, mercredi 14 septembre, la mort du cinéaste Robert Wise, le jour même. Le grand rendez-vous espagnol s’apprêtait à rendre hommage au réalisateur de West Side Story ­ – le film aux dix Oscars ­ – en son absence.

Agé de 91 ans, Robert Wise avait délégué son épouse pour le représenter. Il a succombé à un arrêt cardiaque à Los Angeles. Samedi 10 septembre, il avait célébré son anniversaire. Le nom de Robert Wise reste attaché à deux des plus grands succès commerciaux de l’histoire du cinéma, deux comédies musicales, West Side Story (1960) et La Mélodie du bonheur (1965). Ce n’était pourtant pas un spécialiste du musical. Au long de ses cinquante-cinq ans de carrière, Wise a sacrifié à tous les genres : le policier, l’horreur, la science-fiction, le western. Et le succès n’est pas toujours allé à ses productions les plus intéressantes.

Robert Wise est né le 10 septembre 1914 à Winchester, dans l’Indiana. Il part pour Hollywood et est embauché comme assistant au département montage de la RKO en 1933. A la fin de la décennie, il est devenu monteur en titre, à temps pour qu’Orson Welles lui demande de travailler sur Citizen Kane.

Wise obtient un Oscar pour son travail sur le chef-d’oeuvre de Welles qui le retient pour son film suivant La Splendeur des Amberson. Le monteur passe alors de la gloire à l’infamie puisque c’est à lui que revient la tâche de couper le film de Welles contre la volonté du réalisateur éloigné d’Hollywood.

Son efficacité lui vaut de passer à la réalisation, toujours pour la RKO. Le producteur Val Lewton, spécialiste des films d’horreur, lui propose de terminer La Malédiction des hommes-chats, un film fantastique inspiré par le succès de La Féline, de Jacques Tourneur. Les premiers films de Wise pour la RKO forment un catalogue disparate et passionnant : il adapte Maupassant dans Mademoiselle Fifi (1944) et Robert Louis Stevenson dans Le Récupérateur de cadavres (1945), avec Boris Karloff.

Robert Wise continue sa collaboration avec la RKO jusqu’en 1949. Parmi les films remarquables de cette période, on retient Né pour tuer (1946), film noir mettant en scène un tueur en série séducteur, Le Ciel rouge (1948), un western avec Robert Mitchum, et Nous avons gagné ce soir (1949). Cette évocation d’un combat de boxe truqué à la mise en scène très sèche offre à Robert Ryan l’un de ses plus beaux rôles.

AFFRONTEMENT RACIAL Comme beaucoup de ses collègues au même moment, Robert Wise devient réalisateur indépendant à partir de 1950. Son éclectisme prend alors toute sa mesure. Il passe de la science-fiction( Le jour où la Terre s’arrêta, en 1951) au film de gangsters. Dans ce dernier domaine, Le Coup de l’escalier (1959) se détache de la production courante en mettant en scène l’affrontement racial entre deux braqueurs incarnés par Robert Ryan et Harry Belafonte.

Pour son film suivant, on lui demande d’adapter West Side Story. La comédie musicale de Leonard Bernstein doit en grande partie son immense succès sur Broadway à la chorégraphie de Jerome Robbins. Wise décide de partager la tâche de metteur en scène avec le chorégraphe. Ce sera la seule fois dans l’histoire des Oscars que la récompense sera attribuée à deux réalisateurs pour le même film. Le succès, critique et populaire, de cette adaptation de la tragédie de Roméo et Juliette au New York de l’époque est immense.

Trois ans plus tard, Robert Wise tourne alors ce que beaucoup considèrent comme son meilleur film, La Maison du diable (1963), un film de fantômes économe de ses moyens et pourtant terrifiant. Il revient ensuite à la comédie musicale avec La Mélodie du bonheur. Les recettes que rapportent les tribulations de la famille von Trapp, 163 millions de dollars pour l’Amérique du Nord, dépassent celles d’Autant en emporte le vent et le film détient pendant plusieurs années le record absolu du box-office.

C’est le dernier triomphe de Robert Wise. Certes le succès commercial ne l’abandonne pas tout à fait (La Canonnière du Yang-Tse, avec Steve McQueen en 1966 ou Le Mystère Andromède, un film de science-fiction en 1971) mais ses retrouvailles avec Julie Andrews, pour la comédie musicale Star, en 1968 se soldent par un échec. Il commet ensuite un film catastrophe Hindenburg (1975), une imitation de L’Exorciste (Audrey Rose en 1977) et porte avec un succès très relatif la série télévisée Star Trek à l’écran en 1979. Il réalise son dernier film, Rooftops dix ans plus tard.

Une sélection de films en DVD
Aux Editions Montparnasse. Né pour tuer, avec Claire Trevor et Lawrence Tierney ; Mademoiselle Fifi, avec Simone Simon ; Nous avons gagné ce soir, avec Robert Ryan.
Chez Warner Home Video. La Maison du diable, avec Richard Johnson, Julie Harris.
Chez MGM. Le Coup de l’escalier, avec Harry Belafonte et Robert Ryan ; Je veux vivre, avec Susan Hayward et Simon Oakland ; West Side Story, avec Natalie Wood, Rita Moreno et George Chakiris.
Chez 20th Century Fox. La Canonnière du Yang-Tsé, avec Steve McQueen et Candice Bergen ; La Mélodie du bonheur, avec Julie Andrews.

LIBÉRATION

La mort de Robert Wise, cinéaste de rigueur – Le réalisateur de «West Side Story» et de «Nous avons gagné ce soir» est décédé à Los Angeles. Par Édouard Waintrop, le jeudi 15 septembre 2005

Il n’était pas un habitué des honneurs, plutôt abonné aux notules un rien méprisantes des dictionnaires du cinéma et surtout au travail ordinaire des galériens d’Hollywood, même s’il eut deux succès impressionnants (»West Side Story», film aux dix Oscars, puis «La Mélodie du bonheur», record de recettes en 1965). Alors une intégrale de ses quarante films à Saint Sébastien, un des festivals majeurs du circuit international! Robert Wise a eu cette sorte d’élégance incroyable de quitter la scène juste avant l’ouverture du rideau: il est mort mercredi à Los Angeles à 91 ans, dernier pied de nez dans une carrière d’une quarantaine d’années qui n’en fut pas avare. Robert Wise vit les années 30 dans les salles de montage de la RKO, la plus petite des majors. D’abord comme grouillot puis comme responsable du montage son sur quelques comédies musicales (avec Fred Astaire). Enfin il monte tout court «La fille de la Cinquième Avenue» de Gregory LaCava, «Citizen Kane» et «La Splendeur des Amberson». Sur ce dernier, il accomplit sa tâche en l’absence d’Orson Welles que le studio a viré. Son style: rigueur et excellente direction d’acteurs Ce n’est que deux ans plus tard, qu’il fait ses premiers pas dans la mise en scène. En 1944, Val Lewton, responsable de productions fauchées de la RKO, lui confie la fin du tournage de «La Malédiction des hommes chats», suite de «La Féline» de Tourneur. Il enchaîne avec «Mademoiselle Fifi», tiré de Maupassant. Deux premiers films avec Simone Simon. Wise trouve un style, conjugaison de rigueur et d’une excellente direction d’acteurs. Dans le «Récupérateur de cadavres» (1945), très réussi, Boris Karloff est à la fois effrayant et pitoyable. Malgré son histoire dingue, «Né pour tuer» (1947) manque en revanche de jus. Ce nerf, Wise le retrouve avec «Le Ciel rouge» (1948), un western étonnant qui vire au film noir grâce à l’injection massive de scènes de nuit et surtout à un Robert Mitchum ambigu. «Nous avons gagné ce soir» (1949), histoire de boxe confinée entre un vestiaire et un ring, à la mise en scène vive et inventive sera son premier film célèbre et sa dernière production RKO. Avec Robert Ryan, acteur sombre et magnifique dans le rôle d’un boxeur essoré mais fier. Ensuite, Wise alternera le bon et le nettement moins bon («Destination Gobi», «Mon Grand», «La loi de la prairie», etc.), ces derniers titres faisant beaucoup pour sa réputation mitigée. Dans la première catégorie (les bons films), il faut citer le très mankiewiczien «Secrets de femme», qui ressemble dans son principe même à «Chaînes conjugales» (flash-back sur la vie de trois femmes provoqué par un événement inattendu). Et «The Captive City» (1952), polar prosaïque, sec et paranoïaque, où un journaliste découvre que sa petite ville, qu’il croyait idyllique, est devenue la proie de la mafia avec la complicité ou la passivité de la plupart de ses concitoyens. Melville enthousiasmé  : En 1954, Wise dirige «La Tour des Ambitieux», histoire a priori peu engageante de la succession d’un grand capitaliste, qu’il rend captivante avec l’aide d’un dialogue ciselé, d’acteurs formidables (de William Holden à Barbara Stanwyck) et d’un sens personnel du rythme. En 1956, il dirige un Paul Newman monté sur des ressorts dans «Marqué par la haine», plus nerveux que passionnant. En 1958, dans «Je veux vivre», il met en scène une prostituée (Susan Hayward), accusée à tort d’un crime et condamnée à mort. La première partie, sur la vie de bâton de chaise de l’anti-héroïne, est brillante. La seconde touchante. Réalisé l’année suivante, «Le Coup de l’escalier» suit un casse avec un classicisme revigorant qui enthousiasma Jean-Pierre Melville. Un flic à la retraite y monte un coup avec l’aide d’un musicien noir frimeur (Harry Belafonte) et d’un blanc amer et raciste (toujours formidable Robert Ryan). Le suivant, «West Side Story» (1961), tragédie musicale, Roméo et Juliette dans les bas quartiers de Manhattan, sera un immense succès. Mais c’est sans doute plus à Jérôme Robbins, coréalisateur et responsable des séquences dansées, à Leonard Bernstein, compositeur de la musique, et à Stephen Sondheim, auteur des paroles, que l’on doit les qualités du film. En 1963, retour plutôt réussi au cinéma d’horreur avec le gothique «La Maison du diable». En 1965, triomphe avec «La Mélodie du bonheur», qu’une grande partie des historiens qualifie de mièvre. Et pourtant ce remake de «La Famille Trapp», chronique d’une chorale familiale autrichienne au moment de l’Anschluss, comédie musicale (avec des dialogues de Lehman et une musique de Richard Rodgers) enlevée, se révèle brillante. Julie Andrews y est formidable. La fin de la carrière de Wise est plus floue. «Le mystère Andromède» (1971), une SF réaliste et effrayante, ébouriffante histoire de contamination adaptée d’un des premiers romans de Michael Crichton, mérite d’être sortie du lot. Le style de Robert Wise s’y retrouve tel qu’il fut, rigoureux au risque de la sécheresse.