Les œuvres se répondent parfois par les hasards – ou les circonstances ? -de la programmation, vendredi soir c’était la diffusion sur France 3 de « Le secret » de Solveig Anspach assez anecdotique finalement sur Mazarine Pingeot et en salles « La fille du juge » d’après le récit de Clémence Boulouque, la fille du juge Gilles Boulouque « Mort d’un silence ». Deux enfances face aux affres du pouvoir dans la génération « Mitterrand ». Privilégions ici le second documentaire de William Karel – »Le monde selon Bush » – reprenant un quart de ce texte, réussit avec intelligence et pudeur à le retranscrire sur l’écran, il faut saluer Elsa Zylberstein, qui au service du texte, est la récitante avec beaucoup de justesse et de retenue. Je dois bien avouer être particulièrement sensible à son timbre de voix, mais elle me semble avoir trouvé la distance nécessaire pour éviter tout pathos. Le film commence sur les attentats du 11 septembre 2001 à New York où Clémence fait ses études, ce qui la ramène aux attentats parisiens de 1985/1986. Le jeune juge Boulouque est charger de ces dossiers dans le cadre de l’interpellation du groupe Fouad Saleh. Suit un feuilleton médiatique assez mouvementé, qui se terminera par le suicide du juge à son domicile en 1990, il avait 40 ans. Ce film documentaire est assez innovant, William Karel respecte le point de vue de Clémence, alors petite fille, l’histoire est vue à travers son regard au travers du travail de son deuil une grande empathie. Le montage habile reprend les archives familiales, et les documents d’actualités de l’époque et notamment les interventions de François Mitterrand et Jacques Chirac alors en pleine cohabitation. A l’image du face à face entre ces derniers, alors candidats aux élections présidentielles de 1988, se renvoient la « patate chaude », on sent bien que le juge ne sert que de bouc émissaire et est sacrifié sur l’autel de la « Raison d’état ». Le voile sur cette affaire n’est pas complètement levé, c’est le regard d’une famille brisée et meurtrie, sacrifiée qui ici privilégié.
Gilles & Clémence Boulouque
C’est aussi une leçon concernant le journalisme ou la satire, par exemple le juge avait été meurtri, déclare un journaliste, par un dessin de Plantu, montrait un magistrat replet capable de toutes les compromissions en raison de Gorji – ce dernier suspect avait été relâché en échange de la libération de deux otages au Liban -. Pris en otage entre la raison du pouvoir, l’abandon du système judiciare à son égard suite à une ironique accusation de viol du secret d’instruction par un des suspects, sa conscience et les menaces qui se font précise, le « petit juge » au regard myope essaie de garder sa probité. La plaisanterie d’un garçon de café plus bête que méchant, un jour de vacances, annonçant au couple Boulouque que des personnes « basanées » cherche à les rencontrer, alors qu’ils n’ont plus de garde du corps, montre la cruauté d’un quotidien qui devient infernal. On tente de comprendre l’incompréhension des gens face à cette famille, à l’exemple de la méchanceté gratuite envers « La fille du juge ». La traversée de cette adversité ne peut se terminer que d’une manière implacable. La manière dont parle Clémence de son père est très digne et très touchante, elle montre une acuité particulière pour parler de sa douleur, de sa famille protégée jour et nuit par des gardes du corps en raison des dossiers brûlants traités par son père. Elle parle de le retrouver tout en s’éloignant avec l’appréhension compréhensible de devenir un jour son aînée, car il est mort jeune. On ressent bien les difficultés de cet homme qui devait tout garder pour lui, à la manière de continuer à jouer avec ses enfants dans des films tournés en super 8 où en étant très digne dans un entretien TV, en précisant que la difficulté de vivre cette situation est plus compliquée pour ces proches. Son honneur bafoué, il finit par se suicider avec une arme de service, censée le protéger, et dont il ne savait même pas s’en servir. C’était avant Noël, la famille avait fait trop tôt l’arbre de Noël dont la présence paraissait incongrue à Clémence alors âgée de 13 ans, face à ce drame. Très présent dans l’actualité, elle est consciente que l’histoire risque oublier son père, elle définit très justement cet état de fait cruel. Sobre et poignant, ce film est une formidable réussite.