Difficile ici de ne pas penser à l’inévitable cliché de la froideur des films de chefs opérateurs. Dans cette étude de mœurs, tiré du roman de Philippe Claudel – droits achetés d’après les épreuves, avant publication -, Yves Angelo livre un glacis dans l’ensemble du film. Curieusement, peut-être par l’artifice des images numériques, on ne sent pas la froideur de la température chez les personnages ce qui est assez gênant. L’atmosphère inquiète et le désordre de l’après seconde guerre mondiale finit cependant par être probante. Tout est ici « plombé » mais Yves Angelo est à l’aise pour se livrer à une critique acerbe des notables, la difficulté de retrouver une société après le traumatisme de la première guerre mondiale, à l’image de cet instituteur devenant fou devant des enfants, ou les soldats joués par Cyrille Thouvenin et Marius Colucci, qui ne maîtrise plus leurs instincts et se vengent sur les premiers venus. Il faut ici faire l’éloge de la performance magistrale de Jean-Pierre Marielle. Bertrand Blier lui faisait dire dans « Les acteurs » (1999), qu’il était arrivé à une sorte de justice, il faut voir ce que le comédien arrive à faire avec ce personnage terne et austère du procureur Destignat , fort antipathique qui retrouve un sursaut d’humanité en rencontrant Lysia – Marina Hands -, jeune institutrice inquiète pour son jeune mari parti au front et qui loge chez lui. On suit son personnage qui se dévoilera finalement que très peu avec intérêt, et voir sa morgue envers le juge Mierck – Jacques Villeret, dans son dernier rôle, en fonctionnaire en représentation permanente -.

Jean-Pierre Marielle

Marielle ici semble au sommet de son art, maîtrisant le silence, l’effleurement ambigu d’une jeune enfant, la guerre ne faisant qu’exacerber les sentiments. Le réalisateur sait montrer l’immédiateté de la guerre – belle scène entre Destinat et Lysia, en haut d’une colline dominant la tourmente. L’évocation du climat de la guerre sans la montrer est la performance du film. Quelques excellent comédiens viennent accompagner la performance de Marielle, de Marina Hands – digne fille de sa mère Ludmila Mikaël, et révélée dans « Sur le bout des doigts » d’Angelo également -, jeune femme perdue dans la tourmente, Denis Podalydès en policier mutique tentant de survivre, Michel Vuillermoz en maire exaspéré par les bassesses de son petit monde, Serge Riaboukine en bistrot résigné, Franck Manzoni en colonel caricatural, Henri Courseaux en médecin de campagne, Alain Frérot excellent en curé qui se révèle homme dessous la défroque, Jean-Michel Lahmi en inculpé blessé, pour ne citer que les plus repérables, à noter que le dossier de presse consultable sur le web n’offre que très peu de noms, je n’ai pu que très incomplètement compléter la fiche IMDB, qui fête ce jour ces quinze ans. Au final même si on déplore une absence de lyrisme, le film habité par Jean-Pierre Marielle laisse une impression plutôt positive. On peut regretter que tous les metteurs en scène n’aient pas su utiliser comme ici toute la palette du talent de Jacques Villeret, on finit à le voir par oublier, les règlements de comptes absolument sordides et indignes de son entourage dans les médias après sa mort, ne pensant qu’à utiliser à mauvais escient son actualité tragique.