Jacques Bonnaffé
Retour en force pour l’excellent Jacques Bonnaffé, en deux films « Crustacés & coquillages » et « Le fil à la patte », on se pose la question pourquoi le cinéma l’avait-il perdu de vue.
Crustacés et coquillages
La réussite de « Crustacés & coquillages » est d’autant plus méritoire, que ce film fait suite à un projet très avancé de conte pour enfant pour Olivier Ducastel & Jacques Martineau, abandonné faute de financement. Rencontrés lors d’une avant-première, ils nous expliqué avoir eu énormément de difficultés à monter un film plus léger, malgré l’aval de Valéria Bruni-Tedeschi et Gilbert Melki. Ce projet fut plus difficile à monter que « Jeanne et le garçon formidable », alors que l’on pouvait penser le contraire.
Il y a réellement un problème dans le cinéma d’auteur français actuellement, au vu des nombreux témoignages à ce sujet. La maison, personnage central du film, a été trouvé au dernier moment, grâce à la patience d’un couple âgé, réfugié dans un hôtel et désarçonnés de perdre ainsi leurs habitudes. De même que la chorégraphie décriée finale bien qu’efficace, est basée sur la célèbre chanson de Brigitte Bardot « Coquillages & Crustacés », mais faute d’avoir les droits au final, une parodie a dû être adoptée.
Avec Valeria Bruni Tedeschi dans « Crustacés & coquillages »
Compte tenu d’un budget très mince, il faut saluer le talent de Ducastel & Martineau, qui ont trouvé la manière de faire valser conventions et convenances dans cette comédie très réjouissante. Il faut saluer la distribution, de Gilbert Melki, étonnant dans son trouble, Valérie Bruni-Tedeschi, de rayonnante , en femme libre, Jean-Marc Barr joue toujours à casser son image, et le trio Sabrina Seveycou-Romain Torres-Édouard Collin est très à l’aise dans le tempo de la comédie.
Et puis il y a Jacques Bonnaffé, drolatique, ludion et amant insatiable de Valérie Bruni Tedeschi, il joue avec le cadre, grisé par le risque, il nous donne l’occasion d’un grand moment de comédie. Il rappele la prestation du « satyre » campé par Jean-Jacques Brunius dans « La partie de campagne » (Jean Renoir, 1936)…
Un fil à la patte
Jacques Bonnaffé semble avoir saisi le rythme et le style de Michel Deville, salué unanimement par la critique, il virevolte à nouveau dans son personnage de notaire gaffeur à l’haleine chargé, hormis le gimmick du portable (idée qui tombe un peu à plat), il brille dans ce film. Les comédiens me semble inspirés (Dominique Blanc, Charles Berling, Julie Depardieu, Tom Novembre et Mathieu Demy – qui semble échappé de l’âge d’or du slapstick américain -, surtout) et on retrouve un joli moment d’érotisme entre Emmanuelle Béart et Sara Forestier, dans une scène où Michel Deville retrouve le charme du « Voyage en douce ».
L’adaptation du film est plaisante, mais au final le film déçoit un peu, on est hélas ici plus près de « La divine poursuite » que de « La maladie de Sachs » ou « Un monde presque paisible ». Par moment la mise en scène millimétrée de Michel Deville, semble étouffer un peu le rire, c’est un peu dommage, même si l’on s’amuse beaucoup.
Avec Emmanuelle Béart, Tom Novembre & Charles Berling, dans « Un fil à la patte »
J’ai gardé un excellent souvenir d’une rencontre avec Jacques Bonnaffé, venu presenté en avant-première le film de Jacques Rivette « Va savoir ». C’est un des comédiens qui parle le mieux de son métier, avec lucidité, des différences du travail avec deux maîtres Rivette et Godard. Dans l’anthologique duel – à la vodka – en équilibre sur un fi, avec Sergio Castellitto, Jacques Bonnaffé faisait déjà un beau retour au cinéma – pour la petite histoire, ils avaient bu un peu de vodka au départ pour s’aider dans la situation.
Jacques Bonnaffé a gardé un bon souvenir de Jean-Luc Godard, sa rencontre lui a permis de se dégriser du succès – piège infernal pour un jeune acteur – Il témoignait des premiers jours de tournage avec Isabelle Adjani, qui n’a pas – ni son « staff » – supporté de tourner à l’économie et sans maquillage, elle est d’ailleurs remplacée par Maruschka Detmers.
Bonnaffé, a toujours le plaisir de jouer et des mots, fidèle à son spectacle sur les gens du Nord : « Cafougnette ». Olivier Ducastel disait qu’il joue toujours dans les maisons de retraites, parcourant les villes, à la rencontre des spectateurs. Il n’hésite pas à jouer des petits rôles, et ces deux derniers films semblent l’amorce d’un grand retour. En mai nous le retrouveront dans « Lemming » de Dominique Moll. Lucide et ludique, son amour du texte, et une quarantaine dynamique, on devrait le retrouver souvent et c’est tant mieux.
Sur un petit carnet, il m’avait signé « là où est le péril, là grandit ce qui sauve… (si je peux m’y tenir) ».
Liens : La gazette du cinéma : entretien avec Jacques Bonnaffé & Cafougnette (Portrait + CV).