Désormais, il ne faut plus se lamenter qu’il n’y ait plus de comédiens d’envergure, on peut toujours compter sur le talent d’Olivier Gourmet. C’est grâce aux frères Dardenne que nous avons fait connaissance avec cet acteur wallon, dans « La promesse », où il incarne un père frustre. Il reçoit le prix d’interprétation à Cannes pour « Le fils » en 2002, où il campe un professeur de menuiserie s’attachant à un de ses élèves. Même son dos impressionne- on pourrait écrire des pages sur ce fait -, le public international y découvre cet homme au jeu à la fois physique et sensible. Il retrouvera les deux frères pour « Rosetta » en employeur de restauration rapide d’Émilie Dequenne, et en policier pour « L’enfant ». Sa stature imposante le prédispose à jouer des rôles forts, on se souviendra du truand menaçant et propriétaire d’une boîte de nuit dans « Sur mes lèvres » chez Jacques Audiard. Mais il est aussi à l’aise dans des rôles plus légers, en commissaire bon enfant dans « Mercredi folle journée », il campe un truculent Roger Richebé dans « Laissez-passer », réalisateur qualifié de manière définitive par Henri Jeanson de « Richebé…, pauvre C… « , ou un policier goguenard dans « Pour le plaisir ». Il est vrai qu’au théâtre il privilégiait les rôles comiques. Il fait une composition saisissante dans « Nationale 7 », vision pas très tendre du monde du handicap de Jean-Pierre Sinapi. Il y joue un myopathe insupportable et ingérable, obsédé par l’idée d’avoir un rapport sexuel, malgré son diabète. Il est un proviseur autoritaire et rigoriste des années 70, dans « Les fautes d’orthographe » de Jean-Jacques Zilbermann, très dur avec son fils joué par le brillant Damien Jouillerot. Mais même dans ses interprétations les plus antipathiques, il y a toujours une dose d’humanité. S’il y a une constante dans ses rôles, c’est sans doute la grande dignité des personnages qu’il incarne. Il garde une grande fidélité au cinéma d’auteur, et, notamment, à Dominique Cabrera comme dans le superbe « Adieu » d’Arnaud des Pallières, où il incarne un homme qui n’aspire qu’à avoir une vie simple. Il trouve un de ses plus grands rôles dans « La petite chartreuse », beau film de Jean-Pierre Denis face à la toute jeune Bertille Noêl-Bruneau. Il y interprète un libraire austère qui retrouve le sens de la vie en voulant sauver du coma une petite fille qu’il a percuté avec sa fourgonnette. Il s’obstine à s’occuper d’elle, en lui faisant la lecture, malgré la méfiance de sa mère – la toujours juste Marie-Josée Croze, il est bouleversant de sensibilité. S’il ne dédaigne pas le cinéma commercial, c’est pour cautionner la qualité comme dans « Les brigades du tigre » de Jérôme Cornuau, où il reprend le célèbre rôle du « colosse de Rhodez » popularisé par Pierre Maguelon, s’il n’est pas toujours à l’aise avec l’accent méridional, sa bonhomie étincelle. Il apporte également des beaux moments aux films de Bruno Podalydès « Le mystère de la chambre jaune » et « Le parfum de la dame en noir », tout en marquant l’évolution de son personnage qui finit par devenir assez opaque pour son entourage… On le retrouve en curé bourru mais compatissant dans « Jacquou le croquant », donnant du souffle à ce film qui en manque cruellement. Dans « Le couperet », il nous livre une de ses performances le plus saisissante, en homme blessé, en parfait état d’ébriété, victime du stratagème diabolique de José Garcia, un rôle bref, mais inoubliable… L’homme est de plus d’une grande probité, ce qui est tout à son honneur, interrogé par le « Film français » : « c’est une industrie puante ! Aujourd’hui, on crée souvent l’événement autour de rien, et ça marche. Et pourtant, je reste persuadé que la France, qui m’a accueilli à bras ouverts, demeure le pays le plus ouvert en matière de culture ». (…) « je constate une baisse de qualité des scénarios par rapport aux années précédentes ». (…) « le cinéma dit d’auteur a vraiment de plus en plus de mal à exister. Si je prends par exemple les dix scénarios qui sont sur mon bureau, je crois qu’un seul parviendra à se faire (…). Il est regrettable que des jeunes auteurs talentueux soient obligés de se battre contre des moulins pour monter leurs projets. « . Source : « Cinéma.fluctuanet ».
dans « La petite chartreuse »
L’homme reste engagé, comme dans « Sauf le respect que je vous dois« ,
en employé qui se révolte contre le harcèlement moral. Il participe ainsi au téléfilm original de William Karel, « Poison d’avril », critique acerbe évoquant le rôle des médias le 21 avril 2002, alternant scènes d’archives télévisées avec des scènes de comédie. Il y incarne Charles, un rédacteur en chef d’une grande probité. Il ne pourra contrecarrer les plans d’un journaliste cynique incarné par Bruno Todeschini, prêt à tout pour faire de l’audience, quitte à abandonner l’éthique des choix éditoriaux de l’équipe qu’il a désormais en charge. Charles doit se rendre à l’hôpital au chevet de son père mourant, regrettant finalement le temps passé à son métier. Olivier Gourmet fait preuve à nouveau d’une grande émotion, notamment dans les échanges avec une infirmière. Il est formidable dans « Congorama », comédie décalée, où il est un inventeur laborieux – rôle écrit pour Benoît Poelvoorde ! -, inventant un curieux robot-tondeuse. Ses rapports avec son père mutique et grabataire, incarné superbement par Jean-Pierre Cassel, sont très touchants. Il y fait preuve aussi de tendresse avec sa femme d’origine congolaise et son jeune fils. La révélation de sa véritable identité, il a été abandonné par des parents canadiens, finissent par ébranler ses habitudes. La rencontre fortuite avec un Canadien azimuté – Paul Ahmarani, étonnant – et … d’un émeu, finiront par faire basculer sa vie, montrant une partie peu glorieuse de sa personnalité. Dans ce film, il est d’une grande drôlerie, mais finit comme toujours par éveiller notre empathie avec son personnage. Il déclare dans « Le soir » du 17 janvier 2007 à Philippe Manche : « …On m’a rarement proposé des personnages qui ont autant de légèreté humoristique tout en ayant un véritable ressort humain… ». Pour incarner « Mon colonel » en 2006, dans le film de Laurent Herbiet, il perd 25 kilos pour incarner un militaire sec, austère, et déterminé durant la guerre d’Algérie. Il manipule une jeune recrue incarnée par Robinson Stévenin, un idéaliste qui finit par céder à son autorité, quitte à nier ses propres convictions. Sa prestation évite tout manichéisme, pour ce personnage convaincu de bien faire, quitte à pratiquer la torture, finissant par s’arranger avec « son sens du devoir ». Il réalise là une de ses meilleures performances. On retrouve sa silhouette affûtée dans « Pars vite et reviens tard », où il incarne un crieur public, livrant des messages dans le quartier de Beaubourg à Paris. Il y est tellement crédible que l’on finit par s’étonner que ce type de personnage ne figure pas dans notre quotidien. Dans une scène de bistrot, avec Michel Serrault, un comédien de sa trempe, il donne à son personnage une intégrité, refusant de monnayer de mystérieux messages. Il est convaincant en impresario de Coluche partagé entre ses intérêts et de l’empathie dans « Coluche, l’histoire d’un mec ». Il a toujours une belle exigence en participant à des films originaux, avec son rôle de père taiseux et pris par son travail dans « Mon fils à moi » ou dans celui de l’époux d’Isabelle Huppert habitant près d’un tronçon d’autoroute dans « Home ». Il est convainquant en policier rongé par la culpabilité de ne pas avoir retrouvé le fils disparu de « Miou-Miou » dans « Pour un fils ». Il amène une complexité dans sa composition de Réaux dans « Vénus noire », forain jouisseur se servant du personnage de Saartjie Baartman, entre manipulation perverse et empathie, pour ses propres intérêts. Il montre également sa vis comica en employé d’une quincaillerie dans Bancs Publics et le prêtre enthousiaste de « Rien à déclarer ». Il est aussi à l’aise dans les polars noirs, en frère marginal de François Cluzet et Jonathan Zaccaï, s’occupant d’un chenil dans « Blanc comme neige » et le truand implacable de « Légitime défense ». Il est saisissant dans sa composition de manager survolté d’un comédien raté dans « Robert Mitchum est mort », dans la démesure, il trouve avec ce film original l’un de ses meilleurs rôles. L’homme garde les pieds sur terre, même le succès venant. Il reste attaché à sa Belgique natale, et continue à s’occuper de l’hôtel familial avec sa femme, dans un petit village des Ardennes, à Mirwart, depuis 1999. Régis Wargnier, rencontré lors d’une avant-première, m’a confirmé qu’il répond même au téléphone, et s’occupe des clients, mais ne propose plus désormais que les petits déjeuners, abandonnant les autres repas. Sa gamme et sa puissance de jeu étant absolument remarquable, et ses choix judicieux, c’est un comédien à suivre assurément… Génial dans son métier, et humainement remarquable.
dans « Mon fils à moi » DR
Filmographie : 1988 Hostel Party (Roland Lethem, CM) – 1991 Couru d’avance (Xavier Chitaens, CM) – 1995 Le huitième jour (Jaco Van Dormel) – La promesse (Luc et Jean-Pierre Dardenne) – 1997 Le bal masqué (Julien Vrebos) – Sombre (Philippe Grandrieux) – Je suis vivante et je vous aime (Roger Kahane) – Le signaleur (Benoît Mariage, CM) -Toreros (Éric Barbier) – Cantique de la racaille (Vincent Ravalec) – Ceux qui m’aiment prendront le train (Patrice Chéreau) – 1998 Le voyage à Paris (Marc-André Dufresne) – Rosetta (Luc et Jean-Pierre Dardenne) – J’adore le cinéma (Vincent Canoo, CM) – Peut-être (Cédric Klapisch) – 1999 Nadia et les hippotames (Dominique Cabrera) (+ version TV : Retiens la nuit) – Princesses (Sylvie Verheyde) – Nationale 7 (Jean-Pierre Sinapi) – De l’histoire ancienne (Orso Miret) – L’héritier (Philippe de Pierpont, CM) – Sauve-moi (Christian Vincent) – 2000 Mercredi, folle journée (Pascal Thomas) – Le lait de la tendresse humaine (Dominique Cabrera) – Petite sœur (Ève Deboise, CM) – Laissez passer (Bertrand Tavernier) – 2001 Sur mes lèvres (Jacques Audiard) – Une part du ciel (Bénédicte Liénard) – Un moment de bonheur (Antoine Santana) – Le fils (Luc et Jean-Pierre Dardenne) – Peau d’ange (Vincent Perez) – Le temps du loup (Michael Haneke) – 2002 Le mystère de la chambre jaune (Bruno Podalydès) – Adieu (Arnaud des Pallière) – Les mains vides (Marc Recha) – Trouble (Harry Cleven) – 2003 Pour le plaisir (Dominique Derrudderre) – Folle embellie (Dominique Cabrera) – Quand la mer monte (Yolande Moreau et Gilles Porte) – Les fautes d’orthographes (Jean-Jacques Zilbermann) – Le pont des arts (Eugene Green) – 2004 La petite Chartreuse (Jean-Pierre Denis) – Le parfum de la dame en noir (Bruno Podalydès) – Le couperet (Costa-Gavras) – L’enfant (Luc & Jean-Pierre Dardenne) – Sauf le respect que je vous dois (Fabienne Godet) – 2005 Un homme ordinaire (Vincent Lannoo) – Mon fils à moi (Martial Fougeron) – Jaquou le croquant (Laurent Boutonnat) – Les brigades du tigre (Jérôme Cornuau) – Congorama (Philippe Falardeau) – Madonnen (Maria Speth) – Cow-boy (Benoît Mariage) – 2006 Mon colonel (Laurent Herbiet) – Madre e ossa (L’amour caché) (Alessandro Capone) – Pars vite et reviens tard (Régis Wargnier) – 2007 Go fast (Olivier Van Hoofstadt) – Mesrine : L’ennemi public N°1 (Jean-François Richet) – Home (Ursula Meier) – Bancs publics (Bruno Podalydès) – Coluche, l’histoire d’un mec (Antoine de Caunes) – Le silence de Lorna (Luc & Jean-Pierre Dardenne) – 2008 Pour un fils (Alix de Maistre) – Un ange à la mer (Frédéric Dumont) – Robert Mitchum est mort (Olivier Babinet & Fred Kihn) – Altiplano / Fragment of Grace (Jessica Woodworth & Peter Brosens) – 2009 Blanc comme neige (Christophe Blanc) – La vénus noire (Adbellatif Kechiche) – Le roman de ma femme (Djamshed Usmonov) – 2010 Rien à déclarer (Dany Boon) – Légitime défense (Pierre Lacan) – Le garçon à vélo (Jean-Pierre et Luc Dardenne) – L’exercice de l’État (Pierre Schoeller) – 2011 Montana (Stephan Streker) – Le guetteur (Michele Placido) – Hénaut président (Michel Muller) – 2012 Violette (Martin Provost) – Grand central (Rebecca Zlotowski) – SK1, la traque de Guy Georges (Frédéric Tellier) – 2013 La marche (Nadir Ben Yadir) – La tendresse (Marion Hänsel) – Terre battue (Stéphane Demoustier). Télévision : 1994 Maigret en vacances (Pierre Joassin) – 1995 Les Steenford, maîtres de l’orge (Jean-Daniel Verhaeghe) – Folle de moi / Y a pas de lézard (Pierre Joassin) – 1997 Papa est monté au ciel (Jacques Renard) – 2000 Dossier dopage : contre la montre (Jean-Pierre Sinapi) – 2006 Poison d’avril (William Karel) – Candidat libre (Jean-Baptiste Huber) – 2007 L’affaire Ben Barka (Jean-Pierre Sinapi) – 2012 Les anonymes – Ùn’ pienghjite micca (Pierre Schoeller, + diffusion en salles).